Cela faisait à présent deux semaines que Laurens était confiné dans sa chambre « spéciale ». La guérisseuse en chef, le Professeur Allégresse, lui avait expliqué qu'afin de protéger les autres élèves d'une contagion (et il était apparemment très contagieux !), il allait devoir passer quelques bonnes semaines enfermé ici. Devant l'urgence de la situation, il n'avait pas eu le temps d'être transporté à l'hôpital magique le plus proche. Une chambre avait donc été aménagée rapidement ici, au fond de l'infirmerie. Sa nouvelle chambre, située dans la partie Nord Est du Palais de Beaux-Bâtons, donnait sur la chaine de montagnes. Rien n'était plus beau que de voir le soleil se lever dans une myriade de couleurs roses orangées. Mais la beauté du spectacle n'arrivait toutefois pas à consoler Laurens du fait qu'il était coupé du monde et de ses amis.

Les matins encore passaient relativement vite. Entre la vieille elfe de maison qui venait nettoyer sa chambre et lui apporter le repas, M. Purseigle qui lui administrait différentes potions censées le guérir, ou la visite quotidienne de la guérisseuse. Les après-midi en revanche, s'étiraient sans fin. Les minutes passaient au compte-goutte, semblant durer des heures. Comme si l'horloge avait reçu un sort de ralentissement. C'était dans ces moments-là que Laurens était pris de doutes et d'angoisses, qu'il essayait de faire taire à tout prix. Heureusement, le soir ses amis étaient autorisés à venir lui rendre visite après les cours. Ils lui apportaient des friandises et les devoirs à rattraper.

La porte de sa chambre s'ouvrait justement. M. Purseigle portait un plateau rempli de différentes potions. Le spectacle de ses visiteurs était hilarant, et Laurens réprima un rire. Pour pouvoir pénétrer dans sa chambre, sans prendre le risque d'être contaminés, ils devaient revêtir une combinaison intégrale en peau de dragon ainsi que des gants. Le plus comique était la tête de ses visiteurs ! M. Purseigle portait une énorme bulle au-dessus de la tête qui le faisait ressembler à un étrange cosmonaute. En effet, le vieil infirmier s'était appliqué le sortilège de Têtenbulle, condition sinéquanone pour pouvoir entrer en contact avec Laurens en toute sécurité. La bulle lui déformait de manière grotesque les traits du visage.

- Bonjour Laurens, le salua-t-il, comment te sens-tu aujourd'hui ?

- Cela va dépendre de vos potions M. Purseigle, se méfia Laurens en louchant vers le plateau que portait le vieil infirmier.

Laurens fit la grimace à sa vue et son sourire quitta son visage. Parmi les différentes potions, Laurens reconnut déjà le verre d'eau quotidien de la fontaine aux propriétés thérapeutiques. Jusque-là, rien de bien inquiétant. C'est plutôt l'espèce de potion jaune fluo bouillonnant à grosses bulles qui attirait son attention.

- Qu'est-ce que c'est ? s'enquit-il d'un air soupçonneux en la montrant du doigt.

- Un élixir à base d'Anthurium. Il va aider à purifier ton sang du poison qu'il contient. Le seul souci, c'est qu'il entraine des effets secondaires peu sympathiques.

M. Purseigle avait l'air gêné en lui apprenant cela. Mais Laurens avait à présent compris que les potions administrées pour le guérir avaient toutes des effets secondaires très forts. Ce qui lui faisait saisir la gravité de son état, même si personne n'abordait franchement le sujet avec lui. Il avait été, ces dernières semaines, sujet à de nombreux vomissements et à une fatigue intense. La pire ayant été une potion bleue, à l'air tout à fait inoffensif, qui lui avait fait perdre tous ses cheveux, pour les faire repousser une heure plus tard bleus et frisés ! Odran avait d'ailleurs manqué de s'étouffer de rire ce soir-là, en lui rendant visite.

- Allez M. Purseigle, dites-moi donc ce que fait ce sympathique élixir jaune fluo, l'interrogea Laurens

- Elle... heu... bon ce n'est qu'un effet possible... Elle peut attaquer les muqueuses, faire enfler la gorge et créer des cloques dans la bouche... Mais elle a un effet puissant contre ta maladie ! C'est ça qu'il faut retenir !

- Très agréable en effet, badina Laurens, qui sentait la panique lui liquéfier les entrailles.

Son expérience lui avait appris qu'il ne servait à rien de repousser un évènement déplaisant, aussi se saisit-il de la petite fiole jaune fluo qui bouillonnait et l'avala d'un cul sec. Il attrapa aussitôt le verre d'eau de la fontaine sur le petit plateau, en espérant que ses vertus apaiseraient le feu qu'il avait maintenant dans la gorge.

Le Professeur Allégresse venait d'entrer à son tour dans la chambre de Laurens pour sa consultation quotidienne. Laurens ne savait pas l'expliquer mais il se sentait en extrême confiance avec elle. La guérisseuse était une personne jeune et très douce, qui semblait souvent perdue dans une réalité parallèle. Surtout lorsqu'elle auscultait. Pourtant, Laurens ne doutait aucunement de ses compétences. Elle était l'une des guérisseuses les plus renommées en France dans sa spécialité.

- Comment vas-tu ce matin Laurens ? lui demanda-t-elle en lui prenant délicatement les poignets pour tâter son pouls.

Laurens voulu lui répondre, mais l'effet de la première potion se faisait déjà sentir. Des cloques étaient apparues dans sa bouche et il avait du mal à déglutir.

- Bien. A part que vos potions me font baver comme un escargot, réussit il à articuler malgré la douleur. Il s'essuya la bouche avec le revers de sa manche.

Le Professeur Allégresse ne répondait pas. Elle regardait à présent ses pupilles. Elle lui tapota la tempe avec sa baguette magique, du côté de sa coupure qui n'avait toujours pas cicatrisé et de son œil enflé. La baguette se mit à envoyer des volutes de fumée pourpres et noires. Elle les observa longuement.

- Bien, bien... se dit elle comme pour elle-même.

Elle fixait maintenant Laurens sans rien ajouter, comme égarée dans ses pensées.

- Les drogues administrées font déjà leur effet, lui expliqua-t-elle enfin, lorsqu'elle sembla se reconnecter au monde réel. La tumeur derrière ton œil a déjà diminué de moitié en une cure, ce qui est très encourageant. Nous attendons toujours les résultats d'analyse de la potion que tu as reçue dans l'œil et le sang. Mais cela ne devrait pas changer grand-chose au traitement ni au diagnostic.

- Quand est ce que je pourrais sortir d'ici ? réussit à articuler Laurens

- Pas tout de suite, je le crains... Il faudra être patient. Nous devrons, dans un premier temps, attendre que le risque de contagion soit définitivement écarté. Puis, que la phase du traitement d'induction soit terminée.

Elle sortit un bloc note de parchemin de la poche de sa combinaison en peau de dragon et griffonna quelques notes qu'elle tendit à M. Purseigle.

- Voilà plusieurs remèdes à administrer à Laurens pour amoindrir les effets secondaires.

Puis elle se tourna vers Laurens :

- On se revoit demain.

Alors qu'elle sortait de la chambre, elle ajouta pour elle-même

- Bien... bien...

M. Purseigle termina les soins avec Laurens et sortit à son tour. Le laissant seul avec sa douleur physique et morale.