Edgartown
CHAPITRE 1
Edgartown
Lorsqu'on est enfant, on veut que les choses restent comme elles sont. Le même professeur, la même mai- son, les mêmes amis... Mais tout cela change lorsqu'on rentre dans l'âge adulte. Le moment même où l'on souffle nos bougies pour la dix-huitième fois, sonne le début du reste de notre vie. On se retrouve avec plein de rêves et d'espoir. Alors, nous décidons de partir vers l'inconnu afin de réaliser nos rêves car l'envie est trop grande. Le monde nous appelle et nous sommes bien trop affamés pour refuser d'y succomber. Seulement, l'appel de l'aventure est si grand que nous ne nous soucions pas des personnes que nous laissons derrière.
Nous oublions les vraies priorités de notre vie afin de laisser place à la rêverie.
C'est une erreur qu'Ellie Rose a faite. Rêvant de devenir chirurgienne, elle a quitté le domicile fami- lial à dix-huit ans afin d'aller étudier la médecine à Boston, laissant derrière elle ses parents. Ils ne sont pas une priorité pour le moment, pour la simple et bonne raison qu'elle n'a jamais été la leur. Cependant, sa grand-mère l'est. Marguerite Rose a toujours été un soutien pour la jeune femme, quelqu'un sur qui elle peut compter et se reposer à n'importe quel moment.
Avant de partir à la conquête de ses rêves, Ellie et Marguerite étaient extrêmement proches, soudées par les mêmes déceptions. Elles avaient l'habitude de cuisi- ner ensemble et d'échanger des avis sur leurs dernières lectures. Les choses simples étaient celles qui conten- taient les deux femmes. Dans un monde où les tradi- tions se perdent, Ellie et Marguerite continuaient d'en créer d'autres.
À chaque anniversaire d'Ellie, Marguerite faisait un gâteau et lui offrait un bouquet de fleurs qu'elle prenait soin de poser sur sa table de chevet avant son réveil. Aux premières chaleurs d'été, Marguerite amenait Ellie à la plage tous les matins afin qu'elle puisse s'amuser avec les autres enfants. Lorsque l'horloge sonnait vingt heures, le duo allumait un feu et s'installait près de celui-ci pour jouer aux échecs.
Durant ces quelques moments passés ensemble pendant les vacances, il leur en fallait très peu pour être heureuses.
Marguerite n'a jamais été le genre de grand-mère à rester assise dans son canapé toute la journée. Elle aime s'occuper de diverses façons, en cuisinant, en prenant soin de son potager ou encore en allant aider sa voi- sine à repeindre le portillon de son jardin. C'est une des nombreuses raisons pour laquelle Ellie admire sa grand-mère : elle ne se laisse pas abattre par le temps qui passe. Une autre raison est que ses parents n'ont jamais été des exemples. Tous deux sont trop pris par leur travail pour se préoccuper de leur fille.
Ils sont associés dans un grand cabinet d'avocat à New York qui ne laisse aucune place à une vie de famille. Leur carrière occupe une telle place qu'ils n'ont plus donné de nouvelles à Ellie depuis bientôt six mois. Bien trop en colère contre eux, la jeune femme n'a même pas essayé de les contacter pour leur dire qu'elle désirait prendre une année sabba- tique auprès de sa grand-mère. Encore une fois, elle s'est débrouillée toute seule. L'université de médecine était passionnante, mais le stress qu'Ellie accumulait se faisait ressentir sur son moral. Chaque jour était le même que la veille et sa vie devenait très vite morose. Son quotidien ne se résumait plus qu'aux études et même le sommeil se faisait rare. Boston n'était plus vraiment chez elle. Ce n'était que l'endroit où une partie d'elle s'est effacée.
C'est pour toutes ces raisons qu'Ellie se tient actuel- lement à l'extérieur de l'hippodrome d'Harbor View, la petite ville voisine d'Edgartown, valises en mains. Le ciel est chargé de gros nuages gris et la pluie tombant à grosses gouttes trempe Ellie en quelques secondes. Le tonnerre frappe de temps à autre en créant une relaxante symphonie avec les flots.
Elle est enfin à la maison.
Elle repousse ses cheveux mouillés de son visage et dévoile un grand sourire, contrastant avec la tempête. Elle agrippe fermement ses valises et s'avance vers un banc protégé par un toit, mais elle n'a pas le temps de s'asseoir car elle est éblouie par une lumière blanche se dirigeant dans sa direction. Il s'agit des phares d'une voiture. La voiture en question s'arrête pile-poil devant elle et la vitre s'abaisse, révélant un homme avec une barbe blanche et de drôles de lunettes rondes, souriant de toutes ses dents. Il doit avoir la soixantaine. Il porte un large ciré de pêcheur et un béret sur la tête.
— Tu dois être Ellie Rose, n'est-ce pas ? demande le conducteur en haussant un peu la voix afin qu'Ellie puisse l'entendre par-dessus la pluie.
Ellie s'avance vers la fenêtre ouverte.
— C'est bien moi, sourit-elle de plus belle.
— Je m'appelle Oscar. Marguerite m'a envoyé te chercher, dit-il en lui rendant son sourire.
Le vieil homme se penche et déverrouille la porte du côté passager.
— Qu'attends-tu pour monter ? ricane-t-il à la silhouette trempée de la jeune femme.
Ellie ne se fait pas prier et saute dans la voiture, posant ses valises sur la banquette arrière. Elle est si excitée à l'idée de revoir sa grand-mère après plusieurs années. Peu importe d'où l'on vient, rien n'est aussi apaisant que de revenir chez soi.
Une fois sa ceinture bouclée, la voiture démarre en direction d'Edgartown.
— Marguerite n'a pas arrêté de parler de toi à ma femme.
Les rides présentes au coin de ses yeux s'accentuent lorsqu'il rit tandis que sa moustache blanche rebique légèrement lorsqu'il parle.
— Ça ne m'étonne pas, c'est une bavarde.
— Si j'ai bien compris, tu viens de la ville ? interroge Oscar.
— J'arrive de Boston.
— Qu'est-ce qu'une jeune femme comme toi vient faire dans une si petite ville ?
Ellie soupire à la pensée de Boston. Elle aimerait pouvoir effacer les six derniers mois.
— J'ai besoin de m'éloigner de la grande ville et de revenir à mes racines.
Son regard se perd sur les gouttelettes qui dégrin- golent sur la vitre.
— Je ne suis plus très sûre de mon futur, ajoute la jeune fille.
Oscar pose son regard quelques secondes sur Ellie, avant de se concentrer sur la route.
— Qui peut se targuer d'être sûr de son futur de nos jours ?
Les mots d'Oscar résonnent dans l'esprit d'Ellie. Elle a beau se répéter ces mots, elle ne trouve aucune réponse adéquate. Cela la rassure un peu sur son cas.
Après une bonne quinzaine de minutes, le panneau Edgartown apparaît sur le côté de la route, pour le plus grand bonheur d'Ellie. Elle est officiellement chez elle. Le vrai chez elle. Au milieu de la tempête sombre, les néons des restaurants et de la librairie illuminent la place principale. Edgartown n'abrite que mille cinq cents habitants, mais pourtant, ce n'est pas une ville morte. L'endroit est chaleureux même lorsque les flots s'abattent sur celui-ci.
— Bienvenue à Edgartown Ellie.
Elle sourit de nouveau et ne décroche plus son regard de la fenêtre.
— Merci.
Son regard se pose sur toutes les vitrines et sur tous les bâtiments, tandis que certains souvenirs refont sur- face. Elle remarque même les lumières de Noël qui ont certainement été installées récemment en ce mois de novembre, mais quelque chose d'autre capture son attention. Il s'agit d'une personne vêtue d'un sweat à capuche noir. Elle semble essoufflée puisqu'elle est penchée, les mains sur les genoux et la tête baissée.
La personne semble agitée. Ellie l'observe, tandis qu'elle se redresse et dévoile son visage. Elle est surprise de voir qu'il s'agit d'un garçon qui semble avoir approxi- mativement son âge. Cependant, ce qui la surprend le plus sont les blessures sur son visage : un énorme bleu ancre le bord de son œil, une coupure fraîche colore sa lèvre supérieure d'un rouge vif et une entaille traverse une partie de son front. Les yeux du garçon se baladent lentement sur ses phalanges ensanglantées. Son regard est affligé. Ellie se demande ce qui a bien pu lui arriver pour qu'il soit dans cet état, mais il est rapidement hors de vue.
Oscar prend un dernier virage.
— Nous y sommes.
Devant eux se trouve une petite maison qu'Ellie reconnaît immédiatement. La maison est décorée par de nombreux pots de fleurs et de jolies jardinières sur le patio.
Elle ne remarque même pas qu'Oscar est déjà hors de la voiture avec ses valises dans les mains, jusqu'au moment où le vieil homme tape brusquement à la fenêtre, la faisant sursauter. Elle sort immédiatement du véhicule et se précipite à l'abri sous le porche où se trouve déjà Oscar. Il pose ses valises près de la porte et sourit chaleureusement.
Elle lui retourne le sourire. Oscar enlève son béret, le secoue et le replace sur sa tête.
— C'était un plaisir. Passe le bonjour à Marguerite pour moi.
— Promis, dit-elle en hochant la tête.
Oscar la salue d'un dernier geste de la main avant de se retirer et de courir jusqu'à sa voiture.
La jeune femme soulève ses valises et appuie sur la sonnette au moment même où le tonnerre gronde, comme si les cieux voulaient aussi déclarer son arrivée. Peu de temps après, la porte s'ouvre sur Marguerite. Le visage d'Ellie s'illumine et son esprit s'apaise.
— Oh ma petite fille !
Marguerite se précipite, les bras grands ouverts vers la jeune fille. Ellie accepte son étreinte et se fait sub- merger par son parfum si familier. Elle se sent enfin à la maison dans les bras de sa grand-mère. Même si un déluge est en train de tomber sur la petite ville, même si ses derniers mois ont été un cauchemar, même si ses parents semblent l'avoir oubliée, elle se sent en sécurité et heureuse d'être ici. Elle resserre son étreinte et ferme les yeux, se promettant de ne jamais oublier ce moment.
Jamais.
...
N'oubliez pas de VOTER & COMMENTER
s'il-vous-plait.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro