90× Le Combat Mortel
Aerin
Je vérifiai une dernière fois ma tenue dans le miroir puis le tranchant de mon épée. Ce ne fut que lorsque j'eus la certitude que tout était parfait que je pris la route vers le réfectoire pour déjeuner quelque chose. Nous voici enfin à l'aube du troisième jour du Tournoi Inter-Cité. Il était aujourd'hui prévu que je dispute le premier match de la journée, le pire d'entre tous, celui qui avait fait la réputation de la célèbre joute : le "combat mortel". Je déglutis brièvement de trac. Une certaine anxiété commençait à m'habiter mais elle ne dépassait néanmoins pas mon excitation. J'avais tellement hâte de prouver ma valeur dans l'arène que je pourrais presque en compter le temps qui me séparait encore de l'événement !
Je rejoignis Raphaël à sa table. Il était déjà en train de déguster son repas, ou du moins, il était plutôt affairé à jouer lassement avec les aliments que contenait son assiette, si l'on pouvait appeler cela manger. Le jeune homme aux yeux pers ne tarda pas à relever la tête dans ma direction mais déchanta aussitôt. Il me reluquait désormais avec les yeux ronds après avoir immédiatement cessé toute autre activité. J'eus un sourire en coin, sa réaction avait été si prévisible. J'entrepris ainsi de prendre la parole afin de ne pas le laisser bouche bée toute la journée :
- Alors ? Comment me trouves-tu ? Ne penses-tu pas que cette tenue me donne un petit air d'Érumienne ?
En effet, je m'étais vêtue d'un haut court qui laissait entrevoir un ventre et des bras sculptés par de longues heures d'entraînements ainsi que d'une jupe fluide et longue jusqu'aux chevilles. Bien sûr, mon inséparable bijou de tête en forme de goutte, lui, pendait toujours fièrement à sa place, sur mon front.
- Rassure-moi, tu ne comptes tout de même pas te battre dans cette tenue ? m'interrogea le chevalier aux cheveux blancs, enfin délivré de son mutisme mais craignant déjà ma réponse.
- Quant à être détentrice du combat mortel autant faire plaisir au public jusqu'au bout ! Ne sont-ils pas venus pour le spectacle ? répondis-je dans un clin d'œil malicieux.
- Tu étais obligée de t'habiller de la sorte sous prétexte que tu n'as pas le droit aux armures ? répliqua-t-il en détournant le regard vers son assiette.
- Plus de tissus ne me protégera pas mieux.
Alexandre choisit ce moment pour faire son entrée. Lui aussi commenta mes habits, mais cette fois dans un sourire amusé :
- Jolie tenue.
- En voilà un déjà plus sympathique, fis-je remarquer à l'attention de Raphaël.
Le mage de l'Air grommela et reprit son déjeuner là où il en était. Quand nous eûmes terminé notre repas, nous partîmes pour l'arène. Une trentaine de minutes s'écoulèrent dans la salle de repos de notre tour et je les passai toute à tourner en rond. Ma difficulté à rester en place trahissait mon anxiété malgré l'air confiant que je souhaitai tout de même arborer. En effet, je m'étais vite rendue à l'évidence ; peu importe l'issue du combat, une chose était sûre : je n'en sortirais pas indemne.
Mes amis et moi nous étions postés devant l'entrée du terrain, attendant le moment fatidique où je serais jetée dans l'arène. Au bout d'un moment qui m'avait parue infiniment long, les commentateurs prirent la parole pour débuter un discours d'ouverture devenu habituel :
- Bienvenue cher public en ce troisième jour du Tournoi Inter-Cité ! J'espère que vous allez bien car aujourd'hui nous allons démarrer la matinée en beauté !
- En effet, nous allons entamer l'affrontement qui fait la réputation du Tournoi : le combat mortel. Pour ceux qui ne le sauraient pas, il s'agit d'un match où les participants ne peuvent porter aucune protection de type armure. Mais bien sûr les armes, elles, sont toujours réelles.
- Ce combat est de loin le plus dangereux que nous pouvons vous proposer, les combattants ne finissent que rarement intacts !
- Mais trêves de bavardages, passons tout de suite aux présentations de nos deux valeureux guerriers ! La première est une Lame d'Argent, ici pour représenter le Royaume d'Alanya, applaudissez bien fort : Aerin !
Je déglutis de tract, c'était à moi d'entrer en piste.
- On compte sur toi pour éclater ton adversaire ! s'exclama Alex.
- N'oublie pas que nous devons nous retrouvez tous ensemble en finale ! m'encouragea aussi Raphaël.
Ils m'adressèrent tous deux de grands sourires. Je n'avais pas le droit de les décevoir après toute la détermination qu'ils m'offraient. D'un pas décidé, je franchis le cap de l'arène en murmurant pour moi-même :
- Comptez sur moi.
Sitôt dehors, le soleil matinal baigna ma peau d'une douce et apaisante chaleur. A contrario de l'astre du jour qui n'était pas encore à l'apogée de sa température estivale, les foules, elles, étaient déjà en délire. Guidée par une brise légère qui soulevait doucement mes cheveux, je me plantai au centre de l'arène, le regard rivé vers ce nouvel horizon qui s'offrait à moi. La hauteur des gradins était simplement vertigineuse, j'avais l'impression d'être seule face au reste du monde. J'en eus même le tournis pendant un instant.
- Mais qu'avons-nous là ? Notre charmante candidate paraît plaire au public !
Je souris discrètement en entendant le succès de mon entreprise, ma tenue avait atteint l'effet escompté.
- Contre cette jeune femme, se trouve un guerrier représentant Éphésis ! J'ai nommé : Bjorn Snorri !
Un homme costaud à l'allure féroce apparut dans l'interstice. Blake ne m'avait pas menti qu'à son apparence, il devait faire au moins deux fois mon poids et ma taille ! Elle m'avait aussi appris qu'il s'agissait d'un Enfant Maudit : double raison de gagner.
- Je rappelle que les coups d'estoc sont interdits, vous n'êtes pas ici pour tuer votre adversaire ! clama la présentatrice.
- En garde ! prononça haut et fort le dénommé Ruben par la magie du vent.
Je dégainai mon épée tout en fixant mon adversaire avec attention.
- Que le combat commence !
N'osant pas être celle qui ferait le premier pas, Bjorn et moi nous tournâmes autour tels deux charognards. Nous nous dévisageâmes, attentifs aux moindres faits et gestes de l'autre. Tous mes sens étaient en alerte, durant ce combat je devais rester vigilante à chaque instant car sans protection j'étais tout particulièrement vulnérable. L'homme se décida enfin à me porter le premier coup. Je l'esquivai aisément et enchaînai aussitôt une offensive qu'il évita de même. Sans lui offrir aucun répit, je me mis à le harceler de coups tous plus prompts les uns que les autres. Je comptais jouer de ma vitesse durant ce combat. Au vu de la masse de mon adversaire, j'en déduisais qu'il avait troqué sa rapidité pour ce résultat. Je devais prendre partie de cette faiblesse à mon avantage. À quoi lui serviraient de gros muscles s'il n'était pas capable de me toucher ?
Il parada tant bien que mal mes offensives sans jamais céder de terrain. Il tenta de me faire un croche-pied mais je sautai à temps sur le côté. Se battre dans des habits aussi légers se révélait être plutôt agréable tout compte fait, peut-être devrais-je adopter la mode Érumienne à l'avenir ? Sans perdre une seconde, je fonçai à nouveau sur lui pour le rouer de coups. Nos épées s'entrechoquaient dans d'inlassables bruits métalliques sans pour autant parvenir à toucher l'autre. Arriva soudain un coup que je ne saurais parer. Je bondis en arrière au dernier moment et pus entendre son arme siffler près de mes oreilles. Je reculai pour reprendre mon souffle. Il s'en était fallu de peu.
- Quelle agilité impressionnante de la part d'Aerin ! Mais cela suffira-t-il à vaincre Bjorn ? questionna la commentatrice.
Non cela ne suffirait pas, répondis-je en mon for intérieur. Je commençais à m'épuiser à force de gesticuler autant. Il fallait que je parvinsse à le toucher ! Celui-ci ne me laissa aucun répit et reprit l'offensive. Nous parâmes chacun de nos coups pour garder une égalité parfaite, à l'exception près que lui ne semblait ressentir aucune fatigue. Je discernai tout à coup sa garde se baisser sur son flanc gauche et sauta sur l'occasion de m'infiltrer dans la brèche qu'il venait de me créer. Mon épée se flanqua dans son bras. Je reculai instantanément pour ne pas risquer de représailles. Un filet de sang coula le long de son habit déchiré. Je souris, j'étais enfin parvenu à le blesser. Je n'y étais pas allée trop fort, je n'avais aucune envie de lui couper un bras, seulement de le paralyser un peu de douleur. Si je le tailladais à divers endroit, il aurait bien plus de mal à se mouvoir pour se défendre et cela me faciliterait la victoire.
Le public s'agita à la vision de ce premier coup qui avait su se faire attendre.
- Belle frappe de la part de la candidate d'Alanya ! Voyons ce que va nous proposer son adversaire en retour ! commenta le présentateur haut perché.
Bjorn s'arrêta un instant pour constater les dégâts puis fonça sur moi, probablement furax à la vue de ce que je lui avais fait subir. Il enchaîna de puissants coups plus rapidement qu'auparavant. J'eus radicalement plus de mal à parer et esquiver ses frappes. Alors ainsi, il ne se serait pas entièrement donné jusque là ?
Sans pouvoir parer davantage, il finit par me trancher le thorax. Une coupure me sillonna en long mais heureusement le choc fut absorbé par le peu de tissu. Je jetai un furtif regard à ma coupure et réalisai alors que la cime de mon haut était à moitié déchirée. Je fusillai mon adversaire du regard, il allait voir de quel bois je me chauffais. Je n'allais pas le laisser me dévêtir impunément !
Revigorée d'une énergie nouvelle, je lui sautai à la gorge. Le combat se fit désormais plus violent et rapide qu'auparavant, nous étions cette fois tous deux au sommet de notre véritable force. J'enchaînai les frappes et les parades à une vitesse folle. Le danger et la difficulté d'un tel combat m'avait fait rentrée dans un état second. Ma concentration et ma résistance s'étaient accrue de paire, comme si la fatigue ne pouvait plus m'atteindre. L'adrénaline de la douleur. L'Enfant Maudit et moi maintenions une égalité toute calculée. Aucun de nous ne cédait de terrain face à l'autre. La tension était à son comble. J'entendais vaguement le public nous acclamer, ravi d'assister à un combat aussi serré.
Au détour d'une parade mal contrôlée de ma part, mon adversaire en profita pour me flanquer un coup de genou surpuissant dans l'estomac. Terrassée par ce simple choc, je me retrouvais expédiée au sol quelques mètres plus loin, retournant la poussière sur mon passage. Je tentai de me relever. Mon ventre me tiraillait si douloureusement que j'en tirai une grimace. Je n'avais pas eus le temps de me redresser que mon adversaire abattait déjà son épée sur moi. Toujours au sol, je retins son arme in extremis. Mais sa force supérieure et ma position désavantageuse lui permirent de gagner rapidement du terrain sur moi. Ma propre lame s'approchait dangereusement de ma gorge.
- Serait-ce déjà la fin ? clama Ruben.
Je rassemblai toutes mes forces pour ignorer la douleur puis lâchai prise sur mon épée. En un éclair, je m'esquivai en glissant sous les jambes de mon adversaire. Je me relevai derrière lui et d'un même mouvement lui infligea une frappe circulaire. Ses mollets en furent touchés. Il vacilla.
- Quel retournement de situation ! Qui sera donc le vainqueur ?
Tandis que je fonçai sur Bjorn pour lui porter à nouveau un coup, celui-ci se tourna subitement vers moi et me frappa sans ménagement du plat de son épée. Son coup fut encore une fois si puissant qu'il me projeta à terre. Je me recroquevillai de douleur, mon estomac avait pris un sacré coup. Je tournai la tête vers le sol pour y cracher le sang qui s'était précipité jusqu'à ma bouche. Si mon opposant n'avait pas utilisé le plat de sa lame, il m'aurait très probablement infligée une blessure mortelle. L'Enfant Maudit se déplaça lentement vers moi, probablement à cause des entailles que je venais de lui administrer. Je tentai de me relever sans pour autant y parvenir.
- Tu peux encore te rendre, m'indiqua Bjorn.
Je plantai mon épée dans le sol pour m'en servir d'appui. Chancelante, je parvins tant bien que mal à me redresser sur mes deux jambes. Je m'essuyai la bouche du revers de la main pour me débarrasser du reste de sang que j'avais craché avant de répliquer avec détermination :
- Jamais.
Il me lorgna d'un air qui semblait vouloir dire "tant pis pour toi" puis abattit sans attendre son épée sur mon flanc gauche. Je l'esquivai en effectuant un pas sur le côté mais ce mouvement aida mon adversaire à m'asséner son coude en pleine face. Sonnée, il n'eut pas de mal à enchaîner un uppercut qui m'envoya encore une fois face contre terre dans un nuage de poussière. Ma tête commença dès lors à tourner alors que les images se mirent à tanguer autour de moi. Désormais je ne saisissais plus que vaguement les acclamations du public. Du sang se mit à dégouliner de ma tempe au rythme de la douleur que me provoquait mon crâne. J'entendis les commentateurs prendre la parole, leurs voix me semblaient si lointaines. Je parvins tout de même à reconnaître les mots "temps imparti" à leur discours. Le combat allait probablement s'achever d'ici quelques minutes en un match nul si aucun de nous ne prenait définitivement l'ascendant sur l'autre.
Je m'apprêtais à me relever à l'aide de mon épée quand soudain Bjorn posa son pied sur le plat de ma lame pour la clouer définitivement au sol, et moi avec. Il se pencha à ma rencontre et m'attrapa douloureusement par la gorge. Il me souleva d'une force herculéenne, si bien que mes pieds ne touchaient désormais plus le sol. Je me débattis faiblement pour tenter d'échapper à la poigne qui m'étranglait, en vain. Ma vision s'épaissit davantage, je commençais déjà à suffoquer. Ainsi désarmée, j'étais à la merci de cet homme aux allures de brute épaisse. Que faire ? Je ne pouvais pas perdre, c'était tout bonnement impensable ! La rage de vaincre m'envahit alors et se mit à tout brûler en moi, terrassant même les pires des douleurs.
Tout se produisit en une fraction de seconde. Je soulevai mes jambes et poussai mes pieds contre le torse de mon adversaire, rassemblant mes dernières forces en une ultime tentative. En temps normal, une telle frappe ne l'aurait probablement pas déséquilibré mais j'avais auparavant fragilisé ses mollets. Bjorn tomba lourdement au sol en desserrant sa poigne sur ma gorge. À nouveau libre de mes mouvements, j'attrapai instantanément mon arme qui se trouvait à portée de main. À califourchon sur mon adversaire, je posai le tranchant de ma lame contre son cou et écrasai son poignet armé avec mon pied pour éviter toute réplique de sa part. Nous restâmes immobile encore quelques instants à nous dévisager. Mes respirations étaient saccadées alors que mon corps réclamait toujours plus d'air à absorber. J'émergeai ainsi de cet état de transe guerrière dans laquelle je m'étais plongée. Je pus de nouveau entendre la foule déchaînée. Elle applaudissait à tout rompre, bien plus que lors du combat de Satsuki, c'était pour dire !
- Bjorn ne pouvant plus se battre, Aerin remporte finalement le combat mortel ! clama Ashel de toutes ses forces.
J'observai le public avec détachement avant de finalement lâcher un sourire triomphant. J'y étais finalement parvenue, j'avais gagné ! Je supprimai la menace de mon arme de la gorge de mon adversaire qui ne tarda pas à m'affirmer sincèrement :
- Bien joué.
Je lui répondis par un rictus joyeux que je ne pouvais contenir. Je me relevai comme je pus pour me tenir sur deux jambes vacillantes. Je contemplai les gradins avec émerveillement, tous ces gens semblaient si enjoués. Certains applaudissaient, d'autres sifflaient et certains même scandaient mon nom en rythme. Était-ce réellement moi qui avait crée tout cet engouement ? Lentement et en signe de victoire, je brandis mon épée droit vers le ciel, comme pour répondre aux spectateurs. Les clameurs se firent d'autant plus fortes.
- Quelle ovation de la part du public !
Je tentai d'inscrire chacun de leurs visages dans mon esprit dans un sourire béat tandis que mes oreilles et ma vue me rejouèrent des tours de plus en plus dangereux, tout comme mon équilibre. Sans prévenir, je m'écroulai de fatigue dans un subit lâcher prise. Avant de plonger définitivement dans un état de profonde inconscience, je perçus tout de même des bruits de pas se précipiter vers moi au rythme d'éclats de voix inquiets qui parvenaient à mes oreilles sans que je ne pusse pour autant comprendre ni démêler leurs mots.
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