3
Quelques jours après l'enterrement, alors que j'étais allongé sur mon lit, mes mains derrière la tête, quelqu'un frappa à ma porte en disant :
‑ C'est ton frère !
Je me levai et déverrouillai la porte. Je le laissai entrer et refermai derrière lui.
‑ Ça fait longtemps que tu n'es pas sorti d'ici.
‑ Personne ne m'en a fait sortir.
‑ Tu n'as accepté de voir personne. A part moi.
‑ Ne me dit pas que quelqu'un t'envoie !
‑ Non. Ceci dit, ils ont essayé de le faire.
Je m'approchai de la fenêtre, les mains dans les poches.
‑ J'ai réussi à réfléchir. J'ai trouvé une... solution. Égoïste, elle ne t'aidera pas et tu ne l'aimeras pas. Es-tu prêt à me suivre ?
‑ Dis comme ça... qu'as-tu en tête ?
Je me retournai vers lui et lui expliquai. Je lui précisai que rien n'était encore établi, qu'il y avait des points de mon raisonnement à revoir et que j'avais besoin de lui, j'avais besoin qu'il garde le secret. Il me comprit, il comprit tout. Mais à la fin de mon discours, je vis quelques larmes s'échapper de ses yeux. Je posai mes mains sur ses joues et le fixai.
‑ Tu sais très bien que même si mère est régente, personne ne s'opposera à mes décisions. Nous avons un an, un an pour tout apprendre, tout connaître, pour voir au-delà de ce que l'on nous montre et nous allier aux bonnes personnes. Dim, nous ne sommes pas si différents l'un de l'autre.
Il fit un sourire en coin.
‑ Oui. Tu as raison.
Sur ces paroles, on se mit à l'œuvre. La discussion avec mon frère m'avait mis de bonne humeur. Du coup, sans vraiment m'en rendre compte, je me dirigeai vers les cuisines. J'y entrai et regardai autour de moi.
‑ Ou se trouve Alice ?
Une cuisinière me répondit :
‑ Vous n'êtes pas au courant, votre altesse ? Elle a été mise à la porte. Je ne sais toujours pas pourquoi, elle est douée cette gamine.
‑ Quoi... ? Qui a fait ça ?
‑ Aucune idée.
Je pinçai les lèvres et sortis en trombe de la cuisine. Ce genre d'initiative ne nécessitait pas l'aval de quelqu'un de haut placé, donc de moi, normal que je n'étais pas au courant de ceci ! Dans un couloir, je tombai sur mon frère les bras remplis de livres.
‑ Qu'est-ce qu'il y a ?
‑ Ils ont fait partir Alice. Sûrement parce qu'ils savaient que j'étais proche d'elle. Il faut que je la retrouve ! Il faut qu'ils le paient !
‑ Attends, calme-toi. Je m'en charge, d'accord ? Toi, mets des hommes à la recherche d'Alice et attends-moi dans ma chambre.
Il me mit ses livres dans mes bras et repartit d'où il venait. Je fis ce qu'il m'avait dit. Près d'une heure plus tard, la porte de sa chambre s'ouvrit. Il leva un pouce en l'air et fit un faible sourire.
‑ J'ai trouvé mais laisse-moi le week-end, après ça, notre plan pourra commencer.
Je plissai les yeux mais ne dis rien. Ma nuit se fit dans le plus profond des regrets, je regrettais de ne pas lui avoir parlé plus, je regrettais de l'aimer et je me détestais de ne pas lui avoir demandé de venir me voir au moindre problème. Plus je réfléchissais, moins je la connaissais. Au fond, c'était vrai, à part m'écouter ou parler de ce qu'elle faisait au palais, elle ne m'avait jamais rien dit. Je maudissais la crainte qu'elle avait éprouvée envers moi.
La nuit fut longue.
Lundi matin, un serviteur vint frapper à ma porte pour me demander d'aller rejoindre mon frère dans la salle de réunion. Je m'y rendis et bien sûr, je tombai sur lui, tout sourire, ainsi que sur les conseillers. Ils me faisaient tous face. Vu leurs airs pompeux et fiers, ils étaient persuadés que Dimitri était de leur côté, mais je savais très bien qu'il n'en était rien. Mon frère leur fit d'ailleurs savoir en se rangeant à mes côtés et en disant :
‑ Neil, voici les coupables, tu t'en doutais. Je les ai croisé samedi soir par hasard, ils avaient trop bu, ils m'ont avoué ce qu'ils ont fait avec plaisir. Sauf un, lui là-bas, au fond, je l'aime bien, il est un peu plus intelligent que les autres. Ils ont bien fait ça pour t'embêter, ils ne veulent pas que tu deviennes empereur et ce n'est pas nouveau, mais aussi car ils considèrent qu'Alice ne peut être avec toi.
Il n'ajouta pas qu'ils avaient raison sur ce point. Il continua :
‑ Il n'empêche qu'ils ont fait ça pour te nuire, un empereur qui tombe en dépression ou qui est en proie à la colère ne fait pas un bon empereur, même le peuple le sait. Mais ils ne te connaissent pas aussi bien que moi. Alors ? Que veux-tu faire d'eux ?
Les conseillers avaient tout à coup perdu de leur superbe, ils semblaient redécouvrir mon frère. Si ça n'avait été que de moi, je les aurais tous enfermé et laissé aux cachots à vie, mais ce n'était pas la bonne solution. Je dis alors en détournant le regard :
‑ Fais ce qui te semble juste.
Dimitri effaça son sourire et devint tout à coup sérieux.
‑ Vous êtes viré. Tous. Sauf celui du fond. J'ai déjà rédigé et signé tous les papiers, il ne manque plus que le sceau de l'empereur et mon frère se fera un plaisir de l'appliquer. Je vous laisse, disons, une semaine pour partir d'ici. Après ce délai, nous jetterons vos affaires par les fenêtres et les serrures des portes seront changées.
‑ Vous ne pouvez pas faire ça ! Vous avez besoin de conseillers !
‑ Oui, mais pas de vous. Maintenant, sortez !
Ils s'exécutèrent. Un jeune homme s'approcha de nous.
‑ Et... moi, du coup ?
‑ Vous gardez votre poste. Vous vous occuperez des nouveaux conseillers mais jusque-là, vous allez tout gérer, on va essayer de faire vite, on a déjà des idées de remplaçants.
‑ Vous aviez tout prévu... ?
‑ Oui, répondis-je. Leur départ était prévu. Au passage, je vous conseille de vous planquer pendant une semaine.
Il partit à son tour et Dimitri passa son bras autour de mes épaules.
‑ C'est bon ? Tu vas tenir le coup ?
‑ Oui, ne t'en fais pas pour moi.
Alice ne fut jamais retrouvée, elle avait sûrement quitté la région.
Puis l'année passa, de bons comme de mauvais événements arrivèrent, des personnes partirent, tout de suite remplacées par d'autres que mon frère et moi désignions. Mère n'en était pas tellement contente, nos sœurs en restèrent bouche bée. Tout se passa rapidement. En parallèle, nous ne fîmes qu'étudier et nous informer. Nous avions difficilement un jour de repos.
Le jour de mes dix-huit ans fut le jour de mon couronnement. Dans ma tenue d'apparat, je regardai les papiers signés et tamponnés une dernière fois.
‑ Tu sais que ton stress détint sur moi ? fit Dimitri qui était avachi sur le canapé de ma chambre.
‑ Tu ne devrais pas être à la salle du trône avant moi ?
‑ Si. D'ailleurs, c'est l'heure.
Je soufflai et posai les feuilles sur mon bureau. On sortit de ma chambre pour se diriger vers la salle du trône. Quand les portes s'ouvrirent, je vis le monde qu'il y avait. Le silence ce fit et ils se levèrent tous. Pendant que mon frère se faufilait sur le côté jusqu'au premier rang, je m'avançai sur le tapis rouge au milieu de la pièce, à mon passage, les gens s'inclinaient. Je montai les trois marches qui se trouvaient en face du trône et le couronnement commença. On me tendit une épée, on me mit une cape, une couronne, les phrases qu'il fallait prononcer furent dites, les papiers signés et je devins officiellement empereur, comme mon père le désirait. Puis, je me tournai vers la foule qui faisait silence. Ils attendaient quelque chose, mes premiers mots, le bla-bla habituel. Ils allaient être déçus. Je regardai mon frère qui hocha la tête et je pris la parole :
‑ Voilà, comme certains ne le voulaient pas, je suis devenu empereur mais ces personnes-là vont être contentes, du moins pour une période limitée, je ne sais pas si ma solution est la meilleure pour vous. Aujourd'hui même, je désigne mon frère Dimitri comme empereur et j'abdique de mes fonctions.
Ils étaient tellement abasourdis qu'ils en restèrent bouche bée. Il n'y eut aucune réaction. J'ajoutai alors :
‑ Mère, nous avons signé tous les papiers, c'est officiel.
Cette dernière s'écria :
‑ Tu le savais Dimitri ?
‑ Bien sûr, depuis un an. Pourquoi croyiez-vous que l'on a fait le ménage ? Pour préparer mon règne.
Le brouhaha s'éleva. Alors, j'enlevai ma couronne, ma cape et mon épée, posai délicatement le tout sur le trône ou je ne m'étais pas assis. Sous le regard espiègle de mon frère et son poing levé, je traversai la salle du trône les mains dans les poches, un grand sourire plaqué sur le visage et quittai la pièce. Je n'avais été qu'empereur que pour quelques secondes mais j'en gardais le titre à vie.
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