Cinquième partie
Tout le long de la journée, les princesses s'arrangèrent pour que Gideon ne se retrouve jamais seul, et surtout, qu'il ne puisse pas approcher le Roi, sans que cela ne devienne suspect.
Et, effectivement, Gideon ne s'aperçut pas de leur petit manège.
Le dîner se déroula exactement comme la dernière fois, à la différence, que, cette fois-ci, le jeune homme eu le réflexe de manger avant qu'on ne lui retire son assiette.
Et, une fois encore, les jeunes filles allèrent docilement se coucher quand leur père en décida, et, encore une fois, elles proposèrent la coupe de vin à Gideon, qui fit encore une fois semblant de la boire avant d'en vider le contenu dans le pot de chambre, et encore une fois, les princesses se levèrent, enfilèrent de belles robes et des chaussures neuves, allèrent vérifier si le jeune homme était bien endormi, et partirent, encore une fois suivies par Gideon.
Les princesses descendirent le même escalier que la nuit dernière, empruntèrent le même chemin à travers les mêmes jardins, et rejoignirent les mêmes princes.
A nouveau, Gideon sauta dans la barque de Lisbeth.
- Je vais chanter pour t'encourager, dit-elle à Octave.
Sa voix s'éleva, portant une douce mélodie.
Gideon se perdit dans l'écoute de la douce mélopée, qui faisait naître en lui un étrange sentiment de nostalgie. Ce qui était normal, étant donné que Lisbeth avait composé cette chanson en pensant à sa mère, qu'elle n'avait presque pas connue.
Comme la veille, leur barque accosta bien après les autres. Les onze princesses étaient déjà arrivées au château, duquel s'échappait la même musique envoûtante que la nuit précédente.
Sans plus attendre, Gideon sauta à terre et se dirigea vers le palais, sans faire attention à Octave et Lisbeth.
S'il s'était retourné, il aurait pu voir que la princesse murmurait des choses à l'oreille de son compagnon, qui hochait gravement la tête en fixant l'endroit où les pas d'une personne invisible faisaient bouger le gravier de l'allée.
Ce dont il ne s'aperçut pas non plus, ce fut le placement étrange des princes, accompagnés de leurs princesses. Personne ne dansait, et chaque couple obstruait subtilement les portes ou l'accès aux escaliers.
Gideon ne s'étonna pas de l'absence de danseur - sans doute la soirée n'avait-elle pas encore commencé - et entra tranquillement dans la salle de bal.
Aussitôt, deux princes s'avancèrent dans son dos. L'un lui arracha sa cape, dont il se saisit avec une étonnante facilité malgré son invisibilité, tandis que l'autre dégainait son épée et la plaçait sous la gorge du jeune homme, qui eut un hoquet de surprise.
Anastasia s'approcha, un grand sourire sur le visage.
- Bienvenue, Gideon Lacartier, dit-elle. J'espère que tu apprécies l'accueil qui t'est fait ?
- Il serait encore meilleur sans ça, rétorqua-t-il en désignant du regard l'épée.
Un des princes remit la cape d'invisibilité à Anastasia avant d'aller tordre sans ménagements les bras de Gideon dans son dos, ce qui le fit grimacer et tomber à genoux.
- Dis-moi, Gideon Lacartier, reprit Anastasia en admirant la cape. Qui t'a donné ceci ?
Il hésita. Une secousse de la part de son assaillant le poussa à répondre.
- Une bonne fée, avoua-t-il, persuadé qu'elle n'allait pas le croire.
- Oh, mais quelle surprise ! s'exclama l'aînée des princesses. C'est justement aussi une fée qui a construit cet endroit pour nous offrir un peu de liberté ! Tu sais, cette liberté que tu essaies de nous arracher...
- Ce monde, il me fout les jetons, à moi ! l'interrompit courageusement Gideon. Il est vide ! A part ces gignols de princes, il n'y a rien ! Personne ! Ils règnent sur quoi, ces gars, hein ! Et...
Le prince qui tenait l'épée lui asséna un coup de pied dans le ventre, ce qui le fit taire.
Il releva la tête. Les yeux d'Anastasia étaient devenus glacés. Elle avait apparemment vu rouge.
- Dommage pour toi, Gideon Lacartier, dit-elle d'une voix sans âme. Tu n'aurais pas dû nous suivre.
Elle adressa un signe de tête au prince à l'épée.
- Tue-le, lui ordonna-t-elle.
Le jeune homme hésita.
- Tu es sûre que c'est une bonne idée, Anna ? demanda Dahlia d'une voix blanche.
- Tu veux qu'il révèle notre secret à Père ? siffla Anastasia. C'est ça que tu veux, hein ?
- Non, non ! se récria Dahlia, soudainement très pâle. Mais...
- EH BIEN ALORS OU EST LE PROBLEME DAHLIA ? hurla l'aînée. SI TU NE VEUX PAS QUE CELA ARRIVE, IL FAUT LE TUER !
Dahlia porta ses mains à sa bouche, horrifiée par la violence dont faisait preuve sa sœur.
- Zac... Mon amour, dit mielleusement Anastasia. Tue-le, s'il te plaît.
Incapable de lui résister, Zachary leva son épée. Gideon serra les dents.
- NON MAIS C'EST QUOI CE BORDEL ?
Une fée venait d'apparaître. Immédiatement, une autre fée se matérialisa, sous les yeux mêmes pas étonnés des princes et princesses. Seul Gideon était un peu surpris.
- MAIS QU'EST CE QUI VA PAS CHEZ TOI, VIOLETTE ? cria la première à l'autre. JE VEUX BIEN QUE CES PRINCESSES SOIENT SOUS TA PROTECTION, MAIS C'EST PAS UNE RAISON POUR LES LAISSER ASSASSINER QUELQU'UN !
L'autre croisa les bras sur sa poitrine.
- Tu en fais toujours trop, Rose. Ce n'est pas un assassinat, c'est une justice. Tu n'avais qu'à pas envoyer ton petit protégé enquêter ici. C'est de ta faute, en fait !
- DE MA FAUTE ? MA FAUTE A MOI ? hurla Rose, qui ne décolérait pas.
- Oui, oui, c'est bien ce que je dis, de ta faute, dit tranquillement Violette.
- JE VAIS T'EN DONNER, MOI, DES DE MA FAUTE !
Rose dégaina sa baguette magique. Violette soupira.
- Une seconde, tu veux ? lui dit-elle.
Elle se tourna vers les princes et princesses.
- Je vous conseille de partir, et vite.
Avec une étonnante rapidité, les garçons empoignèrent les mains des filles, les entraînant en-dehors du palais. Plus personne ne prêta aucune attention à Gideon, qui frotta avec vigueur ses bras engourdis et douloureux. Il se retourna en ouvrant la bouche, prêt à balancer une boutade aux fées.
- Oh fichtre ! s'écria-t-il en s'apercevant que le bout de leurs baguettes magiques luisaient dangereusement d'une lumière rouge sang.
L'air crépitait et le palais commençait à trembler.
Gideon prit aussitôt ses jambes à son cou, et piqua un sprint pour sortir au plus vite du château, qui commençait à s'effondrer sous l'effet des premiers sorts lancés par les fées.
Il arriva au petit port où étaient amarrées les barques au moment où les couples princiers s'enfuyaient, ramant et trimant pour essayer d'avancer plus vite.
- Ne reste pas planté là, Gideon Lacartier ! hurla, pour surmonter le fracas du palais qui s'écroulait, une voix. Viens plutôt m'aider !
Gideon pivota. Il vit immédiatement Anastasia, aux prises avec une barque et une paire de rames. Il hésita une fraction de seconde, mais le bruyant effondrement d'une des tours du château le convainquit définitivement de l'urgence de la situation. Il se précipita vers la princesse.
- Défais la corde d'amarrage, vite ! lui ordonna-t-elle, très calme malgré la tempête environnante.
Il obtempéra et sauta dans la barque. Elle lui tendit les rames.
- Je n'ai pas assez de forces ! Je compte sur toi !
Il s'en empara, et commença à ramer, chose qu'il n'avait jamais faite auparavant. Il eut un peu de mal au début, ce qui arracha quelques cris de rage à Anastasia, qui le traita d'incapable et d'empoté. Puis, il trouva finalement le rythme. Ils s'éloignaient rapidement du palais, qui était à présent un tas de ruines.
Anastasia garda le silence quelques minutes. Elle semblait hésiter à dire quelque chose.
- Je... Je suis désolée, murmura la princesse.
Gideon s'arrêta une seconde, stupéfait par ce qu'il venait d'entendre.
- Je ne sais pas ce qui m'a pris, continua-t-elle, de plus en plus rouge. Je suis allée beaucoup trop loin dans mon rôle de protectrice de mes cadettes. Je suis vraiment désolée d'avoir donné l'ordre de te tuer. Sincèrement.
Elle leva les timidement les yeux. Gideon lui offrit un immense sourire.
- Je ne vois pas de quoi vous parlez, princesse ! dit-il avec un clin d'œil.
Anastasia baissa les yeux, et chuchota, très bas, un
- Merci...
Des plus sincères.
Un nouveau silence prit place.
- Où est passé Zachary ? demanda brusquement Gideon, que cette question taraudait depuis un moment déjà.
- Hein ? dit Anastasia, surprise par la question.
Elle serra avec rage les poings et les dents.
- Ce couard a sauté dans une barque, en premier. Il est partit seul, sans moi ! cracha-t-elle, les traits déformés par la haine. Il a dit que j'étais trop lourde, et qu'il n'arriverait jamais à sortir de là à temps s'il m'avait dans les pattes. Dire que je pensait qu'il m'aimait un peu. Heureusement qu'il y avait une barque de trop...
Gideon grimaça en repensant à certaines de ses anciennes conquêtes, qui l'avaient parfois abandonné de manière presque aussi violente.
- Je compatis et comprends, croyez-moi, grommella-t-il.
Anastasia le regarda en haussant un sourcil moqueur. Lui, avoir une petite amie ? Mmmh... C'est vrai qu'il avait un petit côté gentleman pas déplaisant, qu'il prouva en l'aidant galamment à sortir de la barque une fois la rive atteinte, chose que Zachary ne faisait jamais.
La princesse eut chaud au cœur en voyant que ses sœurs l'avaient attendue. Mais pas Zac. Évidemment. Ce froussard s'était enfui en courant à peine le pied posé sur la berge...
Les princesses avaient les yeux rivés sur l'aînée, qui mit du temps à comprendre qu'elles attendaient simplement qu'elle fasse comme d'habitude : donner des ordres et ouvrir la marche.
Elle ouvrit la bouche, prête à reprendre son rôle de guide, lorsqu'une voix insupportablement reconnaissable cria :
- UN INSTANT ! OU CROYEZ-VOUS ALLER COMME CECI, JEUNES FILLES ?
Rose, les cheveux en bataille, la robe déchirée et les yeux fous, flottait au dessus du lac. Elle leva sa baguette en ouvrant la bouche.
- Bon sang, Rose ! s'écria Violette, qui venait de se matérialiser aux côtés de la fée. Calme-toi ! J'ai fait quoi pour que tu sois aussi en colère ?
- Tu as laissé les princesses essayer de tuer Gideon !
Violette balaya l'excuse d'un geste.
- Arrête ! dit-elle. Je sais bien que ce n'est pas ça qui te met dans une rage si profonde.
Rose lui adressa un regard mauvais.
- Tu m'as volé Gauthier ! l'accusa-t-elle. Il m'a quittée à cause de toi !
- Il est plutôt parti parce que tu es une psychopathe, oui ! rétorqua l'autre fée.
- Et comme par hasard, il s'est mis en couple avec toi ! s'écria Rose en levant des yeux exaspérés au ciel. Arrête tes salades ! Tu n'es qu'une bave de crapaud frite ! Et Gauthier est juste une baguette de papier mâché !
Le visage de Violette perdit ses couleurs. Elle leva sa baguette.
- Tu vas me le payer, murmura-t-elle, menaçante. Je ne peux pas te tuer, mais ton petit protégé va prendre pour toi...
Rose éclata d'un rire emplit de folie en levant à son tour sa baguette magique.
- Eh bien tes petits et petites protégés, comme tu les appelles si bien, ils vont aussi subir mon courroux à ta place, vieille chaussette de Mélusine !
Elles échangèrent un regard noir.
Prononcèrent une formule en abaissant leurs baguettes.
Anastasia ferma les yeux
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