74× Éveil
Raphaël
Mes doigts avaient rencontré les doux draps d'un lit sous leur faible palpation. J'entrouvris les paupières, encore un peu engourdi par le sommeil. Ma lente analyse des alentours se faisait maladroite dans mon esprit. La nuit avait pris possession des lieux, mais malgré sa faible luminosité, je compris bien assez vite que je ne me trouvais pas dans ma chambre. Je venais de me réveiller dans l'infirmerie du château, étonnamment en compagnie d'Aerin et Alexandre. Tous deux s'étaient endormis de chaque côté de mon lit, affalés sur le matelas, les fesses toujours sur leur chaises. Mes lèvres s'étirèrent doucement. Ils étaient restés ici tout ce temps pour assister à mon réveil. S'inquiétaient-ils à ce point pour moi ? Je remuai un peu pour me réinstaller mais sentis alors mon corps tout entier me tirailler, me brûler. Pansements et bandages y étaient parsemés.
Je sentis du mouvement. Mon ami à la mâchoire découpée par le clair de lune releva lentement la tête vers moi avant de bailler. Mon agitation l'avait probablement sorti de son rêve. Il me fixa, le regard perdu dans le vide. L'instant d'après, il reprit ses esprits et murmura avec joie :
- Tu es enfin réveillé !
Je souris, sa bonne humeur était plaisante comme toujours. Avant de répondre, mon esprit effectua une courte introspection de mes derniers souvenirs, de la raison de notre présence ici. Tout me revint alors en tête : les esclavagistes, la torture, Lacdan Revloz...
- Lacdan Revloz ! Qu'est-il devenu ? Vous l'avez arrêté ?
Alexandre porta précipitamment son doigt devant sa bouche pour m'intimer le silence et chuchota :
- Moins fort ! Tu vas réveiller tout le monde.
J'avais presque oublié que nous nous trouvions dans une infirmerie et que d'autres personnes dormaient, cachées par les rideaux qui me séparaient de leurs lits. Le blond continua :
- Aucun homme portant ce nom n'a été retrouvé parmi les esclavagistes.
- Alors il a encore réussi à s'échapper ! murmurai-je les dents serrées.
Quand allais-je enfin pouvoir mettre la main sur cette enflure ?
- Aie confiance, tu finiras par le retrouver. Et encore une fois, tu pourras compter sur nous pour te sauver du pétrin ! blagua-t-il dans un clin d'œil.
- À t'entendre, j'ai vraiment l'impression d'être un damoiseau en détresse.
- C'est un peu le cas, non ? s'esclaffa-t-il.
Amusé, j'observai les contours de son corps imposant qui parvenait à se démarquer dans le noir. Un grognement nous alerta. Aerin était en train d'émerger à son tour. Elle scruta les alentours, déboussolé, puis sembla arrêter son regard sur moi.
- Tu es réveillé !
- Toi aussi à ce que je vois.
- Tes blessures ne te font pas trop souffrir, j'espère ? me questionna-t-elle avec empressement.
- Mais non voyons, c'est un grand gaillard ! répondit Alex à ma place.
- Qu'est-ce qui t'a pris de partir sur un coup de tête sans prévenir personne ? enchaîna-t-elle.
Je grimaçai, je l'attendais venir cette question.
- À vrai dire, j'ai paniqué en entendant que l'on ne m'autoriserait pas à participer à cette mission. Alors je suis allé arrêter ces hommes moi-même.
- Tu aurais dû nous en parler, on t'aurait aidé.
- Même s'il fallait déroger aux règles ?
- Même s'il fallait déroger aux règles, répéta Aerin avec conviction.
Je les détaillai tous les deux malgré l'obscurité, ils avaient raison. Pourquoi m'obstiner à faire cavalier seul alors que nous aurions pu démolir la base ennemie s'ils m'avaient accompagné ? Je soupirai honteusement, je n'avais pas osé leur faire confiance. Quel piètre ami je faisais...
Alexandre changea de sujet :
- Tu penses être rétabli pour dans trois semaines ? N'oublie pas que le Tournoi Inter-Cité approche à grand pas !
- Oh oui, c'est vrai ! J'ai tellement hâte ! m'exclamai-je d'une joie retrouvée.
- C'est drôle, il suffit de parler de bagarre pour que tes yeux s'illuminent, commenta Aerin avec amusement.
Avec tout ceci, j'avais presque oublié cette fameuse compétition que j'attendais tant. Elle opposait les plus grands guerriers de tous les pays du continent. C'était un événement spécial et très important destiné à sublimer la façade que chaque nation souhaitait faire paraître aux autres. Le Tournoi Inter-Cité était organisé seulement tous les cinq ans et avait lieu dans un pays différent à chaque édition. Mes amis et moi comptions y participer, en espérant être pris parmi les candidats qui représenteraient Alanya.
Je n'avais jusqu'alors jamais vu le Grand Tournoi de mes propres yeux. Il avait toujours été organisé dans d'autres pays. De plus, la dernière fois que la compétition avait eu lieu, mon jeune âge m'avait empêché de participer, à cette époque, je n'avais même pas encore été adoubé chevalier. Mais malgré les divergences d'opinion, tous s'accordait à dire que l'événement était grandiose et qu'il fallait le voir au moins une fois dans sa vie.
Cette année, le Tournoi Inter-Cité aurait lieu dans le Royaume d'Alanya, plus précisément dans Shardaa même. Jouer à domicile me laissait au moins le temps suffisant pour guérir.
- Vous avez intérêt à être à la hauteur car moi je compte bien gagner ! Même si les chefs participent, je ne leur laisserai aucune chance !
Les deux s'esclaffèrent et la mage de l'Eau enchaîna sur un ton moqueur :
- Prie plutôt pour qu'ils t'en laissent !
Je répliquai aussitôt à sa pique et nous nous chamaillâmes sous les rires amusés d'Alexandre. Quand le calme revint enfin, celui-ci décida dans un long bâillement de nous quitter afin de rejoindre son cher lit, bien plus adéquat à la sieste. Nous le saluâmes puis quand il quitta la pièce, un silence s'abattit sur nous. Ce n'était pas un silence pesant mais plutôt un calme agréable et contemplatif. Nous étions tous deux pris dans nos pensées. Je brisai en premier cette douce tranquillité pour déclarer sincèrement :
- Merci...
Aerin me fixa avec incompréhension. J'enchaînai sur le champ pour semer toutes confusions :
- Merci de m'avoir sauvé.
Elle esquissa un sourire et affirma :
- Je n'ai fait que te rendre la pareille.
Je baissai la tête et repassai les images de mon tortionnaire en revue.
- Penser une seule seconde que j'ai laissé filer cet...! m'étouffai-je de colère.
À cette vision, la guerrière aux yeux bleus me lança un regard triste et rassurant à la fois.
- Cette vengeance ne doit pas t'empêcher de vivre... Ce n'est pas sain de rester bloqué sur cette idée. Un jour, vos chemins se recroiseront d'eux-mêmes.
Je me détendis en la regardant et prononçai :
- Tu as peut-être raison...
Mon interlocutrice plissa subitement les traits pour annoncer d'une colère à peine dissimulée :
- Cependant, il a pris un malin plaisir à te torturer, et ça, je ne peux le tolérer !
Je souris à l'entente de sa hargne. Au bout de quelques paroles, elle quitta à son tour l'infirmerie pour aller se reposer. Elle voulait me laisser récupérer, même si j'avais déjà pas mal dormi.
Le lendemain, ma première visite ne fut ni celle d'Aerin ni celle d'Alexandre mais bien celle d'un visiteur inattendu.
- Décidément c'est toujours dans l'infirmerie que je te trouve ! Ça va finir par devenir une habitude, blagua Aslan le mage de la Terre aux cheveux verts sapins.
Je le saluai et lui demandai ce qu'il était venu faire ici.
- Je suis venu voir si t'allais bien pardi ! Nous avons tous été inquiets quand nous t'avons vu perdre connaissance dans les souterrains.
- Tu faisais partie de ceux qui m'ont secouru ? le questionnai-je surpris.
Il hocha la tête.
- C'est la deuxième fois que tu me sauves la mise alors.
*
* *
Blake
J'arpentai les couloirs avec pour objectif de trouver Hadrian. Heureusement, j'avais une petite idée du lieu où il pouvait se cacher. Je poussai les lourdes portes de la bibliothèque du château. Je n'y étais presque jamais allée auparavant mais je savais que le chef du Feu adorait y passer des heures. Je longeai les hauts étals de livres tout en admirant leur nombre époustouflant. Soudain j'aperçus celui que je cherchais accoudé à une table, concentré dans la lecture d'un gros bouquin. Je me mis alors à guetter chaque côté pour vérifier que nous étions bien seuls.
Une fois la certitude d'avoir quartier libre, je me faufilai le plus discrètement possible derrière le brun. Il n'avait toujours pas remarqué ma présence. Quand je fus finalement à sa hauteur, je le saisis brusquement dans mes bras. Pris par surprise, Hadrian sursauta. Je souris malicieusement de satisfaction, j'avais réussi à le faire réagir comme escompté. Celui-ci ne se retourna pas, il avait compris sans mal à qui il avait à faire. L'homme tira subitement sur l'un de mes avant-bras pour m'obliger à me baisser à sa hauteur et ramena mon corps contre le sien. Contre toutes attentes, il avait saisi mon visage pour me voler un baiser. Tout c'était déroulé si vite que je n'avais pas eu le temps de comprendre ce qui venait de se passer. Déboussolée, je me retirai après coup. J'avais voulu le surprendre mais il avait su répliquer à son avantage.
- Tu devrais voir ta tête, s'esclaffa Hadrian.
- C'était de la triche ! m'indignai-je, les joues en feu.
- Pour être un bon guerrier, il faut savoir tirer parti des faiblesses de son adversaire.
Je croisai les bras, la moue boudeuse. Le taciturne posa doucement sa main sur le haut de mon crâne.
- Mais la surprise était aussi une bonne tactique, compléta-t-il.
Un sourire s'élargit sur mes lèvres à l'entente de ce compliment.
Depuis que nous nous étions embrassés pour la toute première fois dans la salle d'entraînement, nous avions continué sur cette voie là. Malheureusement, Hadrian m'avait appris qu'il existait une vieille règle militaire, dont tous les chevaliers Alanyiens devaient se soumettre, interdisant strictement les relations amoureuses entre commandant et subordonné. C'était apparemment dans un souci d'équité et d'impartialité. Le chef aux cheveux noirs s'en était momentanément voulu de me faire courir un danger inutile du simple fait de ne pas avoir su retenir un baiser ; mais moi j'étais heureuse qu'il ait pris ce risque et de le braver à ses côtés. Depuis nous nous dissimulions du regard d'autrui, personne n'était au courant de notre relation. Nous nous ignorions la plupart du temps en présence d'autres Lames d'Argent mais c'était parfois difficile de ne pas le dévorer du regard. Heureusement la salle d'entraînement et la bibliothèque, nos pièces favorites de réunions, étaient toujours désertes.
- Qu'est-ce que tu lis ? l'interrogeai-je pour changer de sujet en m'installant sur la chaise d'à côté.
- Le Livre des Ascendants.
- Tu ne l'as jamais lu ? le questionnai-je étonnée.
- Si bien sûr, plusieurs fois même. Cependant j'ai voulu relire les petits contes qui y sont narrés, surtout ceux qui parlent de divinités apparaissant aux humains.
Le Livre des Ascendants était le bouquin sacré qui retraçait l'épopée des Dieux de notre monde. Il relatait beaucoup d'histoires diverses et variées : de la création de l'univers jusqu'aux mythes des demi-dieux, en passant par des récits d'apparitions divines auprès des humains.
- Je pensais que ce n'était que des légendes mais depuis ce qu'il nous est arrivé, j'en doute, poursuivit-il.
Hadrian était resté bloqué sur l'apparition de Lévanah. Il détestait rester dans le flou et son esprit, insatiable de connaissances, réclamait toujours plus de réponses.
Le guerrier feuilleta rapidement les pages et précisa :
- Je n'ai trouvé aucun passage qui parlait d'une quelconque suppression de la malédiction des Enfants Maudits.
- Il y a une première fois à tout.
- Et aussi j'ai remarqué un détail troublant...
Je l'interrogeai du regard pour l'inciter à développer.
- Dans tous les passages que j'ai lu à propos de Lévanah, celle-ci est toujours représentée comme bienveillante et sans jamais aucune mauvaise intention ou pensées négatives, a contrario des Dieux de la création qui ont des qualités et des défauts. Pourtant elle est censée être née des âmes humaines et par conséquent être à leur image. Elle devrait donc avoir une part d'ombre, même minime. Mais rien de tout ceci n'est mentionné dans ce bouquin.
- Les auteurs n'ont peut-être pas voulu représenter cette "part d'ombre" dans le livre. Tu sais, ces histoires sont romancées.
- Tu as raison... Je me fais des idées. Je vais chercher trop loin, raisonna-t-il.
*
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