6 : Chez Rachida (2/3)
Elles arrivèrent finalement devant un restaurant surmonté d'un néon rose qui traçait sur le toit, comme écrit à la main « Chez Rachida ». Par les vitres de la devanture, elle virent qu'ils y avait quelques personnes d'installées à l'intérieur. Elle suivirent leur guide lorsque celle-ci ouvrit la porte pour entrer. A l'intérieur, la salle était rectangulaire, à droite, le bar, au fond une porte à battants qui devait donner sur la cuisine. A gauche, des tables pour les repas, une bande de petit vieux jouant aux cartes, et deux couples discutant à des tables assez éloignés. Trois hommes étaient accoudés au bars et discutaient autour d'un journal numérique qui tournait sur un petit écran. La décoration était faite de blanc, de vert et d'or dans le plus pur style marocain.
Soudain, il y eut des cris dans la cuisine. Quelqu'un criait dans une langue que les chimères ne comprenaient pas. Un interlocuteur répondit sur le même ton. Visiblement, il s'agissait d'un homme et d'une femme. Même si elle ne comprirent pas le sujet de la dispute, les petits vieux se mirent à sourire, et les personnes qui discutaient autour du journal gardèrent le silence, le sourire en coin, tout en regardant la porte des cuisines.
« - Et c'est reparti... murmura l'un des anciens.
- Je me demande quelle connerie il a fait ce coup-ci, demanda l'un de ses interlocuteurs.
- Moi, je me demande surtout comment il fait pour les enchaîner.
- Dix contre un qu'il se fait chopper.
- Tenu. »
Un jeune homme d'à peine seize an sorti à grande vitesse de la cuisine sous les regards amusés de l'ensemble des personnes présentes dans le petit restaurant. La porte de la cuisine ne s'était pas encore refermée qu'une poêle traversa l'embrasure elle aussi. L'élément de cuisine frôla la tête du jeune homme et alla s'abîmer dans la salle. L'adolescent s'enfuit aussi vite que possible. Les chimères et leur guide s'écartèrent à son passage. Terrifié, c'est à peine s'il identifia les deux créatures. Une femme sortit aussi vite que lui de la cuisine, une énorme louche à la main, elle commença à le poursuivre en hurlant dans une langue incompréhensible et en faisant tournoyer la louche au-dessus de sa tête. Elle sorti dans la rue à sa poursuite, laissant les trois personnages dans le petit restaurant. Mais, avec ce qui s'était passé, l'attention de l'ensemble des personnes présentes dans la pièce revinrent vers les étrangers.
Personne ne leur adressa la parole, personne ne dit rien non plus. Mais tout leurs regards étaient dirigées vers les deux chimères.
« - Heu... bonjour. » dit Salida en levant une main.
L'ensemble des personnes présentent retournèrent à leurs affaires sans répondre.
« - Quel manque de politesse, j'en cramerais bien un ou deux pour leur apprendre, murmura la guerrière chimérique.
- Tégos. Reste calme, rappelle toi ce qui s'est passé lors de la dernière guerre. Peux-tu leur en vouloir ? fit Salida sur le même ton.
- Non, pas vraiment, Mais je commence à en avoir marre d'être mal accueillie où que j'aille.
- C'est notre lot pour le moment. Et, certaines personnes ne nous regardent pas comme cela. Manuel, Fernand, Monsieur Weng...
- Weng a beau le cacher, cela reste visible : il nous hait.
- C'est pour quoi ? » Demanda haut et fort la femme qui était sortit quelques instants plus tôt en entrant dans le restaurant avec un accent du Maghreb.
Salida profita de la discussion qu'elle eu avec leur guide pour la regarder. Elle n'était pas très grande, une cinquantaine d'année et un bon embonpoint. Ses cheveux noirs étaient regroupés en un chignon à l'arrière de la tête, sur un visage rond, ridé, avec quelques boutons et pas très amical au premier abord. Sa peau était bronzée, et ses yeux noirs laissaient transparaître une intelligence que peu de gens aurait pu identifier derrière cette apparence bien en chair, brute et peu avenante. Elle avait une robe brune, des escarpins, une chemise vert bouteille dont les manches étaient remontées, et un tablier blanc. Un châle en laine noir protégeait du froid le cou et les épaules pour éviter les courbatures. Elle sentait bons les fourneaux, le pain à l'anis, le mouton et les loukoums.
« - Ha oui ! Je me souviens ! C'est de ces deux-là dont je dois m'occuper ? »
Leur guide hocha la tête avec un ''oui'' a peine audible.
« - C'est bon ma chérie, tu peux rentrer chez toi, dit à Weng qu'elles sont entre de bonnes mains. » reprit-elle en la poussant vers la sortie.
La guide mise à la porte, elle se retourna vers les deux chimères.
« - Bonjour mes chéries,... euh... est-ce que vous comprenez notre langue ?
- Bonjour madame, nous comprenons quand vous parlez comme ça, mais tout à l'heure...
- Tout à l'heure ? Aaa... Allah, ce garçon me rendra folle. Appelez-moi Rachida. Pas besoin de plus ici. Et vous vous appelez ?
- Tégos.
- Salida.
- Salida ? Hihihi, voilà un nom bien étrange.
- Pourquoi ? Demandèrent les chimères en se regardant, surprises.
- En espagnol, cela signifie : Sortie. »
Tégos allait exprimer son mécontentement mais un regard de la princesse déchue lui fit comprendre que ce n'était pas grave.
« - Bien, est-ce que tout le monde à dit bonjour à mes invitées ? »
A cette question, tout les habitués dirent un bonjour bruyant mais sans motivations, et les deux couples suivirent avec un léger décalage. De sa cuillère elle tapa poliment le dos de l'un des hommes accoudé au comptoir.
« - Jérôme, je ne t'ai pas entendu.
- Normal je n'ai rien dit. » répondit l'homme sans se retourner. Il allait porter un verre d'alcool à sa bouche mais la femme mis un coup sous son coude, et le verre se renversa. Il se retourna lentement, une mine à la fois inquiète et mécontente.
« - Ici, Jérôme tu es chez moi. Tu connais les règles, et ces deux personnes sont mes invitées. Je ne te permets pas de leur manquer de respect sous mon toit.
- Je me demande si Ahmed serait d'accord... »
La légère claque donnée sur la joue avec la louche coupa la phrase avant que Rachida ne reprenne :
« - Je ne t'ai pas demandé ton avis. Et si Ahmed, qu'Allah ait son âme, était encore en vie, il serait certainement d'accord avec ce que je fais. Maintenant que tu as fini ton verre, tu peux partir. Reviens quand tu l'auras compris. »
Dans le silence du restaurant, l'homme sortit.
« - Bien, est-ce que quelqu'un à quelque chose d'autre à dire ? »
Il n'y eut aucune réponses. Par peur ou par volonté de ne pas froisser cette dame au fort caractère.
« - Bien, si tout le monde a compris, c'est parfait. Suivez-moi mes chéries, direction, la cuisine. »
La pièce était propre et bien rangée, sauf à un endroit où la vaisselle n'avait pas été faite et où casseroles et assiettes s'entassaient en plusieurs piles. Le sol et les murs étaient recouverts de carrelages blancs. Les fours et des tables étaient métalliques, propres et fonctionnels.
« - Bien, que savez-vous faire ? »
Aucune des deux chimères ne savait quoi répondre.
« - Si vous ne savez rien faire, ce n'est pas grave, vous allez apprendre.
- Je crois qu'il y a une erreur, murmura Tégos, il n'a jamais été prévus que nous travaillons.
- C'est pourtant l'un des meilleurs moyens de vous occuper l'esprit, et de vous apprendre quelque chose d'autre que la maîtrise de vos corps. Ici on dit qu'il n'y a pas de sot métier. Cela signifie que tout ce que vous pourrez faire aura une utilité. Et qui dit que cela ne servira pas plus tard... hum ? Surtout de la cuisine ! Dit-elle en se rapprochant de la guerrière caparaçonnée. Bien, alors on va commencer par la base : la vaisselle que mon neveu est incapable de faire. Ensuite on complexifiera. Qui veut commencer ? »
*
Que de souvenirs, c'est à peine si la zone dévastée a changé. J'aurais tant voulu te la faire découvrir Marilyn.
Manuel marchait dans la rue piétonne vers le point de rendez-vous de l'équipe de maintenance.
« - Manuel ! Par ici ! lui cria son ami depuis le pas de porte d'un café.
- Salut Fernand, répondit Manuel, en entrant et en lui serrant la main. On commence par quoi ?
- La ventilation. Il va falloir aller nettoyer les ventilos avant qu'ils ne grillent. Au fait, j'ai pas vu les chimères ce matin, tu saurais pas où elles sont par hasard ?
- Chez Rachida.
- Chez Ra... Ouh putain ! ça va être chaud !
- Weng n'est pas un idiot, Rachida est gentille, mais faut pas lui chercher des noises. Dans le cas contraire, ça se fini mal.
- Ouais, je sais, tu veux un café.
- Oui, merci. Ça te tente d'aller manger là-bas ce soir ?
- Eh, pourquoi pas, ça fait une éternité que j'ai pas mangé de tajine ou de couscous.
- Bon, alors c'est réglé. Ce soir, c'est resto. »
*
* *
*
Les ennuis commencèrent pour les deux chimères dés le midi. En effet, la plupart des clients préféraient partir plutôt que d'être servis par ces créatures. Après avoir mangé vers onze heures, elles firent les serveuses, le neveux était revenu, et, après avoir été sérieusement sermonné, avait prit sa place derrière le bar. Quand à Rachida, elle était toute seule en cuisine, elle s'occupaient de l'ensemble de la cuisine avec une dextérité qui impressionna les deux chimères. A elle seule, elle préparait tout les plats, et n'en ratait aucun. Les plats des quelques clients qui acceptaient de rester étaient préparé rapidement et servis avec célérité pour éviter les remarques désobligeantes. La fatigue commença à se faire sentir. Mais l'apothéose se fit lorsqu'une trentaine d'ouvriers d'un chantier voisin virent pour déjeuner. A peine rentré, ils virent les chimères et voulurent ressortir, mais l'un d'entre-eux leurs signala qu'ils ne pourraient pas manger autre part en si peu de temps.
« - Installez-vous, et rassurez-vous elles ne vous feront rien. » leur glissa le neveu, Hicham, bien que lui-même n'était pas rassuré.
Certains s'installèrent en bougonnant, d'autres, dans un silence mêlé de méfiance. Ils commandèrent des plats et des boissons, et les discussions allèrent bon train. La plupart parlèrent de travaux, et de la vie sur le chantier, mais quelques-uns discutèrent des nouvelles serveuses.
« - Salida, Tégos, venez ! » leur cria Rachida en ouvrant la porte de la cuisine.
« - Le fournisseur est arrivé, trouvez un moyen de décharger le camion rapidement. »
A leur sortie dans la ruelle, le chauffeur les regarda avec beaucoup de désapprobation. Le camion était plein de cartons et de vivres en tout genre. Elles en aurait eut pour une bonne heure à tout décharger, mais Rachida les interpella en les voyant transporter chacune un lourd carton.
« - Mais vous me faites quoi là ?
- On décharge... commença Salida.
- Ce n'est pas ce que je vous ai demandé. Je vous ai demandé de trouver un moyen pour décharger rapidement. » Voyant le désarroi des deux créatures, Rachida décida de leur montrer comment faire. Elle sorti de la cuisine et alla jusqu'à la table des ouvriers de chantier, suivie par les deux chimères.
« - Salut les gars.
- Bonjour Rachida, répondirent-ils tous avec quelques variantes et pas toujours au même moment.
- Vous allez bien ?
- Ça va, répondirent quelques-uns tandis que d'autres hochèrent simplement la tête.
- J'ai mes deux amies, qui ont des soucis pour décharger un camion de livraison. Est-ce que vous pourriez les aider ?
- Aider ces deux choses ? On a deviné que c'était des chimères, on ne sait pas comment elles sont arrivés là, ni dans cet état, et on ne veux pas le savoir. On ne veux rien avoir à faire avec elles. Répondit celui au bout de la table.
- Allons... des mecs forts comme vous. Vous devez bien vous douter qu'elles souffrent le martyr sous cette forme.
- Nan Rachida. Trouve quelqu'un d'autre. »
Tégos était colère après ces hommes qui auraient pu les aider, et Salida en devinait les raisons. Elle allait s'excuser pour la guerre passée, que cela n'arriverait plus et tout le reste. Mais elle fut coupée dans son élan par Rachida. Tégos. elle-même en oublia sa colère :
« - Allez, et je vous fait des crêpes.
- Non, désolé.
- Ce sont des crêpes un peu spéciales : en dehors de mon neveux de feu mon mari, qu'Allah ait son âme, personne n'y a jamais goûté. Elles ne sont même pas sur la carte.
- Oh ? et elles sont bonnes ? Demanda un ouvrier en vérifiant la pièce de papier.
- C'est une recette de ma mère, qu'Allah ait son âme, qui était bien meilleure cuisinière que moi. Je te garantis que tu vas en rêver la nuit. »
Avec de telles arguments il y eut bientôt deux camps à la table, ceux prêts à faire l'effort, et ceux qui préféraient rester sur leurs positions.
« - Va falloir vous décider les mecs, vous arrivez à la fin du repas, et je sais que vous allez devoir retourner au boulot. »
Les deux-tiers de la tablée se levèrent, motivés par le dessert qui semblait si spécial. L'un d'entre eux se planta devant Tégos et la regarda droit dans les yeux, un léger sourire sur le coin de la bouche. La guerrière, non habituée à ce genre de relations sociales, ne sut quoi répondre lorsqu'il lui demanda simplement : « Alors ? il est où ce camion. »
Lorsqu'elle reprit ses esprit elle lui montra la porte de la cuisine.
« - Eh bah vas-y, je te suis. »
Après avoir guidé la vingtaine d'hommes jusqu'au camion, ils s'organisèrent rapidement entre ceux qui feraient les allers-retours au camion, et ceux qui iraient chercher les vivres au fond de celui-ci. En moins de dix minutes, les vivres avaient été déchargés et rangés dans la réserve. Ils conseillèrent Tégos. et Salida sur la manière de porter des charges lourdes. Entre-temps la cuisinière prépara des assiettes complètes du dessert proprement dit, elles sentaient aussi bon qu'elles étaient appétissantes. Il y eut d'ailleurs quelques regrets du coté de ceux qui n'avaient pas bougé.
Leurs desserts avalés les ouvriers prirent congés de Rachida, et quelques-uns saluèrent les chimères en passant. Il y eut encore quelques clients, mais la salle ne fut plus comble. Une fois le coup de feu passé, elles prirent le temps de s'installer dans un coin de la salle pour se reposer un peu.
« - C'est vraiment un peuple étrange... Murmura Tégos.
- Oui, je n'aurais jamais imaginé que faire à manger avait autant de pouvoir.
- Seulement quand c'est bon ma chérie, intervint Rachida une théière et des verres à la main. Hicham, viens boire le thé avec nous.
- Boire quoi ? Demanda Salida
- Le thé marocain. Préparé comme au Maroc. »
Elle servit alors cinq verres, et elle en tendit un à chacune des deux créatures qui ne savaient trop si elles devaient vraiment le boire tant cela sentait bizarre. Le breuvage ressemblait à de l'eau trouble, avec des feuilles dedans. Cela sentait le chaud et la menthe, c'était agressif à leurs narines. Elles échangèrent des regards pour savoir si elles devaient vraiment boire ce breuvage. Hicham reçu le sien, et, lentement il posa les lèvres dedans, bu un peu et le reposa.
« - La plupart des personnes nous fuient. Pourquoi pas vous ?
- J'avais un mari, Ahmed, qu'Allah ait son âme, il est mort par la faute d'une chimère. Pourtant, avant de mourir, il avait vu quelque chose de vraiment fantastique : une chimère aider un homme. Il était sorti de notre petite cachette pour essayer de trouver de l'aide, ou à manger. Mais il a croisé le chemin de l'une d'entre vous. Dans sa fuite, il est tombé, et s'est brisé la jambe. La chimère l'a rapidement rattrapé, et, contre toute attente, l'a soigné avant de s'en aller.
- Qui était-ce ?
- Je n'en sais rien. Personne ne pouvait imaginer que vous saviez parler à cette époque.
- Qu'est-il arrivé à votre mari? Demanda Salida en comprenant l'utilité du verre de thé qui n'était pour personne d'assis à cette table.
- Ahmed, qu'Allah ait son âme, souffrait d'une maladie que l'on appelle le diabète. Il avait un besoin constant d'insuline pour survivre. Ses réserves sont arrivés à sec, et il en est mort.
- Qui est cet Allah à qui vous faites sans cesse référence ? » Demanda Tégos.
A cette question, Rachida eu un sourire.
« - C'est un Dieu. C'est le Dieu que j'ai choisi d'adorer.
- Un dieu ? Comme la Déesse-Impératrice Silridriss ?
- Non, personne n'a jamais vu Allah. Ni aucun des autres d'ailleurs.
- Comment savez-vous qu'il existe alors ?
- Je le sens. Je n'ai jamais vu à quoi ressemblait l'amour d'un homme, et pourtant, j'en ai vu toutes les manifestations. Est-il besoin de voir pour croire ? Je ne pense pas. Certaines choses se ressentent au fond de son cœur. Moi, j'ai Allah, d'autres préfèrent Yahvé, ou Jéhovah. Le choix appartient à chacun en se bas monde.
- Qu'est-ce qui motive un tel choix ?
- Ton cœur, et ton âme, rien de plus. Mais parlez-moi un peu de vous. Comment vous êtes vous retrouvé dans cette situation ? »
Les deux chimères racontèrent alors leurs déboires, les moments de joies, la terreur des batailles et les captivité chez les Silridriss.
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