Un trop bref instant
Sans hésiter je jure, le souffle court et le cœur battant. Secrets et danger sont un faible prix pour pouvoir enfin voir la lumière du jour, le soleil plus éclatant que mille bougies, le ciel bleu et les couleurs qui ornent le monde.
Je trépigne d'une façon tout à fait indigne d'une princesse. Messire Arland se tourne vers moi et dit, d'un ton mi-admiratif, mi-moqueur :
‒ Vous êtes bien courageuse !
Aussitôt je m'apaise. Il ne faut surtout pas que je me conduise comme une gamine. L'heure est grave et la magie ne servira pas à mon plaisir, mais bel et à bien à soutenir notre armée.
Je tente d'imaginer ces gens, ces soldats sans visage qui se battent pour défendre le Sombre Château, mais je ne peux penser qu'à ces armures vides qui ornent les couloirs déserts de mon donjon. Messire Arland reprend son travail, et ma tête se vide, envahie par la fascination.
Le moindre de ses gestes me parait sacré et puissant, et j'assiste au rituel avec la foi brûlante des fidèles prêts à assister à un miracle. Le bruit du métal sur la pierre résonne dans toute la tour. Et enfin je vois.
Tant de lumière que je pourrais la toucher, la faire couler comme de l'eau entre mes mains, la prendre et la manger, si dense et si pure, dont la vue me brûle les yeux et me rempli de joie et de force.
Messire Arland me retient juste à temps, mais même si je n'ai pas touché le rayon de lumière qui perce la pièce de part en part, tout autour de nous est éclairé, tout apparait en même temps, comme un tour de magie resserrant l'espace.
‒ Vite, Princesse, donnez-moi votre main.
Je lui tends la main. Je regarde ma propre main avec ravissement, ses plis dépourvus d'ombre, sa peau pâle, mon bras recouvert d'étoffe verte, et je vois les doigts de Messire Arland qui semblent minuscules sur ce vert, son habit noir dont les pierreries froides s'illuminent et lancent à leur tour mille reflets, le poignard qui caresse ma peau puis qui l'entaille, et le sang qui coule, rouge, parsemé de...
Je murmure à peine, pour ne pas rompre l'enchantement :
‒ Quelle est cette couleur ?
‒ De... Du rouge, Princesse.
‒ Non, l'autre.
‒ Argent. C'est la couleur de l'argent. C'est la marque de... vous êtes la seule à la porter. Ce sont ces cristaux que je vais prendre pour mon sortilège.
‒ Argent...
‒ Oui, des cristaux couleur argent. Ne bougez pas.
Il attire ces petits morceaux si beaux vers lui. De minuscules billes brillantes s'éloignent de mon sang pour rouler docilement sur ses doigts avant de plonger dans une fiole qu'il leur réserve.
Sa peur augmente de plus en plus, je peux la sentir facilement. Mais il n'abandonne pas. Il veut remplir entièrement la fiole. Et après, tout sera fini. Je regarde à nouveau le rayon de lumière. Il faut que j'en profite jusqu'au bout.
Son sortilège est efficace. Je me sens bien, incroyablement bien, à la fois sereine et puissante, Princesse véritable pour la première fois.
‒ C'est fini. » me dit sèchement Messire Arland en posant un tissu sur ma plaie. Une fleur rouge s'étale rapidement et je trouve ça magnifique.
Messire Arland me pousse sans douceur vers la sortie et je l'entends se mettre à boucher le trou. Quand enfin il ressort, il semble épuisé et plus effrayé que jamais. Pourtant je vais bien, et je ne cours plus aucun danger. Je n'arrive même pas à cesser de sourire. C'était extraordinaire.
Il part rapidement, sans prendre la peine de me dire au revoir. Ce sort a dû être très difficile pour lui. J'espère que ça marchera. J'espère même, égoïstement, que nous perdions pour que l'armée ait à nouveau besoin de moi.
Je retourne me coucher. Les ténèbres se sont à nouveau abattues et pour la première fois je réalise à quel point elles sont lourdes à porter. Lourdes et étouffantes. Pour ne pas pleurer, je pense très fort à la lumière, au rayon blanc qui colorait le monde autour de lui, et c'est sur cette image que je m'endors.
Quelqu'un est là. Quelqu'un me cherche. Quelqu'un me guette dans les ténèbres. Je retiens mon souffle et me tapie tandis qu'il passe et repasse sans me trouver. C'est Nola qui me réveille de ce cauchemar en me secouant.
« Hé bien, Princesse, qu'est-ce qui vous arrive ? Un cauchemar ?
Je ne comprends pas ce qui se passe. Sa bougie et sa présence m'apaisent, et en même temps j'ai envie de lumière, plus fort que jamais. Le danger était dans les ténèbres, un inconnu puissant, qui me cherchait, me cherchait...
‒ Je ne sais pas, je... c'était un rêve ?
‒ Bien sûr. Je viens d'arriver, je m'étonnais que vous ne soyez pas venue à ma rencontre comme d'habitude, et je vous ai trouvé toute recroquevillée dans votre lit, serrée comme une petite souris qui se cache d'un chat !
‒ Alors peut-être que ce n'était pas un rêve... Il y avait quelque chose qui me cherchait... Dans le noir... Ou quelqu'un... je ne sais pas... je me suis cachée et...
‒ Ne soyez pas ridicule, Princesse. Evidemment que ce n'était qu'un rêve. Il n'y a personne ici, à part vous, et moi quand je viens vous apporter à manger. Bon sang, regardez-moi ça, vous avez gardé votre robe toute la nuit, il va falloir vous laver et vous changer. Allez, dépêchez-vous !
Je tremble encore pendant que Nola me lave, m'habille et me brosse les cheveux. Le contact familier de ses mains ne suffit pas à me rassurer. Ce rêve était trop réel, trop présent.
Et j'ai envie de voir le visage de Nola, de le toucher, pour vérifier que c'est bien la vieille femme qui prend soin de moi depuis tant de temps et pas un inconnu malveillant qui aurait pris sa place.
D'un geste brusque et précis, j'ose faire ce que je n'avais jamais tenté de faire : j'attrape la bougie posée sur la table. Maîtresse de la lumière, effrayée par ma propre audace, j'approche la flamme de Nola et je vois...
Le visage d'une vieille dame. Aucun doute. Les rides ont laissé de profonds sillons qui tremblotent devant les mouvements de la flamme et elle écarquille les yeux, effrayée à son tour. Nous restons figées toutes les deux quelques secondes, puis elle s'écrit :
‒ Ca suffit ! Rendez-moi ça immédiatement !
Sans hésiter je lui tends le bougeoir, et attends la punition qui est facile à prévoir : d'un souffle elle éteint la lumière et s'en va, me laissant à moitié prête et sans nourriture. Et seule. Seule dans le noir.
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