16 : Horreurs (2/3)
Le silence s'était fait dans le bureau d'administration de l'ancien centre commercial. D'un côté, Jessica Lebon, de l'autre le conseiller Sanchez et le commandant Higas.
« - Quelle est votre réponse Madame Lebon ? Demanda le militaire
- J'hésite.
- Vous hésitez... ?
- J'hésite entre vous mettre une balle dans la tête maintenant et discuter calmement avec votre remplaçant ou vous laisser cent mètres d'avance avant de le faire.
- Euh... ?!
- Je récapitule : vous emmenez mon fils sur les champs de batailles, vous faites des expériences dangereuses sur lui, il manque de se faire tuer un nombre incalculable de fois par votre faute. A côté de ça il est considéré comme déserteur et passible de la cours martiale... et vous venez me voir parce que vous désirez le contacter, lui et son copain le roi... avec qui vous être actuellement en conflit. On m'a souvent prise pour une imbécile, mais là, c'est vraiment flagrant.
- Jessica, murmura le conseiller Sanchez. Il va falloir évacuer la cité rapidement. Les Silridriss vont arriver et tu es plus au courant que nous tous sur l'état de nos stocks en vivres et en munitions... Le commandant a proposé que nous rejoignons Bordeaux, mais nous avons d'autres possibilités.
- Comme ? Demanda-t-elle, tandis que le commandant regardait le conseiller surpris.
- Rejoindre ton fils, rejoindre les chimères.
- Attendez, objecta le militaire, ce n'était pas prévu comme ça.
- Ici, c'est une zone dévastée, cru bon de rappeler le politique. Ici, vous n'avez aucun pouvoir, et aucune exigence à imposer. Faites des propositions avant d'imposer des choix que nous pourrions ne pas suivre.
- Et comment pourrais-je contacter mon fils selon vous ? Vous avez tout fait pour que je ne puisse plus le joindre.
- Jessica, murmura le conseiller devant le militaire sans voix, tu ne me feras pas croire que tu ignores comment faire. Je sais que tu n'aurais jamais pu couper les ponts avec lui.
- Peut-être, mais je n'ai aucune envie de me servir de lui pour quelque raison que ce soit. J'estime qu'il a suffisamment souffert à cause d'eux dit-elle en désignant le soldat d'un mouvement de tête. Et je ne crois pas qu'il soit assez connu dans la cité dévastée pour que les gens qui l'habitent le suive aveuglément. »
Un signal sonore provenant du vieil ordinateur, signalant l'arrivée d'un message, coupa la discussion. Par habitude, Jessica ouvrit ce dernier immédiatement pour le classer au bon endroit : urgent / pas urgent / poubelle. Pour autant, aucune de ces catégories ne correspondait aux informations qu'il contenait.
« - Sales gosses, laissait-elle échapper, ils arrivent : ils envoient des diplomates.
- Qui ça ''ils'' ? Demanda Higas.
- Les Argentiens. J'ignore totalement comment ils étaient au courant mais ils arrivent dans une semaine. Fernand vient de m'annoncer qu'une délégation est en route. »
*
« - Sellgan ? Demanda doucement Manuel en entrant dans une pièce remplie de bureaux. A l'intérieur, les individus se déplaçaient dans tous les sens de manière précipitées. Le jeune homme se serait cru dans un commissariat New-Yorkais au début du XXe siècle, avec moins de papiers, plus d'écrans et tout autant bruits. Il interpella un golem qui passait devant lui :
« - Excusez-moi, je cherche Sellgan.
- Bureau au fond à gauche. » Répondit son interlocuteur avec un vague mouvement de la main sans s'arrêter pour autant.
Le jeune roi pénétra dans la fourmilière surexcitée qui l'entourait à la recherche de la pièce indiquée. Il remarqua rapidement que le mur de gauche avait été créé en installant bureaux et salles de réunions vitrées. Il choisit de longer le mur et trouva son objectif dans le dernier local.
La chimère à tête de loutre était là, les deux mains posées sur le bureau, avec une bouteille à moitié pleine d'un liquide brun et un verre entamé. Manuel s'interrogea quelques instants avant de pénétrer dans la pièce non sans avoir frappé juste avant par politesse.
Sellgan le regarda alors avec un regard vide.
« - Bonjour Sellgan, ... Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Est-ce que ça va ?
- Non. Je te hais, du plus profond de mon être, je te hais.
- Sympa comme accueil. Mais au moins, ça a le mérite d'être honnête, dit l'Humain en s'asseyant en face de lui. Puis-je me servir ?
- Fait comme tu le sens. Ça ne changera pas de d'habitude : tu me spolies de tout ce qui me tiens à cœur.
- Merci. »
Manuel se releva, trouva un verre propre dans une étagère puis se servit avant de se rasseoir. Il avala une gorgée, qui lui brûla l'œsophage. Une légère toux fut retenue avant qu'il ne précise :
« - Je ne t'ai rien volé Sellgan, c'est juste que l'amour de la princesse n'a jamais été à toi. Il ne t'a même jamais été destiné. »
L'intéressé grogna et montra des lents de mécontentement.
« Oh je t'en prie. Pas de ça avec moi, soupira le jeune homme avant de reprendre un peu d'alcool. Tu es fou d'elle, je commence à le comprendre, mais ce n'est, et ne sera jamais réciproque. Et si tu te mets une cuite actuellement, c'est que tu l'as probablement compris. Je ne vois aucune autre raison.
- C'est plutôt étrange, grogna difficilement la chimère. La personne qui me comprend le mieux est celle que je déteste le plus. Le destin est plutôt cynique, et sadique.
- Ou alors c'est que tu ne vois pas tous les messages qu'il envoie.
- Comment ça ?
- Il y a une vieille croyance chez nous. Celle du Ying et du Yang. Elle explique que dans chaque bien il y a un peu de mal, vice-versa. Mais l'autre point important, c'est qu'elles sont en égales proportions pour que le monde soit équilibré. Tout déséquilibre est automatiquement corrigé. Donc, je dirais plutôt que tu n'as pas tout vu autour de toi. Et te torcher au whisky n'éclairera pas ton chemin.
- Je me moque de tes conseils.
- Alors je vais donner un ordre : dé-saoule ! On a besoin de toi avec toutes tes capacités cognitives.
- La zone dévastée assiégée ?
- Oui.
- Pas envie d'y aller. Pas envie de suivre tes ordres non plus.
- Ce ne sont pas juste les miens. Je prends ça également, fit Manuel et attrapant la bouteille. Je t'en rendrai une pleine à ton retour, promis. »
Sellgan grogna méchamment.
« - Arrête, je t'ai dit que ça ne fonctionne pas. Ta reine a besoin de toi, les différents peuples qui habitent ici aussi. Et si tu ne veux pas me voir, fait en sorte que je n'ai pas à venir te chercher... Franchement, je m'attendais à quelque chose de différent de la part de celui qui s'est débrouillé pour m'envoyer au mitard un soir de Noël.
- Désolé de ne pas combler tes attentes.
- Allez, arrêtes tes conneries. Tu vaux mieux que ça. Demain, neuf heures les diplomates partent là-bas. Débrouille-toi pour être sobre et présentable sinon tu vas vraiment décevoir du monde. »
*
* *
*
Le sol de la pièce était recouvert d'un superbe parquet, Deux des murs, recouverts de moquette pour l'acoustique, le troisième de miroirs et d'une barre de maintien, quant au dernier, des fenêtres qui donnaient sur la rue. Le petit groupe composé en majorité d'Humains chantait en une chorale à l'harmonique correcte. Le chef de chorale donnait le tempo de sa baguette et dirigeait le chœur avec précision. Les paroles du chant étaient légères, voire frivoles en ces temps si sombres. Pourtant elles apportaient un peu d'espoir, une petite échappatoire à la terrible réalité.
Le chant s'arrêta.
Le chef de chorale posa sa baguette avant de taper dans ses mains :
« - C'est parfait, on se revoit la semaine prochaine pour le cours suivant. On complexifiera la rythmique sur le prochain morceau. »
Le petit groupe s'éparpilla et il se dirigea vers la jeune femme rousse qui s'était installée à côté de la porte et qui écoutait sans rien dire les mélodies dans son coin. Elle s'était assise là, revenait chaque jour de cours, mais sans plus. A aucun moment elle ne s'était adressée à qui que ce soit, et avait ignoré toute tentative de discussion des différents intervenants qui s'étaient présenter à elle.
« - Bonjour, dit-il doucement en s'accroupissant devant elle pour que leurs yeux soient à la même hauteur. Il va falloir faire un choix maintenant, tu ne peux pas rester comme ça. Sois tu viens chanter, sois tu t'en vas. »
Il ne s'attendit pas à sa réaction : elle jeta autour d'elle des regards paniqués. Par deux fois l'enseignant identifia qu'elle regardait les autres membres de la chorale. Il comprit qu'il y avait une profonde peur derrière.
« - Calme-toi, si tu veux, on attend que tout le monde soit parti pour t'entendre. »
Ces quelques mots la calmèrent immédiatement.
« - Comment t'appelles-tu ? »
Au prix d'un incommensurable effort elle murmura quelque chose.
« - Pardon ? Demanda le professeur en posant son oreille près de sa bouche.
- Lyouba...
- Et bien Lyouba, je ne sais pas trop comment tu as perdu ta voix, mais si tu es là, c'est que tu es bien décidé à la récupérer. Exact ? »
La pilote de combat, terreur parmi les terreurs du champ de bataille hocha la tête d'un air décidé. Elle désirait ne plus jamais craindre les sons qui sortiraient de sa bouche... en particulier pour Rald.
*
* *
*
« - Myanate, peux-tu me rejoindre dans mon bureau je te prie. J'ai quelque chose à te proposer.
- J'arrive monseigneur. »
Au son de sa voix, Arsear compris que la prononciation du dernier mot lui déchirait la gorge. Il y avait moins de deux ans, il n'était qu'un obscur Capitan, et aujourd'hui, elle devait lui obéir.
Le seigneur des terres de Kalam et Youris s'appuya sur son bureau en attendant son invitée. Celle-ci ne mit pas longtemps avant d'arriver. Elle frappa à la porte, attendit l'assentiment de son supérieur, puis entra. L'ancienne favorite de l'Impératrice prit une pose de soumission devant lui.
« - Ferme la porte. Prends une chaise et assied-toi. »
Avec résignation, elle obéit à ces ordres simples.
Devant elle, adossé à son bureau, Arsear la dévisageait. Sans un mot, il prit la sphère de silence posé derrière lui et l'activa. La bulle les engloba tout les deux et Arsear commença :
« - J'ai un moyen de te faire revenir dans les bonnes grâces de la Déesse-Impératrice. Est-ce que cela t'intéresse ?
- Oui. Cracha-t-elle.
- Ce sera certainement long, douloureux et humiliant. Mais si tout se passe comme je le prévois, tu devrais reprendre ta place. Si je t'en parle complètement, tu te devras d'accepter car il n'y a pas de retour arrière possible.
- Allez-y, répondit Myanate avec une cupidité supérieure à la méfiance.
- Tu vas te faire passer pour une esclave, et rejoindre les forges de Miladon. J'y connais Ragoune, le responsable, il va s'arranger pour que tu ne reçoives aucune blessure mortelle. Tu y joueras les esclaves jusqu'à nouvel ordre : pas de menaces, pas de meurtres, rien... Tu subiras les sévices des gardes et autres contremaîtres sans te venger.
- Quoi ? Mais c'est un ... s'offusqua la Silridriss qui n'avait pas perdu ses réactions de Favorite.
- Silence, grogna simplement Arsear. L'effet fut immédiat et Myanate ne poursuivit pas. Il se cru bon d'expliquer, et ce, sans hausser le ton de la voix : Aller au-delà de sa propre fierté pour la gloire de la Déesse-Impératrice. C'est ce que tu as oublié, c'est la raison pour laquelle tu es à mon service aujourd'hui. Garde ça pour toi, mais je pense aussi qu'elle t'a envoyé à moi car elle tient à toi. Sinon tu aurais subi le même destin que Vrinnss. »
Le seigneur laissa l'idée se faire dans la tête de son interlocutrice.
« - Dites-moi tout, dit-elle d'un propos décidé.
- Tu vas te cacher parmi les esclaves. Ton lien au Klastlabad lui-même sera réduit pour éviter d'éveiller les soupçons.
- Je ne comprends pas le but de la manœuvre.
- La force composée d'esclaves en tous genres, mené par les démons d'Alikaross, a tendance à attaquer loin derrière nos lignes. En particulier les centres industriels remplis d'esclaves. Ils les libèrent, se renforcent, et nous affaiblissent par la même occasion.
- Donc on leur tend un piège.
- C'est ça. A une différence près : tu n'agis pas. Tu signales seulement l'emplacement de leurs forteresses. S'ils cherchent à s'échapper, tu te débrouilles pour les suivre et ainsi de suite. Ils doivent croire que tu es de leur côté pour que nous sachions toujours où nous devons aller. Jusqu'à leur extermination ou leur réédition. Myanate ? »
L'ex-favorite, qui avait commencé à réfléchir de son côté releva la tête pour recentrer son attention sur son supérieur.
« - Ces démons ont affronté Vrinnss et une flotte entière au contact, et nous avons été défaits. Même s'il en manque toujours un, leur force est bien réelle. Si tu les affrontes face à face, tu seras tuée et nous perdrons notre principale source de renseignement. Ne sois pas dupe : avec eux, l'information est une arme. Apprends à l'utiliser.
- Selon toi, la Déesse-Impératrice, me rendra mon statut après ça ?
- Si elle apprend que tu as sciemment souffert pour sa gloire, sans aucun doute.
- Pourquoi moi ?
- Il faut quelqu'un de suffisamment puissant et solide pour passer toutes ces épreuves sans décéder, et suffisamment impliqué pour garder sa foi envers notre Déesse-Impératrice.
- Une dernière chose : pourquoi m'aides-tu ?
- Tu me l'as dit toi-même : nous ne sommes pas nombreux à connaître le secret de la Déesse-Impératrice. Faire entrer quelqu'un dans ce cercle, c'est prendre de gros risques. Autant conserver ceux qui existent. Ce sera toi, et personne d'autre : je ne prendrais aucun risque. D'autres questions ? »
Point après point, Myanate comprenait la stratégie malsaine qui se trouvait derrière l'opération que proposait Arsear.
« - Comment vous contacterai-je lorsque je les aurais trouvés ?
- Tu garderas la broche cachée sur toi. Tu me contacteras directement et je préviendrais la Déesse-Impératrice. Si tu n'as toujours pas confiance en moi, tu pourras lui parler lorsqu'elle te contactera. Je suis sûr qu'elle suivra tes évolutions avec intérêts.
- Qu'est-ce qui te fait dire cela ?
- Je vais le lui proposer la prochaine fois que nous nous croiserons. Je lui fournirai également une broche, c'est plus discret que de créer des images. »
Myanate comprenait petit à petit le plan du Seigneur Silridriss qu'elle avait devant elle. Mais il y avait toujours ce doute qui ne la quittait pas : Arsear cachait quelque chose. Un quelque chose qu'elle n'était pas sûre d'aimer. Pourtant, si on comptabilisait le nombre d'opération couronnées de succès ces derniers temps, la balance était clairement en sa faveur.
« - Ça commence quand ? Se décida-t-elle à demander.
- Maintenant. »
Arsear fit un pas et posa sa main entre les yeux de Myanate. Elle hurla, le pouvoir d'Arsear, supérieur au sien, bâillonna le Klastlabad sur sa poitrine, avant de lui arracher des écailles par blocs entiers. L'ex-favorite voulu se débattre, mais ses membres, tétanisés par la phénoménale énergie ne répondaient plus. Cela ne dura que quelques minutes, mais dans son esprit, ce fut une éternité. Lorsque le terrible stratège eu terminé, elle s'écroula au sol. Sa peau, douloureuse, sanguinolente cicatriserait avec le temps, mais ne reprendrait plus son aspect initial signalant son rang.
« Tu reprendras ta forme lorsque tout sera terminé, dit-il. Désolé pour la douleur et l'absence de cicatrisation, mais ça doit paraître crédible. Prête à la seconde partie ? »
Myanate voulu répondre, mais simple contact de ses vêtements ou du sol était un supplice.
« Ta mission et ta couverture commencent maintenant. Ne va pas tout faire rater avec une fierté mal placée... Berik ! Osrak ! Dans mon bureau ! De toute urgence !... Courage Myanate, la rédemption est au bout du chemin. »
Arsear éteignit la sphère de silence en regardant la Silridriss devant elle se tordre lentement de douleur sans aucun sentiment. La porte s'ouvrit à la volée, Berik fut le premier à entrer.
« - Par l'Impératrice... murmura-t-il, ne croyant pas ce qu'il voyait.
- Silence Berik.
- Monseigneur, que se passe-t-il ? » Demanda Osrak en bousculant l'intendant pour rentrer. Et qui garda elle aussi le silence tant elle était choquée. L'état et les vêtements de la Silridriss au sol ne laissait aucun doute ni sur son identité ni sur ce qui s'était passé. La colère commença à poindre dans le cœur des deux individus.
« - Je ne veux aucun commentaire. Ce qui s'est passé dans cette pièce ne regarde personne d'autre qu'elle et moi. Qu'elle ne garde que la broche. Elle doit expier ses péchés : Berik, fait en sorte de la garder en vie, quoi qu'il arrive. Emmène-la aux forges de Miladon, chez Ragoune. Qu'il en prenne soin de la même manière. »
Sans ménagements, l'intendant souleva le corps groggy de la Silridriss, la jeta sur une épaule et la sortit de la pièce sans prendre garde aux chocs qu'elle pouvait recevoir des encadrements de portes ou des murs.
« - Osrak, j'aimerai que tu prépares un repas complet pour l'ensemble des capitaines de navire de la quatrième flotte volante. Je les invite ici dans deux jours. Que tout soit prêt et parfait à ce moment-là.
- Bien monseigneur. »
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