Chapitre 21 - Dorian ♛ : Avant la neige.
Nous planter de cette manière, aussi impolie soit-elle ? Rien que pour cette raison, il mérite que je l'égorge. Les poings près à exploser, nous avions quand même décidé de partir de cet hôpital à la con qui ne cesse de me hanter depuis que je n'y ai plus remis les pieds. Pourquoi il a fallu que j'y retourne lorsque Lamia a décrété qu'il fallait que j'aie la peur de ma vie pour me rendre compte que je ne voulais pas la perdre ? Je ne veux pas la perdre, c'est vrai, sinon je n'aurais pas eu l'audace d'en faire mon Calice alors qu'elle est déjà avec quelqu'un.
Avec un con.
Les effets de ce début de rituel m'accable depuis qu'elle est partie en trombe. Depuis qu'il l'a emmené, dirais-je. Vais-je la revoir, ce soir ? Elle est si ténue qu'elle serait capable de transgresser toutes les règles possibles et inimaginables. Depuis plusieurs heures, je me morfonds dans la banquette du sous-sol, encaissant ma détresse psychologique aux côtés de Samuel. Son calme olympien m'a toujours fasciné, et ma résistance au manque m'a toujours vaincu. Tant de vampires se bourrent la gueule au comptoir que je n'en ai absolument rien à foutre. Je m'en branle complètement, donnez-moi mon crack, ma drogue, mon Calice. Je me liquéfie comme neige au soleil, pris dans le piège de mes sentiments.
La lumière tamisée rend ma vision presque psychédélique, ce manque commence à me rendre barge.
- Tu veux ton quinzième verre, patron ? me demande mon voisin.
Me bourrer la gueule avec du sang ? Effet assuré. Tout ce que j'ingurgite depuis le dixième shot, j'ai envie de le gerber, et mes entrailles avec. Il me le donne en apercevant mon visage vaciller de haut en bas, presque zombifié. Mon bras attrape fermement le récipient avant de l'apporter à mes lèvres et de détester ce quinzième verre. Et encore, dire que je déteste ces quelques gorgées est un euphémisme, je ne connais pas pire sensation que de se gaver de sang et d'en avoir un mal de bide à s'en arracher les boyaux.
Ah, les joies du Calice...
Il doit être vingt-deux heures, j'ai encore des envies meurtrières. Mon verre vole à travers la salle et s'explose au sol, quelques mètres plus loin. Tout le monde me regarde, mais je n'en ai plus rien à faire, d'être vu, dévisager.
- Va faire un tour à l'extérieur, Dorian, me propose Samu, un tantinet soucieux.
Un sourire s'esquisse sur mon visage avant de me lever d'un geste élancé et de me casser le plus rapidement possible de cet enfer. Edgar me laisse rapidement passer lorsque j'ouvre l'accès au rez-de-chaussée. Aucune question ne franchit ses lèvres lorsqu'il me voit sortir de l'enseigne.
Devant la porte d'entrée, j'observe les quelques passants se promener, même à cette--cui de la journée, il y en a toujours. En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, la bile me monte à la gorge. Un goût de fer vient tapisser mon œsophage avant de régurgiter les cinq verres de trop dans mon organisme.
Du sang, du sang partout.
- Dorian ? prononce doucement une jolie voix.
Celle de Tara, de toute évidence.
Je me redresse, perturbé par tout ce liquide rouge à terre. Certains inconnus me dévisagent, mais ce n'est que lorsque je braille qu'ils décident de continuer leur route et de me foutre la paix.
- C'est rien, on peut dire que je me suis bourré la gueule... à ma façon.
J'ai l'impression de rêver, est-elle vraiment là ou est-ce un mirage ? Eternellement vetue de noir, elle porte une doudoune tout aussi sombre et un bonnet. Les mains dans les poches, elle m'observe m'essuyer le menton d'un revers de main. Taché, mon pull est bon pour la poubelle.
- Il fait si froid que ça ?
- Moins cinq, on a perdu dix degrés en à peine quelques jours. Ils annoncent de la neige cette nuit.
D'emblée, les tensions qui habitaient mon corps jusqu'à maintenant se dispersent lorsque mon ciboulot comprend que c'est bien elle. J'observe instinctivement l'intérieur du pub, me rendant compte que cet abruti de William se trouve avachi sur le comptoir. Sans même prévenir Tara, j'entre et pris d'un élan de colère, je pousse ma soufflante devant plusieurs clients :
- Bougre de William, la prochaine fois que tu m'envoie ta femme en pleurs je te fais la peau, t'as pigé ?
J'empoigne son col avant de le lever de son siège, prêt à l'éclater contre un mur. Son comportement de petit merdeux reste en travers de ma gorge, il ne paye rien pour attendre. Il ne comprend pas pourquoi cet acharnement sur son corps torché de la tête aix mais il n'a pas le temps de faire marcher son cerveau de moineau qu'Edgar interrompt mon délire.
- Je crois qu'il a compris, Do', tu peux le lâcher.
Son ton est tranchant, comme s'il parlait à un gosse.
- Si un jour ta femme a le malheure d'etre en cloque de ta connerie, je le récupererai ton gosse, moi. N'en doute pas une seule seconde, William Black. Rentre chez toi pour ce soir, j'en ai ma claque de te voir traîner ici et pas là où devrait être ta place.
Froidement, je le lâche, Edgar est prêt à intervenir derrière lui au cas où mon corps dérape, mais je le laisse partir. À ma droite, Tara, presque outrée par ce qu'il vient de se produire. Presque aussi choquée que les clients du pub ainsi que Tony derrière le comptoir.
- Retournez tous à vos occupations, je ne veux rien entendre sur ce qu'il vient de se passer. Ni maintenant, ni jamais, précisé-je avant de m'éclipser en prenant Tara par le poignet.
Sans Edgar, nous nous enfonçons dans le sous-sol, à la recherche de deux places pour s'y installer. Toujours près de Samuel, je reviens, accompagné cette fois-ci. Il se tourne vers moi mais ne dit rien. Mieux vaut rester ici un temps afin de ne pas faire face à un nouveau problème seul : ma nouvelle hantise depuis la nuit dernière.
- Il s'est passé quelque chose aujourd'hui ? lui soufflé-je à l'oreille afin de ne pas éveiller la curiosité des plus cons.
- On s'est juste engueulé et il m'a reproché un tas de trucs complètement absurdes. Il s'est rendu compte que j'avais raison et que pour cela, fallait qu'il fasse des efforts. Mais vu la situation, je ne suis plus certaine que je veux vraiment que ça s'arrange. Qui me dit que ce problème va réellement s'arranger ?
Lorsque je m'installe sur la banquette, elle vient d'elle-même s'asseoir sur mes genoux, entourant son buste avec mes bras. Elle se découvre légèrement et laisse entrevoir un pull en laine blanc. C'est la première fois que je la vois avec du blanc.
- Personne, Lamia. Personne ne le peut.
Ça me trouerait le cul de savoir que leur situation s'arrange au détriment de la notre. Tout commençait si bien.
Ce soir-là, je décide de la garder avec moi et de ne pas encombrer les filles ni encombrer les poumons de Tara. Plusieurs fois au cours des heures suivantes, je prends le temps de faire travailler sa machine à air afin de diminuer son infection. Pour l'instant, elle reste stable, mais rien ne garantit pour l'instant sa guérison. Si elle doit vraiment mourir et se transformer, j'aimerais qu'elle meurt de sa maladie, pas d'un foutu collapsus. Il ne manquait plus que ça pour mettre la pression à tout le monde.
Plus tard, bien plus tard, alors que Tara n'a toujours pas sommeil, nous descendons dans les appartement afin de continuer notre histoire de Calice, mais cette fois-ci, aucun malaise. Juste un moment de douceur où je pouvais également me préoccuper pleinement de ses poumons, et son artère radiale mais aussi de ma propre conscience. Aider une pauvre humaine malade ne me serait jamais venu à l'esprit avant elle et pourtant, les grands esprits se rencontrent, visiblement.
Ce n'est qu'au beau milieu de la nuit que nous remontons les deux séries de marches afin de regagner l'extérieur et l'air frais de l'hiver. Au travers de la vitre du bar, les flocons s'entassent déjà depuis des heures au sol. Ils dansent et s'entremêlent, tombent et s'écrasent. Les yeux émerveillés, Tara s'empresse de rejoindre l'extérieur, sautille presque de joie, le regard levé vers le ciel et son spectacle hivernal. Elle fait un tour sur elle-même, comme pour danser, l'innocence guidant son corps dans ses mouvements.
- J'aurai aimé que Lana soit là pour vivre ses premières neiges, son premier hiver, avoue-t-elle faiblement en s'arrêtant de le regard planté dans le mien.
Elle sourit et une once de nostalgie se dessine sur son visage, un pincement au cœur vient la contrarier. Au milieu des passants, principalement des ivrognes à cette heure-ci, elle revient vers moi et se loge contre moi.
- Si tu savais à quel point je t'admire, chuchoté-je en posant une première main dans ses cheveux et la seconde contre ses omoplates.
Des omoplates capables de transpercer ma chair tellement sa maigreur est présente. Drôle et triste sensation à la fois.
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