13. Douce nuit
13.
Seungmin s'ordonna de ne pas se carapater, de lui faire face comme il se devait. Pourtant, alors que Hyunjin n'avait pas l'air d'avoir remarqué sa présence, le brun se sentit peu à peu gagné d'appréhension. Il avait envie de prendre ses jambes à son cou et disparaitre dans sa chambre.
— Tu es enfin rentré ?
Mais au lieu de ça, ses lèvres se délièrent dans ce murmure, bas et pourtant empreint de remontrances. Et donc, le mage leva brusquement la tête, dégageant une mèche noire de devant ses yeux bleus, ils brillaient d'un éclat de stupéfaction : Seungmin ne dormait pas. Il était là, debout dans une chemise de nuit blanche avec les bras sur sa poitrine. Peut-être qu'il voulait avoir l'air intimidant, pour cacher la nervosité qui se trouvait une place dans chacune de ses inspirations. Ses sourcils étaient froncés. Derrière-lui, répandant une faible lumière, Calcifer se retenait de siffloter pour détendre l'atmosphère. De toute façon, ça n'aurait pas marché.
Le regard de Hyunjin changea, un camouflage. Il devint rapidement bien plus froid, l'iris s'éteignit dans les vestiges de son voyage. Plus d'étoiles, juste une enveloppe qui revenait de nulle ne savait où.
— Pourquoi tu m'as attendu ? fit-il à son tour, ignorant la question qui de toute façon, était oratoire.
— Parce que je dois te parler.
— De quoi donc ?
C'était un peu ironique, ça voulait visiter les limites, les derniers retranchements du locuteur. Cette nuit, Hyunjin avait en lui le poids de trois nuits passées dans les décombres d'un monde qui tombait. Son humeur ne voulait pas s'embarrasser de choses qu'il n'arrivait déjà pas à cerner lui-même. Et le ton fit que Seungmin serra les dents. Il se pointa du doigt, lui, sa forme, son visage, sa présence entre ces murs depuis sûrement un peu trop longtemps.
— Si tu savais, pourquoi tu m'as laissé comme ça ?
Seungmin avait toujours pensé que le véritable frein, quant à comment le débarrasser de ce sort, était le fait qu'il ne pouvait en parler à personne. La sorcière des Landes avait apposé son sceau sur lui, un véto moral et il ne pouvait énoncer de vive voix qu'il avait été maudit.
Alors que Hyunjin, au même titre que Calcifer, savait tout depuis il ne saurait dire quand.
Hyunjin ne sut que répondre, il l'ignora et l'ambiance était devenue froide. Il pouvait l'aider non ? Hwang Hyunjin, mage idolâtré d'Ingary, la main de maitre et celui que l'on craint autant qu'on admire. N'était-ce qu'une farce ? Qu'une illusion créée par son beau faciès. Hyunjin n'était-il finalement rien de plus qu'un beau visage ?
Le brun secoua la tête. Pour lui-même, il se faisait rattraper par son amertume et ses pensées n'étaient pas cohérentes. Hyunjin avait du talent, l'apparence ne faisait pas tout dans un monde de magie, il était juste aigri parce que lui, Seungmin, a été ignoré quand son monde tournait dans le mauvais sens. Quand il avait perdu tous ses repères, le sens de de son existence. Il avait fugué, abandonné la chapellerie et sa famille, sans un au revoir. Tout ce qu'il faisait en attendant de trouver une solution, c'était d'exister. Et encore, à moitié. Beaucoup de choses arrivaient avant, aux autres, pas à lui. Et quand il avait enfin commencé à devenir le protagoniste de sa propre histoire, il s'en plaignait encore.
Hyunjin lui passa devant sans rien dire de plus à son attention. Le sang du chapelier ne fit qu'un tour quand il le vit se diriger vers les escaliers. Peut-être que Hyunjin le fuyait, ou peut-être pas, il ne savait plus rien, ça semblait bien plus compliqué que ça, mais en même cette partie de l'histoire avait aussi son rôle.
— C'est moi qui te dérange ? commença à s'emporter Seungmin. Parce que tu m'as dans les pattes et que tu te souviens de moi ? Parce que je suis entré dans votre vie comme un voleur et que ça t'embête ? Je te mets un poids de plus sur les épaules mais Hyunjin, c'est bien parce que tu m'as sauvé la vie que cette satanée sorci-
Et il se bloqua, sa gorge se comprima et il se cambra en toussant. Il crut entendre Calcifer prononcer son nom avec inquiétude. Seungmin avait encore cette censure en lui, il ne pouvait toujours pas le dire, et ça frustrait tellement que son corps devint tout petit entre ses bras.
Main sur la rampe des escaliers, Hyunjin était dos à lui et s'était arrêté. Autour de sa silhouette, c'était à croire que la pénombre le dévorerait. Quelque chose de trop lourd flottait dans la nuit, et Seungmin en avait juste marre.
— Je le conçois.
Le chapelier leva les yeux, les traits crispés. Mais le ton du noiraud était juste si pesant, ce poids, qu'il avait sur le cœur, sembla s'exposer enfin pour la première fois tel qu'il était.
— Je conçois que c'est ma faute, Seungmin.
Le brun vit les phalanges de Hyunjin se resserrer sur le bois, une pression nécessaire pour ne pas hausser le ton. Ils devaient communiquer avec mesure, pour ne pas faire trembler les murs.
Et de son côté, malgré la crainte, la colère qui commençait enfin à s'estomper, Seungmin se rapprocha de lui. A quelques pas, il essaya de parler, de lui demander, non sans cet élan presque pitoyable sur la poitrine, alors que son murmure semblait presque désespéré.
— Alors aide-moi... j'ai besoin de ton aide...
Ce n'était pas que l'histoire de son apparence, mais de son identité. Il mentait, sur qui il était, sur l'image que les gens lui mettaient dessus. Il mentait à Jisung, sa mère avait sûrement lancé des recherches en décrivant un visage qui n'était plus le sien. Seungmin vivait encore dans les rues de Marché-aux-Copeaux, mais peut-être que Chaeli le pensait mort.
Hyunjin se retourna, et Seungmin ne sut pas pourquoi son expression était aussi dure.
— Tu ne comprends donc rien ? lui dit-il avec une certaine hargne. Ce n'est pas moi la réponse ! Tu es le seul à pouvoir contrer ça, tu reflètes ce que tu penses être, ton ennemi n'est pas la sorcière des Landes, mais ton estime de toi !
Seungmin recula, happé par des paroles qu'il n'attendait pas. Alors comme ça, Hyunjin savait quel était ce sort et comment il fonctionnait ?
— Tu penses que je n'ai pas entendu ce que tu as dit la dernière fois ? « Mets-toi donc à la place de ceux qui ne sont pas beaux », c'est de toi dont tu parlais n'est-ce pas ?
Il ne voulait pas répondre, sa tête tournait.
— Si tu te penses hideux, sans mérite, fade, voilà ce qui arrive. La sorcière des Landes a profité de tes insécurités, et maintenant, c'est un combat avec ce qu'il se passe dans ta tête.
Et Hyunjin comprit à quel point ses mots étaient durs, quand Seungmin porta une main tremblante à sa bouche, pour se cacher. Ses yeux brillèrent, le noiraud ne sut pas s'il retenait des larmes, ou à cause du choc de la révélation.
Quoi de plus cruel, que de découvrir que la seule façon de se sauver de quelque chose était de faire taire des démons enfouis en soi. Pour un petit corps comme le sien, il aurait été plus simple de déplacer une montagne.
Un douloureux frisson remonta le long de l'échine du mage. Il avait été dépassé par sa pensée, il n'avait pas pu dire que ces mots, il ne les pensait pas lui-même, mais qu'il dénonçait plutôt l'image pitoyable que Seungmin avait de lui-même. Seungmin ne se trouvait pas laid, physiquement parlant, il ne se pensait pas pour autant d'une beauté bien particulière. Mais il était vrai que pour le reste, il se trouvait creux et ennuyeux, inintéressant. Sans but, sans ambition, juste un rejeton de plus dans la société, qui aide le système à ne pas couler, comme le figurant d'un film. A côté, ses sœurs et sa mère, elles avaient toutes quelque chose qui pétillait en elles, quelque chose de plus grand. C'était à croire que ses préjugés envers Hyunjin se retournaient contre lui-même, quand il pensait que le mage n'était rien de plus qu'un beau visage. La vérité était que c'était lui, qui n'était là que pour le décor.
Et voilà, l'engrenage dans sa tête tournait à vive allure, c'était douloureux.
Mais Hyunjin eut peur, une peur vorace qui fit qu'il voulut partir d'ici. Il regarda Seungmin tenter de douloureusement ramasser les morceaux de lui qui tombaient, qui avait peur lui aussi, peur que le cauchemar ne prenne jamais fin. Alors Hyunjin souhaitait lui dire que c'était faux, que ces idées qu'il avait dans la tête n'étaient pas vraies, qu'il était extraordinaire.
Il put pourtant voir qu'il était sur le moment bien trop bouleversé, qu'il ne pouvait à cet instant pas contrôler le flux trop violent de ses propres pensées. Hyunjin avait été trop loin, Seungmin se perdait dans l'idée que jamais il ne redeviendrait celui d'avant avec un cerveau aussi borné, un cerveau qui s'évertuait à le rabaisser. C'était simple pourtant, il n'avait qu'à s'aimer un peu plus. N'est-ce pas quelque chose facile ? De s'aimer soi-même ?
Quand il vit le brun porter une main à sa poitrine, et serrer le tissu de sa chemise entre ses doigts, il prit conscience qu'il allait péter un câble. Hyunjin descendit les marches, en vitesse, comme si chaque seconde comptait.
Seungmin ouvrit juste de grands yeux apeurés quand l'une des mains du mage passa dans son dos, alors que l'autre se posa sur son front. Il le vit murmurer quelque chose, avec douceur, quoique rapidement.
Et Seungmin s'effondra dans ses bras, au bord de l'inconscience.
Hyunjin glissa au sol, en position assise, avec le garçon démuni entre ses jambes. Les doigts du chapelier se raccrochèrent au col du noiraud, mais il ne fallut qu'une poignée de secondes avant qu'il n'abdique et que sa tête que bascule contre son torse.
— Qu'est-ce que tu m'as fait ... ?
— Tu dois te reposer... je suis désolé...
Mais malgré sa torpeur évidente, Seungmin ne le lâchait pas, c'était son dernier ancrage, sa dernière accroche. Le cœur du brun battait moins vite, alors ça avait pour bénéfice d'avoir au moins arrêté sa crise de panique. Ils étaient là, dans les bras de l'autre comme si inconsciemment, ils tentaient de se protéger.
Leur rencontre n'a pas été quelque chose d'anodin.
Ils le savaient très bien, tous les deux. Il y avait eu quelque chose, ils cherchaient juste à l'ignorer, parce qu'avec tous les problèmes qu'ils trainaient chacun derrière eux, il n'y avait plus de place pour ça. Pour eux.
Hyunjin était épuisé, aussi, et voilà qu'il usait encore d'un sort même au bord de l'évanouissement. Il souffla, passa le bras de Seungmin autour de ses épaules, puis souleva ses jambes pour le porter contre lui. Il ignora Calcifer, silencieux et invisible.
— J'ai pas fini de parler... marmonna le brun.
D'un pas lent et pénible, il l'emmena dans sa chambre. Hyunjin eut un léger rire, inespéré, Seungmin pouvait vraiment être une tête de mule. Le sort aurait assommé un dragon, il voulait clairement lui tenir tête.
Délicatement, il le déposa dans son lit, et resta quelques secondes à contempler son visage.
— Je suis désolé, Seungmin. Je suis vraiment désolé de t'avoir dit ça.
Il se pencha un peu, puis dégagea une mèche de cheveux de son front. Sous la faible lumière de la lune, à travers la fenêtre qui donnait sur les Landes, le visage de Seungmin était enfin plus paisible, et plus juvénile. Doucement, il laissa ses doigts se poser sur sa joue, presque en ayant peur qu'il ne s'envole. Parfois, il paraissait si fragile.
Le mage fut surpris quand la main de Seungmin, faible mais encore alerte, vint attraper la sienne. Un peu maladroitement, mais Hyunjin sentit ses doigts glisser entre les siens, et les paupières du garçon très lentement se relever.
— Arrête de partir aussi longtemps... tout le monde s'inquiète ici...
Quand il murmura ces mots, ses lèvres effleurèrent la paume du mage, qui mordit sa langue alors qu'il sentait son poil se hérisser.
Hyunjin se rapprocha de lui, et Seungmin battit plusieurs fois des cils.
— J'aimerais que tu voies à quel point tu es magnifique...
Il fut dur de réellement savoir qui avait amorcé le dernier mouvement, mais quand les mains de Seungmin glissèrent dans les cheveux du noiraud, il leur fallut une seconde pour se rendre compte qu'ils s'embrassaient.
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