76× Relation Secrète
Blake
Durant tout le repas, je n'avais pas pu m'empêcher de jeter de furtifs coups d'œil à Hadrian. Parfois nos regards se croisaient pour être détournés aussitôt.
Nous nous ignorions depuis le début de la soirée dans un souci du secret. Notre liaison ne devait pas être découverte, cette vieille règle militaire nous en empêchait. Et c'était terriblement contraignant... Il m'était interdit de toucher à ses lèvres ou à son corps, pas même à le dévorer du regard. Il était tout proche et pourtant il parvenait à obnubiler mes pensées comme si nous étions séparés par d'immenses contrées. Je le lorgnai une nouvelle fois, ressentait-il la même chose que moi ?
Je soupirai en reportant mon attention vers les artistes qui s'exprimaient autour de nous. Des musiciens de cistre, d'ocarina de bien d'autres instruments côtoyaient des danseurs mages dont la maîtrise impressionnante et unique était à couper le souffle. La magie artistique était une pratique unique au Royaume de Leto, lieu particulièrement friand de toutes formes d'art. À vrai dire, la valeur d'un individu dans les sociétés letonnaises était jaugée en fonction de son talent dans un ou plusieurs de ces domaines. L'art était au centre de tout, si bien que chaque habitant en était habile depuis l'enfance. Probablement les Paladins de Jade qui se trouvaient autour de nous cachaient le même genre de talent.
- Ils savent mettre l'ambiance, commenta Aerin qui nous avait rejoint Kagami et moi après le repas en compagnie de Traska, elle-même accompagnée de Sachi et Fay.
J'approuvai d'un hochement de tête, debout, appuyée à un buffet.
- Ça c'est sûr ! J'ai hâte de voir si leurs guerriers seront aussi bons au Tournoi qu'eux dans leur domaine, ajouta la femme à la peau marron avec enthousiasme.
- Tu participes aussi ? la questionna la mage de l'Eau.
Elle acquiesça avant de retourner la question aux autres.
- Moi aussi je compte prendre part à la compétition, déclara à son tour Kagami.
- Laisse tomber, tu ne feras jamais le poids. Enfin, tu t'entraînes déjà plus que ton amie, se moqua Sachi.
Je la fusillai du regard, si elle savait ce que j'avais enduré ces deux derniers mois !
- Retire tout de suite ce que tu as dit ! m'emportai-je avant d'ajouter fièrement : Et puis je te signale que moi aussi je participe.
L'espionna s'apprêta à répondre mais une intervention inespérée vue le jour, celle d'Hadrian. Je l'avais perdu de vue un instant et le voilà dernière nous avec Peter et Ariane.
- Détrompe-toi, ils ont tous deux fait de gros progrès. Je m'occupe même personnellement de l'entraînement de Blake. Ils ont toutes leurs chances d'être pris.
Kagami et moi le dévisageâmes, à la fois éberlués et remplis de fierté face à ses éloges. Jamais notre chef ne nous avait félicités de la sorte. J'en avais presque les larmes aux yeux, et je sentais mon meilleur ami tout aussi fébrile que moi à mes côtés.
- Jamais je n'aurais pensé que tu défendrais ces petits démons un jour, commenta le chef de l'Eau, surpris.
- Il y a une première fois à tout, répliqua-t-il en buvant une gorgée de la boisson que son interlocuteur venait de lui tendre.
- Et toi alors, tu vas au Tournoi ou tu as la trouille ? repris-je d'un ton provocant à l'attention de Sachi.
- Évidemment que j'y serais, répliqua-t-elle sèchement.
- Pas très malin pour une espionne de se révéler au grand jour, enchaîna Kagami qui lui aussi avait repris du poil de la bête.
- C'est pour cela que j'ai pris un faux nom à l'occasion.
- C'est tout de même étonnant, exposa Aerin d'un ton plus sérieux pour calmer le jeu. En tant qu'espionne, ton domaine c'est la surprise. Hors dans un combat où les participants sont enfermés dans une arène tu ne pourras pas utiliser cette faculté à ton avantage.
- C'est la raison pour laquelle je ne m'inscris pas, confirma Fay.
La fille aux cheveux roses paraissait contrariée par la décision de son jumeau. Mais étonnamment elle n'ajouta rien. Le fil des discussions reprit plus normalement ensuite. Aerin s'adressa soudain à moi pour me taquiner :
- Alors comme ça, tu t'es enfin décidée à t'entraîner ?
- J'ai juste un peu changé d'avis, d'accord ? Finalement, ce n'est pas si mal l'entraînement.
- Ou alors c'est Hadrian qui n'est pas si mal, me souffla Traska d'une voix pleine de sous-entendus.
Je la dévisageai, les yeux écarquillés, comment avait-elle pu le déduire ? Paniquée, je cherchai le concerné du regard mais le vis heureusement discuter à l'écart avec Peter. Les Dieux soient loués, il n'avait rien entendu. Soulagée, je répliquai :
- Qu'est-ce que tu racontes ? Tout le monde sait très bien que je le déteste !
- Tu ne vas tout de même pas essayer de nous faire gober une histoire pareille ! Depuis votre escapade à Xeltos, vous avez plutôt l'air de bien vous entendre si tu veux mon avis, renchérit la mage aux cheveux bleus dans un sourire espiègle.
- C'est vrai, et je peux te dire que t'as des goûts vraiment étranges, confirma Kagami en mimant un air de dégout.
- Puis Hadrian s'est grandement adouci depuis que tu le côtoies, ajouta la princesse Ariane en me souriant.
Pitié n'en dites pas plus ! Ils enfonçaient une porte qui ne devait pas être ouverte. N'étaient-ils pas au courant de cette fameuse règle qui interdisait les relations entre subordonné et commandant ? C'est vrai, qu'elle n'était pas vraiment enseignée aux Lames d'Argent, du moins elle était vite oubliée. Elle était pourtant importante au sein des armées conventionnelles d'Alanya. Je pris un air mécontent avant de rétorquer :
- Vous racontez vraiment n'importe quoi. Vous ne préférez pas plutôt aller ennuyer quelqu'un d'autre ?
- Ça ne sert à rien de le cacher, tu es aussi rouge que tes cheveux, ricana Aerin.
Je jurai intérieurement, maudissant ce foutu corps de vouloir me trahir.
- J'ai chaud voilà tout ! me justifiai-je d'un ton de plus en plus sur la défensive.
Des applaudissements et des exclamations se firent soudain entendre. Je levai la tête par curiosité et pus alors constater que Meredin et Reita, la chef Letonnaise étaient la cause de tout cet enthousiasme. Profitant de la diversion, je demandai :
- Qu'est-ce qui se passe ?
Une petite foule s'était formée autour d'elle.
- On dirait qu'elles jouent au lancer de couteaux, affirma Traska.
Les deux guerrières se lançaient des défis l'une à l'autre pour déterminer qui était la meilleure. Chose étonnante, Reita semblait se montrer de taille face à l'excellence de Meredin. Cette dernière était pourtant la quintessence du pays en terme de maniement des poignards.
Nous nous approchâmes à notre tour de l'horizon des événements.
- Bien joué, tu te débrouilles bien, commenta la Lame d'Argent.
- Je te retourne le compliment.
Elles reprirent leurs tentatives, alors que certains commençaient déjà à ouvrir les paris. À chaque lancée, les deux parvenaient à viser juste, en plein dans le mille sous les applaudissements des gens autour. Meredin était en train de se faire une rivale à sa hauteur. Les concurrentes s'étaient données une limite de coups à jouer pour que l'affrontement ne s'éternise pas. Pourtant plus elles s'approchaient de la fin et moins l'une ne gagnait l'ascendant sur l'autre. Au dernier couteau, le verdict tomba :
- Et c'est l'égalité ! clama le conseiller Alateo avec vivacité.
Malgré la joie de la plupart, certains étaient un peu déçus de ne pas assister à un véritable dénouement. Moi aussi à vrai dire. Mais au vu de la rivalité qui venait de se former entre les mages d'Air, ce n'était que partie remise.
Dans le brouhaha général qu'avait causé la dispersion des spectateurs je me rendis au buffet d'alcool qu'avait rapporté le Royaume de Leto. Peter capta mon attention alors qu'il s'était lancé dans des explications destinées à Hadrian à propos des boissons les plus fortes. Je fronçai des sourcils.
- Qu'est-ce que tu manigances Peter ?
Il se retourna, surpris.
- Moi ? C'est plutôt à toi que je devrais demander une telle chose. Je suis encore étonné de ne mettre toujours pas pris l'une de tes vilaines farces au cours de cette soirée.
- Qui sait ? Peut-être que cela ne saurait tarder...
Il ricana de gêne, préférant ne pas entrevoir cette possibilité.
- Ne rigole pas avec ça !
J'éclatai de rire à mon tour à l'entente de sa réaction. C'était drôle d'imaginer que l'une des plus grandes peurs de Peter c'était moi et mes farces. Il se tourna à nouveau vers ses verres qu'il remplissait et mélangeait étrangement avant d'en tendre un au chef du Feu.
- Tiens, tu m'en diras des nouvelles.
- C'est pas vrai, tu te mets à dépraver Hadrian, maintenant ?
- Ce n'est pas comme si c'était la première fois que j'essayais, rigola-t-il. Mais au moins cette fois j'ai réussi !
Le brun buvait sans rien ajouter.
- Tu en veux un aussi ? enchaîna-t-il d'un ton amical.
Décidemment, rien ne l'arrêtait. Je souris et acquiesçai, charmé par sa sympathie. Nous discutâmes tous les trois le temps de siroter nos boissons, enfin trois était un grand mot, Hadrian ne participait pas beaucoup. Il avait d'ailleurs déjà fini son verre. Lors d'un moment de silence, Peter se pencha à l'oreille de son nouvel ami pour lui confier quelque chose que je ne pus entendre. Mais son sourire amusé et le regard qu'il rivait sur moi ne me plut pas du tout. Je lui répondis par un froncement de sourcils suspicieux. L'homme châtain se redressa pour annoncer :
- Je vous laisse, je dois faire goûter cette merveille à Saya !
- Saya n'aime pas l'alcool, répliquai-je.
Il s'en alla sans tenir compte de ma remarque. Qu'il pouvait se montrer obstiné parfois. Surtout qu'il ne pouvait pas ignorer ce fait la concernant, Peter la connaissait bien mieux que moi.
Je bus une gorgée avant de réaliser que j'étais à présent seule avec mon chef. Je le lorgnai timidement. Personne ne devait nous soupçonner davantage d'être ensemble. Je fis un pas, puis m'adressai enfin directement à lui.
- Bon bah... Salut. Profite bien de ta soirée.
Je m'apprêtais à faire volte-face avec regret quand celui-ci répondit d'un ton sans appel :
- Suis-moi.
Je le dévisageai et, en guise de toute réponse, celui-ci se dirigea vers les portes vitrées ouvertes qui menaient directement aux jardins. Toujours aussi mystérieux celui-là. Intriguée, je m'engageai à sa poursuite tout en scrutant les alentours avec agitation. Il s'arrêta au moment où nos corps furent accueillis par une brise douce et où le regard des autres était hors de notre portée. Hadrian se tourna vers moi et m'embrassa fougueusement. D'abord paralysée par l'audace de ce geste, je me ressaisis et me dérobai, non sans une certaine amertume.
- Qu'est-ce que tu fais ? Tu es fou ! On va nous voir !
Je balayai les alentours le cœur battant : personne heureusement.
- C'est si dur d'être à la fois près et loin de toi... me confia-t-il d'un ton plus langoureux que d'accoutumée.
- Je sais, murmurai-je dans un sourire triste.
Il n'était pas du genre à faire des confessions sur ses sentiments les plus profonds d'habitude. Le brun se rapprocha de moi et me serra dans ses bras. Je ne pus m'empêcher de fondre face à son attitude inhabituelle. Son souffle ardent s'échouait sur ma nuque en provoquant de légers frissons sur la surface de ma peau. Argh, Blake ressaisis-toi. Personne ne devait nous voir comme ça ! Pourtant je n'arrivais pas à le repousser, au contraire je me mis à l'embrasser à mon tour. Le chef du Feu commença à déposer de doux baisers au creux de mon cou. Je me mordis la lèvre inférieure, comment résister à cet appel ? Alors que je rassemblais encore le courage de nous stopper, il susurra à mon oreille :
- J'ai envie de toi...
Je sentis mes joues cuire face à ces paroles.
- Tu sais bien que nous ne devons pas être vus.
Alors que je tentai de me dégager de son étreinte, il se mit à me serrer d'autant plus fort dans ses bras. Étonnée par une telle réaction de sa part, je le regardai plus attentivement. Avait-il perdu la raison ? Bien que plaisantes, ses réactions étaient anormales. En fait, il ne tenait pas du tout l'alcool. Il était complètement ivre !
- Ressaisis-toi, tu n'es pas dans ton état normal, lui chuchotai-je.
Hadrian se décrocha lentement de moi, le regard bas et triste, les joues rouges d'émotions. Il me questionna dans un murmure étrangement tremblant :
- Tu ne veux plus de moi ?
Je le dévisageai les yeux ronds. Bon sang Peter, il y avait quoi dans tes boissons ? Le guerrier était méconnaissable.
- Non, bien sûr que non ! Mais il faut d'abord que tu te calmes. L'homme que je connais est le plus sage et le plus sérieux du continent. Jamais il n'aurait manqué à ses responsabilités.
C'était étrange d'incarner la voix de la raison avec lui, habituellement c'était plutôt le contraire. L'homme aux cheveux noirs paraissait réellement abattu et continua de déblatérer des paroles insensées et irréalistes. Malgré la situation, voir autant d'expressions défiler sur son visage en deviendrait presque drôle. Je scrutai les alentours : personne à l'horizon. Je soupirai de soulagement. Lorsque le brun cesserait d'être aussi bavard je pourrais enfin espérer le raccompagner à l'intérieur. Il ne faudrait surtout pas qu'il révèle notre relation par inadvertance. Je soupirai.
Merci Peter.
*
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