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Le Compte du Chat

Une épaisse poudreuse recouvrait le château comme le nappage d'un gâteau, scintillante sous la lumière dorée de l'aube. La nuit s'achevait.

Et le Chat n'était pas d'accord avec ça. Oh non. Pas après une nuit entière, le museau collé à la fenêtre à saliver sur les liqueurs sucrées, les pâtés, les choux crémeux et les feuilletés que les humains dégustaient.

Il secoua la tête pour se débarrasser du chapeau de neige qui s'y formait. La nuit se terminerait une fois sa patience récompensée, pas avant.

Après tout, il savait qu'il entrerait dans ce bal.

Mais quand et comment, en revanche...

Il colla un peu plus le museau contre la vitre, son pelage blanc se fondant dans la neige autour de lui. Il sentait les vibrations de la musique contre le verre, donnant le rythme aux volants des robes et aux chaussures qui tourbillonnaient fiévreusement. Un homme rond, enveloppé dans un costume uniquement nuancé de noir et de gris se détachait nettement dans l'océan de couleurs. Lui ne dansait pas, pourtant il était sans cesse le centre de l'attention.

Et lorsqu'il s'effondra, la fête s'effondra avec lui.

La musique cessa net et l'agitation gonfla à l'intérieur. Un invité se hâta d'ouvrir les fenêtres pour laisser entrer l'air frais pendant qu'on transportait l'homme inconscient à travers les escaliers, jusqu'au balcon qui surplombait la salle.

C'était l'occasion que le Chat attendait. Il sauta souplement sur le carrelage tiédit par une chaleur étouffante et se fraya un chemin vers les délicieux fumets du buffet, à travers une forêt de velours, de mousselines brodées et de chaussures de cuir.

– Il ne peut pas y avoir un lien avec la menace de mort qu'a reçue le comte ? murmura une invitée, bouleversée.

– Vous vous inquiétez trop. Le comte a sans doute fait un malaise passager à cause de la chaleur.

Le Chat se glissa entre eux et bondit sur le buffet. C'est là qu'il les vit. Les toasts de saumons beurré, la chair rose qui allait fondre entre ses crocs, délicieusement relevée par une pointe de sel... Il ouvrait la gueule quand un silence de mort s'abattit sur la salle. Le Chat tourna les oreilles. Ce n'était quand même pas sa faute, si ?

Sur le balcon, le médecin apparut, l'air grave.

– Le comte nous a quitté.

Dans l'agitation fébrile que cette phrase provoqua, le cri d'une domestique perça. Elle pointait le Chat de son doigt boudiné.

– Il est là ! C'est de la faute de cet animal, le baron est allergique !

– Il y a peu de chance qu'il soit la cause de ce fâcheux incident, répondit le médecin, les sourcils froncés. Monsieur Stranger, pouvez-vous monter ?

Pour faire bonne figure, la domestique empoigna le Chat qui vit s'éloigner ses précieux morceaux de saumon. En quittant la salle, ils croisèrent le jeune Stranger, Laurent, aussi blond que son frère était brun, mince et surtout tremblant. Jusqu'au balcon, le jeune homme fut suivi par des centaines de regards emplis d'une pitié de circonstance.

Le couloir où la domestique déposa le Chat était aussi silencieux que la salle de réception, en moins pesant. Du moins jusqu'à ce qu'un autre serviteur les rejoigne, contrarié.

– Tu n'aurais pas dû intervenir, dit-il à la femme. Ton avis n'intéresse pas un médecin. Fais ce qu'on attend de toi sans te faire remarquer.

– Ce qu'on attend de moi ? Le maître est mort, on attend quoi de moi ?!

– Le calme pour commencer. Les invités sont déjà sous tension, nous n'avons pas besoin que tu en rajoutes, surtout à présent que le mot est dans tous les esprits.

La domestique hésita :

– Peut-être que c'est vraiment un... un meurtre ?

Elle semblait espérer qu'il la contredise, mais le serviteur pinça ses lèvres minces.

– C'était ce soir que cette lettre infâme avait prédit la mort de Monsieur le comte, et il était en parfaite santé.

– Mais comment... ?! s'écria la domestique, étranglée par une colère impuissante. On a tous veillé à ce que rien ne lui arrive, toute la soirée ! Toute la nuit on a contrôlé sa nourriture, monté la garde, vérifié les invités. Il n'a pas quitté la salle, je l'ai vu ! Et ça n'a servi à rien ?!

Le domestique ne répondit pas, il se contenta de poser un regard rougi par la fatigue sur le Chat posté à côté de la porte (qui attendait patiemment qu'on lui rouvre le passage vers le buffet).

– Monsieur le comte nous a défendu de laisser entrer des animaux, dit-il. Sa place est dehors.

Il poussa la porte pour retourner à son poste. Le Chat faisait mine de le suivre quand une main l'attrapa par la peau du cou et le souleva dans les airs. Dans l'espoir d'attendrir l'humaine, il poussa un miaulement pitoyable.

– Oh, moi je n'y peux rien, vilain matou. Peut-être que le comte Laurent aura pitié de toi. Son frère ne supporte pas les bêtes parce que ça le rend... ça le rendait... malade, mais le comte Laurent les a toujours aimés...

Sa voix dérailla et elle renifla bruyamment.

– Le pauvre... ses parents et maintenant son frère... je sais qu'on ne peut pas gagner contre la vieillesse, on se fait une raison, ils ont eu une belle vie... mais un assassin... un assassin ici... et le comte Philippe qui meurt si brutalement... peut-être qu'on aurait pu l'éviter... toute une nuit à veiller sur lui... pour rien...

De sa main libre, la domestique ouvrit tristement une petite réserve encombrée de placards et déposa le chat sur une commode ancienne. Sans cesser de renifler, elle fit le tour des étagères qui se fondaient dans la pénombre. Parfois les rayons de l'aube qui filtraient depuis une lucarne ronde l'aidaient à y voir, traçant dans leur sillage des fils de poussière dorés.

– Moi, je savais qu'on ne pouvait pas se fier à tous ces gens de la haute... marmonna la domestique en soulevant un journal aux pages jaunies. Le comte Philippe a dû s'attirer des ennemis à la capitale. Je lui aurais dit, mais il ne m'aurait pas écouté. Il n'écoute pas. Et puis on n'écoute pas les domestiques.

Le Chat fit mine de descendre de la commode, guidé par les toasts au saumon qu'il rêvait de tenir entre ses crocs.

– Pas bouger ! gronda la domestique en le menaçant avec le journal enroulé.

Le Chat s'aplatit, les oreilles rabattues en arrière. Puis feula. De toute façon, il n'avait pas besoin de bouger. Il était un chat.

Les griffes plantées dans le bois de la commode, il tourna ses pupilles verticales vers la petite lucarne baignant dans sa lumière dorée.

La nuit ne faisait que commencer.

Face à lui, la domestique fit quelques mouvements décousus et sa voix forma ces mots étranges, à la sonorité aspirée :

– Reguob sap !

Le Chat s'était lancé dans des calculs complexes, nullement étonné par le monologue étrange de l'humaine.

– Seuqitsemod sel sap etuocé'n no siup te. Sap etuocé'n li. Étuocé sap tiarua'm en li siam, tid siarua iul ej. Elatipac al à simenne sed reritta's ûd a eppilihP etmoc el. Etuah al ed sneg sec suot à reif es sap tiavuop en no'uq siavas ej, iom...

Une heure ? Non. Pas assez.

Comme une poupée mécanique remontée à l'envers, la domestique sortit de la pièce à reculons, emportant une boule de fourrure blanche portée à bout de bras.

Deux heures ? Voire trois, par prudence. On ne sait jamais avec les humains.

Par la lucarne, l'aube faiblit et s'éteignit, étouffée par la nuit noire.

Bon, disons quatre. En retournant quatre heures dans le passé, il aurait amplement le temps de mettre la patte sur ces toasts.

Seul dans la pièce sombre, le Chat s'orienta sans mal vers la salle de réception où sa destinée attendait de rencontrer son estomac. Une fois de retour au pied de la porte qui brillait de sa douce couleur caramel, il s'assit et fouetta l'air avec sa queue en attendant qu'un invité lui ouvre.

Cela ne tarderait pas.

Il le savait.

Comme prévu, la poignée s'abaissa bientôt, créant une ouverture par laquelle le Chat put se faufiler, aussitôt happé par la musique. Encore vivant, le comte Philippe discutait gaiement près des fenêtres – derrière lesquelles un chat blanc patientait, son chapeau de neige sur la tête.

Ça, il n'avait pas fini d'attendre. Enfin, il se consolerait en voyant qu'il était entré.

Le Chat en revint donc à sa priorité à lui et se glissa sous une chaise le temps d'évaluer la situation.

Le buffet était sans cesse pillé par les humains. Heureusement, les domestiques se chargeaient de remplacer discrètement chaque plat vide. Le seul qui risquait de poser problème était le comte Laurent adossé au mur, à l'écart des invités, et en plein sur sa trajectoire.

Soudain, le Chat fut enseveli sous une avalanche de froufrous. Une invitée venait de s'asseoir sur sa chaise.

– Étant le frère de notre cher comte Philippe, je l'imaginais plus sociable, commenta la dame aux froufrous. Va-t-il passer la soirée dans son coin avec cette mine sinistre ?

– Vous oubliez qu'il a vécu toute sa vie dans ce domaine, à entretenir des parents vieillissants. Il n'est pas aux faits de nos coutumes. (Son compagnon prit un ton plus mystérieux.) Et il y a cette rumeur qui court sur son frère, cette menace de mort que le comte aurait reçue.

– Croyez-vous que ce soit vrai ?

Son interlocuteur se tut, jouant l'hésitation, mais la dame n'eut pas beaucoup à insister pour que sa langue se délie.

– Le comte Philippe est un ami, vous savez. Il m'a confié qu'il avait décalé la date de cette soirée précisément pour ne pas se retrouver seul. Cette rumeur est donc fondée. Et ce serait pour ce soir.

– Ça fait froid dans le dos, souffla la dame, ravie.

– N'est-ce pas ?

– Cependant, ce ne peut être sérieux. Enfin, voyez tout ce monde. Sans compter que le comte est en pleine forme. D'ailleurs, venez, je n'ai pas encore eu l'occasion de lui parler. Qui sait, avec un peu de chance, il acceptera de nous en dire plus.

La dame se releva, libérant le Chat de sa prison de tissus. Pendant qu'elle rejoignait le comte Philippe avec son compagnon, le Chat glissa derrière un socle supportant un authentique buste de marbre qui observait sévèrement la salle derrière son monocle.

Le bas du pantalon blanc de Laurent était à présent tout ce qui le séparait des merveilleuses tranches de saumon. Il envisagea de passer devant l'humain, mais c'était prendre le risque d'être repéré. Et cet humain-là n'aurait pas de scrupule à le jeter dehors. Il se contraignit donc à la patience.

Encore.

Plusieurs fois, le comte Laurent parut hésiter à bouger, la mine de plus en plus sombre. Finalement, il interpella une jeune servante. Elle se tourna vers lui, son visage à moitié caché par le délicat foulard qui ornait ses épaules.

– Fais brûler les chauffages, commanda Laurent. Utilise ce que tu veux, mais dépêche-toi.

Les danses et les conversations enflammées suffisaient pourtant amplement à réchauffer les corps et les cœurs, rosissant les joues mieux qu'un vin raffiné. Curieuse, la servante dévisagea le comte d'un regard étincelant, semblant l'analyser. Il la congédia sèchement.

– Philippe engage vraiment n'importe qui, maugréa-t-il en la suivant du regard.

Le Chat continua d'attendre que le comte Laurent daigne bouger. Bientôt, une nouvelle vague de chaleur s'écrasa sur la salle. Roulé en boule sur le carrelage tiède, le Chat sentit ses paupières s'alourdir, bercé par le bouillonnement des voix et de la musique...

Des saumons tournoyaient devant lui, le narguant dans leurs foulards colorés qui laissaient des traînées de poussière lumineuse sur leur passage. Dès qu'il tentait d'en mordre un, il se dissipait dans l'air comme un nuage de fumée, lui laissant un goût âcre au bout de la langue...

– Un toast ?

Le Chat ouvrit un œil. La servante au foulard tendait un plateau argenté vers le comte Laurent, un plateau qui dégageait une délicieuse odeur de saumon. Le comte le repoussa du bout des doigts.

– Vous semblez préoccupé, insista-t-elle.

– Évidemment, compte tenu qu'un meurtre plane sur cette soirée, fit-il sèchement.

– Rien n'a encore eu lieu, répondit-elle d'une voix douce. Rien ne dit que quoi que ce soit arrivera.

Par-dessus le foulard de la servante, Laurent observa son frère entouré par ses invités. Quelque chose dans la salle avait changé depuis le réveil du Chat. La fatigue enfouie jusque-là sous les rires et les danses rongeait à présent les sourires et la rumeur du meurtre insufflait une drôle de tension entre les invités.

Sans un mot, Laurent contourna les toasts et se dirigea vers le comte Philippe. En le voyant approcher, celui-ci s'excusa auprès des convives et fit le reste du chemin vers lui.

– Laurent, ça y est tu acceptes que je te présente ? Beaucoup voudraient te rencontrer mais on m'a dit que tu renvoyais tout le monde.

– Parce que ça ne m'intéresse pas. Je venais te dire qu'il est tard et que je suis fatigué.

– Tu manques une belle occasion. Avoir des relations est toujours utile, surtout si tu déménages en ville.

Voyant que Laurent restait de glace, Philippe posa une main sur son épaule pour l'emmener un peu plus à l'écart.

– J'ai conscience que tu n'aimes pas les foules, mais fais un effort. On ne peut pas posséder un domaine aussi vaste et s'isoler avec, ce serait un sacrilège. C'est pour ça que j'ai insisté pour le récup...

Les yeux de Philippe se remplirent de larmes et il éternua bruyamment.

– Pardon, ah... décidément.

Il sortit un mouchoir froissé de sa poche. Pendant qu'il se mouchait, Laurent balaya la salle du regard et remarqua le chat blanc qui rôdait près du buste de marbre. Son visage déjà pâle perdit le peu de couleur qui lui restait.

– Ça n'arrête pas, c'est infernal, rouspéta Philippe. Qu'est-ce que je disais ? Ah oui, le domaine...

– Écoute, peu importe le domaine, le coupa Laurent. Il y a plus grave, ce soir.

– Toi aussi, cette ridicule menace d'assassinat te préoccupe ? dit Philippe en notant du coin de l'œil que d'importants invités approchaient. Tout le monde ne fait que revenir là-dessus. Je vais me répéter ; il n'y a aucun souci à se faire. J'ai pris les meilleures dispositions à ce sujet. Inutile de revenir là-dessus.

Inutile de revenir là-dessus parce que leur bulle privée ne l'était plus et que Philippe se souciait plus de son image que d'un potentiel meurtre sur sa personne. Laurent préféra éviter une bataille perdue d'avance, laissant les invités se joindre tout naturellement à une discussion qui ne les concernaient pas.

– Ne te force pas à nous tenir compagnie, si tu es fatigué, dit gentiment le comte Philippe qui devinait la raison de sa mine sombre. Et oublie cette bête histoire de relations, les miennes sont les tiennes, au fond. Je te souhaite une bonne nuit, ou du moins ce qu'il en reste.

L'air joyeux du comte Philippe déclina devant celui, douloureux, de son frère.

– Que se passe-t-il ? Tu te sens mal ?

– Non, fit Laurent. Enfin, un peu. Il fait une chaleur, ici.

Il détacha un bouton de sa veste couleur blé qui se mariait à ses cheveux blonds.

– Ce n'est pas une raison pour se dévêtir, commenta un bourgeois au visage ombragé par un immense chapeau à plume. Vous devriez plutôt faire ouvrir les fenêtres.

– Vous devriez plutôt garder vos commentaires pour vous, répliqua Laurent en le fusillant du regard.

Il se tourna vers son frère qui souriait avec indulgence puis décida qu'il en avait assez et se dégagea un chemin en bousculant les invités attroupés autour d'eux. Le bourgeois offensé – en public qui plus est – se tourna vers le comte Philippe en quête d'une condamnation mais celui-ci fouillait à nouveau dans ses poches. Alors il dut lancer lui-même le procès :

– Votre frère manque de savoir-vivre.

Le comte Philippe haussa les épaules, les yeux brillants, et sortit un mouchoir pour éternuer.

– Excusez-boi, marmonna-t-il en reniflant. C'est terrible, j'ai dû contracter un rhube ; ça n'a pas arrêté de la soirée.

Le comte se moucha une deuxième fois. En rouvrant les yeux, il manqua de défaillir. Un chat blanc, qui se promenait sur la jolie nappe de son buffet ?! Alors ce n'était pas un rhume mais ses satanées allergies !

– Mettez-moi ce chat dehors ! gronda-t-il, indigné que le personnel ait manqué à un devoir aussi fondamental pour sa santé.

Le Chat en question se penchait vers le toast solitaire, seul rescapé lorsque la servante au foulard avait enfin reposé le plateau d'argent. Ses crocs se rapprochaient du poisson tant désiré quand il dut faire un bond de l'autre côté de la nappe pour éviter la main qui fondait sur lui.

Il y eut un instant de flottement où il fixait les humains et les humains le fixaient. Et la course-poursuite commença.

Le Chat descendit sous la table en catastrophe. Ses pattes dérapaient sur le dallage pour esquiver les humains en travers de sa route. Une fois ses poursuivants semés dans la forêt d'étoffes, il se réfugia sous un épais buffet de verre.

Les convives se lassaient déjà de cette distraction et les domestiques qui poursuivaient la recherche souterraine devaient en même temps assurer leurs fonctions, déjà épuisés par une longue nuit à servir.

À l'abri sous son buffet, le Chat guetta la prochaine diversion, ses pupilles verticales suivant le comte Philippe.

Et le comte Philippe s'effondra.

– Philippe ! s'écria Laurent.

La musique s'arrêta net. On ouvrit les fenêtres, et le Chat regarda cette autre version de lui bondir à l'intérieur, approcher du buffet et être empoignée par la domestique puis emportée hors de la salle.

Les moustaches frémissantes, le Chat quitta sa cachette en longeant le mur.

Le buffet était sans surveillance.

Autour de lui, toutes les personnes présentes fixaient le comte Laurent qui montait d'un pas lourd l'escalier menant au balcon. À un pas du buffet, le Chat dut s'aplatir en urgence derrière une cascade de tissu vert olive ; un domestique approchait.

Sa gorge se noua quand l'homme saisit le plateau qu'il convoitait, ramassa une carafe en cristal, et les emporta sur le balcon.

Le Chat feula silencieusement en retournant se cacher derrière le socle du buste de marbre. Il ne pouvait pas emprunter les escaliers, on le remarquerait.

Il ne restait plus qu'à reprendre son chemin préféré.

Le Chat rebroussa le temps, s'arrêtant pile au moment où le comte Philippe donnait l'ordre de mettre dehors la version de lui qui se trouvait sur le buffet. Devant l'inefficacité de son personnel à attraper le félin, le comte Philippe sortit un flacon de verre de l'intérieur de sa veste.

– Le seul remède qui calme mes allergies, expliqua-t-il en débouchant le flacon.

Il le porta à ses lèvres.

Le Chat fusa hors de sa cachette, profitant de la diversion offerte par son autre lui. En trois bonds, il était au pied du buffet, en quatre, au-dessus... à contempler avec effroi le plateau vide. Rien que des miettes sur l'argent étincelant.

Une malédiction pesait sur lui. Las, il redescendit sur le carrelage et s'aplatit sous la table. Les chaussures des convives allaient et venaient devant son museau.

Bon.

Jamais il n'obtiendrait les toasts sur le buffet.

Changement de plan. Le Chat se réfugia dans l'ombre des escaliers alors que le comte Philippe redescendait du balcon d'un pas lourd. Peu de temps s'écoula avant qu'il vacille et s'effondre. Sous le choc, personne ne remarqua l'éclair blanc qui avait filé vers l'étage.

Sur la dernière marche, le Chat s'arrêta net. Le balcon n'était pas vide comme il l'espérait. La servante au foulard s'y trouvait, accoudée à la balustrade, un regard bienveillant posé sur la foule.

Le Chat se dissimula dans l'ombre d'un fauteuil pour attendre les toasts.

On transporta le comte Philippe dans l'un des canapés, on lui retira sa veste puis il fut allongé avec précaution. Le médecin palpa son cou à la recherche d'une pulsation en faisant signe qu'il se chargeait du malade. Une fois seul avec la servante au foulard, il se tourna vers elle, interrogateur.

– Allez-y, dit-elle simplement.

Le médecin se releva et posa les mains sur la balustrade, rassemblant ses mots pour annoncer la terrible nouvelle :

– Le comte nous a quitté.

Comme on le lui demandait, le comte Laurent monta sur le balcon, sous le choc. Il s'assit dans le fauteuil qu'on lui présentait, fuyant la vision du corps inanimé de son frère. Un domestique apparut après lui, déposa le plateau de toasts au saumon et la cruche de cristal sur une table basse, près de la servante, puis se retira sans qu'un mot n'ait été prononcé.

– Je comprends ce que vous devez ressentir, finit par dire le médecin. Cependant nous devons tirer cette histoire au clair. Avez-vous une idée de comment une telle tragédie a pu se produire ?

– On a dû l'empoisonner, répondit faiblement Laurent.

– Comment, puisqu'il n'a rien mangé ou bu de la soirée ?

– Suis-je censé le savoir ?

Laurent passa du médecin à la servante assise bien droite, dans un fauteuil face à lui. Tous deux l'examinaient. Puis la servante demanda au médecin de lui remettre la veste du comte Philippe. D'un geste sûr, comme si elle savait exactement ce qu'elle cherchait, elle retourna les poches intérieures et en sortit un petit flacon de verre contenant un liquide trouble.

Laurent pâlit.

– Savez-vous de quoi il s'agit, Monsieur le comte ? demanda-t-elle.

– Le remède que mon frère prend contre ses allergies.

La servante le lui tendit et Laurent le prit avec réticence.

– Qu'est-ce que tout ça signifie ?

Il se tourna vers le médecin, attendant une explication, mais celui-ci se tenait en retrait contre la balustrade.

– Le comte Philippe et vous avez récemment perdu votre dernier parent, votre père, n'est-ce pas ? reprit posément la servante. J'ai appris du comte Philippe que le partage de l'héritage avait provoqué un différend entre vous, notamment au sujet de ce domaine.

– Un différend qui a été réglé depuis, grinça Laurent, comme en atteste cette réception.

La servante sortit de sa robe un morceau de papier. Plus précisément une enveloppe.

– Reconnaissez-vous ceci ?

– La lettre... Il te l'a confiée... à toi ? Pourquoi ?

– Je le lui ai demandé, répondit la servante. Je tenais à connaître avec précision la teneur de la menace qui lui était adressée. J'ai une dernière question pour vous, Monsieur le comte.

Elle retourna la veste et lui en présenta l'envers. Laurent baissa les yeux vers ses mains moites, la fiole de verre cachée dans son poing.

– Il y a des poils blancs à l'intérieur, dit la servante avec un coup d'œil pour le félin tapi dans l'ombre d'un fauteuil, à un mètre d'eux. La veste a été mise au contact d'un chat, sans doute dans le but de réveiller les allergies du comte Philippe, lorsqu'il l'enfilerait. La suite est logique, il prendrait son remède et s'effondrerait quelques minutes après, apparemment sans raison. Seul un proche aurait pu concevoir un tel plan. N'est-ce pas, Monsieur le comte ?

La fiole échappa des mains de Laurent et se brisa à ses pieds, répandant le liquide trouble sur le bois verni.

– Je... je n'ai pas... Tu oses insinuer que... tu m'accuses d'un meurtre ?!

– J'affirme seulement que vous l'avez envisagé, avant de changer d'avis. C'est bien pour ça que vous m'avez demandé de monter le chauffage, en espérant que cela pousserait votre frère à quitter sa veste ? Puis, en voyant que cela ne fonctionnait pas, vous le lui avez suggéré directement.

Le souffle coupé, Laurent ne trouva rien à répondre. Il sentait le jugement du médecin peser sur son dos et celui de la servante le transperçait. Sa réaction même faisait office d'aveux, et devant deux témoins.

– Pourquoi ? demanda la servante avec une gentillesse qui lui parut déplacée.

– Parce qu'il ne m'a pas laissé beaucoup de choix. Philippe a tout ; une magnifique maison à la capitale, des relations, les plus beaux bals... Moi, je n'ai rien d'autre que cet endroit. Mais quand notre père est mort, il est quand même venu m'en déposséder.

– Je croyais que le domaine avait été négocié ? Vous avez obtenu une compensation, si je ne me trompe pas ?

– Oh oui, un professionnel est venu départager le problème. Un ami de Philippe. Mon frère a dû oublier de m'avertir de ce détail, marmonna Laurent, amer. La seule compensation à laquelle j'ai eu droit a été un peu d'argent supplémentaire et l'autorisation de loger ici deux semaines, juste assez pour trouver un autre toit et débarrasser le plancher.

Mais la rage qui s'accumulait depuis cette trahison s'était effondrée en même temps que son frère. Pour la première fois, il se confronta au corps inanimé étendu sur le canapé.

– Je vais être exécuté pour ça, marmonna-t-il douloureusement. De toute façon je le mérite.

Dissimulant un sourire derrière son foulard, la servante attrapa un toast sur le plateau d'argent. Sous le fauteuil, le chat se redressa, aux aguets, fixant le morceau de paradis qu'elle tenait à la main.

Et la main descendit vers le sol, comme une invitation à approcher. Un piège ? Le Chat – ou plus exactement son estomac – décréta que le risque en valait la chandelle. Lentement, il sortit de sa cachette. Quelques pas hésitant le rapprochèrent de son cher morceau de poisson. Il s'apprêtait à y planter ses crocs quand un éternuement sonore le fit bondir sur place.

– Vous voulez que je joue le mort et vous laissez cette satanée bête à poils approcher de moi ! bougonna le comte Philippe en fouillant ses poches à la recherche de son mouchoir.

Il se moucha avec un bruit de trompette, renifla et jeta un regard noir (et larmoyant) au Chat. Loin de paraître désolée, la servante éclata de rire, puis tapota ses genoux pour inviter le Chat à y monter. Enfin, il put mordre dans la chair rosée, s'accordant même le luxe d'ignorer la tranche de pain indigne de son fin palais.

Le goût était tel qu'il l'avait rêvé, fondant, avec cette pincée de sel si caractéristique, lui faisant oublier l'attente sous la neige, les courses-poursuites avec les domestiques et sa kyrielle d'échecs. Malheureusement, ce fut aussi délicieux qu'éphémère. Et ce plateau d'argent débordant de toasts qui reposait juste sous son museau...

Et tout ce temps, le comte Laurent fixait son frère, pâle, l'air presque malade.

– Tu n'es pas... Tu savais... ?

– Je ne savais rien. J'ai failli prendre ce remède, répondit Philippe sans pitié.

Laurent se détourna, plus pâle encore.

– Je l'en ai empêché, juste à temps, précisa la servante au foulard. Pour être honnête, mes soupçons portaient déjà sur vous lorsque j'ai lu cette lettre. Alors je vous ai surveillé en tentant de comprendre comment vous comptiez vous y prendre. C'est cette histoire de chauffage qui m'a mis la puce à l'oreille. Puis, j'ai vu le flacon et j'ai su. C'est à ce moment que j'ai invité votre frère sur ce balcon pour partager avec lui ce que je savais. Et lui demander de jouer le jeu.

– Toute cette mise en scène pour me coincer... félicitations, dit Laurent en repoussant sa chaise. Je ne fuirai pas la justice. Si vous voulez me faire arrêter, je serai dans mes appartements. En attendant, je veux être seul.

– Détrompez-vous, fit la servante en caressant le chat sur ses genoux. Cette mise en scène n'était pas destinée à vous coincer mais à vous sauver. Je suis d'ailleurs convaincue d'avoir pris la bonne décision, n'est-ce pas, comte Philippe ?

Elle posa sur lui un regard impérieux et il se ratatina, aussi contrit qu'il était possible de l'être avec le nez rouge et les yeux larmoyants.

– Laurent, je n'ai pas été très juste avec toi, admit-il, ni très honnête... J'aime beaucoup la ville mais... tu n'imagines pas le potentiel de ce domaine, qu'est-ce que tu en ferais ? Tu aimes tellement la solitude. Et moi, jamais mes finances ne me permettrons d'en acquérir un pareil.

– Pas la peine de te fatiguer, tu en as déjà la propriété.

Philippe hésita mais un coup d'œil vers la servante acheva de le décider.

– Si en échange je te cédais ma maison à la capitale, cela te paraît plus équitable ? J'ai cru comprendre que tu la trouvais magnifique. Tu n'auras plus à t'inquiéter de trouver un toit et rien ne t'empêchera de revenir ici de temps en temps.

Cette proposition dissipa l'amertume de Laurent comme un morceau de sucre tombé dans un café.

– Eh bien tout est réglé, dit joyeusement la servante.

Son rire cristallin eut l'effet d'un électrochoc et Laurent se tourna vers elle en refusant de sourire. Non, tout n'était pas réglé. Pour commencer, qui était cette servante qu'il ne connaissait pas ? Et pourquoi diable son frère la vouvoyait-il ?

– J'aimerais savoir qui tu es pour t'insinuer ainsi dans des affaires qui ne te concernent pas.

La jeune femme rajusta son foulard avec un sourire malicieux.

– Oh, vous pouvez m'appeler Sissi.

Pas satisfait par la réponse, Laurent interrogea son frère d'un haussement de sourcils et lut sur ses lèvres : « L'Im-pé-ra-trice ». Laurent pâlit, rougit, puis s'inclina maladroitement devant la jeune femme qui ne faisait déjà plus attention à lui. Elle avait ramassé un autre toast qu'elle proposait au Chat.

Avec un miaulement de défi destiné au comte Philippe qui se mouchait avec agacement, le Chat mordit dans le délicieux poisson. Puis, il tendit la patte vers le plateau. L'Impératrice comprit et il obtint tous les toasts qu'il désirait – n'en déplaise à Philippe.

Après tout, l'Impératrice les lui offrait.

Et qui pouvait dire non à l'Impératrice ?

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