Chapitre 28 - Tara ♔ : Confrontation.
« Le bonheur n'efface pas le désespoir, il s'écrit dessus. »
Je redoute ce moment depuis que Dorian a viré William, la dernière fois. Pour moi, il ne reste rien de plus qu'un machiste alcoolique et sans la moindre once d'humanité. Tout ça à cause d'un passé qu'il refuse d'accepté. Non, la misère n'est pas une fatalité. S'il avait l'ambition, il reprendrait sa vie en main dès maintenant, pas la veille de sa mort.
Nous entrons enfin dans le pub. Dehors, il fait nuit noire depuis que nous sommes partis de la fête foraine. Et il me reste un churros. Edgar et Tony sont tous les deux accoudés au comptoir. L'un en face de l'autre. La porte du sous-sol n'attire toujours personne. J'ai vraiment été folle pour avoir l'audace de m'y aventurer alors que tout le monde s'en fout, dans le fond.
La chaleur de la pièce longiligne nous englobe aussitôt. Le chauffage ambiant réchauffe mes mains complètements gelées malgré le fait que je tienne toujours ma peluche fermement entre mes doigts.
On dirait une gosse.
Je pose le sachet de pâtisserie au bord du comptoir avant de faire quelque chose que je n'ai jamais osé faire face à Dorian : contourner la lignée de tabourets brunis avant de venir embrasser Ed' sur sa joue gauche.
Voilà, j'ai pris mon courage à deux mains.
Au premier abord surpris, tout autant que Tony, Dorian finit par venir s'installer à ma gauche. Je tends mon bras droit au plus loin possible avant d'attraper le paquet et de retirer le churros de ce dernier.
— Tiens.
Mon sourire est complètement idiot, mais je suppose que si Dorian a peiné tant d'années à pouvoir manger normalement, c'est qu'Edgar a dû faire pareil ? Sans hésitation, il attrape le churros et croque dedans, le sourire aux lèvres. Ses yeux sont rouges contrairement à ceux de Dorian mais bientôt, il va devoir mettre ses lentilles.
— Vous avez passé une bonne journée, je suppose ?
— Tu supposes bien, lui affirme Dorian. J'avais l'impression d'emmener une enfant, se marre-t-il.
Gênée, je reste silencieuse entre les deux, observant Edgar prendre un malin plaisir à déguster très lentement son churros. Finalement, il se lève, prêt à s'en aller au sous-sol.
— Je vais mettre mes lentilles et voir avec Samuel si tout roule en bas. Je reviens de suite, nous annonce-t-il en s'éclipsant derrière le battant au fond de la pièce.
Dorian se tourne vivement vers Tony, occupé à récuré la vaiselle sale.
— Gamin, si William se pointe, pas un mot. T'as pigé ?
Le concerné relève le visage et fixe Dorian, comme déstabilisé.
— Oui, patron.
— Good. J'aimerais que personne n'ouvre sa gueule à part Tara. Que William se rende compte de son erreur de la dernière fois. Je ne laisse plus passer une seule de ses conneries, grogne-t-il, poing droit serré sur la table.
Flippant. Si personne ne parle je devrais moi-même meubler la conversation ? Un supplice très bien camouflé.
Au bout de seulement quelques minutes, Edgar revient. Ses yeux écarlates sont à présent bleu cristallin. Nous n'attendons que très peu avant d'ouvrir le barre, et moi qui pensait que j'allais pouvoir m'enterrer dans le sous-sol du CBC, je me mets le doigt dans l'œil. Maintenant derrière le comptoir avec Tony, Dorian m'observe me débrouiller avec les quelques clients déjà arrivés. Mon corps effectue des allers-retours incessants entre le bar et les placards. Sous la lumière artificielle au-dessus de nos têtes, les visages semblent bien moins fétides que lorsqu'ils entrent à l'intérieur. L'ambiance calme régne, mais pas certaine que le silence soit le climat qui plane sous nos pieds. Je suis même sûre qu'ils s'amusent. Dos à l'entrée, j'utilise le tire-bière afin de servir un irrégulier. Un trentenaire qui a l'air bien plus clean que n'importe quel client ici présent. La boisson mousseuse coule au moment où j'entends le cliquetis de la porte d'entrée.
— Pas de connerie, William, braille Dorian.
Il ne répond pas mais mon corps se fige. Mon palpitant flanche. La bière coule sur mes mains mais je ne ressens rien. Je n'ose pas me retourner, affronter ce regard havane.
— Tara, regarde ce que tu fais, me lance doucement Dorian.
Mes mouvements se débloquent, je réagis enfin. Le sol est trempé, jaune. L'odeur de l'alcool embaume le coin du bar. Tony s'immisce dans ma vision, son coros grand et maigre.
— Laisse, je vais le faire.
J'ai du mal à reprendre mes esprits mais lorsque Tony attrape une serpillère sous le comptoir avant de venir s'accroupir à mes pieds, je me rends compte de mon erreur. Je détache toutes les émotions de mon mental afin de faire face comme il se doit à William Black.
Quel culot de revenir après l'incident de la dernière fois.
Il est là, assis à gauche de Dorian, silencieux. Pour une fois dans sa vie, il reste muet comme une tombe.
— Vous voulez quelque chose ? demandé-je, la voix à moitié tremblante.
— Non. Je ne viens pas remplir les caisses cette fois-ci.
— Un miracle, ajoute Dorian.
Un rictus se dessine sur le visage de Dorian lorsqu'il se tourne légèrement vers son interlocuteur.
— Je suis venu ici pour m'excuser, reprend-il sèchement. Sachez simplement que mes affaires avec ma femme ne vous concernent pas non plus, jusqu'à preuve du contraire.
Il se tourne vers moi après avoir analyser le comportement de Dorian face à ses paroles.
— Vous allez changer votre comportement, à présent ? je l'interroge avec grande prudence lorsque mon coeur se calme enfin.
Malgré tout, je ressens encore les sifflements de mes poumons, plus vrombissants, plus profonds.
— Vous n'allez pas changer quelqu'un en dix minutes, se marre-t-il. Avec moi, il faudra certainement une vie pour réparer ce qui a été brisé. Ne vous fatiguez pas.
La misère n'est pas une fatalité, ai-je envie de lui dire. Mais c'est peine perdue. Il a l'air tout aussi massacré par la vie que moi, d'une manière différente. Heureusement pour moi, je n'ai rien vécu d'horrible durant mon enfance, hormis les séjours en hôpital, les médicaments du matin au soir. J'en passe et des meilleures.
— Tout se sait, monsieur Black. Ne vous cachez pas de vos démons devant moi, je connais les grandes lignes également. Et j'espère qu'un jour vous saurez vous pardonner et vous comporter en tant qu'homme. Le bonheur n'efface pas le désespoir, il s'écrit dessus, ne l'oubliez pas.
Il sourit à nouveau de manière forcée. Ses pupilles sauvages me rappellent à quel point il a été une ordure l'autre fois, mais suis-je vraiment obligé de ramener tout à moi ? S'il passe une mauvaise journée, une mauvaise semaine, un mauvais mois ou une mauvaise vie, la cause provient de quelque chose de plus profond qu'une simple nana malade. Tout ne tourne pas autour de nous, tout n'est pas forcément de notre faute.
De ma faute.
— Tu as pris des bonnes résolutions pour l'année mille neuf cent quatre-vingt-onze, William ? lui demande Dorian, le sourire aux lèvres.
— Je t'emmerdes, se marre-t-il à son tour en frappant sa paume contre le plat du comptoir. Pour la peine, je vais prendre quelque chose et rester plus longtemps.
Il sourit. C'est la première fois que je le vois vraiment sourire. Sa veste Chesterfield met en valeur son teint basané, ses buissons ténébreux lui servant de sourcils. Sourire ne va décidément pas avec un personnage de ce type. Lorsque j'attrape une pinte et que je commence à lui servir sa boisson, il se met à discuter avec Dorian. Au coin de ma vision, j'aperçois Edgar, toujours stoïque face à la vie du bar. Je souris bêtement avant de servir William et de m'enfoncer dans le mutisme. J'ai tant envie d'aller au sous-sol que je ne tiens plus en place. Le rez-de-chaussée est bien moins passionnant que cet endroit-là, bien que William ait eu le courage de venir présenter ses excuses aux yeux de tous.
Le reste de la soirée se passe dans l'accalmie la plus totale. C'est si perturbant par rapport à d'habitude où, soit William, soit un des autres clients fout tout en l'air. Ce soir, c'est presque le silence, et c'est apaisant. Deux jours avant le réveillon, je me demande encore si je dois rester avec Maxwell ou si je peux venir ici pour cette dernière fête de fin d'année. Je me sens tiraillée, la boule au ventre de savoir ce que pourra encore me sortir Max pour me garder enfermée dans cette maison. Je songe même à lui proposer de venir ici, mais je sais que ce serait vraiment l'entraîner dans le monde de Dorian et d'Edgar. Et je n'ai pas envie qu'une telle chose puisse faire office de motif de refus concernant mon travail ici. Ils ne se sont vus que quelques fois et pourtant, cela me donne un aperçu de ce que serait leur relation s'ils avaient continuer à se croiser quotidiennement.
Ce n'est que tard le soir que je rentre enfin retrouver Max. Il faut vraiment que j'arrête de dormir chez Dorian, il va finir par se questionner et par découvrir ce que je fais dans son dos... Et il n'est pas question de petites balades nocturnes, cette fois. Dans quelle histoire me suis-je encore embarquée ?
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