~12~ Le camp des marginaux
~JOUR #11: Livai~
-Tu es certain de ne pas vouloir faire de pédalo? s'enquiert pour la millième fois Hansi, si tu n'as pas de partenaire, je peux te faire une place derrière Moblit et moi. Je suis certaine que tu es assez léger pour y tenir.
-Qu'est-ce que tu ne comprends pas dans le mot « non », la binoclarde? répliquai-je agacé, je fais du pédalo chaque année depuis que j'ai sept ans. Ce n'est pas parce que je passe mon tour une fois que je vais devenir dépressif.
Hansi soupire avant de prendre un visage piteux, espérant probablement que je cède à cet air de chien battu. Même en essayant d'être mignonne, je n'arrive à voir qu'une folle négligée dont l'hygiène laisse à désirer. Si je ne participe pas à une activité, elle ne va pas en mourir! D'ailleurs, la regarder batifoler avec son petit ami pendant plus d'une heure et l'écouter monologuer sur des sujets dénués d'intérêt est le comble de l'ennui. Moblit a peut-être la capacité d'éteindre son cerveau lorsque son amoureuse dévie de la réalité, mais ça m'est impossible. Me jeter dans l'eau du lac rempli de germes et de potentiels détritus humains serait un moindre supplice que d'écouter inlassablement ma meilleure amie. Je l'adore, sauf qu'elle ne sait pas se taire.
-Cesse de faire cette horrible tête, grogné-je. Ça ne fait que t'enlaidir.
-Mais je ne veux pas te laisser seul.
Je pince les lèvres, irrité par cette pitié forcée que me témoignent les gens depuis l'an dernier. Que les autres crétins du camp me regardent avec désolation, je peux l'ignorer, mais je hais que même mon cercle d'amis proches me voie comme une victime. Je sais me défendre seul et je suis loin d'être affecté par le comportement de Cro-Magnon d'Eren Jager. Ce garçon a beau avoir été la victime d'un kidnapping dans sa jeunesse, ça ne fait pas de lui un enfant de choeur. Je me moque de savoir que la famille de cet écervelé sert de famille d'accueil pour des jeunes en difficulté ou qu'il a poignardé héroïquement son agresseur pour se sauver de ses griffes. Tout le monde ici a un passé difficile ou un trouble particulier et pourtant, aucun autre n'agit comme un trou de cul.
À mes yeux, Eren ne vaut pas mieux qu'un grain de poussière voué à l'aspirateur.
-Ce n'est pas la première fois que je vais rester seul, répliqué-je. Je n'ai pas besoin d'une nourrice pour veiller à ce que je ne me noie pas et pour changer mes couches.
-Je viens de t'imaginer en bébé et c'est marrant, rit la fille. Tu vas faire quoi en attendant?
-Je vais profiter du soleil, je suppose, ou alors, je vais profiter de l'absence de tous ces gamins pour prendre une bonne douche. En quoi mon emploi du temps te concerne?
-Hansi, se mêle Moblit, les autres commencent à partir. Il faut y aller.
Celle qui est devenue monitrice du camp se laisse entrainer par son petit ami vers le cabanon où sont rangées les vestes de sauvetage, me saluant une dernière fois de la main. Bon débarras. Si j'avais un an de plus, j'aurais aussi pu devenir un employé de ce camp plutôt que de rester l'ainé d'un groupe de gosses en pleine puberté. Au moins, Mike et Moblit sont aussi restés malgré leur étude universitaire, m'aidant à chasser la solitude.
Je me retourne afin d'aller m'étendre au soleil et je sursaute en tombant face à Erwin qui me sourit avec bienveillance, les bras derrière son dos. Lui aussi, c'est un ancien qui a la chance d'avoir eu ses vingt ans au bon moment. Nous sommes pourtant arrivés en même temps dans ce camp, mais le voilà mon supérieur. Je peine à conserver une expression neutre à sa vue, perturbé par notre proximité.
-Qu'est-ce que tu fais là? m'étonnai-je, je croyais que tu étais sur le lac avec les autres.
-Je n'avais pas très envie d'y aller, avoue-t-il, de toute façon, je ne voulais pas te laisser seul.
Je baisse timidement les yeux pour fixer le sol qui parait désormais très intéressant. Depuis l'an dernier, notre relation est très ambiguë. C'est Erwin qui m'a retrouvé après la déplaisante scène que j'ai vécue avec Eren alors que j'étais assis au bord du lac, admirant le reflet de la lune sur l'eau. La honte me torturait, mais la tranquillité de la nuit m'aidait à calmer l'envie de meurtre qui grandissait dans mon ventre. J'étais resté là plusieurs minutes en solitaire avant d'être rejoint par le grand blond qui s'est assis près de moi. Ce jeune homme a toujours su quoi dire pour me réconforter, et ce, même cette nuit là où il m'a gentiment offert un doux baiser.
Après un hiver complet sans recevoir de ses nouvelles, c'est pour lui que j'ai désiré revenir dans ce camp. Je voulais revoir Erwin pour trouver le courage de l'affronter, pour comprendre la raison de ce baiser qui m'a fait ressentir des émotions jusqu'alors inexplorées. Je sortais juste d'une rupture douloureuse, mais ses lèvres ont su réparer mon cœur en miettes en quelques secondes seulement. De toute façon, aurais-je vraiment pu quitter mon endroit favori sur Terre par la faute d'un simple connard dénué de compassion?
-Pourquoi tu ne voulais pas me laisser seul? demandai-je doucement, comme j'ai dit à Hansi, je n'ai pas besoin d'une nourrice.
-Car c'est la première fois de l'été que j'ai enfin l'occasion de passer du temps avec toi et je veux en profiter pour discuter. Je crois qu'on a une longue discussion à avoir.
Les yeux couleur ciel de Erwin reflètent sa grande sincérité lorsqu'il me parle, donc je le suis avec angoisse jusqu'au rocher où nous nous sommes embrassés l'an dernier. L'idée qu'il m'avoue regretter ce geste me terrifie, car j'y pense sans cesse depuis des mois. J'en rêve la nuit, jouant cette scène en boucle dans ma tête. Depuis que j'ai gouté ses chaudes lèvres, je n'ai d'yeux que pour cet homme magnifique.
Je pose avec habitude ma serviette sur le gros rocher afin de me protéger de la poussière et de la saleté. Même si je le désirais, je serais incapable de m'assoir sans protection à un tel endroit. Pour moi, le contraire est impossible, sinon mon cerveau commence à penser à tout ce qui risque potentiellement de me salir, toutes les bactéries qui me touchent. Avoir un trouble obsessionnel compulsif, ce n'est pas une simple petite obsession contrairement à ce que certains pensent. Il s'agit d'une véritable maladie.
J'avais seulement onze ans lorsque les premiers symptômes de mon TOC se sont manifestés. J'ai toujours eu un penchant pour la propreté, mais j'ai réalisé avoir un problème lorsque l'idée d'être en contact avec des germes a commencé à m'obséder. Plus d'une fois par jour, je nettoyais ma chambre par crainte d'oublier de la poussière, je rinçais minutieusement ma vaisselle et j'ai développé une routine particulière pour manger sans risque de contamination. À l'école, j'ai commencé à refuser de toucher ou m'assoir aux mêmes endroits que les autres jusqu'à ce qu'une enseignante me convainc de consulter la psychologue de l'école.
Je ne croyais pas à la psychologie avant d'y avoir affaire. Pour moi, se retrouver sur cette chaise allongée était le synonyme de la folie, outre je suis quelqu'un de très intelligent et saint d'esprit. Être un malade mental n'était pas une perspective acceptable, pourtant, le diagnostic est tombé. Peu importe les efforts que je fais, rien n'empêche les images de me torturer, de me faire craindre la saleté. J'ai réussi à me départir de certaines manies, mais rien ne pourra me rendre socialement normal. Ça, je l'ai vite compris.
J'étais déjà un campeur récurrent lorsque ce camp a été racheté par un groupe de psychologues et que les nouveaux arrivants ont commencé à être des marginaux en quête d'acceptation. Rien ne décrit cet endroit comme une pension de fous, cependant, le temps en a décidé ainsi. Plus le camp se faisait recommander auprès des enfants en difficulté, plus la diversité s'est fait ressentir et j'adorais ça. Troubles mentaux, traumatismes, dépendances, excentricité, difficulté à s'adapter socialement... Pour la première fois depuis longtemps, je n'étais plus le seul à être un vilain petit canard, le seul à porter sur son dos un lourd poids. Bien que certains « normaux » s'inscrivaient parfois, nous, les non-conformistes, nous nous sommes appliqués à les faire fuir. Seules quelques exceptions telles que Moblit ou Erwin ont pu rester malgré tout.
Ce camp est ma maison malgré la désagréable présence de Eren. Erwin et Hansi doivent penser comme moi puisqu'ils ont tenu à devenir animateurs. Ils connaissent la vérité sur cet endroit, la liberté de l'originalité.
-J'ai toujours adoré la vue depuis cet endroit, avoue Erwin en fixant les pédalos au loin, d'ici, le lac parait immense. On se croirait en voyage.
-Je suis d'accord. En douze ans, le lac n'a pas changé...
-Au fait, Livai, pourquoi tu ne m'as pas donné de nouvelles de toutes l'hiver? Je t'avais demandé de m'écrire et tu avais mon numéro.
Je hausse un sourcil, surpris par cette soudaine question. J'ai souvent voulu l'appeler, mais la peur de le déranger m'en empêchait à chaque fois. S'il voulait me parler, Erwin pouvait aussi faire le premier pas. C'est lui qui a rendu notre relation ambiguë, après tout.
-Pour quoi faire? soufflai-je, tu m'avais simplement consolé avec ce baiser. Je n'avais pas envie de te déranger davantage avec mes problèmes idiots.
-Livai, pourquoi tu minimises toujours ton importance? Tu crois sincèrement que quand je t'ai embrassé, c'était uniquement pour te faire aller mieux?
Je baisse la tête, honteux. J'ignore quoi penser de cette histoire, même si mon cœur me hurle de sauter à nouveau sur ses chaudes lèvres. Qui aurait envie d'une relation avec quelqu'un d'obsédé par la propreté? Contrairement à moi, Erwin est quelqu'un de normal qui était présent avant la marginalisation du camp.
-Oui, c'est ce que je crois, approuvai-je, pour quelle autre raison tu aurais voulu m'embrasser?
-Tu es stupide si tu n'as pas encore compris.
Vient-il juste de dire que je suis stupide? Offusqué par ce commentaire déplacé, je relève les yeux en sa direction avec colère, cependant je suis coupé par ses lèvres qui se plaquent contre les miennes. Cette douceur me rappelle celle de la dernière fois, celle dont je suis obsédé depuis plus d'un an... Mes yeux se ferment pour profiter de ce succulent contact. Pour embrasser, les germes n'ont jamais été un problème. J'aime sentir mon cœur s'accélérer ainsi que ce picotement dans mon ventre. Ma main se glisse tendrement dans sa chevelure blonde tandis que je crois comprendre le message qu'Erwin tente de me faire passer.
J'ai aimée lire vos théories sur le précédent chapitre, donc je n'ai pas résisté à mettre aussi celui-ci! J'étais inspirée ^^.
J'espère que vous avez aimé ce petit moment Eruri ^^. Je suis fan de ce ship, personnellement.
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