Messire Arland
Je tente de l'apitoyer pour qu'elle reste encore un peu, comme tous les jours. Et comme tous les jours elle me montre la bougie presque consumée et dit « C'est l'heure ». Pourquoi si vite ?
Que Nola ait terminé son travail auprès de moi, je le comprends bien. Mais elle pourrait rester. Elle ou n'importe qui d'autre. Je me sens si seule que j'ai envie de hurler, et parfois je le fait, je hurle dans tout le donjon jusqu'à en perdre le souffle, uniquement pour entendre le son de ma voix résonner contre les murs trop épais, comme si un jour j'allais les faire tomber.
Pas aujourd'hui. J'essaye vraiment, vraiment fort, de bien me comporter, d'être une bonne princesse, dont Père serait fier. Et même s'il m'arrive de craquer, je suis sage la plupart du temps.
Je joue avec tout ce que je trouve, je compte les pierres, j'invente des histoires dans un monde de couleurs et de lumière. Je m'occupe. J'attends la fin de la guerre. Ou une visite. Une lumière. Un ami.
Je me suis endormie sur le lit, dans ma robe verte que je n'ai pas eu le courage d'ôter, quand j'entends un bruit. Je me redresse en sursaut et cours jusqu'à l'entrée. Du bruit, quelqu'un est là, Nola est revenue, une journée est passée à nouveau !
Mais ce n'est pas Nola que la bougie éclaire cette fois, c'est Messire Arland. Ça faisait une éternité qu'il n'était pas venu. Folle de joie, je me jette à son cou.
« Hé là, doucement, jolie Princesse ! Vous allez me renverser !
Il m'écarte doucement, me scrute et murmure :
‒ Comme vous avez grandi...
Je dépasse à présent Messire Arland d'une bonne tête, et j'en suis ravie : il y a tellement de choses qu'il m'avait promises « quand vous serez grande, Princesse ». Evidemment, il y a la guerre. Et l'accord de Père. Cependant, je crois qu'il tiendra parole, d'une manière ou d'une autre.
Quoi qu'il en soit, c'est la première fois qu'il vient me voir sans s'annoncer, sans que Nola ne m'ait préparée à recevoir une visite comme une vraie demoiselle, et ça me fait si plaisir que j'en danse, je tourne sur moi-même comme une toupie surexcitée, une vraie petite folle.
Il rit aussi et m'applaudit. La flamme de sa bougie tremble, effrayée par tout ce vent et ce tapage. Je reviens vers lui et lui demande :
‒ Messire, que me vaut l'honneur ? Allez-vous rester longtemps ?
‒ Hélas non, je dois faire vite. Très vite. En fait, je suis venu vous demander votre aide, Princesse. Vous pourriez me rendre un immense service, et peut-être porter un coup définitif à nos ennemis dans cette guerre.
Je m'arrête net. Moi, aider ? A la guerre ? Mais je ne sais rien faire et je ne peux même pas sortir !
Avant que je puisse protester, Messire Arland me prend par la main et m'entraine vers les plus hautes salles du donjon.
‒ Savez-vous, Princesse, que je suis magicien ?
‒ Non ! Non, Messire, vous ne me l'avez jamais dit. Je croyais que vous étiez un chevalier.
‒ En effet, j'en suis un également. Mais j'ai appris la magie, peu à peu, et mon art est devenu de plus en plus important dans la tenue de cette guerre. Aujourd'hui, j'ai complètement délaissé l'armure et l'épée, car je protège bien mieux les nôtres en faisant usage de mes sortilèges. Même si, trois fois hélas, ils sont encore insuffisants.
Il peine à monter les marches dans le noir. Je le guide avec l'aisance de l'habitude. Je me demande quel effet ça fait de monter des escaliers dont on distingue chaque marche sans y avoir encore posé un pied.
Messire Arland commence à manquer d'air et me demande de faire une pause. Nola aussi déteste ce colimaçon trop raide. Ils doivent être vieux tous les deux - quoique Messire Arland n'ai pas de rides, je le sais, il m'a laissé toucher son visage. A-t-il une apparence jeune parce qu'il est magicien ?
Lui qui m'a raconté tant d'histoires, qui m'a expliqué ce qu'était un chevalier et ce qu'était un mage, je suis déçue qu'il ne m'ait jamais parlé de ses talents. Bien sûr, le monde est vaste au-dehors, et il ne peut pas tout me dire. Mais sa vie, je trouverai normale de la connaitre. C'est mon seul ami.
Peut-être ne me considère-t-il pas comme son amie ? Je suis la fille de son Roi, c'est peut-être uniquement pour ça qu'il vient me voir. Ces pensées tournoient dans ma tête sans arrêter, tandis que je reste concentrée sur la plus importante des questions : que veut-il faire ?
‒ Entrons ici, Princesse. » me dit-il en ouvrant la porte de l'une des plus hautes salles du donjon. Les deux meurtrières qui apportaient un peu de jour à l'endroit ont été très soigneusement scellées, pourtant il va droit dessus, pose sa bougie par terre et sort de son sac deux outils en métal, avec lesquels il commence à frapper et gratter les joints entre les pierres.
‒ Qu'est-ce que vous faites ?
Je voudrais crier devant l'énormité de ce que je devine, je ne parviens qu'à murmurer. Il m'explique tranquillement, sans arrêter son travail et en soufflant fort :
‒ J'ai besoin de plus d'énergie pour mes sortilèges, pour qu'ils soient plus puissants. Cette énergie, je vais vous la prendre. Ou plutôt, je vais prendre l'énergie de votre maladie. Une fois que le soleil entrera et vous touchera, je lancerai un sort pour qu'au lieu de vous détruire, votre corps me serve de réservoir de puissance.
‒ Vous pouvez faire ça ? Pourquoi vous ne l'avez jamais fait ?
‒ Parce que c'est très dangereux, Princesse.
Il s'arrête, relève la bougie et s'approche très près de moi, en scrutant mes yeux.
‒ Le Roi votre père préférerait voir toute son armée détruite que d'accepter que je vous fasse courir un tel risque. Il faut me jurer que vous n'en direz rien à personne.
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