92× La Volonté de Gagner
Alexandre
Nous voici le matin du quatrième et dernier jour de la première manche et mon tour était venu de combattre. J'entendis mon nom être appelé et Raphaël m'encourager derrière moi. Absent, j'avançais d'un pas frêle et incontrôlé. Pourquoi mes pensées se bousculaient-elles ainsi ? Je n'arrivais plus à réfléchir normalement sans angoisser malgré moi. C'était un Xillien que je m'apprêtais à combattre, un allié de Nyx, un frère de ma patrie natale. Allez, je devais me ressaisir ! Aujourd'hui, je prouverais ma valeur. J'expirai un grand coup et pénétrai dans l'arène. Encore sonné, je percevais à peine les cris du public qui exultaient autour de moi comme un moment éloigné. Je relevai la tête vers les tribunes. Nyx était ici, quelque part en train de me regarder. Je devais l'impressionner.
- Et contre lui se trouve l'un des sept généraux de l'Empire de Xeltos : faites place à Daniel Ohno.
Le personnage à la cape bordeaux entra à son tour en piste. Il s'agissait d'un homme aux boucles grises dont les yeux marrons étaient cernés d'une étrange chose. L'objet attira tout de suite mon attention. Le général possédait deux verres ronds devant chaque œil, chacun joint jusqu'à ses oreilles par des lanières en cuir qui faisaient le tour de sa tête. Face à un accessoire si insolite, je ne pus m'empêcher de partager mon trouble à voix haute :
- Qu'est-ce que tu as sur le visage ?
L'homme m'examina sans pour autant se défaire de sa prestance majestueuse. Il finit tout de même par me répondre nonchalamment :
- Il s'agit d'une de mes inventions, je les ai appelées lunettes. Elles servent à corriger ma vue.
- À corriger ta vue ? Tu es un mage alors ? Non, c'est impossible ! paniquai-je face à mes conclusions hâtives qui semblaient incohérentes.
- De la magie, dis-tu ? répéta le dénommé Daniel. Non, je suis un Xillien. Jamais, je ne l'emploierais.
Ces lunettes sont de ma création : je suis un inventeur.
J'étirai un sourire.
- Je ne comprends rien à ce que tu racontes, mais ça a l'air chouette !
Notre dialogue anodin m'avait permis de relâcher un peu la pression. Daniel soupira, dépité, avant de brandir son sabre. Je l'imitai aussitôt. Les commentateurs nous firent signe de commencer et le match débuta. J'attaquai le premier, il para aisément. J'enchaînai ensuite de puissantes frappes pour ne lui laisser aucun répit, j'étais remonté à bloc. Entre deux mouvements, le Xillien trouva enfin un moment pour s'immiscer dans mes défenses. Sa lame plongea vers moi. J'effectuai une parade bien exécutée et m'apprêtais déjà à riposter. Enfin, ce fut ce que j'aurais cru. Son arme grandissante avait couru dans ma direction et m'avait frappé de plein fouet. Je reculai sur le coup, le souffle coupé par le choc. Qu'est-ce que c'était ? Avais-je rêvé ou bien son épée s'était-elle allongée ? J'observai mon adversaire, déboussolé. Non, j'avais raison, ce n'était-ce pas la perspective : son katana était désormais gigantesque !
- Que... ? balbutiai-je sans parvenir à mettre de mots sur ce que je voyais.
Daniel posa une main sur ses lunettes, davantage comme une mimique que pour les replacer.
- Je vois que cela vous étonne à nouveau. Il est encore une fois question d'une œuvre de mon invention : le sabre télescopique. Sa lame peut changer de taille à sa guise.
Je gardai le silence quelques instants. Même en sachant que les participants avaient le droit d'utiliser l'arme de leur choix, jamais je n'aurais pensé en voir une si étrange. Les mots me vinrent d'eux-mêmes soutenus par des yeux brillants d'émerveillement :
- Cette arme est fantastique ! Il me faut absolument la même !
Il eut l'air surpris par le compliment, et même étrangement ému. Il se reprit néanmoins bien vite pour renouveler une charge.
- D'accord, mais il faudra d'abord vous en montrer digne !
Sa frappe fut encore une fois pas plus inattendue que cela. J'amorçai une parade, sûr de pouvoir contrer une arme de cette taille. Mais cette fois-ci, la lame rapetissa et se métamorphosa en poignard. Daniel parvint à me faire une entaille sur la partie de mon bras sans protection. Mon adversaire fit un pas sur le côté pour éviter ma réplique. Nous reculâmes tous deux. Son arme me plaisait de plus en plus. Jamais je n'aurais cru qu'elle pouvait atteindre une si petite taille !
J'entrepris un nouvel assaut, je ne devais plus lui laisser le loisir de m'attaquer. J'enchaînai les coups sans parvenir à le toucher et lui les transformations d'arme. Je fatiguais plus rapidement : voilà sa stratégie. Il voulait me voir gaspiller mon énergie pour pouvoir m la victoire plus aisément. Si seulement j'avais un moyen de prédire les transformations que mon adversaire comptait effectuer ! Encore une fois, je fus pris au dépourvu, la lame agrandie me frappa de plein fouet. Mon opposant enchaîna avec une attaque dans les jambes que j'aurais pu parer sans la poussée de ce satanée sabre télescopique. Je reculai. J'avais mal, un mal de chien ! Je serrai les dents, je devais faire abstraction de la douleur. J'avalai une grande goulée d'air avant de parer sans répit une nouvelle estocade.
Les choses s'accélèrent pour moi, le Xillien commençait enfin à donner tout ce qu'il avait. Il enchaîna les assauts et les transformations si bien que je n'étais plus en position de mener l'offensive. J'avais encaissé des dizaines et des dizaines de coups sans pouvoir répliquer une seule fois. Mon corps me tiraillait de toute part et je sentais même le goût métallique du sang affluer dans ma bouche. Pourtant malgré chaque frappe, chaque estocade, je me relevais toujours, même si la fois suivante était plus pénible que la précédente. L'impuissance me gagnait. Pas une seule de mes attaques parvenait jusqu'au Xillien. À ce rythme, ce n'était plus un combat mais un passage à tabac. Alors que j'étais à bout de souffle, mon adversaire abattit son sabre gigantesque sur moi comme pour m'achever. J'effectuai un mouvement pour contrer sa trajectoire quand tout à coup la lame prit la taille d'une dague. Je ne pus m'empêcher d'esquisser un sourire satisfait, cette fois serait la bonne. Au dernier moment, j'agrippai son poignet et freinait son mouvement. L'homme parut surpris mais réagit rapidement pour se dégager de ma poigne. Pour la première fois, j'avais réussi à interrompre le chemin de sa lame après une transformation. Il recula et je me mis à murmurer, confiant :
- C'est bon, j'ai compris.
J'étais enfin parvenu à m'habituer à ses mouvements. Tout ce temps, j'avais assimilé comment réagir à ses assauts et prédire ses réactions ainsi que les métamorphoses de son arme. Loin de se laisser impressionner par ma simple parade, l'inventeur reprit l'offensive. Il attaqua mon flanc droit, j'esquivai puis celui-ci rabattit son arme de mon côté pour me faucher les côtes. Il allait faire grandir sa lame ! Je me baissai agilement puis comme je l'avais prévu une lame gigantesque frôla ma chevelure. Je me redressai et dirigeai aussitôt ma frappe vers son torse maintenant à découvert. Il eut néanmoins le réflexe de transformer son arme en dague puis en épée pour parer plus promptement ma charge. Le général de l'Empire de Xeltos réitéra plusieurs attaques, en vain. J'avais percé toute sa stratégie. Après une dernière esquive de sa part, celui-ci recula et moi de même. Mon souffle était court, la fatigue m'entravait de plus en plus.
L'homme aux lunettes me fit alors part de ces réflexions :
- Vous vous êtes donc laissé frapper inlassablement pour vous habituer à mes mécaniques de combat ? Intéressant, c'est la première fois que je vois quelqu'un d'aussi tenace.
Malheureusement pour vous, vous ne pouvez plus rivaliser avec moi. Votre corps a subi trop de dommages, vous tenez à peine debout.
Il avait raison, j'étais mal en point comparé à lui qui était toujours fringant. Sans compter que je n'étais toujours pas parvenu à le toucher ne serait-ce qu'une seule fois.
- Abandonnez, ajouta-t-il.
Abandonner ? Un flot de pensées me submergea. Les visages de mes amis m'apparurent : les Lames d'Argent comptaient sur moi. Je devais remporter ce combat et prouver au monde que ni moi ni les mages d'Alanya n'étions des incapables. Je jetai un regard en direction des tribunes aux étendards peints d'une licorne noire. Je savais que Nyx était quelque part et me regardait. Le désir ardent d'acquérir son respect me consumait. Peu importe si la situation était désespérée, une chose était sûre : il me fallait arracher la victoire à tout prix !
- Jamais ! rugis-je dans un râle féroce.
J'étais remonté à bloc. En sueur sous ce rude soleil matinal, je chargeai mon adversaire et lui assénai de puissants coups. Il eut un peu plus de mal à contrer mes offensives qu'auparavant mais ce n'était toujours pas suffisant. Un combat acharné avait débuté où nous demeurâmes dans une égalité parfaite. Daniel commençait à son tour à éprouver une certaine difficulté, chose qui ne s'était jusqu'alors jamais produite. Enfin, je parvins à lui entailler le bras, mais non sans contrepartie, car lui aussi était parvenu à m'écorcher le cou. A force d'essais, je pus ensuite atteindre ses jambes et lui mon torse. La douleur me lançait de toute part mais jamais elle ne serait aussi forte que ma soif de victoire. Ignorant les plaintes de mon corps, je continuai à combattre de plus belle. Son gadget ne lui donnait plus l'avantage certain qu'il avait acquis auparavant.
Il était temps d'en finir.
Je mis toute mon énergie au service d'une offensive finale. Mon épée frôla son crâne et le manqua de peu. Daniel en profita pour m'asséner un douloureux coup dans la colonne vertébrale qui me paralysa et me cloua au sol. Le Xillien m'observa avec une expression de victoire.
- Vous avez été trop confiant ce coup-ci. C'est dommage pour...
Il s'interrompit alors que ces lunettes dévalèrent de son visage pour venir s'échouer au sol dans un bruit cristallin.
- Mais qu'est-ce que... ? bredouilla-t-il.
Je posai un genoux à terre, j'avais du mal à respirer. J'essuyai le sang qui s'échappait de ma bouche avant de répliquer d'un ton revanchard :
- Je n'ai pas raté mon coup. Je visais les lanières de tes lunettes.
Daniel semblait paniquer, complètement désorienté par sa mauvaise vision naturelle. Je bondis d'une charge déterminée en m'exclamant :
- Maintenant, que tu es aveuglé, il est temps d'en finir !
Dans mon élan, je parvins à avoir raison de ses côtes, alors que celui-ci s'était défendu d'un coup de sabre dans le vide. Dans une seconde charge, je parvins à atteindre ses jambes pour l'entraîner au sol. Nous bataillâmes dans la poussière quelques instants avant que je ne parvienne à le désarmer. Son arme s'éloigna hors de sa portée et je plaçai la pointe de ma lame sous sa gorge. Daniel écarta les mains, en signe de reddition. J'entendis les commentateurs crier victoire mais je n'y fis pas vraiment attention, trop absorbé par notre affrontement. Étais-je réellement parvenu à gagner ? Je ne pus empêcher un énorme sourire de se décrocher de ma mâchoire.
- J'ai gagné ! m'écriai-je pour moi-même.
Le combattant au sol émit un petit ricanement qui vient fissurer son masque d'insensibilité avant de commenter nonchalamment :
- J'avais oublié un détail important dans mes calculs : la volonté de mon adversaire à remporter la victoire.
Je me relevai en rengainant mon épée. Tout excité par la nouvelle de ma victoire, j'oubliai momentanément la rancœur de nos deux pays pour tendre la main à mon adversaire.
- Bravo, c'était un combat époustouflant ! le félicitai-je.
Celui-ci considérait ma paume quelques instant avant de la saisir pleinement, à ma plus grande joie. Je l'aidai à se relever et nous nous fîmes faces, les mains toujours serrées l'une dans l'autre.
- C'est vrai, vous avez mérité cette victoire.
Ce Xillien semblait étonnamment peu affecté par sa défaite. Je n'aurais pas espéré tant de fair-play de la part de l'un des généraux du pays le plus fier. Celui-ci s'éloigna pour aller ramasser ses lunettes. Il en constata les dégâts, toujours sans ne rien laisser paraître de ce qu'il ressentait. Le rose me monta aux joues et je m'empressai de me justifier dans un rire gêné :
- Excuse-moi pour tes lunettes ! Je ne voyais pas comment gagner autrement !
- Ce n'est rien, je réparerai ça. C'était plutôt malin de viser ma faiblesse.
Il se tourna en direction de la tour réservée à l'Empire de Xeltos et ajouta avant de partir :
- Bonne chance pour la suite.
- Merci, répliquai-je en souriant.
Malgré son air indifférent, il me paraissait surprenamment aimable. Je relevai la tête vers les gradins et dirigeai mon attention vers un point précis. Je ne cherchai pas les acclamations du public comme j'aurais très bien pu le faire, mais seulement le visage de celle qui m'intéressait le plus. Je croisai alors le regard de la toute puissante générale Xillienne malgré la centaine de mètres qui nous séparait. Mon cœur se serra. Nyx mit d'elle-même fin à ce court échange en quittant son balcon pour rentrer à l'intérieur du bâtiment. Je me demandais ce qu'elle ressentait à cet instant, si j'avais réussi à l'impressionner.
*
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