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7 - Aster

Une notification de son téléphone la tire d'un sommeil qu'elle n'a pas senti venir. Aster lève la tête, désorientée et vaseuse, avant de réaliser s'être assoupie en plein travail (et, surtout, avoir raté l'épisode quotidien de son feuilleton, mais ça, elle peut toujours le rattraper sur le site officiel). D'une manche à l'état déjà douteux, elle essuie la bave collée sur le bois clair de son bureau avant de se pencher pour ramasser une peluche tombée à terre. Une branche de ses lunettes, restées sur son nez tout ce temps, est en train de se faire la malle. Aster tend la main vers son porte-crayon pour s'emparer du tournevis avec le même automatisme que les cinq fois précédentes. Par réflexe, elle sort son ordinateur portable de veille et plisse les yeux sans mieux supporter la lumière de l'écran. La douleur pulse contre ses tempes tandis qu'elle resserre la monture de ses lunettes. Sa dernière traduction du mois, une romance érotique gay écrite par une femme douloureusement hétérosexuelle, est presque terminée. Ensuite, pas de paie jusqu'à la mi-décembre. Chouette alors.

Elle allume la lumière de sa chambre avant de revenir à son téléphone. Il n'est pas encore neuf heures, contrairement à ce qu'elle redoutait, et la notification ne provient pas de Maeva mais de Shade, qui vient de lui envoyer un message privé sur une application de discussion instantanée à laquelle Aster ne participe que par le biais d'un occasionnel smiley. Les autres l'intimident trop pour qu'elle se joigne à eux pour le moment. Surtout Luno, enfin, la personne qu'elle suppose être Luno et qui prend la peine d'apposer une majuscule et un point final à tous ses messages. Aster est tout l'opposé d'un tel raffinement.


Crooks dit : Salut Aster, c'est Shade !!! Dis je peux te demander un service par rapport à ce soir ????? Je te le revaudrai en mille t'inquiète (^▽^)

HTTP403 dit : slt shade :) bien sûr vas-y

Crooks dit : Merci !!! En fait c'est simple, est-ce que tu pourrais tenir Maeva à l'écart des motos des Lapurge stp ??? Je t'expliquerai pourquoi plus tard si tu veux, mais je te jure que je te demanderais pas ça si c'était pas important ಥ^ಥ

HTTP403 dit : ok :)

Crooks dit : OH pour de vrai ?????

HTTP403 dit : bah euh oui pourquoi :o

Crooks dit : Je pensais que tu refuserais !!! En tout cas merci t'es une vraie !!!!!!!!!!!!!!!! ≧◡≦

Crooks dit : Je te paie à bouffer ce weekend en remerciement !!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ≧◡≦

HTTP403 dit : aha t'es pas obligé tkt

Crooks dit : J'insiste !!!!!!!! Par contre devant les autres on fera comme si cet échange n'avait jamais eu lieu ಠ_ಠ


Aster répond par un pouce levé auquel Shade réagit à son tour par deux doigts écartés formant un V. Elle ne raterait jamais une occasion de manger à l'œil, d'autant plus que sa demande ne lui paraît pas déraisonnable. Et puis, avec de la chance, le restaurant servira des desserts au chocolat qui lui feront oublier l'immonde truc à la fraise cédé par Maeva.

Le message de cette dernière arrive avant qu'Aster puisse rattraper son dîner manqué. Son estomac proteste bruyamment lorsqu'elle avale ses nouilles instantanées encore brûlantes sans prendre la peine de les mâcher. Elle les fait passer avec un verre d'eau, attrape le manteau qu'elle portait dans la journée et descend au galop les trois escaliers la séparant du rez-de-chaussée. Maeva l'attend au volant d'une espèce de scooter rafistolé, grisâtre mais autrefois blanc, décoré d'autocollants dépareillés et surtout si petit qu'il n'est sans doute pas légal d'y monter à deux. Freinée dans ses élans, Aster le contemple d'un œil que se disputent la peur et le doute.


— T'inquiète, fait Maeva en devinant sa réluctance, il est plus solide qu'il en a l'air et je roule pas vite. Tu te tiendras à l'arrière si tu veux pas poser la main sur ma personne.

— Euh, c-c'est pas le...


Les mots fuient au fond de sa gorge avant qu'Aster puisse les attraper. À quoi bon lui expliquer ? Personne n'a jamais compris. Un indéfectible sourire aux lèvres, Maeva lui lance un casque qu'elle attrape au vol.


— C'est celui de Luno, précise-t-elle. Ta tête doit pas être bien différente de la sienne.


Aster le détaille avec curiosité. Un pentagramme, un croissant de lune et un crâne étrangement anguleux ont été gravés à la lame sur le casque. Qu'il s'agisse de l'œuvre de Luno ne l'étonne qu'à moitié.


— Elle est pas sataniste, t'inquiète, fait Maeva en la voyant rester plantée là. Elle fait peur, quand on la voit comme ça, mais en vrai c'est une enfant sage. Elle faisait même du piano quand elle était petite. À moins que ce soit du clavecin ? hésite-t-elle, un doigt sur le menton. Merde, j'ai oublié. Je crois bien que c'était du clavecin.

— Oh, euh, ah bon...


Elle baisse les yeux. Imaginer Luno jouer du clavecin lui procure une étrange sensation de discordance, comme le feraient les couleurs passées d'une photographie du mariage de ses parents.

Une pluie fine tombe sur la ville. N'ayant jamais eu l'occasion de monter sur un deux-roues auparavant, Aster sent la peur lui coller aux flancs lorsqu'elle prend place derrière Maeva. Son casque flotte d'un peu partout en dépit de ses efforts pour l'enfiler convenablement. Elle passe le trajet assise en amazone à l'arrière de la selle qu'elles doivent partager, les mains crispées et glacées d'appréhension, la respiration saccadée quand elle n'est pas carrément suspendue. Maeva est bien trop proche. Aster peut sentir la chaleur s'échapper d'elle, les flammes menacer de mordre sa jambe à tout instant. Elle n'est pas en sécurité. La dernière fois que quelqu'un a empiété à ce point sur son espace...


Tu lui as déboîté la mâchoire, termine sa voix intérieure. Tu l'as frappé à terre et ça t'a fait rire et t'as voulu le tuer et ça aurait été facile. Aussi facile que rompre un fil à coudre. Pourquoi t'as pas rompu le fil, ma vieille ?


Aster ferme les yeux pour se faire taire. Elle tente de se concentrer sur le ronronnement du moteur et le bruit de la route. Maeva ne mentait pas lorsqu'elle affirmait conduire prudemment. À cette heure, avec ce qui se passe en ce moment, personne n'arpente les trottoirs humides du centre de Sunnyside. Seul un rat mouillé croise leur chemin, trottinant le long des caniveaux dans un but connu de lui seul. Aster le suit des yeux en travaillant sur sa respiration. Inspirer, bloquer, expirer. Dire que ces conneries ont fini par fonctionner.

LesLapurge habitent au cœur de quelques rues huppées, situées àl'extrémité nord de la ville, où Aster n'avait jamais mis lespieds auparavant. Vu les spécimens, elle ne devrait sans doute pass'en étonner. Maeva arrête le scooter sur le côté de la route. Le temps s'est allongé dans l'esprit d'Aster ; elle ne saurait pas estimer combien de temps elles ont roulé ainsi, quelques minutes ou des heures entières. La pluie et l'obscurité l'empêchent de distinguer le toit des maisons. Elle met sa main en visière au-dessus de ses yeux pour se protéger de la pluie, curieuse, malgré tout, de voir à quoi peut ressembler la demeure des Lapurge.


— J'espère que tu sais où ils vivent, dit-elle à Maeva.

— Je comptais faire du porte-à-porte jusqu'à tomber sur eux, rétorque-t-elle avec un sourire en coin. Non, bien sûr que je sais où ils vivent. Je suis pas Lucas, moi, je fais des plans et tout. C'est juste que j'ai tendance à les oublier avant de les appliquer.


Elle lui adresse un clin d'œil avalé par la nuit. À défaut de meilleure option, Aster lui emboîte le pas. Elles filent comme deux spectres sur les trottoirs déserts, silencieuses, invisibles. La pluie s'est intensifiée lorsque Maeva lève une main devant elle pour faire signe à Aster de s'arrêter. En redressant la tête, celle-ci découvre à peu près ce à quoi elle s'attendait. Une vaste maison claire au toit pointu, capable d'accueillir la totalité de leur vicieuse petite famille. Quelques fenêtres émettent la lumière diffuse d'un lustre ou d'une lampe. De jalousie, Aster ne peut retenir une grimace.


— Évidemment qu'ils ont la plus grande baraque du coin, se murmure-t-elle à elle-même.

— Leur fourberie devait pas rentrer ailleurs, répond Maeva sur le même ton. Mais tu sais ce qu'ils ont pas ? Assez de garages pour y ranger toutes leurs bagnoles.


Maeva plonge la main à l'intérieur d'une parka qu'Aster ne l'avait encore jamais vue porter. L'outil dépliable qu'elle y trouve déploie son éclat métallique sous les yeux ronds de son associée. Le couteau de poche paraît bien trop à sa place dans la main de Maeva.


— Eh, oh, tire pas cette tête, tu croyais qu'on allait le crever avec quoi, le pneu ? Mon couteau à peindre ? C'est un vieux cadeau de Luno, regarde, il marche super bien.


Elle se rapproche d'Aster pour le lui montrer. Encore une fois, l'entendre mentionner Luno dans un tel contexte ne l'étonne pas plus que ça. Elle aussi aimerait connaître quelqu'un capable de lui offrir ce genre de chose. Sa fascination pour les armes et les instruments de destruction de toutes sortes demeure soigneusement terrée dans les bas-fonds de sa fosse à secrets, comme une créature trop répugnante et méprisable pour oser se montrer à la lumière du jour.

Chaque pas qu'elles font en direction des clôtures en fer forgé des Lapurge enfonce un peu plus le clou de son angoisse. Qu'est-ce qui lui a pris, de proposer un truc pareil ? Aster elle-même ignore d'où a pu surgir une telle idée. Sans doute veut-elle leur faire payer, à sa manière, le fait qu'elle n'ait jamais eu l'assurance nécessaire pour repasser le permis dont ils l'ont privée la première fois, mais se venger ne dissipera pas les bouffées de stress qui l'assaillissent dès qu'elle s'imagine derrière un volant. En réalité, lorsque Maeva lui a demandé de l'assister dans sa quête de crevaison de pneu, Aster comptait refuser. La partie rationnelle de son cerveau mesurait les risques tandis qu'elle lui parlait. Elle imaginait la satisfaction d'une victoire pour la comparer aux conséquences d'un échec, calculait les probabilités d'être reconnues par un voisin à l'affût, invoquait des images d'interrogatoire et de prison, tout ça pour courber l'échine devant les parties les moins intellectuelles de son être (le genre à s'indigner devant la possibilité pourtant bien plus logique de laisser Maeva s'y prendre seule).


— Fais-moi la courte, dit tout à coup celle-ci.


Aster manque de la percuter. Maeva s'est arrêtée au pied du barrage de fer bordant le territoire des Lapurge et en contemple le sommet, les poings serrés sur les hanches. Sa voisine pâlit en avisant les pointes tranchantes brandies vers le ciel.


— L-la courte ? bafouille-t-elle.

— Ouais, la courte, répète Maeva. La courte échelle, quoi. Je vais aller là-dedans et niquer le premier truc que je vois.

— La première voiture, la reprend Aster en se remémorant la requête de Shade. Ça pourrait être dangereux de crever le pneu d'une moto ou d'un scooter.

— Tu crois que j'en ai quelque chose à foutre ?


Le regard insolent de Maeva se heurte à l'insistance de celui d'Aster. Elle ne flanchera pas.


— Allez, c'est bon, arrête de froncer les sourcils comme ça, cède Maeva. J'ai l'impression de décevoir ma mère. Monte la garde derrière moi, OK ?

— Essaye de pas mourir empalée.

— Et si j'ai envie de mourir empalée ? T'y penses, à ça, espèce de rabat-joie ?


Aster a un sourire en coin avant de poser un genou à terre, les mains croisées pour aider Maeva à se hisser là-haut. La partie de son cerveau assimilant le contact physique à un danger de mort fait au moins une exception pour les chaussures.

Maeva est plus légère que ce à quoi elle s'attendait. Elle prend appui sur ses doigts imbriqués pour bondir par-dessus son épaule, manquant de lui envoyer son genou dans la figure au passage, et agrippe de justesse l'extrémité de la clôture. Le cœur d'Aster rate un battement quand les pointes métalliques accrochent l'entrejambe trop bas de son pantalon, mais elle les enjambe avec prudence avant de se laisser glisser de l'autre côté. Un son peu gracieux parvient à sa complice quand elle touche le sol.


— Comment tu vas faire pour remonter ? s'enquiert Aster un peu tard.

— T'inquiète, répond Maeva en chuchotant, je trouverai bien un moyen. Allez, surveille !


Aster hausse les épaules avant de lever le nez vers les fenêtres éclairées de la maison. Aucun mouvement de ce côté-là. Derrière elle, la rue est tout aussi déserte qu'elle l'était tout à l'heure. Elles ne risquent pas grand-chose pour le moment.

Elle se dresse sur la pointe des pieds pour tenter d'apercevoir le jardin. Maeva avance tassée sous les assauts de plus en plus violents de la pluie. Des mèches blondes, presque blanches dans la grisaille de la nuit, s'échappent en désordre de la capuche de sa parka. Au moins n'a-t-elle rien fichu dans son chignon susceptible de l'incriminer cette fois.

Sa silhouette trouble atteint une voiture dont la carrosserie luisante ne demande qu'à être rayée. Maeva déplie le couteau avec une délectation palpable malgré la distance. D'un habile tour de poignet, elle enfonce la lame dans le caoutchouc d'un pneu arrière avant de l'en ressortir avec la même aisance. Contrairement à ce qu'imaginait Aster, elle ne doit pas en être à son coup d'essai.


— C'est bon, reviens maintenant...


Ses murmures nerveux ne s'adressent qu'à elle-même. Maeva ne pourrait pas l'entendre sauf si elle hausse le ton, ce qui, dans leur situation, serait un excellent moyen de se faire prendre.

D'un coup d'œil en l'air, elle s'assure que rien n'ait changé au niveau des fenêtres. Toujours aucun danger à l'horizon – apparemment, les Lapurge sont trop occupés pour remarquer la présence d'une intruse dans leur jardin. Au sol, Maeva ne cesse de lambiner. Elle encercle la voiture d'un pas lent, calculé, en se tapotant la lèvre inférieure du plat de la lame de son couteau. Aster serre les dents.


— Allez, Maeva. Un pneu, c'est un accident, plusieurs, c'est volontaire.


Maeva aurait tout aussi bien pu l'entendre, car son regard dépareillé se plante dans celui d'Aster comme une flèche. Sa bouche se fend d'un sourire trop large pour ne pas être inquiétant. Maeva se fiche des conséquences. Aster aurait dû le comprendre à l'instant même où elle a déclaré partir en guerre contre leur ennemi commun.

Elle ne peut que regarder, impuissante, tandis que celle dont elle a accepté d'être la complice poignarde inlassablement les quatre pneus de la victime désignée. Sa lame s'enfonce plusieurs fois dans chacun, comme si, par le biais de cette violence inoffensive, elle pouvait expier toute la haine dont les Lapurge ont empoisonné sa vie. Aster se demande depuis combien de temps elle espérait pouvoir saisir une telle occasion. La joie décomplexée avec laquelle elle accomplit son œuvre ne tromperait pas un aveugle.


— Y a quelqu'un ?


La voix les surprend toutes les deux. Prise de court par la vie ayant soudainement repris derrière les rideaux tirés de la maison, Aster demeure pétrifiée un bref instant avant de s'accroupir dos à la clôture. La fenêtre donnant sur le jardin est ouverte. Debout dans l'encadrement de celle-ci, un Lapurge sonde la pénombre grise avec attention. Il a dû sentir que quelque chose n'allait pas. Ou alors, et la probabilité que cette hypothèse soit la bonne est bien supérieure à la précédente, il a entendu Maeva s'acharner sur ces pauvres pneus. Bravo, Maeva.

Cette dernière a sans doute eu le réflexe de se cacher derrière la voiture, car le Lapurge n'émet qu'un vague soupir avant de refermer la fenêtre et d'en tirer le rideau. Aster ferme les yeux en reprenant un souffle qu'elle n'a pas senti se suspendre. Le bas de son manteau, déployé autour de ses chevilles, est trempé de pluie. L'averse ne cesse de s'amplifier depuis leur arrivée ; à ce rythme, la route sera inondée avant qu'elles puissent rentrer chez elles.

Aster oblige ses genoux à cesser de trembler pour se redresser et voir où en est Maeva. Celle-ci a définitivement abandonné tout espoir de discrétion. En bonne artiste, elle signe sa composition d'une gigantesque croix sur une portière arrière et la contemple avec une satisfaction éclatante. De désespoir, Aster fronce les sourcils. Dire que l'idée est venue d'elle.

Comblée et fière de son œuvre, Maeva regagne la clôture le pas léger. Elle s'essuie les mains sur son pantalon avant de tendre les bras pour s'emparer de la barrière glissante. Elle la franchit presque à la verticale, la langue tirée dans l'effort, pour se laisser tomber à côté d'Aster. Celle-ci étouffe son admiration face à cette prouesse acrobatique pour l'accueillir d'un regard mécontent auquel Maeva répond par un haussement d'épaules.


— Bah quoi ? Ils me soupçonneront pas s'ils ont rien à se reprocher.


Indifférents à l'ombre de la nuit, ses longs yeux vairons pétillent de joie dans l'obscurité. Aster les soutient quelques instants avant de rendre les armes. Son raisonnement se tient ; les accuser reviendrait à admettre qu'ils se trouvent bel et bien derrière l'incident de la poubelle recyclable. Malgré elle, le nom la fait sourire. Est-ce vraiment ainsi qu'ils se référeront à toute cette histoire ?L'incident de la poubelle recyclable ? Voilà qui ferait un sacré gros titre.


— Bon, OK, si tu le dis, abdique-t-elle en se pinçant l'arête du nez. Mais c'est pas pour ça que je suis d'accord avec ce que tu viens de faire. On aurait pu être vues, je te signale.

— Mais tu souris ! T'es en train de te marrer !

— Je sais, et je déteste ça.


Ce doit être la peur ; un hoquet de rire l'interrompt avant même qu'elle puisse terminer sa phrase. Il ne s'agit que d'une voiture, après tout. Ces salauds pourront la remplacer par trois autres bagnoles neuves s'ils en ont envie. Et puis, avec le recul, elle s'est plutôt bien amusée.


— Allez, meuf, faut qu'on s'arrache avant que quelqu'un nous entende et appelle les flics, dit Maeva en lui faisant signe de la suivre. La vache, ajoute-t-elle en levant deux yeux écarquillés au ciel, qu'est-ce qu'il flotte tout à coup !

— Tout à coup ? répète Aster, dubitative. Ça fait qu'empirer depuis qu'on est parties.

— Bah, j'avais pas remarqué. J'étais occupée à commettre le crime parfait.


Elle tire sur la capuche de sa parka pour mieux se protéger de la pluie avant de filer à toute allure parmi les flaques, Aster sur les talons. Dérangées par leur course, les petites mares d'eau renoncent à l'inertie pour se fragmenter et se répandre en perles limpides autour de leurs chevilles. Les gouttes ainsi crées par Maeva paraissent se suspendre dans le temps. Quand elle les traverse du regard, Aster a l'impression qu'elles demeurent en apesanteur une fraction de seconde de trop, comme si la gravité s'était soudainement relâchée, et elle jurerait voir s'y refléter d'impossibles nuances de couleurs. Elle met cela sur le compte de la vitesse et des réverbères.

C'est à bout de souffle qu'elles atteignent l'endroit où les attend le scooter. Puisque reprendre la route sous une telle averse serait dangereux, Maeva se contente de le saisir par le guidon pour le faire rouler à leurs côtés jusqu'à l'abribus le plus proche. Le banc métallique est glacé et glissant d'humidité. Elles s'y assoient en grimaçant. Aster, dont la frange trempée ne cesse de lui mettre de l'eau dans les yeux, profite de cet instant de répit pour s'essorer les cheveux.


— On fait quoi, si ça s'arrête pas ? demande-t-elle avec un regard méfiant pour l'épaisse couche de nuages planant au-dessus de la ville.

— On aura qu'à dormir ici. T'inquiète, je l'ai déjà fait et j'ai survécu ! Enfin, j'ai déjà dormi dehors, quoi, pas à cet endroit précis. Ouais, je sais, c'est dur à imaginer, mais moi aussi j'ai un passé, ajoute Maeva devant l'air circonspect de sa voisine. J'ai pas toujours été le modèle de vie et de maîtrise de soi hyper canon que t'as sous les yeux en ce moment. En fait, j'étais même ce qu'on appelle une gamine difficile.


Maeva opine du chef en lui racontant cela. Songeuse, Aster prend un moment pour se rappeler du couteau que lui a offert une de ses amies les plus proches. Une amie qui connaît forcément ses goûts et a choisi ce cadeau en conséquence.


— Non, en fait, ça me surprend pas vraiment, dit-elle.

— Eh bah, merci beaucoup, ironise Maeva. Enfin, entre criminelles, on se comprend, hein ? T'es pas contente qu'on soit enfin quittes ?


Décontenancée par le clin d'œil qu'elle lui adresse, Aster esquive son regard. Son menton s'enfonce tout seul dans le coton mouillé de son écharpe. Maeva ne semble pas lui en vouloir, mais elle le fait assez pour deux.


— P-pardon. J-je sais pas ce qui m'a pris, j-je... j'ai jamais fait ça avant.


Elle ment. Elle a déjà volé et volera encore. Quelque chose en elle est incapable de s'arrêter.


— C'est bon, t'en fais plus pour ça, sourit Maeva. C'était qu'un truc de sous-marque, de toute façon. Enfin, j'espère qu'il était bon quand même.

— Il était dégueulasse.

— Eh bah, dans ce cas, on va dire que je t'en dois une pour me l'avoir volé !


Maeva éclate de rire. Elle semble en proie à une véritable euphorie. De son côté, Aster s'enfonce dans le mutisme avec un embarras visible. Elle n'avait pas l'intention de le dire à voix haute.


— Tu sais, reprend Maeva, si j'avais su qu'il suffisait de t'appâter avec du chocolat pour que t'acceptes de passer du temps avec moi, je l'aurais fait depuis longtemps.


Elle dit cela sans fausse pudeur, comme si elle avait simplement commenté son signe astrologique. Aster croit mourir. Son poing se ferme sur son écharpe pour la relever autour de son visage jusqu'à y faire disparaître la racine rougissante de son nez. La chaleur s'échappe de ses joues sans parvenir à traverser la fibre dont elle demeure prisonnière. Si elle le pouvait, Aster s'enfoncerait toute entière dans la sécurité de ses vêtements trop larges et ne referait jamais surface. Elle n'est pas équipée pour faire face à un tel intérêt envers sa personne.


— Oh, euh, pardon, je voulais pas te faire faire un écran bleu ou quoi que ce soit du genre, dit Maeva avec un sourire d'excuse. Fais comme si j'avais rien dit, OK ?


Aster aimerait lui répondre quelque chose, n'importe quoi, mais sa voix reste coincée dans le tunnel trop étroit de sa gorge. Un frisson la secoue jusqu'aux orteils, une, deux, trois fois. Sa respiration se débloque au bout de la troisième fois. Quand elle tente de reprendre la parole, les mots s'échappent de sa bouche en un incompréhensible dégueulis verbal. Mortifiée, Aster serre les mâchoires. Ses doigts se crispent à en blanchir sur le rebord du banc de l'abribus. Par inquiétude ou parce qu'elle est terriblement gênée de l'avoir mise dans cet état, Maeva se rapproche pour continuer de lui parler. Le débit parfois vertigineux de ses paroles ralentit jusqu'à adopter un rythme plus posé. Aster craint qu'elle ne tente de lui toucher l'épaule, mais sa main s'immobilise à mi-chemin.


— Tu sais, un écran bleu de la mort ? fait Maeva un ton plus bas. Parce que ton écharpe est de la même couleur ? J'ai réalisé ça ce matin parce que je dormais pas. Je pensais à toi et je me suis dit que tu devais bien aimer l'informatique, vu ton pseudo sur l'appli.


Par miracle, Aster parvient à hocher le menton. Ses bras se croisent sur son ventre pour contenir ses tremblements, mais ceux-ci commencent déjà à faiblir. La chaleur émise par Maeva ne paraît plus aussi menaçante qu'auparavant. La sentir couver à un bras d'elle devient même rassurant.


— C'est là-dedans que tu travailles ? L'informatique ? Non ? s'étonne Maeva quand Aster secoue la tête. Attends, je vais essayer de deviner. Hm...


Elle la dévisage avec un air si concentré qu'Aster ne peut s'empêcher d'en sourire. Le nœud logé au creux de sa gorge a fondu de plusieurs centimètres lorsqu'elle tente de l'avaler. Pour une raison ou une autre, se focaliser sur ce que raconte Maeva l'aide à reprendre ses esprits.


— T-traduction, parvient-elle à dire.

— Oh, tu parles une langue étrangère ? Plusieurs ? ajoute Maeva devant ses deux doigts levés. Tu peux dire un truc pour que je devine quelle langue c'est ?


Aster réfléchit un instant, le coin des lèvres tournés vers le bas. Elle lit mieux le français et l'espagnol qu'elle ne les parle, mais Maeva ne semble pas du genre à chipoter.


  — Je pense aussi à toi quand je dors pas, dit-elle sans autant d'assurance qu'elle le voudrait.

— Oh, s'exclame Maeva en tapant dans ses mains, je reconnais ça ! C'est de l'allemand ! La langue des saucisses et des grosses chopes de bière !

— C'était du français.

— Bah, j'y étais presque. Ça veut dire quoi ?

— Rien.

— D'accord, donc j'imagine que c'était hyper crade.


Maeva sourit, et, à la lumière hésitante des réverbères, Aster découvre la présence de taches de son presque transparentes sous ses yeux. Elle s'en détourne en rougissant.


— C'est bon, t'as fini de redémarrer ? lui demande Maeva avec bienveillance. Ça va ? Ça t'arrive souvent, ce genre de truc ?

— N-non.


Elle ment encore. La seule raison pour laquelle ses attaques lui foutent un peu la paix depuis son retour à Sunnyside, c'est qu'elle se préserve de toute interaction sociale inutile. Si Aster menait une vie ordinaire, si elle sortait ou travaillait dans un cadre extérieur, par exemple, elle a l'impression qu'elle s'effondrerait sur elle-même comme du verre brisé. Elle n'est pas faite pour ce monde. Pour cette réalité encombrée de vie. Aster la sent grouiller sur sa peau dès qu'elle ferme les yeux, l'entend hurler à l'intérieur de son crâne quand elle se couvre les oreilles. Exister est une torture.

Elle écoute la pluie tomber sans combler le silence qui la sépare de Maeva. Parfois, l'eau s'infiltre sous le toit de l'abribus pour leur refroidir le nez ou le front. Si Aster n'était pas qui elle est, si elle avait été celle qu'on lui a promis qu'elle deviendrait un jour, peut-être qu'elle lui parlerait. Oui, peut-être qu'elle laisserait s'envoler les mots qu'elle garde prisonniers de sa honte et avouerait se sentir bien, assise sous cet abri de fortune avec elle, à contempler l'averse sans ressentir le besoin de parler plus qu'elles le devraient. Elle lui raconterait à quel point elle est reconnaissante d'avoir accepté son invitation à rejoindre le club, lui confierait son envie de mieux la connaître, de passer plus de temps en sa compagnie, et peut-être, juste peut-être, qu'elle finirait par lui parler du fil. De la corde tendue sur un autre plan d'existence que le leur, la ligne de vie dont dépend chaque être présent au sein de cet univers et dont Aster peut se saisir pour la rompre aussi facilement qu'un fil à coudre – qu'elle a déjà rompu à deux reprises. Peut-être que Maeva comprendrait. Peut-être même qu'elle l'accepterait, la rassurerait en lui disant qu'elle n'y peut rien, qu'il s'agit simplement de la nature dont l'a pourvue cet univers impénétrable, que son existence doit servir un but elle aussi. Oui, et ensuite, elles se tiendraient la main et Aster se rendrait compte que la douleur a disparu – et qu'elle est enfin capable de pleurer, aussi, pourquoi pas. Elles partiraient d'ici en mini-van et deviendraient les personnes qu'elles ont toujours voulu être, qu'elles auraient dû être depuis le départ.

Quelle blague.


— Dis, euh...


Maeva l'enlève à ses réflexions sordides pour la reconduire vers la réalité de l'abribus. Elle joue avec une mèche folle de ses cheveux décolorés, assise en tailleur sur la surface pourtant étroite du banc métallique. Un de ses genoux s'agite au-dessus du vide. Aster bat des paupières pour chasser le flou de son regard avant de l'interroger avec.


— J'allais proposer à tout le monde de se faire un ciné mercredi soir, annonce Maeva. Ce serait bien qu'on se voie en dehors du club, enfin, avec toi, quoi, parce qu'avec les autres on est pas en retard de ce côté-là. T'en dis quoi ? Ça, euh... ça t'irait ?


Sa main se perd dans sa chevelure blonde. La zone juste sous ses yeux, là où se trouvent ses petites taches de son, se colore de gêne, et ses lèvres pincées peinent à contenir le sourire béat qui cherche à y éclore. Aster est incapable de comprendre pourquoi elle se met dans un état pareil. Elle n'a jamais su se projeter sur les autres ni imaginer ce qui, chez elle, peut susciter assez d'intérêt pour donner envie de la connaître. Pourtant, elle hoche la tête.


— Cool ! fait Maeva en serrant le poing dans ses cheveux. Cool, cool, cool. Je t'aurais bien directement invitée chez moi pour te présenter à ma mère et ma sœur, hein, mais je crois que tu planterais avant de passer la porte. On va dire qu'on se fera ça une prochaine fois.


Elle sourit. Alors, sans le réaliser, Aster sourit également.


— Oui, la prochaine fois.

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