Raphaël

De retour au château, Alexandre et moi nous installâmes tranquillement sur les marches d'un escalier.

- Tu dois combattre un certain "Daniel Ohno" toi ?

Le blond acquiesça et je grommelai :

- Ce n'est pas très pratique... Nous ne savons même pas qui sont nos adversaires !

- Peu importe, souviens-toi de notre promesse avec Aerin : l'un de nous trois doit remporter le Tournoi ! répliqua-t-il dans un grand sourire.

- C'est évident ! Nous ne pouvons pas perdre au premier tour !

La fin de la journée passa et l'heure fut enfin venue de se rendre au bal. Je me changeai sans hésiter longtemps sur ma tenue pour enfiler des vêtements classes que je ne sortais qu'en de rares occasions. Cette fois, j'avais même fait un effort sur ma coiffure, fini la coupe "sorti du lit" que j'arborais habituellement ! J'ajustai une dernière fois le col de ma chemise bleu marine devant le miroir avant de quitter ma chambre et de descendre les escaliers.

L'immense salle de réception du château avait été richement décorée et garnie de longs buffets de nourriture pour l'occasion. La pièce donnait même un accès direct aux jardins. Lorsque j'arrivai, seuls une vingtaine de convives étaient déjà présents. Apparemment, j'étais encore en avance. Porté d'une oreille distraite par la mélodie au clavecin qui flottait dans l'air, je fis un rapide tour des buffets pour voir ce qui y étaient servis. Les meilleurs musiciens du continent avaient été invités pour jouer à cette fête.

Voyant les invités emplir trop lentement la salle, je finis par me diriger vers l'extérieur pour prendre mon mal en patience. J'espérais que mes amis ne tarderaient pas trop. Dehors, le vent souffla avec légèreté pour envahir mes poumons de goulées fraîches. Je m'assis dans l'herbe et me mis à contempler les étoiles. Je ne pus alors que songer avec émerveillement à l'immensité du ciel et ses richesses.
Après quelques instants passés à visionner ce merveilleux spectacle, je m'allongeai puis fermai les yeux pour songer au Tournoi.

- Tu dors paresseux ?

Je sursautai à l'entente de ce timbre si familier claquer à mes oreilles.
Aerin était penchée sur moi, un sourire espiègle plaqué sur le visage. Je me relevai d'un bond et époussetai hâtivement mon pantalon noir pour paraître sous mon meilleur jour. Je l'observai ensuite, vêtue d'une somptueuse robe bleu nuit qui lui allait à ravir. Elle aussi m'examina de haut en bas. Gêné, je détournai le regard.

- Tu es superbe... murmura-t-elle.

La mage approcha lentement sa main de mon visage et effleura mes cheveux blancs. Avec incompréhension, je la regardai en retirer une petite feuille restée coincée.

- Merci... lui soufflai-je. Toi aussi tu es...

Je la balayai une nouvelle fois du regard, les mots ne suffisaient pas pour la décrire. Elle me semblait subitement si parfaite, comme une étoile de ce ciel.

- ... ravissante !

Elle sourit en guise de remerciement. Après quelques échanges, nous rentrâmes ensemble dans la salle de réception. Il y avait nettement plus de monde que tout à l'heure. Nous repérâmes bien vite Alexandre et Traska postés à côté de l'un des buffets. Nous les saluâmes avant d'entamer une discussion portant simplement sur le Tournoi et nos futurs matchs.

- J'espère que ton affrontement contre ce Bjorn se passera bien... Tu as tout de même obtenu le combat mortel ! soulignai-je à l'attention d'Aerin.

- Ne t'inquiète pas. Peu importe si j'en sors couverte de sang, je gagnerai ! m'assura-t-elle dans un clin d'œil.

- C'est vrai que dit comme ça, ça va le rassurer ! commenta Traska en riant.

Comme escompté, je soufflai d'appréhension avant de me servir un verre d'un jus quelconque. Je portais le liquide orangé à mes lèvres pour le siroter lentement, dispersé par mon observation poussée des alentours. Mon regard se posa de lui-même sur une jeune fille au visage innocent qui riait de bon cœur avec ses amis. Apparemment les Xilliens étaient déjà arrivés à en voir la vice-générale aux cheveux gris et ses quelques compagnons. Sans trop savoir pourquoi, je la fixai distraitement, l'esprit ailleurs. Mais ce ne fut sans compter sur ce détail que je lui remarquai et que je reconnus de suite. Mon souffle se coupa et je m'étouffai avec le liquide encore dans ma bouche. Je recrachai la moitié de ma gorgée, pris d'une violente quinte de toux. Les Lames d'Argent et quelques convives aux alentours se retournèrent, alertés par mes suffocations.

- Tu vas bien ? s'enquit Aerin.

Je toussai quelques instants sans pouvoir m'arrêter pour tenter d'extraire le liquide qui s'était infiltré dans ma trachée. En voyant mon état, la mage affirma aux autres :

- Je vais lui faire prendre l'air.

Sur ces mots, elle m'emmena à l'extérieur. Ma gorge me grattait toujours mais pouvoir à nouveau respirer la fraîcheur de la nuit me requinqua un peu. Je repensai dans un frisson à ce que j'avais vu, ce qui avait provoqué mon état. J'avais pu entrevoir le dos de la jeune Xillienne, celle qui avait prétendu s'appeler Náriel à Chains. Il était couvert de marques que je reconnaîtrais entre mille : des cicatrices de fouet. Comment une personne aussi haut placée qu'elle dans l'Empire de Xeltos pouvait-elle avoir de tels stigmates ? Cachait-elle aussi un passé d'esclave ? Non, ce serait impensable.
En voyant que je me portais mieux, la guerrière aux cheveux bleus commenta en ricanant :

- Un mage d'Air qui manque d'air c'est le comble. Décidément, tu aimes te donner en spectacle !

- Je ne vois pas du tout de quoi tu veux parler.

En voyant son regard amusé, je finis par me débarrasser de mon teint livide pour éclater de rire à mon tour. J'allais rajouter quelque chose quand soudain j'entendis des bruits de pas se diriger vers nous et une voix grave que j'avais déjà entendu prononcer :

- Bonsoir Aerin.

Nous nous retournâmes tous deux et je me figeai en découvrant l'identité du nouveau venu. Gabriel trônait désormais face à nous tel un mauvais songe.

- Tu es exquise, la complimenta-t-il en lui offrant son plus charmant sourire.

- Gabriel... murmura-t-elle à son insupportable frère.

- Qu'est-ce que tu veux encore ? Tu ne voudrais pas la laisser tranquille ? lui assénai-je agressivement.

Depuis le jour où je l'avais vu pour la première fois, je détestais ce type. Je ne pouvais pas empêcher sa présence de m'insupporter car je voyais très clair dans son petit jeu. Sous ses airs mielleux, il cachait des intérêts égoïstes. J'espérais seulement qu'Aerin resterait suffisamment lucide pour continuer de le tenir en rancune et ne pas s'aveugler de son lien familial.

- Calme-toi et agis en personne civilisée. Que t'ai-je fait pour mériter un tel accueil ? me questionna-t-il innocemment.

Il savait aussi manipuler les mots à sa guise et retourner la situation à son avantage. Il était un bon orateur, un ensorceleur de troupes, cela ne faisait aucun doute.

- Ce que tu m'as fait ? répétai-je, peinant à me retenir de frapper sa belle bouille de petit prétentieux. Tu as osé briser le cœur d'Aerin ! Tu l'as déçue. Elle qui se faisait une joie d'avoir retrouvé son cher frère, quelle ne fut pas sa déception quand elle s'aperçut qu'elle ne le reverrait jamais comme elle l'avait laissé ! Tu n'as fait que la bercer d'illusions pour la retenir dans les mailles de ton filet.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Peut-être n'est-ce pas une illusion mais la réalité ? J'aime ma sœur comme un frère le devrait.

- Ton amour est toxique !

- Pas plus toxique que le tien.

Sous ses airs calmes, je le sentais tout aussi énervé que moi.

- Qu'est-ce que tu insinues ? prononçai-je sévèrement.

- Je n'insinue rien, j'affirme que tu n'es pas une bonne influence pour elle. Bon, ce n'est pas que tu es de mauvaise compagnie mais pourrais-tu nous laisser s'il te plaît ? J'aimerais parler seul à seule avec Aerin.

- Non, je ne te laisserai pas poser tes sales pattes sur elle !

- Calmez-vous, nous ordonna la concernée.

- Je refuse que tu l'embobines à nouveau ! enchaînai-je en ignorant les conseils de la mage de l'Eau.

Le chef de la Griffe Bleue me fixa avec haine quelques instants avant de me questionner :

- Tu es quoi au juste, son chien de garde ?

- Répète un peu ? m'emportai-je, d'ores et déjà prêt à lui sauter au visage.

- Arrêtez ! insista la sœur du mafieux.

Il me regarda droit dans les yeux puis finit par me provoquer dans un sourire de défi :

- Chercherais-tu la bagarre mon cher Raphaël ?

- Je serais ravi de te l'offrir, répondis-je, dans le même sourire confiant que le sien.

D'un mouvement de main, l'air se joignit à mes paumes. Mon opposant se posta en garde.

- Stop ! hurla la jeune femme aux cheveux bleus. Vous n'allez tout de même pas vous affronter ici !

Voyant que nous ne l'écoutions pas, elle enchaîna :

- Vous savez très bien que le règlement du Tournoi vous l'interdit : les participants n'ont pas le droit de se battre hors compétition !

Mon adversaire et moi nous dévisageâmes en silence avant de finalement quitter nos positions de combat. Aerin avait su choisir le seul argument qui nous ferait reculer. Quelques personnes présentes au même moment dans les jardins nous fixaient avec curiosité. Fichu règlement, j'aurais enfin pu faire sa fête à ce mafieux !

- Voilà qui est mieux. Même une bande de gamins ne se chamailleraient pas de la sorte... souffla-t-elle exaspérée. Gabriel, je te suis.

En prédiction de ma réaction, elle me rassura aussitôt :

- Raphaël, ça ira. Ne t'inquiète pas.

Je restai silencieux un instant, ça m'arrachait le cœur de la savoir aux côtés de son frère, mais ce qui me tuait encore plus c'était de rendre les armes face à lui.

- Préviens-moi s'il te veut du mal.

- Que vas-tu t'imaginer ? intervint le chef de la Griffe Bleue en levant les yeux au ciel.

Aerin tira sur le bras de son frère pour le pousser à partir et esquiver une nouvelle dispute, puis elle affirma à mon attention :

- On se retrouvera plus tard.

Sans que la mage de l'Eau ne le vît, Gabriel se retourna pour m'adresser un sourire narquois en signe de victoire. Quel enfoiré celui-là... Je retournai dans la salle des festivités d'un pas énervé.

*