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89× Des Victoires et des Défaites


Blake

Je mâchai la nourriture qui traversait ma bouche avec énergie. J'étais de bonne humeur aujourd'hui en cette matinée du second jour du Tournoi Inter-Cité. Je pouvais enfin m'afficher librement avec celui que j'aimais, j'étais aux anges.

- Il nous reste une heure avant que la compétition ne démarre, m'annonça nonchalamment Hadrian.

- Tu n'es pas trop angoissé à l'idée de combattre cet après-midi ? m'enquis-je, ne sachant jamais trop ce qu'il pouvait bien penser.

- Non.

Décidemment, il n'aimait jamais s'étendre à son sujet. Nous comblâmes le temps qu'il nous restait en discussions et en tendresses assumées, tendresses qui par ailleurs me semblaient toujours étranges en public. Puis vint le moment des combats.

Lorsque nous arrivâmes sur le balcon des Alanyiens, je remarquai la présence discrète de Gabriel qui ne s'était pourtant pas montré hier. Il semblait disposé à ne parler à personne et à ne pas se faire remarquer. D'ailleurs lui et sa sœur, présente elle aussi, s'ignoraient. Mieux vallait ça, j'imagine.
Je m'accoudai à la balustrade à côté d'Aerin, et lui souris en guise de salut. Mes yeux parcoururent ensuite la foule déjà installée dans les immenses gradins de l'arène. Les voix des présentateurs retentirent. J'écoutais distraitement leur discours jusqu'à les entendre annoncer le premier combat de la journée : L'un des trois nobles méprisants qui accompagnaient le cousin éloigné d'Ariane combattrait une Érumienne. Les deux concurrents entrèrent dans l'arène et se firent face. La bataille débuta pour se conclure rapidement.

- Inaya Semal du Royaume d'Érumë remporte la victoire !

J'étouffai un ricanement, cet imbécile et ses amis avaient osé se moquer du petit paysan mais aucun n'avait pour l'instant été capable de remporter un combat à contrario de celui-ci ! Quel coup du destin.

Les autres matchs s'enchaînèrent jusqu'à ce qu'après une courte pause, comblée par un spectacle de danse, le prochain affrontement soit annoncé. Celui-ci opposait Bulan Solim, une Érumienne à Veryan de Fayderm, un Xillien.

- Je le reconnais, c'était l'un des généraux présents à la bataille de Chains ! m'apprit Kagami.

Je me mis à le détailler mais, entravée par la distance, seuls ses cheveux lavande me sautèrent aux yeux. Je parvins tout de même à discerner ses principaux traits qui me peignèrent un visage fin et sans disgrâce.

- Je me demande si ce beau parleur saura se montrer à la hauteur, pensa Sachi tout haut, avachie contre la rambarde.

Intriguée par ces mots, je la dévisageai. Comment pouvait-elle avoir connaissance d'un tel détail de sa personnalité ? Elle remarqua mon regard insistant et s'empressa de répondre sèchement à mon interrogation :

- Après la bataille de Chains, j'ai eu l'occasion d'espionner un peu le palais de Pergame et ses généraux. Que crois-tu ? Je ne suis pas la meilleure espionne du continent pour rien !

- La plus orgueilleuse surtout...

Pour une fois, elle ne prit pas la peine de répliquer, le combat venait de commencer.
Après quelques premiers coups de lance d'un côté et de rapière de l'autre, je pouvais déjà affirmer que les deux belligérants étaient rudement entraînés. L'écart finit par se creuser rapidement entre les opposants et le combat s'acheva sur la victoire époustouflante de Veryan. Malgré le foulard qui masquait sa bouche, au mépris des températures estivales, je crus imaginer l'espionne sourire.

- Quelque chose me dit qu'il te plaît bien ce petit Xillien ! la taquina alors Traska qui avait aussi observé son attitude inhabituelle.

La concernée se tourna instantanément vers la femme à la peau la plus sombre des Lames d'Argent et répliqua sur un ton furibond :

- Qu'est-ce que tu vas t'imaginer ? C'est simplement l'une de mes "victimes" !

- Tu t'attaches à tes victimes maintenant ? prit part Aerin, un sourire narquois accroché aux lèvres.

- Comment pouvez-vous penser une chose pareille ? Il n'est pas à ma hauteur ! s'indigna Sachi.

Nous ricanâmes sous le regard irrité de la Lame d'Argent aux cheveux roses. Nous continuâmes à la chambrer gentiment tout en quittant la tour. Le soleil avait sonné son zénith et nos estomacs avaient fait de même. Public et participants partirent ainsi déjeuner et ne se retrouvèrent dans l'arène qu'après midi passé.

Bruyants d'impatience, nous nous fîmes néanmoins plus calmes quand le premier combat fut annoncé, opposant un Paladin de Jade au chef des Enfants Maudits.
Je jetai un regard à Hadrian, son visage demeurait encore et toujours indiffèrent. La scène où Sven tenait par les cheveux mon chef à l'agonie était restée gravée dans ma mémoire et défilait inlassablement sous mes yeux. Celui-ci remarqua alors l'attention que je lui accordais, il ouvrit ainsi ses traits pour me sourire doucement.

- Ne te soucie pas de moi, savourons plutôt ce combat.

J'acquiesçai simplement et reportai mon attention sur le terrain sableux de l'arène. Malgré le lien presque fraternel qui les avait unis autrefois, le beau brun avait fait table rase du passé.

Les guerriers se firent face et les hostilités débutèrent dans de glorieuses estocades. Sven enchaîna les coups et sans que je ne m'en rendisse compte le Maudit aux cheveux blancs avait déjà terrassé son vis-à-vis. Il avait désarmé et mis à terre son adversaire tellement rapidement que je n'étais même pas parvenue à comprendre ce qu'il s'était produit.

- Incroyable ! Sven Arsvald remporte ce match sur une victoire écrasante ! s'exclama Ashel.

Je restai bouche bée face à ce que je venais de voir, ce type n'était tout simplement pas humain ! À présent, je me demandais même comment Hadrian était parvenu à résister aussi longtemps face à lui !

- On peut dire que tu as du mérite de ne pas être mort face à lui, commenta Peter.

- Pas vraiment, j'ai été sauvé par Meredin, rétorqua-t-il du ton dénué d'émotions qu'il avait l'habitude de prendre. Et puis, je suppose qu'il avait encore une once d'hésitation concernant mon sort.

- Soyez sans inquiétude, je n'en ferai qu'une bouchée de votre Sven, ajouta la chef de l'Air avec confiance.

- Si tu le dis ! ricana joyeusement Peter.

Sans plus de cérémonies, Hadrian ne se fit pas prier pour soudain nous quitter et se préparer pour son combat. Je lui avais bien souhaité bonne chance mais il n'avait répondu que par un hochement de tête. Finalement, cet affrontement semblait bien plus le tracasser qu'il ne voulait le laisser paraître. Je fixai le terrain, impatiente de le voir combattre. De longues minutes défilèrent rythmées cette fois par un court spectacle comique, avant de voir le brun faire son entrée dans l'arène. Son adversaire était l'un des hommes que m'avait présentée Alceste avant-hier, un dénommé James.

Le match commença et leurs premiers coups avec. Les deux guerriers maintinrent tout du long une certaine égalité. D'ailleurs, plus j'observai Hadrian, plus je me disais que quelque chose clochait. Il ne semblait pas tout à fait en forme, ses gestes étaient hésitants et n'aboutissaient jamais à quelque chose qui pourrait lui creuser un avantage. Pourtant son adversaire n'avait pas l'air aussi fort que lui. À en jauger ses mouvements, il devait à peu près avoir mon niveau, pourtant moi, je n'arrivais pas encore à sa cheville !

- Il est mauvais, qu'est-ce qu'il fait bon sang ? s'alarma aussi Peter.

Je continuai de regarder les combattants sans répondre. Son manège dura encore un petit moment avant qu'Hadrian ne se réveille et ne se décide enfin à retourner l'affrontement et à le gagner. Il était temps. Sur ce, je rentrai précipitamment à l'intérieur de la tour et dévalai les escaliers jusqu'au sous-sol pour rejoindre mon bien-aimé à l'entrée du terrain. Je le croisai tandis qu'il se dirigeait déjà vers l'infirmerie.

- Félicitation pour ta victoire, prononçai-je sans grande conviction afin de tâter le terrain sur son ressenti.

Il murmura un faible remerciement et continua son chemin comme si de rien était. J'aurais dû m'en douter, il était parfaitement insondable. Je le questionnai donc, curieuse de lui tirer les vers du nez mais tout de même un peu inquiète à son sujet :

- Que s'est-il passé ? Tu n'as pas tout donné pendant ton combat. Tu n'es pas malade j'espère ?

Il me dévisagea, son visage était fermé mais à l'intérieur de ses yeux je pus tout de même lire une lueur étrange, un mélange de sentiments des plus paradoxaux. Il détourna finalement le regard.

- J'avais peur que tu m'en veuilles de vaincre l'un de tes alliés Ambrasiens.

Je le fixai, d'abord stupéfaite, puis je m'approchai de lui en souriant niaisement pour le serrer dans mes bras, attendrie par une telle attention.

- Pourquoi t'en voudrais-je ?

Hadrian m'observa puis, rassuré, finit par décocher à son tour un sourire et me rendre mon étreinte. Comment un tel homme ne pouvait-il pas me faire craquer ? Je l'accompagnai ensuite jusqu'à l'infirmerie bien obligé de se faire ausculter selon le règlement, ou du moins les règles établies par la doctoresse. Je patientai devant l'entrée espérant qu'il ne se fasse pas trop long pour ne pas rater le prochain combat, celui de la grande Satsuki.

Un peu moins d'une dizaine de minutes plus tard, il sortit enfin de la pièce.

- Je croyais que cela n'allait plus finir ! soupirai-je d'impatience. Allez dépêchons-nous !

Il hocha la tête et nous nous exécutâmes sur le champ. Quand nous arrivâmes, le public semblait déjà déchaîné et pour cause, le présentateur l'annonça :

- Voici le moment que vous attendiez tous, la générale Satsuki rentre en scène !

Après nous être rapprochés de la rambarde pour pouvoir observer la concernée, les Alanyiens autour de nous en profitèrent pour féliciter Hadrian pour sa victoire.

Sous un tonnerre d'applaudissement, la blonde marchait fièrement sur le sol ensablé de l'arène, une lance à la main, son arme de prédilection. Seulement vêtue des habits fluides et légers de son royaume, sa peau blanche ne ressortait que mieux dans ces vêtements émeraude. Je tiquai d'ailleurs : elle était tout de même étrangement pâle pour une Érumienne. Il m'était pourtant difficile de m'imaginer que la plus grande guerrière du pays le plus chaud évitait le soleil, car évidemment il n'en était rien. Mais ce détail demeurerait mystérieux à mes yeux ainsi qu'à quiconque se posait la même question.

- On ne la présente plus ! Cette Érumienne de vingt-neuf ans, chef des Maharibes et des armées de son pays, est la gagnante du dernier Tournoi en date ! Elle est bien évidemment l'une des favorites de celui de cette année !

- Face à elle se trouve Din Gloommore, conseillère du Feu chez les Paladins de Jade. Cette représentante du Royaume de Leto parviendra-t-elle à défaire Satsuki ?

Le combat commença lorsque les deux combattantes se firent face. Elles ne tardèrent alors pas à entamer les festivités guerrières sous les regards impatients du public. Leurs armes s'entrechoquèrent et quelques premiers coups furent donnés. Les deux étaient bourrées de talents et d'adresses. Elles se mouvaient agilement dans une égalité parfaite.

Soudain Satsuki brisa cette coordination. Après avoir paré une frappe de son opposante, la blonde lui faucha les jambes à l'aide de sa lance. Din se déséquilibra et Satsuki en profita pour lui flanquer un coup net dans le dos qui la mit à terre. L'Érumienne avait enchaîné ce combo sans bavure. La Letonnaise ne se laissa néanmoins pas faire. À terre, elle continua de lutter vaillamment. Après avoir repoussé un assaut de son opposante, celle-ci se releva agilement d'une pirouette en arrière.

Le combat reprit son cours. La dernière gagnante du Tournoi était hypnotisante. Elle semblait danser tant ses mouvements étaient gracieux, non entravés par une lourde armure. Sans s'être éternisé, le combat s'apprêtait à toucher à sa fin. En effet, Satsuki venait de porter le coup final. Désarmée, son adversaire n'était plus en état de se battre.
La gagnante fut vaillamment acclamée par les foules en délire. La guerrière du désert promettait d'être une adversaire redoutable qui ne se laisserait pas abattre aussi facilement.

Les Lames d'Argent discutèrent du dernier affrontement avec passion pendant que Kagami et moi les quittâmes pour descendre les étages de la tour. Le prochain et dernier match s'annonçait être le sien. J'avais donc décidé de l'escorter ainsi vers l'entrée de l'arène. Je le sentais un peu anxieux malgré son intention de ne rien laisser paraître. Dans ce domaine, Hadrian était bien plus doué.

- Bonne chance ! Éclate ton adversaire surtout ! lui recommandai-je.

- Compte sur moi !

Nous partageâmes un de ces sourires farceurs dont nous avions le secret puis je le quittai pour ne pas rater le début de son combat. Je courus pour arriver promptement au balcon qui nous donnait une vue imprenable sur les batailles.

Les voix des commentateurs retentirent, coupant instantanément toutes discussions déjà entamées. Mon meilleur ami entra enfin en scène en ce dernier match de la journée. Curieuse de voir qui il s'apprêtait à combattre, j'attendis patiemment l'annonce qu'en feraient les animateurs du Tournoi.

- ... Et son adversaire se trouve être l'un des généraux de l'Empire de Xeltos, Passio Wisteria !

Le mystérieux homme encapuchonné s'avança lentement sur la scène. Je l'avais déjà repéré avant-hier quand tous les participants avaient été réunis sur le terrain. Son allure m'intriguait, pourquoi se cachait-il derrière une cape ?

- D'après ce que j'en sais, Passio est à la fois l'un des sept généraux de Xeltos mais aussi le bras droit de l'Impératrice, annonça Sachi.

Je la dévisageai, ahurie.

- Vraiment ?

Sa force était à redouter, il devait probablement être l'un des meilleurs guerriers de son pays. Kagami était très mal barré.

- Que le combat commence !

Les deux adversaires ne prirent pas le temps d'aviser et se foncèrent déjà dessus. Ils partagèrent quelques puissants coups qu'ils amortirent du tranchant de leurs épées. Ils allaient vite et fort, surtout le Xillien. Comme je le redoutais, Kagami peinait déjà à suivre la cadence mais il s'accrochait tout de même du mieux qu'il le pouvait.

Après l'avoir suffisamment fatigué, son opposant lui frappa le torse. Ce coup eut pour effet d'envoyer le mage de Feu à terre. Je ne pus retenir mon effroi, il ne pouvait pas perdre maintenant ! Il continua de lutter. Néanmoins son adversaire n'arrivait pas à lui porter le coup de grâce. Il se roula sur le côté et entreprit de se relever mais ce Passio l'en empêcha. Mon ami aux cheveux rouges retomba au sol en soulevant la poussière autour de lui. Le mystérieux homme profita de son inattention pour le désarmer promptement. Ce dernier se trouvait désormais sous la menace de l'épée de son opposant. Il ne pouvait plus bouger, Passio fut alors nommé vainqueur.

Je demeurai figée, les yeux écarquillés par le choc. Non... Il ne pouvait pas avoir déjà perdu ! Je serrai les poings de toutes mes forces, à en trembler et à m'en arracher la peau avec les ongles. Comment ce satané Xillien avait pu battre aussi aisément mon meilleur ami ? Sans tenir compte des remarques d'Hadrian qui tentait de m'apaiser, je descendis les escaliers à toute vitesse pour aller m'assurer de l'état du guerrier. Je le retrouvai bien vite à la sortie du terrain, la tête basse. Je me précipitai à sa rencontre et le pris par chaque épaule.

- Kagami ! Tu vas bien ?

Celui-ci s'obstinait à plonger le regard vers le sol, il n'osait pas même me jeter un œil. Je m'apprêtais à rajouter quelque chose, pensant qu'il s'obstinerait à rester indéfiniment cloîtré dans son silence, quand celui-ci se mit à murmurer la voix tremblante :

- Je n'ai rien pu faire...!

Peinée par l'état de mon ami, je le pris dans mes bras, chose plutôt rare entre nous. À cet instant, un nouveau sentiment s'éveilla en moi et se mit à me consumer rageusement. Je serrai les dents, j'en voulais terriblement à son opposant. Il avait détruit l'estime que mon ami pouvait se porter, accompagné de tout son mental. Mon corps entier réclamait vengeance.

- Ce Passio, ce sale lâche qui n'ose pas même montrer son visage, je te jure que je l'éradiquerai par moi-même !

Il serra mes habits sous ses doigts et, contre toute attente, il ne tenta pas de me dissuader, il ajouta simplement, faiblement :

- Je compte sur toi.



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