Raphaël

Deux semaines s'étaient écoulées et les chaleurs estivales s'étaient installées en même temps que l'effervescence qui avait prise la capitale. Des étrangers venus des quatre coins du pays et même du continent avaient déjà commencé à prendre d'assaut la ville au vu des prochains événements. Dans six jours débuterait enfin le Tournoi Inter-Cité. L'allée principale de Shardaa avait été décorée pour l'occasion et d'immenses bivouacs prévus pour accueillir nos invités avaient été installés autour du lac qui bordait la ville. Chacun avait été muni de lits confortables et ornés de la même manière que l'aurait été une chambre du château.

Chez les Lames d'Argent aussi l'excitation était palpable. L'annonce des candidats retenus pour participer au Tournoi serait faite dans à peine quelques jours. Les chefs choisiraient les plus méritants parmi ceux qui avaient inscrit et déposé leur prénom dans l'urne qui trônait dans le réfectoire depuis une semaine. Mes deux meilleurs amis et moi nous étions empressés de poster notre candidature.

Depuis lors, nous nous entraînions sans relâche pour tenter de faire bonne figure. Peut-être que notre sérieux nous permettrait de faire pencher la balance en notre faveur ? Ce fut donc encore une fois de la sorte que nous passâmes la matinée. Après un entrainement satisfaisant, nous nous retirâmes pour aller déjeuner. Au réfectoire, nous nous installâmes à l'une des rares tables libres et Aerin commenta en regardant autour d'elle :

- Tout le monde semble surexcité à l'idée du Tournoi qui se prépare. C'est rare de voir autant d'agitation au château.

- Promettons-nous que l'un de nous trois gagnera cette compétition ! me pris-je l'envie soudaine de les défier.

Mes plaies étaient presque parfaitement guéries, seules quelques cicatrices indolores étaient venues s'ajouter aux précédentes. J'allais ainsi pouvoir me donner à fond sans me soucier de quelconque douleur.

- Compte sur moi ! confirma Alexandre dans un sourire confiant.

- Même à vous, je ne ferais aucun cadeaux ! s'exclama la mage d'Eau.

Le chemin vers la victoire serait semé d'adversaires plus coriaces les uns que les autres mais j'étais certain que nous parviendrions à une bonne place du classement, enfin, encore fallait-il être sélectionné. Affamé, j'avalai voracement ma nourriture jusqu'à être interrompu par Saya qui était venue se percher à une estrade pour faire une annonce.

- Les souverains du Royaume de Leto et leurs participants au Tournoi chevauchent vers Shardaa en ce moment-même. Leur arrivée est prévue dans la soirée, tenez-vous prêts à les accueillir avec le respect qui leur est dû. En effet, vous ne serez pas surpris d'apprendre que ce sont nos plus solides alliés et que nous espérons de pas voir nos relations s'entacher au cours de leur séjour.

La politique de Leto était proche de celle qui régnait à Alanya, d'où l'entente évidente qui s'était installée entre nos deux nations, Par exemple, la magie y était tout aussi légale et même plus encouragée qu'ici. Ce pays qui bordait la frontière nord du nôtre était celui qui m'avait vu naître, pourtant je n'avais pas le moindre souvenir de ses immenses plaines que l'on décrivait vêtues de mille lumières et de son paysage escarpé de montagnes enchanteresses.

- Ce sont nos premiers invités à arriver, commenta Alex.

Leur avance n'avait rien d'étonnant. Les participants venus de loin devaient prendre le temps de s'installer et de se reposer de leur voyage avant le début de la compétition.

L'effervescence ne retomba pas même après l'intervention de la chef, tous était curieux et excités. Ce fut ce moment que la démone aux couettes rouges choisit pour passer à côté de nous comme si de rien était. Aerin l'interpella dès qu'elle l'aperçut :

- Tiens Blake ! Ça faisait longtemps que je ne t'avais pas vu, où t'étais-tu cachée pendant tout ce temps ?

Elle s'arrêta pour la regarder puis répondit nonchalamment :

- Je sors de la bibliothèque.

- Quoi ? m'étouffai-je.

Nous partîmes dans un fou rire incontrôlé.

- Arrêtez de vous payer ma tête ! Pourquoi ça vous étonne autant ? s'indigna la concernée en tapant du pied.

- Je n'aurais jamais cru que tu savais lire ! se moqua Alexandre entre deux rires.

- Moi j'aurais plutôt pensé que tu ne connaissais même pas l'existence de la bibliothèque du château ! ajouta Aerin tout aussi pliée.

- Pour qui me prenez-vous ? Je ne suis pas illettrée ! gronda-t-elle farouchement.

Elle prit une moue boudeuse, mais au lieu de s'en aller comme elle aurait pu le faire après cette contrariété, elle préféra se renseigner :

- Que se passe-t-il ? Pourquoi toute cette agitation ?

- Tu n'as pas entendu l'annonce de Saya ?

Elle secoua la tête et nous lui fîmes part des dernières informations à notre disposition. La suite du repas s'écoula en sa compagnie et le reste de la journée aussi. Un messager de Leto se présenta en fin d'après-midi pour nous signaler l'arrivée proche des siens. Toute activité en fut interrompue lorsque nous fûmes sommés de nous rendre présentables en nous revêtant de nos uniformes d'apparat.

Ce fut finalement au environ de dix-neuf heures que deux carrosses et une escorte équestre prirent place dans la cour du château. Nous, Lames d'Argent, étions strictement alignés, le roi et la princesse à notre tête.

J'observai les hommes et femmes vêtus d'un uniforme étranger au nôtre. Probablement, était-ce les fameux Paladins de Jade, un ordre de chevaliers élémentaux à l'image des Lames d'Argent. Leur groupe, crée par les récents dirigeants de Leto, était encore jeune et n'avait pour l'instant rien avoir avec le nôtre. Néanmoins, de beaux jours les attendaient car l'avenir leur tendait la main.

Les souverains sortirent de la première diligence. Le couple tenait la main à un enfant d'environ six ans, que je supposai être leur fils et une suivante portait un nourrisson qui devait aussi être leur enfant. Le Royaume de Leto devait son ère de prospérité à ses dirigeants. Peu après avoir quitté mon pays natal, ils avaient mené une révolte pour renverser le pouvoir abusif qui était en place. Ils avaient brillamment su passé de simples rebelles sans accession au trône à souverains héroïques. Depuis leur règne, la nation jouissait des mêmes droits qu'Alanya. L'esclavage avait été aboli et la magie rendue légale.

Le roi Haldir, la princesse Ariane et les chefs des Lames d'Argent s'approchèrent des royaux personnages et des représentants des Paladins de Jade qui les accompagnaient pour échanger quelques politesses.

- Ravi de vous revoir mon cher Alcas, ma chère Alethéïa, commença le roi d'Alanya dans un grand sourire amical tout en leur serrant la main. Je vous souhaite la bienvenue à Shardaa à vous, à vos enfants et à tout votre peuple, j'espère que vous vous y plairez durant le peu de temps où vous resterez parmi nous.

- Nous sommes tout aussi ravis de vous revoir mon cher Haldir, répliqua la reine de Leto, tout aussi amicalement avant de se tourner vers la fille de son interlocuteur. Mais ne seriez-vous pas la petite Ariane ? Vous avez bien grandi depuis la dernière fois où nous vous avons vue. Vous semblez être devenue une femme accomplie

- Je vous remercie, vous êtes tout aussi resplendissante, répondit poliment la princesse aux longues boucles blondes.

- J'espère que vous avez fait bon voyage, s'enquit le souverain d'Alanya.

- Nous sommes tous un peu fatigués par notre traversée depuis Leto, surtout nos enfants, mais rien d'alarmant, je vous rassure, répondit le roi Alcas. Nous rejoindrons les bivouacs plus tard.

- Non, ne vous embêtez pas. J'invite les dirigeants de chaque nation à dormir sous le toit du château, affirma Haldir.

- C'est bien gentil à vous, le remercia la Letonnaise.

Le Grand Tournoi n'était en vérité qu'un prétexte pour réunir tous les souverains du continent en un seul et même lieu. Alors que chaque pays montrait ce qu'il valait au combat dans l'arène, les dirigeants, eux, débattaient pour obtenir de quelconques alliances militaires ou arrangements commerciaux avec leurs pairs.

Les nouveaux arrivants furent conviés à dîner et à festoyer en l'honneur de notre alliance. Les Letonnais avaient un goût prononcé pour les réjouissances, paraîtrait-il.

Des tables avaient été installées dans la salle de réception normalement vide, malléable à chaque occasion. Les serviteurs avaient fait du bon travail en peu de temps, bien que cette soirée improvisée ne fût pas à la hauteur de véritables galas. La pièce paraissait presque trop grande malgré tout ce beau monde.

Les repas furent servis à des tables aux effectifs mixtes qui permirent à certains de faire connaissance. Mes amis et moi avions la chance de nous être retrouvés aux côtés de Peter et par extension aux autres chefs et personnages importants tous camps confondus, excepté Hadrian qui lui avait préféré s'installer avec Ariane à la table royale. Les discussions tournèrent inévitablement autour de la raison qui nous réunissait ici : le Tournoi Inter-Cité.

- Alors, qui parmi vous fait partie des participants d'Alanya ? s'enquit Din, apparemment meilleure mage de Feu et conseillère chez les Paladins de Jade.

Chez eux la hiérarchie ne se divisait pas de la même manière que la nôtre. Il n'y avait qu'un chef, en l'occurrence une mage de l'Air, et ses trois conseillers qui appartenaient aux autres éléments.

- Moi-même et les chefs qui m'accompagnent sommes pour l'instant les seuls certains de participer, répondit Saya. Nous n'avons pas encore délibéré de la liste finale des Lames d'Argent qui nous accompagneront.

- Vraiment ? s'étonna Alateo, représentant de l'Eau. Le Tournoi approche à grands pas pourtant.

- C'est vrai, et vous avez tout intérêt à nous choisir ! intervint Alexandre en direction de nos dirigeants sur un ton mi-menaçant mi-comique.

- Ne t'en fait pas pour ça ! J'avais envie de vous mettre une dérouillée de toute manière ! s'exclama Peter qui lui infligea une tape amicale dans le dos en rigolant.

- Ne laissons pas notre jugement être influencé par nos sentiments, intervint Meredin en découpant calmement sa viande.

- Nous devons choisir les plus méritants en toute impartialité, le gronda gentiment Saya.

- Quel bande de rabat-joie, vous avez vu ça ? soupira le jeune homme châtain à l'adresse des Letonnais, sans pour autant quitter son sourire.

Les concernés s'esclaffèrent, déjà conquis par le charme et le naturel de notre meilleur mage de l'Eau. Un certain Naelyan, conseiller de la Terre, prit la parole à son tour pour changer de sujet :

- J'ai entendu dire que le Royaume d'Alanya avait ouvert des sélections un peu partout sur ses terres pour laisser sa chance à ceux qui ne font pas partie de l'armée ou de la noblesse, c'est une très bonne initiative. À Leto, la quasi-totalité des participants appartiennent aux Paladins de Jade, les rares autres ont seulement su plaire à la cour.

- Ah oui ? répondit Saya après s'être poliment essuyé la bouche. C'est vrai qu'il y a une bonne partie des participants Alanyiens qui nous sont pour la plupart encore inconnus. J'ai hâte de découvrir ceux qui ont su se hisser au Tournoi sans recommandation, par leur seule valeur.

- J'imagine que la perspective d'être blessé pour le spectacle en rebuterait plus d'un, on peut au moins saluer leur courage pour s'être présenté, ajouta Peter.

- Cela me fait penser que j'ai eu vent d'une rumeur, renchérit Aerin. L'un des combats opposerait apparemment deux guerriers dénués de protections.

Si les combattants étaient libres de porter une armure de la tête aux pieds pour compenser le port d'armes, c'était pour éviter les plaies trop graves et leur permettre de combattre plusieurs fois sans l'handicap d'une blessure.

- Ne risque-t-il pas d'y avoir un mort ? prononça Alateo en levant un sourcil.

- Peut-être mais ça plaît au public ! répliqua Peter qui haussa des épaules.

- En effet, on l'appelle le "combat mortel", appris soudain Reita, chef des Paladins de Jade, en reposant son verre. Je l'ai vu de mes propres yeux lors du précédent Grand Tournoi.

- "Mortel" ? répétai-je. Visiblement, il ne cherche même pas à en cacher la dangerosité...

- Vous souhaitez toujours participer ? s'enquit Peter dans un sourire narquois qui nous était adressés.

Son ton nargueur réveilla un air de défi en nous qui nous permit de répliquer à la positive avec aplomb.

Les assiettes se vidèrent rapidement et le repas ne tarda pas à se changer en une soirée enivrée par les airs des musiciens Letonnais qui avaient accompagné la troupe.

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