Le lendemain, en fin de matinée, c'était la panique au village. En entendant le vacarme Keita pensa que la bête avait frappé à nouveau et se dépêcha de rejoindre les villageois. Le chef, paniqué, rassembla tout le monde au centre du village, Kurtz à sa suite. Une femme sanglotait silencieusement derrière la foule.
« Que se passe-t-il ? » s'enquit Keita.
Ce fut Kurtz lui répondit.
« La fille du chef et un garçon du village n'ont pas été vu depuis hier soir. Tout le village a été fouillé, en vain. On craint qu'ils ne soient allés dans la forêt...

Kooritsuki arriva en soupirant quand elle entendit la nouvelle. Elle était néanmoins soulagée qu'il ne s'agissait pas d'une attaque qu'elle aurait manqué. D'un autre côté, elle était persuadée qu'ils ne les retrouveraient pas vivants. Keita, déçu, se retint de dire « Juste ça ? » car en y repensant ce n'était pas la meilleure des idées.

« Vous êtes sûr qu'ils sont partis en forêt avec cette bête qui traîne... c'est plutôt inconscient... »
Kurtz, mi-inquiet, mi-énervé annonça :
« Je vais partir les chercher, mais il serait trop dangereux de laisser le village sans surveillance... Sora et Keita, je peux vous laisser vous en occuper ? »
Sora allait accepter, mais une question lui passa à l'esprit.

« Tu compte y aller seul ?
- Non, je compte emmener Koori avec moi » dit-il en se tournant vers l'intéressée.
Kooritsuki eut une mine un peu dépitée mais le rejoignit sans rien dire. Sora était un peu inquiet à cette idée.

« Tu est sûr que c'est une bonne idée ? Si la créature vous tombe dessus, c'est pas dit qu'elle n'essaye pas son tour d'hypnose. »
- J'y ferais attention. Briser la... connexion est assez simple, de ce que j'en ai vu.
- Ok... je te fais confiance. Nous, on reste au village.
- Merci. Koori, tu as quelque chose à prendre avant qu'on parte ?
- Non... à moins qu'un petit déjeuner compte comme quelque chose à prendre.
- Pas vraiment... Allons-y. »
Kooritsuki le suivit alors dans la foret sans prendre de petit déjeuner, laissant Sora derrière avec Keita.

      Une fois à l'orée de la forêt, Kurtz demanda :
« Tu peux retrouver leur piste ?
- Tu as un objet ou un truc qui leur appartient ?
- À la fille. »
Il sortit un foulard de son grand sac et lui tendit. Kooritsuki l'attacha à son cou avant de prendre la forme d'un chien de berger. Elle pris le temps de le sentir avant de commencer à marcher dans les bois. Kurtz enleva son fusil de l'épaule et le chargea. Il la suivit en silence. Kooritsuki trottina un moment, suivit de Kurtz, jusqu'à ralentir puis stoppa près d'un arbre, car la piste avait disparu. Kurtz avait une expression fermée lorsqu'elle s'arrêta.
« Plus de piste ? »
Kooritsuki repris sa forme humaine pour répondre.

« Leur trace s'arrête ici. S'il ne sont pas là...Tu vois où je veux en venir.
- Oui... mais il n'y a pas de traces de lutte non plus, c'est étrange... continuons dans la même direction, avec un peu de chance la piste reprendra. »
Kooritsuki pensait « sûrement parce qu'ils ont été surpris et avalés tout cru... » mais elle le suivit pour confirmer sa pensée.

     Ils marchèrent un peu avant de tomber sur les deux jeunes. Ou tout du moins, ce qu'il en restait. La fille du chef avait perdu la moitié inférieure de son corps, tandis que la tête de son compagnon ne comptait plus qu'une moitié. Le reste du dernier corps était déchiqueté et éparpillé à travers les buissons. Kurtz se renfrogna et soupira.

« Ha je m'étais trompée... finalement il en reste quelque chose. Mais je ne pense pas que les ramener aux parents dans cette état soit judicieux... nota Kooritsuki.
- Bon... »
Kurtz posa son gros sac sur le sol. Il se dirigea vers le buste d'Amélie, qu'il souleva, tête vers le bas. Mais les boyaux se déversèrent au sol au travers des côtes brisées qui avaient trouées la peau. Ils étaient retenus par un bout d'intestin. L'ancien policier maugréa quelque chose d'inintelligible en sortant un couteau pour sectionner la partie à terre. Kooritsuki avait beau avoir déjà vu des cadavres et aimer la viande crue, cette scène la dégoûtait. Elle préféra le laisser faire. Kurtz comprenait parfaitement le désir de Koori de ne pas participer. Une fois le buste en quelque sorte nettoyé, il le mis dans le sac.
« Koori, tu peux me passer le foulard ? » demanda-t-il en lui tendant une main tâchée de sang.
Kooritsuki détacha la pièce de tissu de son cou et la lui tendis.

« Tiens. »
Il emballa comme il put ce qu'il restait de la tête de Quentin et la plaça dans le sac qui était désormais plein. Il rassembla les morceaux éparpillés en un tas de chair. Il pensait les enterrer, mais préféra demander son avis à Kooritsuki.
« Une idée de ce que l'on fait de tout ça ?
- Un appât ? S'il est toujours là à notre retour.
- Je ne sais pas si ça va vraiment être utile... Après tout, il s'est déjà bien servit, répondit-il en faisant la moue.
- C'est un monstre énorme qui n'a eu que ça comme repas depuis quelques jours. Il ne sera clairement pas rassasié. Puis, c'est mieux que de redemander encore des moutons au villageois qui refuseront probablement.
- Oui... On verra ça avec les autres. En attendant on ferais mieux de rentrer au village, annonça-t-il en plaçant le sac sur son dos.
- En effet...》

Cela valait mieux, car le village était toujours en panique et les corps dans le sac allaient finir par avoir une odeur nauséabonde s'ils passaient leurs temps à discuter ici. Sans compter que la bête pourrait être n'importe où. Ils rebroussèrent chemin bien plus vite qu'à l'aller.

     De retour au village, tous comprirent en posant les yeux sur le sac, dont le fond avait pris une couleur écarlate. Kooritsuki n'avait donc pas à annoncer la mauvaise nouvelle à des personnes qui espéraient encore. De toute manière, elle n'avait jamais été très doué pour ce genre de choses. C'était un poids en moins d'une certaine façon. Keita en les voyant revenir avec ce sac grimaça et s'écarta du reste du village avec Sora pour les laisser entre eux. Alors que le groupe de villageois ne savait comment réagir, Kurtz pris la parole en soupirant.

« Y a-t-il quelque part où je peux les poser ? »
Un vieil homme fendit la foule.
« Ma cave sert de morgue provisoire avant que nous ne brûlions les corps. Venez. »
Kurtz lui emboîta le pas sans prêter attention au reste des villageois dont la plupart avaient blanchis et détournaient le regard. Sora se demanda ou était les parents dans ce tas de têtes blanches. Il préféra ne pas s'en mêler et rejoignit Koori avec le blond. Ils s'installèrent dans un coin calme près de grange où logeait la blanche en attendant le retour de Kurtz.

« La situation risque d'être critique maintenant.
- Plus qu'avant, c'est possible ? demanda Keita au vampire.
- Maintenant que des villageois sont morts et qu'on a rien pu faire, à ton avis que vont penser les villageois... »
Kooritsuki le coupa.

« Il nous tiendrons pour responsable en plus de nous prendre pour des incapables.
- En effet.
- Donc on a plutôt intérêt à s'occuper du problème rapidement...
- Avec Kurtz on a peut-être réfléchi à quelque chose, mais je vais l'attendre avant d'en parler. »

     De son côté, Kurtz déballa son chargement sur l'une des tables présentes dans la petite cave. L'homme qui avait eu le courage de les suivre avait pâlit encore plus, si cela était possible, avant de courir à l'extérieur. Le vieil homme grommela.

« Les jeunes de nos jours. Heureusement que t'es là, dit-il en donnant à Kurtz une tape vigoureuse sur l'épaule.
- J'en ai vu d'autres, grimaça l'ancien policier.
- Tu peux les laisser là, je vais m'en occuper.
- Merci. »
Sur ces mots, il sortit. Pour être assailli par la moitié du village et la mère du garçon en pleurs. Les villageois parlaient et criaient tous en même temps, formant un brouhaha incompréhensible. Kurtz fut sauvé par l'intervention du vieillard.
« Vous saurez ce qu'il s'est passé quand il le faudra, c'est le boulot du chef du village de s'en charger, pas le sien ! » éructa-t-il.
L'ancien policier le remercia avant de se glisser rapidement auprès de ses compagnons.
« Kurtz, alors ? C'est quoi le plan maintenant ? » l'interrogea le plus jeune du groupe.
L'ancien policier se tourna vers Kooritsuki, l'invitant du regard à exposer son idée.

« Plutôt que de m'utiliser comme appât en ne sachant pas quand ce reptile voudra bien utiliser son hypnose, on peut déjà tenter de l'appâter avec les restes des deux jeunes dans le marais, s'ils y sont toujours.

- Heu... ? On va vraiment utiliser le corps de quelqu'un pour ça ?! Y'a pas moyen que les villageois acceptent ! s'indigna Keita.

- Crie-le encore plus fort tant que tu y es, comme ça on les aura à dos avant même d'avoir fait quoi que ce soit, le rabroua Kurtz d'un voix plus qu'agacée.

- Ils ne sont au courant de rien et on ne va clairement pas leur demander leur avis. On a vu qu'ils ne font rien pour coopérer et bientôt c'est sur nous que ça va retomber » ajouta Kooritsuki.

Sora préférait l'idée d'utiliser les corps comme appât plutôt que sa collègue, si possible.

« Je vote pour les cadavres.

- Alors on fait comme ça, conclua Kurtz, que l'idée n'emballait cependant pas. Je vais essayer de nettoyer mon sac, avec un peu de chance je peux le ravoir si je m'y met maintenant. Mais je préférerais que deux d'entre vous aillent en forêt, histoire qu'on ne le rate pas s'il se pointe. Je ramènerais le nécessaire de camping dans le sac.

- Vu que je suis la seule à connaître le chemin, j'y vais. »

Elle regarda les deux autres pour voir qui se proposerait en premier pour la suivre. Évidemment, ce fut Sora.

« Premier arrivé, premier servit.

- Pas cool mec. Tu pourrais me laisser un peu me faire la main.

- La prochaine fois peut-être. Mais là, je n'ai pas trop envie de rester avec les villageois...

- Ce n'est pas en te faisant manger car tu te surestimes que tu vas t'améliorer, intervint Kurtz. Donc je vais nettoyer le sac, Keita, tu me rejoins à la rivière après avoir cherché les affaires ?

- D'accord, d'accord. J'ai compris, je m'en occupe. »

Kurtz partit récupérer son sac dans la cave du vieil homme. Arrivé à la rivière il plongea le bas du sac dans l'eau et frotta jusqu'à faire disparaître le sang des mailles du tissu.

       Sora partit à la suite de Koori dans la forêt. Il la suivit à travers les chemins boueux, jusqu'à un tas de chair et de tripes.

Keita rejoignit Kurtz alors que ce dernier pestait en regardant l'état du sac, nettoyé mais trempé. Il abandonna l'idée de laver également les traces sur ses vêtements, et il prépara les affaires. Keita observait la scène, perturbé par l'attitude inhabituellement froide de l'ancien policier.

« Allons-y ».