Chapitre 25 - Dorian ♛ : Réflexion tangible.
Pourquoi je lui donne encore de mon sang ? Je ne devrais pas, je le sais. Elle va me détester de ne pas avoir su la vérité plus tôt sur ce qui l’attend après sa transformation. Cette partie reste pourtant irréversible, mais je n’ai pas ce foutu courage, celui qui me pousserait pourtant à lui dire qu’elle ne veut pas de cette vie. Qu’elle ne veut tout simplement pas de deux yeux rouges, d’une paire de crocs et de bien plus que ça qui pourrait anéantir tout son monde.
J'aimerais tant lui prouver qu’elle a tort, mais tout est si compliqué dans ma caboche que je n’arrive pas à capituler. Son corps est paisiblement endormi à ma droite, tandis que je m’occupe de rédiger son contrat de travail. Un futile papier qui lui permettra pourtant de continuer à mettre les pieds ici. Triste réalité que de se dire qu’elle est en train de trahir une constante importante dans sa vie et que d’ici quelques jours, c’est moi qui devra la trahir. Pourra-t-elle me pardonner ? Grace à son statut de Calice et au bracelet noir à présent attaché à son poignet gauche, j’ai des chances.
Ce petit objet de cuir prouve aux autres vampires du sous-sol qu’elle est mienne et que personne ne peut y toucher. Non seulement en tant que patron de ce maudit bar, mais aussi de par mon statut de possesseur, personne n'osera me défier sur ce coin, au risque de perdre la tête ou le cœur. Dos collé à mon épaule gauche, son corps se laisse amèrement tomber sur moi, mais apercevoir cette lanière sombre sur son bras me réconforte un peu dans l’idée que je ne suis pas qu’un foutu monstre qui a tué beaucoup d’innocents et que, d’une manière ou d’une autre, je peux etre aimé par quelqu’un.
Elle ne dort que depuis quelques minutes, et je sais déjà que son sommeil est loin d'être éternel. Je me surprends à imaginer son corps frêle sur son lit de mort, essayant de pousser son dernier souffle hors de ses poumons meurtris. Le regard rivé sur elle, stylo en main, une boule d’angoisse se loge dans ma gorge.
Ouais, j’ai peur de voir mourir cette femme forte et fragile à la fois.
Soudainement, elle arcque un sourcil.
— Je te sens tendu.
Elle ne dort définitivement jamais.
— Tu sais pourquoi. Tu ne veux pas de cette vie, Tara, ajouté-je entre deux essoufflements de ses poumons.
Elle se tourne sèchement vers moi et me scrute de ses yeux de chien battu. Ce bleu me transperce toujours de la même manière.
— J’ai comme l’impression de déjà vu, réalise-t-elle.
Effectivement, nous avons déjà eu cette discussion. Et malgré moi, je n’ai toujours pas le dernier mot.
— Je ne comprends pas ce qui te pousse à toujours me dire ça, avoue-t-elle finalement.
— Il y a des choses que tu ne veux pas vivre après ta transformation. Je n’ai pas la force de te le dire maintenant mais je sais déjà ce qu’il se passera.
Elle se tourne encore plus vers moi, s’installe à genoux sur la banquette et me détaille. Elle tente de m’analyser sans grand succès. Je ne laisse rien transparaître sur mon visage, sur mon corps, sur tout.
— Peu importe de quoi il s'agit, je me concentre sur ce qu’il y a au-delà. Dorian, elle est là, ma seconde vie. Je pensais qu'elle avait démarré après mon opération, il y a dix ans, mais ce n’est pas le cas. Tu persistes à vouloir guérir cette foutue infection alors que c’est inutile, je vais mourir de toute façon.
— Tu as peur de mourir, Tara, là est la seule raison pour laquelle tu veux rendre l’âme avec du sang vampirique dans les veines.
Plutôt que d'arrêter de me déblatérer le fond de sa pensée, elle se redresse sur ses jambes et commence à coloniser mes jambes. Sa main vient presque arracher mon stylo de la mienne avant de le poser à ma gauche. Pris au dépourvu, je la laisse me voler un baiser lorsque ses doigts chauds viennent recouvrir mon visage.
— Laisse-moi espérer profiter de ma seconde vie avant de parler de fatalité.
Cette phrase résonne dans mon crâne depuis que nous avons parlé William. La misère n’est pas une fatalité. La mort en revanche, si. Et s’il ne s’agit pas de sa mort à elle, il est question de celle de quelqu’un d’autre.
Je capitule lorsque ses lèvres rejoignent à nouveau les miennes. Elle me rend dingue, au sens littéral comme au figuré.
— Et si tu essayais de retrouver tes souvenirs ? On a rien à faire, me demande-t-elle, le sourire aux lèvres.
— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Ni même le moment, d’ailleurs.
Elle soupire, lassée par ma procrastination. Je sens qu’au fond, elle a tout aussi peur que moi de découvrir la vérité sur ce qui semble être mon passé. Après tout ce qu’elle a traversé, je me dois d’en faire de même et de ne plus vivre dans l’ombre de ma propre existence.
— Mets tes mains sur mes tempes. Je vais utiliser ta force pour effectuer cet aller-simple vers mon enfer.
Elle arcque un sourcil. Quelque chose dans ma phrase l’a fait déconné.
— Je ne suis pas forte, dit-elle dans un murmure.
Son visage s’effondre alors qu’il ne devrait pas.
— Lamia, je n’ai jamais connu d’autres femmes aussi fortes que toi. Regarde tout le chemin que tu as parcouru, et même s’il n’est pas terminé, c’est déjà bien plus que n’importe quel humain sur cette foutue planète.
— Vanessa aussi a du courage pour rester avec un type comme William.
Elle a à présent les sourcils froncés, toujours aussi perturbée par ce petit abruti. Son comportement me donne encore des envies de meurtres. Sur ses hanches, mes mains se serrent malgré elles.
— T’es toujours aussi tendu, hein ?
— À peine, avoué-je, les dents serrées.
Avant de devoir réparer son corps, je retire mes mains de son buste et attrape ses poignets. Ils viennent déposer leur chaleur sur mes tempes. Ses yeux cristallins plongent un instant dans les miens, se noient dans mon âme. Je m’en rends rarement compte, mais je porte toujours mes lentilles de contact. Quelle couleur apprécie-t-elle le plus ? Rouge ou bleu ? Sans tergiverser, je ferme les paupières et fait le vide dans ma tête.
Là, un paysage complétement noir se dessine devant moi. Au milieu, se dessine une lumière, mettant en valeur un enfant. Un enfant seul, moi. Au bout de quelques secondes, mon prénom résonne dans le néant ténébreux.
— Dorian.
La dernière syllabe provoque des vagues dans mes tympans, mais je reste là, à regarder ce gamin perdu, à genoux.
— Dorian ? répète la voix féminine.
Le gosse d’une dizaine d'années relève le visage. Des yeux bleus. C’est le détail qui était déjà présent sur moi lorsque j’étais plus jeune. Caché dans l’ombre, il ne me voit pas, mais une présence me dépasse. Une ressemblance troublante avec Tara me fait arcquer un sourcil. Elle s’approche du gamin, lui tend le bras et l’aide à se relever avant de tourner les talons et de rebrousser chemin, doigts enlacés les uns dans les autres. Lorsqu’ils me dépassent, mon corps pivote de lui-même, ne comprenant pas ce que ce souvenir signifie à mes yeux. Ils s’enfoncent dans le noir, s’éloignent de plus en plus de moi jusqu’à disparaitre.
J’ouvre les yeux et revient à la réalité, perplexe.
— Alors ? me demande-t-elle aussitôt.
Je reste silencieux un moment afin d’analyser ce qu’il vient de se passer. J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne comprends toujours pas pourquoi ma première bribe de mémoire a été celle-ci.
— Je ne comprends pas, finis-je par dire, le front plissé.
— Ça viendra. Il faut juste que tu le fasses quotidiennement pour obtenir un meilleur résultat que ce que tu viens de voir.
— Pas certain que je veuille savoir où ça va me mener.
Un sourire timide vient fleurir sur son visage creux.
— Si je dois faire ça tous les jours, tu acceptes de continuer ta kinésithérapie respiratoire et tes traitements ?
Sa gaieté disparaît en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
— Tu persiste encore et toujours.
— J’ai tout mon temps pour te faire céder, souris-je pour la faire revivre un peu.
Dingue de savoir que je peux être celui qui l’a fait sourire autant qui l’a fait souffrir. Le juste équilibre n’existe indéniablement pas avec moi.
— Mais oui, je persiste avec cette idée. Ne joue pas avec ta vie le temps qu’elle te garde encore debout. Ensuite, tu pourras en faire ce que tu en veux.
Elle rit avec légèreté.
— Tout fonctionne par contrat entre nous, se rend-elle compte avec ironie. C’est paradoxalement très entraînant, ce petit jeu. Tu ne trouves pas ?
Elle ne me laisse pourtant pas la place à la parole et jette son dévolu une nouvelle fois sur ma bouche. Sa sueur saline se trouve éternellement sur ses lèvres, sa peau, partout.
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