Le déluge
CHAPITRE 2
Le déluge
Si Ellie devait attribuer un nom à l'un de ses regrets, elle choisirait sans hésitation le terme « absquatulate ». Cette étrange expression, héritée du latin absquatulatus qui signifie « partir furtivement », évoque précisément ce sentiment de s'enfuir d'un lieu, laissant derrière soi une situation sans résolution.
— Assieds-toi là, je vais te chercher une serviette pour que tu puisses te sécher.
Marguerite lui montre la table placée dans la cuisine avant de monter à l'étage, laissant Ellie seule.
Elle laisse son regard se balader sur la pièce. Tout est comme dans son souvenir. Les murs sont blancs, le sol est recouvert d'un vieux parquet, d'élégantes bougies font danser leurs flammes sur le comptoir de la cuisine et une plante verte ramène la nature dans la demeure. Un doux parfum de lavande émane de la maison, lui rappelant de nombreux souvenirs.
Peu de temps après, Marguerite réapparaît dans la cuisine, une serviette de bain à la main.
— Essuie-toi tu es trempée.
Ellie remercie sa grand-mère et sèche ses cheveux en les frottant avec la serviette.
— Que dis-tu d'aller prendre une douche bien chaude pendant que je prépare de la tisane ? propose Marguerite en souriant chaleureusement à sa petite fille.
Ellie sourit.
— D'accord. Tu peux m'indiquer le chemin de la salle de bains s'il te plaît ? Ma mémoire des lieux est un peu rouillée.
— Première porte sur la droite à l'étage. Oh et ta chambre est la porte juste à côté.
Ellie hoche la tête et grimpe l'escalier avec ses valises en mains. Elle regrette de les avoir tant remplies. Elle arrive dans le couloir, essoufflée, et pousse la porte de sa chambre avec son pied. Un sourire se dessine sur son visage en retrouvant la chambre de son enfance. C'est ici qu'elle a passé toutes ses vacances. L'odeur du vieux bois se mélangeant à la lavande est encore présente. La vieille armoire dans laquelle elle aimait ranger ses habits et ses peluches est encore à la même place, contre le mur. Cependant, les vieilles peintures ont laissé la place aux murs blancs et le lit simple a été remplacé par un lit double. Ellie laisse échapper un rire en voyant l'ours en peluche qu'elle emportait autrefois partout posé entre les deux coussins.
La jeune femme pose ses valises dans un coin de la chambre et se dirige vers la grande baie vitrée. En cette journée de novembre cafardeuse, elle peut voir l'océan agité et la pluie tomber. Elle sourit face à ce spectacle, heureuse d'enfin être de retour.
Une fois dans la salle de bains, elle prend le temps de se regarder dans le miroir. Elle se reconnaît à peine. Ses cheveux bruns tombent le long de son visage pâle, ses yeux bleus ont perdu leur étincelle, des cernes rendent sa mine triste. Elle déteste son reflet.
Elle a du mal à croire ce qu'elle est en train de faire. Elle n'avait pas prévu de mettre un point d'arrêt à ses études de médecine, mais les choses ont pris un tour- nant qu'elle n'aurait jamais pu imaginer. Elle passe une main sur son cou, puis sur son épaule, grimaçant à son propre contact. La jeune femme soupire et finit par rentrer dans le bain chaud qu'elle vient de faire couler.
La chaleur de celui-ci détend tous ses membres et apaise son esprit. Elle se demande si quitter Boston et mettre en pause ses études est raisonnable. Elle ne peut s'em- pêcher de penser qu'elle est en train de saboter sa vie. Elle aurait aimé avoir un soutien parental, quelqu'un pour l'aiguiller dans ses choix mais cela n'est pas dans ses options. Sentant sa colère grandir, Ellie secoue la tête et sort du bain. Elle aurait aimé rester plus long- temps, mais elle sait qu'elle a beaucoup à raconter à sa grand-mère.
— Hey Nonna.
— Par ici ma petite Ellie, j'ai fait de la tisane.
Marguerite prend les deux tasses dans ses mains et se dirige vers le salon d'un pas hâté. Ellie la suit de près, laissant ses yeux se balader sur chaque mur de la maison. Rien n'a vraiment changé, les vieux tableaux sont encore accrochés, la tapisserie fleurie a vieilli mais reste la même et la vieille collection de cartes postales de son grand-père est encore à sa place.
Les deux femmes s'installent près de la cheminée, là où elles avaient l'habitude de passer toutes leur après- midi ensemble.
— Voici ta tisane, et ici tu as un biscuit au beurre. J'en ai tout un plat dans la cuisine, n'hésite pas à te goinfrer, ils sont pour toi, sourit chaleureusement la vieille dame.
— Merci Nonna, remercie Ellie en prenant la tasse entre ses deux mains.
Un étrange sentiment de bien-être envahit Ellie au son du feu crépitant à côté d'elles. C'est comme si elle avait fait un bon dans le passé, retrouvant le calme et la quiétude de la vie auprès de Marguerite. Même l'odeur de la tisane est restée la même.
— Alors, chantonne Marguerite, parle-moi de ta vie dans la grande ville de Boston !
Son visage s'étire en un sourire tandis qu'elle porte sa tasse à ses lèvres.
Ellie soupire. Elle ne sait pas vraiment comment aborder le sujet. Elle n'a pas vraiment envie d'en parler mais il s'agit de Marguerite, elle lui doit des explications. De plus, elle l'a toujours soutenu dans tout ce qu'elle a entrepris.
— Pas vraiment comme je l'avais espéré, admet-elle, la gorge serrée.
Le visage illuminé de Marguerite se crispe d'inquiétude tandis qu'Ellie soupire. Elle pose sa tasse sur la table devant elle et lève le regard vers sa grand-mère.
— Il s'est passé beaucoup de choses ces derniers mois. Je pensais que partir étudier à Boston serait un moyen de m'éloigner de papa et maman, et ça a été le cas... dit-elle en jouant nerveusement avec ses mains. Seulement, ça n'a pas tout réglé. Il s'est passé des choses dont je ne suis pas encore prête à parler et j'ai vraiment besoin de prendre du recul, finit-elle d'une voix chevrotante.
La jeune femme pose son regard sur la fenêtre où des gouttelettes de pluie font la course. Marguerite écoute attentivement, inquiète.
— Quant à la médecine... je ne sais pas si c'est vrai- ment ma voie. J'ai raté mes derniers examens.
Les yeux d'Ellie deviennent humides tandis que Marguerite pose une main rassurante sur la sienne.
— Parfois, je me dis que je n'aurais pas dû partir. J'avais des amis, j'avais Cody et je t'avais toi dans la ville voisine. J'ai tout abandonné pour échapper à mes parents et à l'enfance qu'ils m'ont donnés à Falmouth.
Elle baisse la tête, honteuse.
— Ellie, tu as fait ce qui te semblait juste. Tu as suivi ton rêve et c'est normal d'être perdue de temps en temps. La course aux rêves est impitoyable, mais elle en vaut vraiment la peine. T'échapper de la petite ville de Falmouth est la meilleure chose qui te soit arrivée.
De chaudes larmes coulent désormais sur ses joues.
— Et puis maintenant que tu es de retour, je suis certaine que Cody serait ravi de te revoir. J'ai entendu dire qu'il est encore à Falmouth.
Cody Thompson est le meilleur ami d'enfance d'Ellie. Ils ont grandi ensemble et ont fait les quatre cents coups jusqu'à ce que leur amitié se transforme naturellement en quelque chose de plus fort. Ils ont été le premier amour l'un de l'autre. Leur relation les a amenés à expérimenter les premiers baisers, les premières fois, les premières disputes et frustrations ensemble. C'était un amour simple et pur qu'Ellie affectionnait beau- coup. Malheureusement, cela a pris fin lorsque la jeune femme a pris la décision de partir à la conquête de son rêve, laissant Cody soudainement derrière elle. Le jeune couple s'est alors mis d'accord sur le fait qu'une relation à distance ne serait pas saine. La séparation a été inévitablement dure mais le temps a su apaiser les cœurs brisés.
Ellie pose sa main sur celle de sa grand-mère.
— Peut-être que partir était la bonne chose à faire sur le moment, mais il y a des façons de le faire. J'ai abandonné mes amis et Cody sans même regarder en arrière. Je ne voulais qu'une chose : m'éloigner de Falmouth et de mes parents. Je n'en avais rien à faire des personnes que je laissais derrière. Je les ai délaissés tout comme je t'ai délaissée. Je suis vraiment désolée, explique Ellie dans un sanglot.
Dire tout cela à voix haute ne fait qu'accroître sa culpabilité. Tout semble plus réel maintenant qu'elle est de retour. Des fragments de sa vie d'avant viennent lui rappeler ce qu'elle a laissé.
— Ellie, il faut laisser le passé dans le passé. Tu es de retour, c'est ce qui importe à l'heure actuelle. Tu n'as pas à être désolée, tu n'as rien fait de mal. Est-ce que c'est clair ?
Ellie essuie une larme et hoche la tête.
— Tu peux rester ici autant de temps que tu le sou- haites. Tu es toujours la bienvenue.
La jeune femme se détend dans les bras de sa grand- mère, écoutant le doux son du feu qui crépite dans le foyer et la pluie qui tombe dehors.
— Merci Nonna, dit-elle en essuyant ses yeux humides.
Marguerite passe ses mains sur les joues d'Ellie et sourit une fois de plus.
— Je t'aime Ellie.
— Je t'aime aussi grand-mère.
— Bon, je pense qu'il faut que l'on se change les idées. J'étais justement sur le point d'aller chez Joey's pour faire réparer ma radio. Tu veux venir avec moi ?
Joey's est la petite boutique multifonction d'Edgartown tenue par Joey Yellington. Ellie se souvient y aller souvent lorsqu'elle venait passer les vacances ici.
— D'accord.
Une fois chaussées et vêtues, Ellie et Marguerite se dirigent vers la boutique qui se trouve près du port de la ville. Le trajet ne dure que quelques minutes, mais cela est suffisant pour tremper les deux femmes malgré leur parapluie.
La sonnette au-dessus de la porte retentit lorsqu'elles passent la porte. Marguerite se précipite aussitôt vers le comptoir, sa vieille radio à la main tandis qu'Ellie décide de flâner dans la boutique. Tellement de choses lui rappellent son enfance. Elle sourit lorsqu'elle trouve de vieux vinyles.
— Joey te voilà ! s'exclame Marguerite depuis le comptoir lorsqu'un homme dans la soixantaine arrive.
Joey est vêtu d'un tablier vert et ses cheveux grisâtres sont couverts de poussière.
— Madame Rose, quel plaisir de vous revoir ! Toujours aussi charmante ! complimente Joey.
— Oh voyons Joey, j'ai presque vingt ans de plus que vous, ricane Marguerite battant une main dans les airs.
— L'âge n'est qu'un nombre, la taquine Joey en lui faisant un clin d'œil.
Suite à la plaisanterie charmeuse de Joey, Marguerite éclate de rire. Ellie sourit à leur échange et continue de chercher un vinyle à son goût.
— En quoi puis-je vous aider aujourd'hui ?
Marguerite pose sa vieille radio sur le comptoir.
— Eh bien ma radio ne marche plus. Elle fonction- nait encore très bien hier et voyez-vous, elle appartenait à mon défunt mari, j'y tiens donc beaucoup, explique Marguerite.
Joey inspecte la radio un moment, avant de la reposer sur le comptoir et de s'adresser à Marguerite.
— Je ne pense pas que ce soit bien grave, commence- t-il. En revanche, j'étais en train de réparer le bateau de Monsieur Welberg et malheureusement, je dois retour- ner au travail puisque je lui ai promis son bateau pour demain. Mais je suis sûr que Charlie saura réparer votre radio.
— J'en suis sûre, sourit Marguerite.
Joey disparaît dans son atelier pendant quelques secondes avant de revenir accompagné.
— Charlie, Madame Rose a besoin de ton aide aujourd'hui, informe Joey avant de saluer Marguerite et de retourner à son atelier.
— Bonjour Charlie, salue Marguerite.
— Bonjour Rita, répond ce dernier en utilisant le surnom qu'il a attribué à Marguerite.
Au son de la mystérieuse voix et de la familiarité de son discours, Ellie lève la tête vers le jeune homme. Elle est surprise de voir le garçon qu'elle a vu ce matin, celui qu'elle a aperçu lorsqu'elle était dans la voiture avec Oscar.
Il ne porte plus son sweat à capuche et est désor- mais vêtu du même tablier que Joey. Ses cheveux sont brun chocolat et semblent s'accorder parfaitement avec ses yeux verts. Les blessures qu'Ellie a remarquées le matin même sont bel et bien présentes sur le visage fin du jeune homme, bien qu'elles ne saignent plus. Cependant, la coupure sur sa lèvre inférieure ne semble pas avoir aussi bien cicatrisé que les autres.
— Je suis heureuse de te revoir. Mais que t'est-il arrivé ? Questionne la vieille dame en posant une tendre main sur son visage.
Ellie est surprise par la proximité de sa grand-mère avec le mystérieux garçon. Il semblerait que Charlie et Marguerite se connaissent bien.
— Rien de bien grave, répond Charlie en baissant les yeux sur la radio.
— Charlie, je t'avais dit d'arrêter de te battre.
Charlie lève la tête vers la vieille dame et pose ses deux mains sur le comptoir.
— Je vais bien Rita, je t'assure, il affirme en forçant un sourire mais quelque chose dans ses yeux trahit son discours. Si j'ai bien compris, ta radio ne marche plus.
Marguerite soupire mais n'insiste pas.
— Oui, ma radio a soudainement décidé d'en faire des siennes.
Charlie observe la radio comme l'a fait Joey précédemment.
Il la tourne et ouvre l'arrière.
— Il semblerait que la batterie soit morte. Je vais la remplacer. Je dois juste aller chercher une batterie dans l'arrière-boutique, informe-t-il avant de disparaître.
Marguerite se tourne et cherche du regard sa petite fille.
— Ellie, as-tu trouvé quelque chose qui te plaît ?
— Hum... Juste quelques vinyles.
— Choisis-en quelques-uns que l'on pourra écouter à la maison, veux-tu ?
— Tu as un tourne-disque ?
Marguerite sourit.
— Celui de ton grand-père.
Ellie sourit à cela et choisit trois vinyles qui semblent l'intéresser avant de rejoindre sa grand-mère près du comptoir.
— The Rise And Fall Of Ziggy Stardust de David Bowie. Très bon choix.
— Un classique, rétorque Ellie.
Charlie réapparaît derrière le comptoir, la nou- velle batterie en main. Il ne remarque pas de suite la présence d'Ellie, bien trop concentré sur la radio. Cependant, la jeune femme en profite pour l'observer de plus près. Elle se demande à qui il essayait d'échap- per ce matin.
Ellie sort de ses pensées lorsque Charlie relève la tête. Son regard se pose brièvement sur la jeune femme qui se sent soudainement mal à l'aise.
— Elle devrait marcher maintenant, dit-il en tendant la radio à Marguerite.
— Que ferais-je sans toi Charlie ?
Charlie s'appuie sur le plan de travail derrière lui et force un sourire.
— Oh ! J'allais presque oublier ! Marguerite prend soudainement sa main. Charlie je te présente Ellie, ma petite fille. Elle a le même âge que toi.
Les joues de la jeune femme deviennent pourpres dès lors qu'il pose son regard une nouvelle fois sur elle. Cette fois-ci, Charlie prend le temps de l'observer. Il laisse ses yeux se balader sur sa silhouette puis sur son visage.
— Ellie, je te présente Charlie Wolf. Jeune charmeur insouciant qui n'écoute jamais mes conseils, dit Marguerite en fusillant du regard le jeune homme.
Ce dernier esquisse un sourire amusé.
— Charlie, je te présente Ellie Rose ma petite fille !
Les yeux de Charlie se posent une nouvelle fois sur Ellie. Son visage impassible la met mal à l'aise.
— Merci pour ton aide, Charlie.
Marguerite dépose dix euros sur le comptoir.
— N'hésite pas à passer à la maison si tu as besoin de quelque chose. Dis au revoir à Joey de ma part, veux-tu ?
Charlie hoche légèrement la tête. Les deux femmes quittent la boutique, faisant sonner la petite cloche au-dessus de la porte à leur passage. Ellie est soulagée de voir que la pluie s'est arrêtée.
— Tu sembles bien le connaître, remarque timidement Ellie en évitant les flaques d'eau.
— Charlie ?
— Hum-hum.
— Oui, je le connais depuis qu'il a dix ans. J'étais amie avec sa famille, explique Marguerite. C'est un garçon très gentil qui a vécu beaucoup de choses pour son jeune âge.
Ellie se demande ce que Marguerite peut bien vou- loir dire par là, mais elle n'insiste pas. De nombreuses questions lui viennent en tête à propos de Charlie, il semble être une énigme.
Cependant, elle n'a jamais été bonne pour les résoudre.
...
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