Le chant de la baleine
L'eau est comme une morsure sur tout mon corps. Une morsure faite pas une grande bouche, presque prête à m'avaler. Et quand je vois ô combien l'eau est sombre, ça ne m'étonnerait même pas.
Mais je ne remonte pourtant pas à la surface, et nage un peu. J'espère quand même qu'il y a la mer dans le monde des morts.
Je reste nager quelques minutes encore, avant de remonter sur le rocher. Lorsque je l'escalade, je vois le garçon sourire. Je ne lui ai toujours pas demander son prénom...Cela dit, il ne m'a toujours pas demandé le miens.
« C'est quoi ce petit sourire en coin là ? je lui demande
-Rien, rien... »
Je fronce les sourcils d'un air perplexe, mais son air un peu rêveur me fait sourire.
« T'as quel âge ? fais-je en m'asseyant à côté de lui.
-T'as une idée de mon âge ?
-Non. En fait, tu fais à la fois dix-sept, à la fois trente-deux, et à la fois cinquante-sept. C'est...perturbant. Je ne sais pas si je dois dire « le garçon assis sur le rocher au milieu de la mer », « l'homme assis sur le rocher au milieu de la mer », ou « le monsieur assis sur un rocher au milieu de la mer ». Tu vois ? Suivant les circonstances, il y en a un qui fait plus adolescent mystérieux, l'autre homme au passé sombre et l'autre fait carrément pédophile. »
Il explosa de rire. C'était un rire clair, et il me fit sourire de suite.
« C'est simple ! Déjà si t'étais sûr que c'était le dernier, tu ne serais pas resté longtemps, et surtout tu ne te serais pas mis torse nu face à moi. Je me trompe ? »
Je réfléchis avant d'hocher la tête.
« Certes. En fait, c'est carrément bizarre. J'ai vraiment une sorte de confiance aveugle envers toi, mais je ne sais pas pourquoi.
-Parce que je suis un inconnu mystérieux.
-Non, généralement on n'a aucune confiance envers les inconnus mystérieux.
-Ah ouais ?
-Ouais.
-C'est toi, l'inconnu mystérieux.
-Toi-même. »
Il prend un air faussement offusqué avant de pouffer.
« Je deviens fou, fait-il. C'est l'âge ça »
Il me fait un clin d'œil, tandis que je lève les yeux au ciel, un sourire du bout des lèvres.
« Tu te moque de moi, je fais.
-Pfff, ce n'est pas mon genre.
-Bien sûr. »
Je m'étire, et prend ma chemise avant de l'enfiler et de m'allonger.
« Il ne fait pas trop froid aujourd'hui. C'est super bizarre d'ailleurs.
-Pourquoi c'est super bizarre ?
-T'as jamais passé un hiver dans le Nord ?
-Pas vraiment non. Je ne viens que pendant des visites éclairs.
-Des visites éclairs, genre super éclairs ?
-Genre...des visites de moins d'une seconde.
-Nan ? »
Il hoche la tête.
« Mais t'es là depuis bien plus longtemps...
-Le temps est relatif.
-Tu veux dire que là en fait, tout est au ralenti ?
-Nan, tout est en super ralenti.
-T'as fumé quoi pendant que je nageais ? »
Il ricane un peu, ce qui me fait rire aussi. J'ai plus ris en moins d'une soirée que durant une année. On me dit tout le temps qu'il faut que j'aille à l'hôpital, pour que je reste en vie, et finalement je les ai tous écouté, sans jamais penser de moi-même. Ce n'est que maintenant que je réalise que je n'aurais pas dû, et que j'aurais dû faire comme moi je voulais. Ma vie aurait été plus courte, mais elle aurait été plus pleine que trois comme celle que j'ai là.
« J'ai trop de regret, je dis dans un souffle.
-C'est normal. Tout le monde le dit. Tout le monde ou presque.
-Qui sont ceux qui n'en n'ont pas ?
-Deux types de personnes : ceux qui n'ont pas compris la vie, et ceux qui ont compris la vie.
-Alors qui suis-je, si je n'ai pas compris la vie et que je n'ai pas de regrets ?
-Une victime triste de la mort.
-Tu aime la mort ?
-Je la hais. »
Il a répondu si vite que ça m'arrache presque un frisson. Ses yeux sont trempés d'une haine crue et amère, et je me demande soudainement qu'est ce qu'il s'est passé pour qu'il la déteste comme ça. Pourtant, je ne suis plus sûr que la mort choisisse qui elle va prendre. Je pense que des morts sont encore ici, parce qu'ils lui ont dit non. Non, je ne viendrais pas. Peut-être qu'il sera un de ces morts, du coup. Un de ces morts qui ne meurent jamais.
Ce qui est mort ne peut mourir...
Alors surement que je vais mourir, car bien que j'aie peur de perdre ce que j'ai connu, j'ai envie de découvrir ce que je ne connais pas aussi.
La Vie et la Mort, ce sont les choses les plus complexes et les plus mystérieuses que je connaisse. Et c'est dans l'ordre des choses que j'en connaisse une, puis une autre. J'en suis heureux. C'est seulement mort qu'on peut dire qu'on sait le monde. Il faut la Vie, la Mort et des sentiments. Le reste, ce n'est que pour compléter. Si je n'ai pas eu le temps de voir ce que je voulais durant la Vie, peut-être vais-je le voir durant la Mort.
« Moi non, je finis alors par répondre. »
Il semble surpris, et aussitôt la haine dans ses yeux semble exploser en mille morceaux, révélant alors son regard doux qu'il porte si bien. Ses vrais yeux. Et soudain, tout est de nouveau confus dans ma tête. Je le regarde, comme s'il était loin de moi, et surement que c'est le cas.
« Qui es-tu ? je demande
-Personne. »
Il laisse ses yeux aller dans le ciel, et un sourire s'incrusta sur son visage, le rendant lumineux.
« Je ne suis personne, et grâce à ça, j'arrive à être tout le monde. Je suis un sans-visage, et ça me permet de porter le masque que je veux. »
Je m'apprête à lui en demander plus, mais un bruit au loin attire mon intention. C'était un bruit doux, et rempli d'émotion, semblable à un chant.
Un chant de baleine.
Aussitôt, je me tais, et arrête presque de respirer pour l'entendre. Elle renouvelle son chant et je souris. C'est comme une mélodie venant directement de leurs âmes, comme une voix pleine de souvenirs qui s'élève pour nous les faire partager. Le bruit d'une mémoire.
Elle chante le bruit d'une mémoire.
Je m'apprête à demander s'il connaissait ce bruit, mais de suite m'arrête. Son regard est totalement différent, à la fois triste et heureux.
« Hey...ça va ? je demande »
Ses yeux se posent sur moi, et il sourit. Qui est-il ?
« Oui, je suis juste...pensif.
-Tu...Tu as déjà entendu le bruit d'une baleine ? »
Il hoche la tête.
« Plein de fois. Et j'adore toujours autant. C'est apaisant.
-Oui complètement ! Si je pouvais choisir quels bruits j'aimerais entendre avant de mourir, je crois que je choisirais ça. Le chant d'une baleine. »
Il ne répond rien. Je bâille, et me tourne vers lui. Il sourit, et passe une mèche de cheveux derrière mon oreille. Ses mains sont toujours froides, mais je crois que les miennes non. C'est la nuit d'hiver la plus belle que j'ai passé, je crois. La plus chaude aussi. Pas que physiquement, psychologiquement aussi. Je n'ai jamais eu autant de soutient. Les infirmiers t'accompagnent jusqu'à ta mort, mais ne te rassure pas forcément. Ils ne peuvent pas vraiment s'attacher, il faut dire, sinon ils perdraient un proche très souvent.
Mes paupières sont si lourdes que j'ai l'impression que je vais m'endormir n'importe quand. C'est comme si des poids y étaient accroché. Le bruit des baleines me berce, si bien qu'il est dur de résister au sommeil.
« T'as le droit de t'endormir, tu sais ?
-Mais qui me dit que tu seras là au réveil ?
-Personne.
-... »
Il esquisse un sourire. Un de ces sourires énigmatiques, qui me donne le sentiment de ne pas avoir compris quelque chose. Il est un peu comme un rêve : Je ne sais pas d'où il vient, pourquoi il est là, où il va. Je ne sais rien de lui, mais je le sentiment de tout comprendre.
Je ne sais même pas son âge, même pas son prénom. Au loin, j'entends une baleine sortir de l'eau pour retomber dedans, dans un bruit d'éclaboussure, suivie d'un chant. Un petit chant, aigüe. Un bébé. Je souris de plus belle.
« T'es vache quand même, tu ne m'as même pas dit ton prénom »
Mes yeux se ferment, et je sens que je commence à dormir. Je n'entends que sa voix et les baleines dans mon crâne. Je n'ai pas froid, pas chaud, toutes mes questions ont disparu, il ne reste plus que lui et les baleines. Et ils résonnent en boucle dans ma tête, comme une chanson, une mélodie sans fin mais dont on ne se lasse pas.
« Ici ? On m'appelle Hel.
-Hel...? Je peux te poser juste une question, et tu jure d'y répondre ?
-Si tu veux...Mais je n'ai plus beaucoup de temps, alors juste une.
-ça me va. Alors Hel, qui es-tu ? »
Il m'embrasse sur le front, et soupire. Il n'a pas envie de répondre, mais une promesse est une promesse.
« La mort. »
___________
{Concours de "Concours de Nouvelles"
Thème: Nuit d"Hiver
Chapitre: Mélodie Boréale]
Un grand merci à eux pour avoir fait ce concours, qui a dû leur demander pas mal de travail. <3
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