L'appel du Sable
Je retire mes chaussures, et remonte mon pantalon, avant de marcher un peu sur le sable trempé, laissant les vagues me mordre les chevilles de leur froideur.
Une nuit d'hiver.
Une de plus, et dans quelques heures, une de moins. La lune se reflète dans la mer, et les étoiles brillent dans le sable, comme si elles essayaient de prouver leur lumière, et au combien elles sont aussi brillantes que la lune, si ce n'est plus.
Pourtant, elles n'ont rien à prouver, ces petites étoiles. Et si je pouvais, je le leur dirais. Elles brillent de leur manière, mais elles ne sont pas moins bien.
Je pousse un soupire las, et regarde mon souffle se cristalliser dans l'air. J'aime l'hiver, au bord d'une falaise. Le froid, le vent sec de la mer, les vagues qui se déchainent et s'échouent contre la berge, dans un bruit presque humain, dans une sorte de cri grave, tandis qu'elles se retirent pour se jeter de nouveau, toujours plus loin. Comme si elles voulaient sortir de la mer. Comme si elles voulaient s'évader.
J'aime la nuit, la lune et les étoiles. Voir tous les reflets dans le sable trempé, et entendre les cris des chauves-souris qui ont remplacé celles des mouettes endormies. J'aime voir des petites lucioles, briller comme une étoile dans l'air, et illuminer des sentiers aux yeux des hommes invisibles, mais surement évident pour toutes sortes de petites créatures que nous ne connaissons pas.
Et enfin, j'aime la mer. Le vent salé, l'écume s'échouer sur le sable, les coquillages incrustés sur les rochers couverts d'algues vertes, les étoiles de mer, pour un ciel de poissons. Sentir le froid des vagues, entendre le chant des baleines. Un chant de sirène. C'est à peine si je réussi à rester là, sur mon monde terrestre, plutôt que de plonger les rejoindre, malgré le froid de cette nuit. Les entendre se parler, dans un mélange de sons parfaitement harmonique, comme un orchestre de Dieux.
Je marche un peu dans l'eau, lorsqu'une mélodie s'élève dans l'air, assez lointaine. Mes pas m'y emmènent, poussés par la mer, laissant le contrôle au monde et non plus à moi-même.
Mes yeux se posent alors sur un garçon, sur une roche, au milieu de l'eau, un violon sur son épaule. Je le regarde, et soudain, plusieurs questions montent. Comment est-il monté sur ce rocher sans se tremper ? Où a-t-il posé sa coque pour ranger son violon ? Qui est-il ? Que joue-t-il, et pourquoi ? Pour qui ?
Mais je ne dis rien, et tends l'oreille, laissant la musique me bercer.
Lorsqu'il s'arrête de jouer, j'ouvre les yeux, réalisant que je les avais fermés, et le regarde. Il ne me voit pas. Tant mieux, ai-je envie de dire. Ou plutôt de penser.
Il s'assoit, son violon posé entre ses jambes, son regard vers la lune. Il ne joue pas pour quelqu'un. Il joue pour quelque chose. Et je dirai la lune. Alors je me rapproche, et traverse l'eau, pour aller à son encontre.
Habituellement, je ne vais pas vers les gens. Je reste seul. Mais lui, il n'a pas l'air d'être comme une personne normale. Il a même l'air d'être une sorte de fée, dans un monde qui n'est pas le nôtre. Et durant quelques instants, durant quelques pas, quelques minutes, j'ai le sentiment d'être dans son monde que j'imagine comme s'il était mien.
Il se retourne, et m'observe. J'aimerai dire « il a de grands yeux bleus, et un visage clair » mais ce serait mentir, car seul la lune nous éclaire, et nous donne un monde en noir et blanc. Alors ses yeux sont peut-être verts, mais ils peuvent très bien aussi être bleus, ou marrons, qu'en sais-je ? Sa peau, oui, elle est peut-être claire. Peut-être pâle. Il est un garçon, physiquement, pas si différent des autres. Mais je me fiche bien de son physique, ce n'est pas pour ça que je traverse les vagues gelées. Je les traverse, parce qu'il est seul sur un rocher comme s'il attendait quelque chose.
J'escalade alors une roche, à côté de lui, et m'assois, sans le lâcher du regard. Je ne dis rien, lui non plus. Je regarde la lune, et du coin de l'œil, je vois que lui observe la mer. Elle semble noire, et profonde. Elle semble menaçante, et l'idée de plonger là-dedans nous donne le sentiment de ne pas pouvoir en ressortir.
« C'est la mer qui t'intrigue ? » Je finis par demander.
Il me jette un petit coup d'œil, et fronce les sourcils.
« Non, pas elle. Enfin, si, mais pas que. En fait, c'est le tableau qui m'intrigue.
-Le tableau ?
-Oui. Le mélange de la mer, de la lune, du ciel et du reste.
-C'est pour ça que tu joues ?
-Non, c'est pour les baleines. »
Je regarde la mer, au loin, et aperçois au large une sorte de grosse nageoire sortir de l'eau et retomber, faisant retomber des gouttes que la lune fait briller comme des milliers de diamants, avant de retourner au milieu des autres.
« Tu viens ici, la journée ? je demande.
-Non, jamais. La journée je ne sors pas. Je n'aime pas ça. Le soleil est trop important pour que je le regarde. Je préfère la lune. Son côté secret. Un petit silence s'installe. Tu dois me trouver étrange, non ?
-Non. Je te trouve vrai. Honnête. Étrangement honnête.
-Et toi, tu sors la journée ?
-Jamais. Mais la nuit, je fugue.
-Tu fugue ? D'où ? De chez toi ?
-Non. »
Je regarde le ciel.
« Non, de l'hôpital. »
Je sens son regard me brûler. Et il n'a pas besoin de dire quoi que ce soit, j'entends ses questions à travers le silence. Pourtant, il ne dit rien, et se tourne vers l'horizon. Et au fond, ça m'arrange, parce que je ne veux pas lui expliquer. Je veux juste être dans mon monde nocturne où mon imagination peut prendre vie grâce aux parts d'ombres que la lune ne peut éclairer. Je finis par renifler, et je me tourne vers lui, curieux.
« On se connait ?
-Non, pas vraiment.
- J'ai le sentiment de connaitre ta voix. »
Il rit, très légèrement, comme s'il craignait que ses éclats de rire ne brisent quelque chose. Le silence, peut-être.
« On s'est peut-être croisé une fois, mais il y a longtemps. C'est dans l'ordre des choses tu sais, si on se rencontre. »
Cette fois, c'est moi qui ris. Mais plus fort que lui, parce que je n'ai pas peur de briser le silence. Il reviendra, obligatoirement.
« N'importe quoi. Tu crois au destin ?
-Oui. Il sourit. Oui, j'y crois.
-Moi, non. »
Le vent se lève, faisant remuer la mer, courber les herbes derrière, sur la falaise, et soulevant le sable. Je remarque que les cheveux du garçon ne bougent pas, comme s'ils étaient figés, ce qui me fait un peu rire. Il me parait irréel.
Je bâille, ce qui le fait sourire. Je regarde la lune.
« N'empêche, on a de la chance. C'est souvent qu'ici, il pleut.
-Ici, dans le Nord ? Oui, c'est vrai. Mais bon, je pense qu'il y a pire. Et puis, tu n'aimes pas la pluie ?
-Si, j'adore. Surtout lorsqu'on est proche de la mer. La mer, elle sublime tout. Tu sais, un peu comme certaines musiques. Oui, au fond, la mer est une mélodie. Une chanson douce et agréable aux oreilles de ceux qui savent écouter. Des paroles sans voix qui expliquent tout ce que nous voulons savoir. La pluie ajoute des détails, à cette histoire d'eau, de sable et de sel. »
Il me regarde, et soudain, j'ai le sentiment que les étoiles se reflètent dans ses yeux.
« Tu vis ici ? je demande.
-Oh, tu sais, je vis un peu partout, mais je viens souvent ici oui.
Il ne me répond rien. La fatigue semble me mettre des poids dans les paupières. Au loin, j'entends une baleine chanter. Je souris, et me tourne vers le garçon. Il s'est levé, et saute sur la roche où je suis, pour s'assoir à mes côtés. Je pose ma tête sur son épaule, et soudain, un sentiment de paix m'enveloppe.
« Tu as dit qu'on s'était déjà vu...je rappelle
-Oui
-Quand ? Je ne m'en rappelle plus du tout.
-Alors, il était une fois, il y a plus de huit ans.
-ça date.
-N'est-ce pas ? Tu avais donc huit ans, et tu étais très malade. Mais, tu es souvent malade, non ?
-Si, comment tu sais ?
-Parce que je suis Dieu, naturellement. C'était une fois où tu souffrais beaucoup. Ta mère t'a emmené à l'hôpital, ne sachant pas quoi faire. Tu pleurais de douleurs diverses. Les infirmiers ne savaient pas quoi faire. Personne ne le savait. Je n'étais pas très loin, quand je t'ai entendu. Alors je suis venu, et j'ai essayé de te consoler. Tu as cessé de pleurer, pendant quelques instants, et tes parents étaient partagés entre le soulagement et la panique. Tu étais calme, le visage serein...Et puis, on t'a arraché violemment de mes bras, et tu t'es remis à crier de douleur. Je n'ai pas pu rester, alors je suis parti. Et puis, voilà que l'on se recroise. »
Je ne réponds rien. Je n'ai rien à répondre. Ma voix et mes mots semblent estimer que le silence a sa place. Je finis par soupirer.
« Je suis désolé...Je ne m'en rappelle pas du tout.
-C'est normal.
- Mais cette histoire pourrait expliquer pourquoi je me sens proche de toi. »
Il rit légèrement. Je n'avais jamais entendu ce type de rire. C'était grâcieux, en cloche, mais discret. Un peu comme une ombre, mais en joyeux. Un peu comme une ombre de lumière.
« Je ne pense pas, mais j'aime cette théorie. »
Il lève les yeux vers la lune, lorsque je réalise quelque chose d'assez incroyable, bien qu'un peu inquiétant.
Depuis qu'on se parle, je ne l'ai pas vu cligner une seule fois des yeux.
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