Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

La mulâtresse

25 Mai 1802

J'écris ces mots avec le sang de ceux qui sont morts. 

Avec les larmes de ceux qui sont encore en vie. 

Mais qui s'en souciera un jour  ?
Ce ne sont que les écrits de la mulâtresse Solitude. L'esclave, la sorcière, la servante de Delgres, l'égorgeuse de lapins. 

Ici, je ne suis rien de plus. 

Il y a ce petit carnet accompagné d'une plume, sur le bureau qui sert de seul mobilier à la cellule.

Jamais je ne pourrai remercier la personne qui me l'a laissé. 

J'écris comme un cri de guerre, qu'importe que je ne sois jamais lue, qu'on m'oublie : ma dernière tirade aura été écrite. 


Mon procès a eu lieu hier.

Si une mascarade pareille peut être désignée ainsi. Le juge ne m'a même pas laissé la parole. Bien entendu : on ne laisse pas la parole aux êtres inférieurs, encore moins s'il s'agit d'une femme. 

Ravèt pa jen ni rezon douvan poul. 

"Le cafard n'a jamais raison devant la poule." 

Et dans ce monde la mulâtresse n'a jamais raison face à l'homme blanc. 

Ils ont donné leur verdict rapidement, comme s'ils ne décidaient pas de la vie de quelqu'un, pas même un regard à mon attention, se détournant bien vite pour aller festoyer après cette dure journée. Après tout, la révolte est éteinte et Napoléon Bonaparte pourra bientôt rétablir l'esclavage sans risquer une insurrection. 

J'aurai du être condamnée à mort aujourd'hui, ou demain. Une suppliciée de plus ou de moins : la fosse n'en aurait pas été agrandie.

Ironie du sort : on ne me laisse même pas mourir en paix. 

C'est pour ça que je suis dans ce cachot pourri : je ne serai suppliciée que quand l'enfant qui grandit en moi sera né. Je pourrai alors servir d'exemple et mon enfant pourra servir d'esclave. 

J'ai une telle haine que j'aurais pu détruire chaque os de ces hommes qui osent se revendiquer humain. 

Et puis Lacrosse et son sourire triomphant, alors qu'il n'a rien fait d'autre que fuir tout ce temps.

J'aurais du lui ouvrir la gorge, lui et chacun des esclavagistes de cette salle qui faisaient une parodie comique d'un "jugement". Ces bouffons au visage poudré de blanc, bien assis sur leurs coussins de privilèges convoqués par leur pigmentation. Si on leur enlevait leur couleur, ils ne seraient rien.  

Il me reste cinq mois à vivre environ. 


28 Mai 1802

Je suis née sur le bateau négrier  "Leusden". Ma mère m'a raconté que lorsque j'avais vu le jour, le guetteur avait crié haut et fort : 

"Terre !"

Alors que le bateau était perdu depuis des mois en mer et que tous étaient résignés à la fin.

Petite, ma mère me disait sans cesse que c'était la preuve que j'étais un bon présage, le signe que la terre surgit toujours. 

Quelle connerie.

J'ai été élevée par ma mère jusqu'à mes six ans sur une exploitation de coton. Après, un riche blanc de Grande Terre m'a "achetée".

Parce que j'étais une mulâtresse, parce que ma peau était quelque part entre le blanc et le noir. Parce que ça fait très distingué une mulâtresse comme servante, et puis, ça donne confiance. 

Quand on m'a arrachée des bras de ma mère, elle a tant hurlé, crié, griffé, s'est tant débattue qu'on aurait dit un animal sauvage. Elle a sauté au visage du Blanc et lui a déchiré la joue avec ses ongles sales. 

Le détonement a résonné comme un gong céleste et ma mère s'est effondrée au sol. Une flaque pourpre entourant sa tête comme une couronne. Ils ont laissé le cadavre là, personne n'est venu le prendre, l'enterrer.

Bayangumay n'avait plus ni famille, ni village, ni origine. Elle était seule. Elle est morte seule. 

Il me reste cinq mois à vivre. 


31 Mai 1802  

Voila une semaine que je suis enfermée. La pièce est si petite. L'après midi, l'air devient étouffant. On me sert à manger deux fois par jour. Je ne vois personne. Ce qu'on me sert passe sous une petite trappe en bas de la porte de fer. La nourriture était presque meilleure à l'époque où j'étais esclave. 

Où en étais- je ? 

Oh oui. 

4 Fevrier 1794, l'esclavage est aboli. 

Je suis une femme libre après toutes ces années de servitude. Après avoir courbé le dos bien trop de fois. Après avoir tout enduré. 

Je suis une femme libre. 

A l'époque, je suis encore Rosalie, la mulâtresse de la famille Gourguechon.

On a brisé mes chaines mais je sais comment ça marche : déjà les anciens esclaves se font réembaucher par leurs anciens maitres et sont payés misère. C'est comme de l'esclavage mais ça n'en a plus le nom.   

Jamais. 

Je fuis et rejoins "La Goyave", une communauté noire-marron de Basse Terre. Là bas, j'ai compris ce que "vivre" pouvait bien signifier. J'ai vraiment vécu. 

Tout semblait si simple et si beau. 

Nous étions beaucoup à avoir rejoint la communauté après l'abolition mais la majorité était constituée d'anciens évadés des plantations. Ils avaient construit leur monde, cachés de la milice Française. Maintenant que l'esclavage avait été aboli, ils ne se dissimulaient plus.  

Bien sûr, tout n'était pas parfait. Les maisons étaient petites. Il arrivait que des bagarres violentes explosent, qu'on en vienne aux armes, mais pour la gamine de 16 ans que j'étais, qui n'avais jamais rien connu d'autre que les chaines, c'était le Paradis.  

Les cinq premières années furent synonymes d'allégresse et de légèreté. 

Chaque nuit, la musique résonnait entre les arbres, le gwo-ka comme rythme par excellence. Je dansais jusqu'à ne plus pouvoir respirer, buvais jusqu'à m'effondrer, passais d'un partenaire à un autre chaque nuit comme une valse. 

La journée, je dormais et aidais les autres sur les plantations. 

Le soir, nous partagions un colombo. Le Créole était notre langue commune. Des sourires, des rires, quelques moments partagés.

Je pourrais écrire beaucoup sur ces cinq années. 

Des pages et des pages. 

Les lumières dansantes du feu près duquel les anciens nous parlaient du tan lontan, de ce continent duquel nous venions mais où beaucoup n'avaient jamais mis le pied.

Le chant des grenouilles près des criques délicieusement glaciales. 

Les plages, le sable qui s'incruste entre les orteils. Les palmiers qui étalent leurs ombres bienveillantes. 

Les cicatrices des poignets qui s'effacent, la liberté comme un divin nectar. 

Il me reste 5 mois à vivre. 


18 Juin 1802

Je suis ici depuis près d'un mois. 

Mon ventre continue de s'arrondir doucement. 

Je suis forte. Je resterai forte jusqu'au bout. Je ne craquerai pas. Je ne leur ferai pas ce plaisir. 

Je dois survivre.

Je dois survivre jusqu'au bout. 

Jusqu'au bout. 

Je ne dois pas me laisser submerger. Je dois rester debout.

Je suis une femme libre qu'importe qu'on m'enferme.

Je suis une femme libre. 

Il me reste un peu plus de 4 mois à vivre. 




29 juin 1802

Il faut que je trouve quelque chose à faire. Quelque chose à écrire. Oublier les murs qui me retiennent ne serait-ce que quelques instants. Oublier la mort qui rode comme ma seule compagnonne. 

Qu'est ce que je peux raconter ?

Qui est-ce que ça intéressera ? 

J'attend juste que les mots me sauvent...

1799, les Anglais décidèrent de récupérer la Guadeloupe vu que la France était trop occupée à jouer ses révolutions pour s'occuper de la "colonie" qu'ils avaient exploitée. 

Bien sûr l'esclavage n'était pas aboli en Angleterre. 

Moi et plusieurs autres décidâmes de partir de "La Goyave" pour rejoindre les montagnes moins dangereuses. 

Je rencontrais pour la première fois Louis Delgres à Pointe à Pitre. C'était le commandant de Basse-Terre, un abolitionniste et un résistant face aux attaques Anglaises. Il s'était même déjà fait capturer et la France avait du négocier son rapatriement. Il était fort et puissant et il s'agissait d'un des rares métisses qui avait réussi à atteindre un poste aussi haut placé aux yeux de l'administration des français. Je le croisais lors de l'un des ses grands discours, où il haranguait la foule avec un talent certain. 

Je ne le savais pas encore mais il allait devenir ce qui pouvait le plus se rapprocher d'un grand frère pour moi. 

Je ne le savais pas encore mais il allait mourir trois ans plus tard. 

Il me reste peut-être 4 mois à vivre.   


6 Juillet 1802

Il ne s'est encore rien passé aujourd'hui. 

Toujours cette morosité sordide. 

Toujours les mêmes murs. 

Toujours la même nourriture. 

Toujours les mêmes pensées. 

Une sorte de boucle infernale dans laquelle je me suis malgré moi plongée. 

Toujours le même plafond de pierre étouffant.

Toujours les même fissures dans la porte de fer. 

Toujours la même chaleur pesante. 

Toujours ces voix de ceux qui sont partis. 

Chaque jour se ressemble. Peut-être en ai-je sauté un ou deux. Peut-être en ai-je oublié un ou deux. Le temps devient étrangement pâteux et doucement je m'enfonce dans cette mélasse poisseuse.  

Toujours les mêmes feuilles de cahier. 

Toujours la même routine, se lever, tourner en rond, s'assoir, écrire, dormir.

Toujours le même silence. 

Toujours ce même sentiment d'impuissance, de solitude. 

Toujours les mêmes erreurs qui me reviennent. 

Il me reste un peu moins de 4 mois à vivre. 


19 Juillet 1802

Parfois je dors pendant des jours, parfois je n'arrive pas à fermer les yeux sans que ma vision vire au rouge. 

Je ne peux pas m'empêcher de penser aux cadavres qui me poursuivent. 

Celui de ma mère. 

Celui de cet homme qui avait tant pris de coups que son dos ressemblait à un cratère en fusion.

 Celui de Maimoun. L'homme que j'aime, dont je n'ai aucune nouvelle. Lui qui me prenait dans ses bras, qui pourrait très bien être au fond d'un caniveau, ou bien au bout d'une corde pour l'exemple. 

Celui de Louis, Louis Delgres, avant l'explosion. La fin de tout. 

Ceux des hommes qui s'empilaient sous mes pieds quand je brandissais le pistolet et que je devenais déesse immuable. 

Chaque nuit ils viennent me hanter. Me rappeler que personne n'est là. Que je suis seule. Que j'ai survécu. 

Il faut que je me concentre sur autre chose. 

N'importe quoi. 

Je n'ai recroisé Louis Delgres que bien plus tard.
Après que les Anglais aient été chassés.
Après qu'un semblant de paix soit revenu sur l'île.
Quand je suis devenue la Mulâtresse Solitude et que j'ai laissé derrière moi la petite Rosalie et ses rêves de paix. 

La rumeur courait que Napoléon Bonaparte voulait rétablir l'esclavage. Après les Anglais, nous devions à nouveau faire face aux ennemis. 

C'est là que j'ai rejoins les abolitionnistes, dirigés par Louis. Ils étaient prêts dans le cas où Napoléon enverrait un de ses toutous s'occuper du rétablissement ou si un des ex-sénateurs esclavagistes voulaient revenir après avoir fuient. 

Delgres était un homme assez simple. Il était "libre de couleur", né d'une mère mulâtresse et d'un père blanc qui l'avait reconnu, ce qui était assez rare. C'était à la fois un combattant et un intellectuel. C'était un homme fort. 

Il me reste moins de quatre mois à vivre. 

1 Aout 1802

Je n'en peux plus. 

Je respire sans savoir pourquoi je continue. 

Je survis.

La mulâtresse Solitude qui creva seule dans son cachot, comme c'est ironique. 

Je crois que je deviens folle. Les murs commencent à se rapprocher, à m'étouffer. Il m'entourent, m'écrasent. Ma solitude comme un poids sur mes poumons. Et les murs noirs gouttant d'humidité !

Qu'importe où mes yeux se posent, ils sont toujours là. Ces barrières qui me séparent du monde. 

Quelqu'un ! N'importe qui ! Que quelqu'un vienne me parler ou juste me voir. 

N'importe qui ! 

N'importe qui ! 

Quelqu'un ! 

Quelqu'un doit venir me sauver ! 


4 Aout 1802

Le monde parait si lointain. C'est comme si je n'avais jamais été la femme forte d'il y a quelques mois. Comme si cela n'avait été qu'un mirage, que la révoltée Mulâtresse Solitude n'avait jamais existé, que le monde s'était toujours résumé à ces quatre murs.

J'ai toujours cette oppression sur le corps, sur les poumons, sur le cœur. Je me mets souvent à pleurer sans raisons. Je n'ai pas de passé, pas de futur, je mourrai comme ma mère : une balle dans la tête.

Pourquoi je continue à écrire pour des fantômes ? 

J'aurais aimé que ce journal aille à Maimoun, le père de l'enfant qui grandit en moi et sape mes dernières forces mais il est probablement mort.

Pourtant... 

Je dois continuer à écrire comme je dois continuer à survivre. Pour ne pas perdre mon identité qui chaque seconde s'échappe un peu plus entre les barreaux de ma prison. 

J'ai donc décidé de prendre les armes le... le combien ? 

Je ne sais plus. 

Quelque part en Janvier de cette année peut-être. 

Je ne sais plus.

Cette simple constatation me fait monter les larmes aux yeux. Pourquoi ? 

Je ne sais plus. 

Voir que les dates prennent elles aussi la fuite. C'est comme une autre trahison. Je perd ce que j'ai été et avec, ce que je ne serai jamais. 

J'ai rejoint le mouvement de Delgres au moment où les énormes bateaux se sont affichés sur la ligne de l'horizon comme un sinistre augure. Près de 3500 hommes, dirigés par Antoine Richepance, l'un des toutous de Bonaparte envoyé pour régler l'affaire "esclavage" de Guadeloupe avant d'annoncer officiellement son rétablissement.

 Antoine Richepance et ses galions, son air ridiculement fier comme si il voyait l'avenir dans les nuages et bien entendu, comme les malheurs ne viennent pas seuls, le Richepance avait à ses côtés Dacross, l'ex chef esclavagiste de Guadeloupe que Delgres avait déjà chassé. 

3500 hommes. Un rapport de force totalement déséquilibré par leur armement et leur nombre. 

C'est là que j'ai décidé de prendre les armes. Je savais tirer, j'avais appris à chasser, je savais faire beaucoup de chose, je savais à peu près écrire, à peu près lire, ce qui était rare. Je pouvais être utile aux forces abolitionnistes. 

Je me suis présentée directement à Delgres. Il avait à ses côtés deux autres généraux. Ils cherchaient à embaucher des soldats.

Je m'étais avancée, j'avais fait part de ma détermination à rejoindre les troupes armées. De cette force qui réchauffait mon cœur et qui coulait dans mes veines, cette force qui animait chacun de mes souffles. Les deux autres commandants  n'avaient pu s'empêcher de pouffer. 

Ils avaient dans leurs yeux d'hommes un certain mépris. Une femme ne peut pas prendre les armes, c'est ce que je voyais dans leurs pupilles sombres.  Je n'étais pas très grande, la peau claire, plutôt jolie, un petit minois en comparaison à ces deux colosses. Plutôt du genre à manier l'aiguille que la baïonnette.  

Pourtant Delgres ne se moqua pas. Il m'observa un long moment, hésita un peu et me posa cette simple question en se penchant sur son livre de compte où étaient réunis les noms de ceux qui prenaient part à la rébellion :

" Comment t'appelles tu ?"

Tchiip, bien un truc de blanc de noter le nom des combattants comme s'il fallait toujours tout compter. Comme si ça avait de l'importance aujourd'hui, ces traits d'encres devenus tombes. Qui un jour observerait ses comptes ? Qui un jour se souviendrait de cette guerre pour un mirage ? Qui un jour verrait ces anonymes en quête de liberté ?  

C'est là que j'ai pris une décision. Je n'étais plus le nom que m'avait donné ma mère, ce nom qui me rappelait des origines si lointaines. Ce nom qui n'avait jamais été vraiment mien. 

Je n'étais pas non plus Rosalie. Ce nom  était celui que m'avait donné les Gourguechon. Rosalie c'était la petite dame de service, l'esclave, l'enchainée. 

Non, aucun de ces noms ne me convenaient à présent. 

" Je suis Solitude. "

Solitude pour celle de tous mes frères, toutes mes sœurs loin des leurs qu'on avait arrachés et exploités.

Solitude pour toute les femmes, les mères, les filles qui se battaient chaque jour pour leurs droits. 

Solitude pour ma mère qui l'avait utilisée comme dernière rempart.

Solitude pour le sentiment qui me suivait comme une ombre silencieuse depuis tant d'années.

Solitude.

Bientôt on me surnomma la Mulâtresse Solitude. 

Il me reste trois mois à vivre.
La date butoir approche. 


 16 Aout 1802

L'enfant grandit en moi, à la fois promesse de vie et de mort. 

Je le sens s'agiter dans mon ventre sans la moindre connaissance de l'atroce futur qui l'attend. Destiné à être un esclave sans mère ni père. Destiné à survivre. 

Maimoun.

Tu me manques si tu savais à quel point.
La solitude me tue aussi surement que de l'arsenic.
J'aimerais que tu sois là pour me prendre dans tes bras, juste quelques secondes, le temps d'oublier. Revivre une de nos nuits. 

Je n'arrête pas de t'imaginer mort. L'ombre de ma cellule se tache de sang et je te vois. J'ai à la fois peur et terriblement envie de savoir ce qui t'est arrivé après l'explosion du fort du Mont Matouba. Je n'arrive même pas à me souvenir si tu faisais partie des troupes de Delgres et si tu étais là lors de l'explosion. C'est comme si mes souvenirs prenaient un malin plaisir à fuir. 

Te souviens-tu de la première fois où nous nous sommes rencontrés ? 

J'étais dans les rebelles depuis près d'un mois mais je m'étais déjà fait un nom, autant chez les abolitionniste que chez Richepance qui me craignait. J'étais rapidement devenue essentielle à la résistance : la Mulâtresse Solitude, le bras droit de Delgres. On t'avait mis sous mes ordres. Tu avais un peu peur, toi, l'ancien esclave, révolutionnaire avec ses beaux idéaux en tête, de devoir servir les ordres de la mulâtresse Solitude. On disait beaucoup de choses de moi. Tu avais peut-être entendu des cancans : 

"I gen lanmen sal"

*Elle a les mains sales/elle pratique le vaudou. 

Tu te demandais si j'étais vraiment une sorcière, un esprit, comme le camp le racontait. En un mois j'étais devenue fameuse, intimant respect et peur. 

Mais tu as fini par tomber dans mes bras et je me suis laissée plonger dans la profondeur de tes yeux. 

Je suis désolée d'avoir été incapable de juste t'aimer. 

Désolée d'avoir toujours préféré me battre pour survivre plutôt que vivre avec toi mais je pense que c'est le prix à payer pour les générations suivantes. Le prix de notre sang. Le prix de nos larmes. Ou alors suis-je naïve de m'abandonner pendant quelques secondes à l'espoir que notre sacrifice n'a pas été vain? 

L'enfant ne tardera plus. Peut-être un peu moins de trois mois. 


3 Septembre 1802

Je suis la mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.
Je suis la Mulâtresse Solitude.



5 Septembre 1802

Les voix m'appellent sans cesse. Les voix du passé. Elles m'appellent, encore, encore et encore. J'aimerais crier, hurler au monde que j'existe mais ma voix est étouffée. Cela fait tellement longtemps que je n'ai pas dit un mot que le simple fait de tenter de brailler me déchire les cordes vocales. C'est comme si ma gorge avait oublié comment parler.
Je ne sais pas pourquoi, peut-être est-ce ce qu'on appelle une crise de démence mais j'ai crié pendant plusieurs heures, à m'en arracher les poumons, à en cracher du sang.
J'ai juste fini par m'effondrer au sol en soufflant.
Maimoun sauve moi. 

Je crois que je deviens folle. 

La prison me semble bien trop petite, j'ai du réunir ce qu'il me reste de détermination pour tenter de me lever, arrêter de me balancer d'avant en arrière comme une malades, ce serait offrir à tout ceux qui veulent me voir brisée un bien trop grand cadeau. 

Je dois encore survivre. 

Cela ne sert plus a rien. 

Je vais mourir. 


Encore un moment d'absence... Je crois que c'est toujours la même journée, peut-être, je ne sais plus.

 Le chant du Kikiwi est mon dernière espoir de me raccrocher à quelque chose de concret. Ou peut-être que je l'imagine. Le chant de l'oiseau jaune, le pigeon de Guadeloupe me permet encore de garder la tête hors de l'eau un peu. Le son est perçant et aigu, se répète, toujours le même, il se tait quelques instants puis réouvre son bec. Je ne peux que l'imaginer, ce compagnon inconnu de mon infortune.

Il chante encore un peu puis se tait. Je vais attendre en espérant qu'il se remette à chanter. 

2 mois. 


9 Septembre 1802

"A l'univers entier, le dernier cri de l'innocence et du désespoir."

C'était il y a longtemps et il y a si peu de jours à la fois. 

J'étais avec Maimoun pour afficher la programmation de Delgres partout. J'avais insisté pour m'en occuper aussi sans vraiment savoir pourquoi. Une sorte d'action symbolique. Delgres avait un peu hésité et avait fixé mon ventre, bien sûr, il savait déjà pour ça. Il y avait déjà plusieurs personnes prêtes à placarder les affiches. Pourtant, il avait fini par accepter.

Une autre femme nous rejoignit, moi et Maimoun : "Toto" ou Marthe-Rose, la femme de Delgres à la peau aussi noire que le charbon, l'auteure d'une partie de l'appel que nous allions afficher.

Toto avait des formes rondes. Elle ne savait pas se battre, elle ne savait ni écrire, ni lire mais elle savait parler et avait cette force en elle qui la suivait comme une aura. 

"Le dernier cris de l'innocence et du désespoir."  

Toto eut son procès avant le mien et dans ses yeux je vis toute la détermination du monde. Son homme était mort dans l'explosion du fort, sa jambe brisée, elle était condamnée à mort. Ses poignets étaient à nouveaux enchainés mais pourtant elle était libre. 

Seule face aux jurys de fous aveugles, sur une civière, elle garda la tête haute et dit au monde :

"Après avoir tué leur roi et quitté leur pays, ces hommes sont venus dans le nôtre pour jeter le trouble et la confusion. Dieu les jugera."

Sur les barricades, alors qu'elle était incapable de maitriser les armes, elle avait combattu. Sans elle la rébellion n'aurait jamais pu prendre place, sans elle Delgres n'aurait jamais monté notre révolte. 

J'aurais aimé être comme elle. 

J'aimerais être comme elle. 

J'aimerais ne pas m'être enfuie dans cet océan sombre qui m'a empêché de vivre. 

J'aimerais être morte le jour même de mon jugement. 


24 Septembre 1802

Je vais mourir. 

Je ne veux pas mourir. 

Je veux mourir ? 

Je ne sais pas. 

Qui suis-je. 

La fille de Maimoun ? 

Rosalie ? 

Solitude ? 

Qui suis-je ? 


26 Septembre 1802

Les ombres se remettent à parler sans cesse. 

C'est la nuit le pire : je n'ai pas la moindre conscience du temps qui s'allonge comme un serpent. Je ne peux pas écrire non plus, il fait trop noir. Je peux juste me perdre dans mon vide, tourner en rond encore et encore jusqu'à ce que mes jambes me fassent mal ou ressasser les souvenirs auxquels j'ai abandonné l'idée de faire barrage. 

Le vide m'entoure aussi tangible que du béton. 

Les fantômes observent et me hantent comme ils savent si bien le faire. 

La nourriture passe sous la petite trappe, réglée comme un aiguille. J'oublie trop souvent de manger, je m'affaiblis. 

Chaque jour devient une torture. 

Je pourrais tenter de m'écraser la tête avec un caillou, si je frappe assez fort la tempe. 

La saleté m'envahit aussi. 

L'odeur ferait vomir n'importe qui.

On m'a permis de me laver à cinq reprises. Cinq fois alors que je suis enfermée ici depuis un peu plus de quatre mois. Je crois. Il pourrait bien s'agir de quatre ans en réalité. 

Les poux d'agouti dévorent ma peau me laissant de grandes taches rouges. 

Je ne suis plus la femme fière qui a passé la porte il y a une infinité. 

Je ne sais plus trop qui je suis. J'ai perdu mon identité quelque part et je n'arrive pas à la retrouver. 

Je fuis, je me bats, je survis et à la naissance de mon enfant je serai morte. 


1 Novembre 1802

Le Kikiwi s'est remis à chanter. Son chant me parait plus lointain mais ce son m'apaise. 

Peut-être que c'est parce que doucement je me fais à l'idée de ma mort. 

L'idée que je rejoindrai maman, Ignace, Delgres, Maimoun peut-être. 

Il ne me reste rien d'autre que l'enfant dans mon ventre, celui à qui ils veulent faire vivre une vie enchainée. 

Celui qui ne connaitra jamais son père. 

Delgres aurait du être son tonton vu que ni moi ni Maimoun n'avions de famille. Ca aurait été beau : j'aurais eu une case avec derrière un petit jardin créole. Maimoun aurait pu apprendre à écrire sous mon œil attentif. Delgres et Popo seraient passés de temps à autre avec une bouteille de rhum pour parler. Mon enfant aurait grandi, il aurait appris à écrire, à lire. Il aurait pu rire et danser, aller à des sorées anbistan (en cachette) et je l'aurai grondé à son retour tôt le matin. 

Ce monde aurait été beau. 

Mais Popo est morte. Maimoun est probablement mort. Delgres est mort. 

Ce maudit 28 Mai 1802. 

La fin de 18 jours de combat déséquilibré.

Nous étions à 1 contre 4.

Les combats battaient leur plein. La défaite aurait paru inévitable à n'importe qui mais Delgres était toujours en vie : nous pouvions nous battre jusqu'au bout des temps.

Je me souviens vaguement de ce moment.

Nous étions de moins en moins, les hommes tombaient comme des mouches. Je me souviens d'avoir perdu des yeux Maimoun. Je me souviens des détonations des fusils, de la violente vibration dans mes bras à chaque tir.

Je me souviens du sang sur mes mains, des cris qui s'unissaient en une seule voix. 

Les cadavres. 

Le sang, qu'il appartienne au camp de Richepance ou à celui de Delgres. Le sang qui ne connait pas les différences raciales et qui se mélange à la terre, l'abreuvant comme une promesse des horreurs prochaines. 

Les visages défigurés dans la mort par un affreux rictus. 

Et puis un cri. 

Plus fort que les autres, un hurlement qui surplombe les combats : 

"La maison de Danglemont a explosé ! La troupe de Delgres a préféré tout faire péter plutôt que se rendre."

Le silence, le choc, comme si le champ de bataille n'existait pas. 

Delgres et 300 hommes étaient là bas. C'était l'un de nos dernier bastion, que nous espérions pouvoir rejoindre.   

Encerclés, ils avaient préféré mourir. 

Cinq jours plus tôt déjà, Ignace, l'autre chef des abolitionnistes s'était tiré une balle à Baimbridge, lui aussi encerclé. 

Je ne me souviens pas ce qui a pu se passer après. Je crois que beaucoup d'autres ont abandonné, se sont laissés tomber au sol ou ont fui. 

Je crois que j'ai continué à me battre jusqu'à m'effondrer. 

Jusqu'à ce que on ne puisse plus savoir où était mon sang et où était celui de mes victimes. 

L'enfant ne tardera plus : il me reste 20 jours peut-être un mois. 

Le kikiwi a à nouveau cessé de chanter. 

Il ne chantera plus. 


28 Novembre 1802

Je suis morte. 

Bientôt. 

Et je ris. 

Je n'ai pas pu m'arrêter. J'ai ris pendant des heures. 

Liberté mon cul oui. 

Survivre ? Pour quoi faire ? 


Je viens de reprendre conscience, j'étais roulé en boule dans un coin de ma prison. Je me suis tant griffé la peau que mes jambes saignent. On dirait une rivière comme celle dans laquelle je me baignait à côté de la Goyave. La cascade vermeille d'hémoglobine poursuit son chemin. Suis- je folle de trouver à cette écarlate une beauté séduisante ? 




Vivre libre ou mourir.

Vive libre ou mourir. 


Le kikiwi s'est tu à tout jamais. 




J'aimerai que les morts se taisent. Qu'ils restent à leurs place. Mince ! Ce n'est pas compliqué de rester mort. 


Les murs se referment autour de moi : je vais mourir emmurée. 






Je sais que l'enfant va naitre. Demain, après demain peut-être. 


Le kikiwi s'est définitivement tu.


Je me demande si on me pendra ? 


Je ne veux pas que mon enfant vive ça. Pourquoi ? Pourquoi est-ce que lui aussi va subir ces atrocités, lui qui n'est pas encore né et que j'aime déjà plus que tout au monde. Ce n'est pas juste. Qu'est ce que j'ai fait à Dieu ? Pourquoi certains peuvent vivre libre grâce à leurs peaux ?  Ce n'est pas juste. 


Je ne suis pas forte. Je ne l'ai jamais été. Je suis stupide. Je suis faible. 




Je ne veux pas mourir. 




Je veux mourir. 








Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro