L'éternel retour des regrets
note : ne vous y trompez pas, ceci est le titre de cette deuxième histoire. Le premier chapitre s'intitule :
L'Art de l'ennui
On a dark desert highway, cool wind in my hair
Warm smell of colitas, rising up through the air
Up ahead in the distance, I saw a shimmering light
My head grew heavy and my sight grew dim
I had to stop for the night
Hotel california, Eagles
La porte s'ouvrit dans un grand tumulte, un éclair, un coup de tonnerre.
Entra Basile.
Il referma derrière lui le portail des enfers, qui claqua méchamment. Des torrents d'eau commencèrent à ruisseler de son manteau sur les tapis rouges de l'entrée.
Le calme le frappa. On entendait l'orage donner des coups féroces sur la façade extérieure, mais il n'y avait pas de fenêtre à l'entrée et tous ces signes d'apocalypse semblaient atténués par un coton protecteur. Basile resta quelques instants ainsi sous le lustre de cristal, surpris de voir son calvaire s'achever aussi rapidement, le cauchemar de l'extérieur être conjuré avec tant de facilité par un peu de lumière chaleureuse et quelques appliques en formes de fleurs dorées.
« Bonsoir, monsieur.
Le comptoir se trouvait en face de lui, occupé par un homme à demi chauve, en chemise et à bretelles. Une frange d'un noir cireux lui tombait sur le côté droit. Derrière le réceptionniste s'étalaient des centaines de clés alignées sur un tableau, avec autant de régularité et de prestance que le placard de décorations d'un dictateur.
— Bonsoir, dit Basile, en traînant jusqu'à lui sa valise de voyage.
Posée sur le comptoir, une radio chantait Edith Piaf.
Non ! Rien de rien...
Non ! Je ne regrette rien...
Ni le bien qu'on m'a fait
Ni le mal... tout ça m'est bien égal !
— Je suppose que vous souhaitez une chambre.
— Si vous en avez encore.
— Nous en avons toujours. Le règlement s'effectue en arrivant.
Basile fouilla dans la poche de sa veste, et fut soulagé d'y trouver un portefeuille dont l'intérieur était encore à peu près sec.
Les tarifs lui semblèrent modiques au regard de la qualité apparente de l'établissement ; mais il n'était plus temps de discuter les prix ni même de s'y intéresser vraiment. Sans se presser, le réceptionniste l'inscrivit dans son registre.
— Sale temps, nota-t-il en sélectionnant une clé parmi celles suspendues.
— Je n'ai jamais vu une telle tempête, confirma Basile.
— Cela s'améliorera demain, ne vous en faites pas.
L'homme le gratifia même de ce qui ressemblait à un sourire.
— Voilà. Le service du petit-déjeuner a lieu entre six heures et dix heures. »
Basile s'empara de la clé et se dirigea vers une cage d'escalier. Il n'avait pas très bien vu comment se présentait l'hôtel de l'extérieur ; manifestement c'était un grand bâtiment, avec au moins cinq ou six étages, et de nombreux couloirs. Une piscine intérieure, indiquait un prospectus, ainsi qu'une salle de lecture, une bibliothèque, un restaurant. Le tout, sans se ruiner, c'était exceptionnel.
À gauche en entrant se trouvait le salon. Des fauteuils de cuir luxueux y étaient disposés autour de tables basses couvertes de journaux datés du jour. Il n'y avait plus personne à cette heure avancée, hormis une femme en robe de soirée qu'il aperçut de profil, plongée dans la lecture d'un magazine. Ses boucles d'oreille en forme de coquillages nacrés dansaient comme les étoiles au firmament.
« Bonsoir, madame, dit Basile en passant.
— Bonsoir », répondit-elle.
***
Il craignait jusqu'au bout l'imminence d'une arnaque, mais Basile découvrit une chambre tout à fait spacieuse et confortable. Il prit une douche bien méritée et se laissa tomber dans son lit, non sans avoir réglé à huit heures le réveil intégré au chevet.
Celui-ci le tira de son sommeil sans rêve avec une sonnerie à peine musicale. Basile ouvrit les yeux. Un peu de lumière filtrait à travers les rideaux, juste assez pour ne pas avoir à les ouvrir. Il mit de l'ordre dans ses affaires. Sa valise avait remarquablement bien résisté à la pluie, aussi lui restait-il de quoi s'habiller proprement.
En boutonnant sa chemise de lin, il découvrit un autre prospectus sur la table de chevet, qu'il parcourut distraitement. La veille, il ne s'était même pas enquis du nom de l'hôtel ; un dortoir aurait suffi. Ce matin, il se sentait intrigué par l'ambiance de l'établissement, l'âme des lieux était à la fois originale et rassurante. « L'art de l'ennui », titrait le papier. Un hôtel pour clients fortunés qui pouvaient se permettre ce genre d'exercice.
Une odeur de café chaud émanait du rez-de-chaussée. Basile gagna la salle à manger et découvrit les tables dressées du petit-déjeuner, étonnamment nombreuses au regard du peu de clients. Ce n'était pas la bonne saison. Il n'y avait, pour l'instant, que lui, et la jeune femme de la veille, tournée vers les fenêtres, une tasse de thé à la main. Elle portait une robe de mousseline claire et des boucles d'oreille plus simples. Ses cheveux étaient d'un blond artificiel, mais cela lui allait bien.
En voyage, les habitudes n'ont plus cours. Aussi Basile se surprit-il à s'installer à quelques chaises à peine de l'inconnue. Il n'y a, après tout, rien de plus insupportable que de passer seul un séjour dans un hôtel quasiment vide.
« Bonjour, dit-il.
— Bonjour, répondit-elle.
Elle posa sa tasse.
— Venez donc vous installer directement ici, ajouta-t-elle en désignant la place en face. Nous serons plus à l'aise, vous ne trouvez pas ?
Il n'eut pas besoin de se faire prier. Elle dégageait un charme inhabituel, comme le reste des lieux.
— C'est un très bel hôtel, nota Basile en découpant un morceau de pain.
Elle lui sourit avec affection, comme si elle avait pris cette phrase d'accroche pour un compliment camouflé.
— Oui, un très bel endroit où se reposer.
Ses mains jouaient avec une cuillère de vermeil.
— Vous êtes une habituée des lieux, mademoiselle...
— Sophia. Appelez-moi Sophia.
— Enchanté. Je me nomme Basile.
— Je suis une habituée, en effet. Et vous ?
Elle l'avait vu arriver la veille au soir, sa question ne devait être que rhétorique.
— C'est la première fois que je viens ici. J'ai été arrêté par la tempête, hier soir.
— Je comprends.
Son sourire était enjôleur et Basile sentait déjà ses pensées dériver. Il avait remarqué en arrivant qu'elle ne portait pas de bague. Il était rare qu'il se fasse à lui-même ce genre de commentaire.
— Mais elle semble retombée. Je vais donc pouvoir repartir.
— Vous n'êtes pas si pressé que cela, Basile ? Ne voulez-vous pas nous faire l'honneur de votre compagnie ? Il y a fort peu de monde ici en ce moment. On se laisse aller facilement à l'ennui. Je déteste cela. Restez au moins jusqu'à ce soir. Le dîner est inclus dans le prix de l'hôtel et je peux vous certifier qu'il s'agit d'un des meilleures restaurants de la région.
Et sans doute le meilleur de toute ma vie, songea Basile.
Certes, ses préoccupations actuelles ne l'écrasaient pas au point de devoir sacrifier une journée de repos bien méritée. Et il fallait avouer que le cadre était sublime. Que Sophia semble si curieusement intéressée par lui le ravissait.
— Pourtant, nous sommes ici dans l' « Art de l'ennui », n'est-ce pas ? Il est de coutume, je suppose, que les clients sachent pratiquer cet art à la perfection.
— Avouez-le, Basile. Le monde est divisé entre ceux qui recherchent l'ennui avec fureur et ceux qui veulent s'en débarrasser à tout prix. Aucune de ces situations n'est plus enviable – ici, nous sommes, en quelque sorte, entre les deux. L'art de l'ennui, ce n'est pas de s'ennuyer, bien au contraire : c'est de résister à l'ennui comme à l'excès. »
Ils échangèrent quelques platitudes, Sophia ne manquant pas de sourire à ses dires, de les confirmer et de lui faire des compliments. En sa présence, il se sentait étrangement sûr de lui. On ne naît pas dans ce monde, songea-t-il ; tout cela est un apprentissage qui n'est pas si difficile à faire.
Elle s'excusa, prétextant devoir remonter à sa chambre, et ils se promirent de déjeuner ensemble.
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