70× Dans la Gueule du Loup
Raphaël
Un mois et demi était passé depuis notre retour au Royaume d'Alanya. Je me réveillai étrangement en pleine forme ; peut-être était-ce les dernières missions de routine qui m'avait suffisamment fatigué pour cette fois me faire passer une bonne nuit. Je quittai mon lit pour aller ouvrir la fenêtre et y admirer l'extérieur un moment. Mes sens étaient tout disposés à recueillir les chants mélodieux des oiseaux alors que le soleil commençait déjà à envelopper chaleureusement le haut de mon corps. Je fermai les yeux pour pouvoir mieux profiter de cette atmosphère propice à la bonne humeur. C'était une belle journée qui s'annonçait.
Une fois habillé, je descendis de ma chambre pour aller déjeuner. Le reste de la journée se passa normalement ; je m'entraînai avec un Alexandre quasi guéri qui avait repris l'exercice depuis peu. Ce ne fut qu'au beau milieu de l'après-midi, alors que je me rendais dans mes quartiers, que je surpris une conversation se jouer dans un couloir adjacent au mien. Je n'y fis pas attention jusqu'au moment où mon prénom y fût mentionné. Intrigué, je stoppai tout mouvement pour y prêter une oreille attentive.
- Non, on ne peut pas lui en parler ! Tu le connais, il va encore n'en faire qu'à sa tête et mettre en péril toute la mission, argumenta une voix féminine que je connaissais déjà sans parvenir à mettre un nom dessus.
- Mais si je te dis ! Il a besoin de les retrouver ; c'est son but ultime ! Il ne s'en remettrait pas si quelqu'un d'autre les arrêtait à sa place, riposta un timbre masculin.
Je penchai discrètement la tête vers le bord du mur pour jeter un furtif coup d'œil aux deux personnages qui débattaient. Je pus alors découvrir qu'il s'agissait des chefs Peter et Saya, qui dos à moi, ne prirent pas conscience qu'ils étaient observés.
La dirigeante de la Terre soupira et reprit :
- Nous ne pouvons pas le laisser saccager une énième mission au risque qu'il se blesse lui-même ou qu'il mette en danger la vie d'autrui. Tu ne te rappelles pas ce qui est arrivé la dernière fois ? Raphaël a laissé ses compagnons sur le côté pour foncer tête baisée et il a évidemment fini à l'infirmerie !
Je fronçai les sourcils en commençant à comprendre où ils voulaient en venir.
- Tu ne penses pas qu'on pourrait peut-être lui offrir une autre chance ? tenta le chef de l'Eau en ma faveur.
- La dernière fois aussi était censée être une autre chance.
- Bon d'accord, j'abandonne ! Mais dis-m'en plus, ces esclavagistes, où se trouvent-ils ?
- Si mes souvenirs sont bons, à une demi-journée au sud de Shardaa. J'irai vérifier le dossier, il est encore dans ma chambre.
À ces mots, je m'éclipsai sans attendre ; je n'avais pas besoin d'en entendre plus. La situation était très claire : des esclavagistes avaient été repérés et les chefs souhaitaient m'empêcher de participer à la mission les concernant. Mais bien entendu je ne comptais pas me laisser faire, s'ils ne voulaient pas de moi je n'avais pas besoin d'eux non plus pour partir les arrêter ! Comme l'avait souligné Peter, je vivais dans l'unique but de tous les punir et surtout d'un jour retrouver celui que je cherchais ardemment depuis toujours. Celui qui avait fait de moi et de tout mon village natal des esclaves. Celui que je haïssais de tout mon être. Le véreux et antipathique Lacdan Revloz ! La simple idée que ce type pût respirer le même air que le mien me répugnait au plus haut point. Le jour où je le retrouverais, je m'étais promis de tuer cet homme de mes propres mains.
Je traversai les couloirs à toute allure en direction du Hall Ouest, l'aile du château attribuée aux chambres féminines des Lames d'Argent. Déterminé à prendre le risque, j'allais tenter de m'infiltrer dans les appartements de Saya pour récupérer les fameux documents dont elle avait mentionné l'existence un peu plus tôt. Si quelqu'un m'apercevait essayer de m'introduire dans la chambre d'une fille, et d'autant plus d'une chef, ma réputation était fichue à jamais.
J'atteignis enfin ses quartiers et me plantai devant sa porte. Je l'analysai brièvement ; je faisais face à un nouveau problème : comment allais-je bien pouvoir l'ouvrir ? Je ne savais pas crocheter les serrures ! Je regardai autour de moi avec angoisse ; je ne devais surtout pas traîner ici. Je posai ma main sur la poignée et à mon plus grand étonnement, la porte s'entrebâilla toute seule. Je retins un hoquet de surprise face à la chose. Saya ne l'avait pas verrouillée, signe qu'elle n'allait pas tarder à revenir. Je ne me fis pas prier pour entrer dans la pièce ; je devais me dépêcher.
Mon regard balaya brièvement les lieux. Sa chambre était comme je me l'étais imaginé : parfaitement ordonnée. Finalement ce serait plus simple que je ne le pensais, les documents que je cherchais devaient forcément être posés sur son bureau. Je m'en approchai sans plus tarder et pus ainsi m'apercevoir avec stupeur que des piles de centaines de papiers étaient alignées en plusieurs tas bien distincts. J'allais prendre un temps fou à feuilleter toute cette paperasse ! Je relativisai : c'était une affaite récente, le dossier que je convoitais devait probablement se trouver au dessus des autres. Je me mis donc à feuilleter minutieusement chaque feuille. Il y avait de tout, des ordres de mission, des rapports... Je réalisais maintenant qu'être chef demandait plus d'efforts que je ne l'aurais cru.
Je tombai tout à coup sur un ordre de mission qui affirmait que nos espions avaient aperçu des esclavagistes un peu plus loin au sud. Ils pensaient qu'ils venaient peut-être de découvrir la base principale du réseau illégal établi dans le royaume. Les coordonnées exactes du lieu étaient indiquées sur le papier. J'interrompis ma lecture dès l'instant où j'entendis des bruits de pas se rapprocher dans le couloir. Ils se faisaient dangereusement proches. Paniqué, je scrutai précipitamment les alentours de droite à gauche afin de trouver une cachette adéquate. Au dernier moment, je roulai sous le lit avec le précieux papier en main.
La porte s'ouvrit dans un angoissant grincement et je pus percevoir les pas de Saya se diriger vers son bureau. Je retins mon souffle, si elle savait que j'étais ici, je ne donnerais pas cher de ma peau. Elle fouilla vigoureusement dans ses papiers durant un moment qui me sembla être une éternité.
- Mince, je n'ai pas pu le perdre ! finit-elle par soliloquer.
Elle s'acharna encore quelques minutes à chercher le document que j'avais entre les mains avant d'enfin s'en aller. Je soupirai de soulagement et, après m'être assurée de son départ, sortis de ma cachette. Heureusement elle n'avait pas détecté ma présence, sans doute trop préoccupée par la disparition du précieux bout de papier. Je m'éclipsai par la suite sans perdre de temps, la voir revenir était la dernière de mes envies. Je me dirigeai cette fois dans la direction de ma propre chambre tout en terminant de lire les informations sur le trajet.
Sans plus tarder, j'enfilai une cotte de maille par dessus mes vêtements et accrochai le fourreau de mon épée à une ceinture avant d'aussitôt me diriger vers les écuries. Je sellai ma monture et partis sans attendre. Les deux sacoches accrochées à la selle de mon cheval contenaient toujours assez de nourriture pour quelques jours ainsi que d'autres objets indispensables à ma survie. C'était utile lorsqu'il me fallait partir précipitamment comme je l'avais fait aujourd'hui.
Je quittai la cour du château, traversai la grande allée commerçante de Shardaa puis sortis de la ville. Je me mis enfin à galoper lorsque j'atteignis des espaces plus vastes tout en trouvant la cadence parfaite qui alliait à la fois la rapidité et l'endurance de ma monture d'élite. À ce rythme, j'arriverais à mon objectif vers la fin de la journée.
Mon corps tout entier était parcouru de frissons, impatient à l'idée de supprimer un à un chaque esclavagiste que j'y croiserais.
Au Royaume d'Alanya, l'esclavage avait été aboli depuis déjà de nombreuses années. Pourtant cela n'empêchait pas certaines fleurs du mal d'y pousser encore. Penser ne serait-ce qu'une seule seconde que des humains pouvaient ainsi en exploiter d'autres me mettait tout bonnement hors de moi.
Le soleil, vif jusque là, commençait tout juste à décliner lorsque j'atteignis enfin le lieu indiqué par l'ordre de mission après ces quelques heures de chevauchée intense. J'examinai les alentours avec minutie jusqu'à parvenir à localiser l'endroit exact où se terrait mes ennemis. Une dizaine de charrettes immobiles étaient stationnées à l'abri des regards. C'était ici. Néanmoins, je ne pus m'empêcher de trouver les lieux étrangement insignifiants pour être réellement la base principale du réseau d'esclavagistes Alanyiens.
J'observai les roulottes de loin, songeur. Elles étaient probablement destinées à transporter ceux qui n'étaient plus que des marchandises aux yeux de ces malfrats. Révolté par cette vision, je serrai le poing pour contenir ma rage et ma frustration. Je tentai de me calmer ; cette fois je comptais agir avec les idées claires et non pas guidé par ma haine. Furtivement, j'accrochai les brides de mon destrier à un arbre, là où j'étais sûr qu'il ne pourrait pas être vu de mes adversaires.
J'avançai silencieusement vers l'endroit que je venais de découvrir et m'y infiltrai discrètement. Je commençai à vagabonder entre les charrettes tout en scrutant scrupuleusement chaque parcelle de terrain qui m'était donné de traverser. Lorsque j'apercevais des gardes, je me cachais à l'abri de leurs regards. Ce coup-ci, je comptais agir intelligemment et tenter de ne pas me faire repérer de suite. On m'avait trop souvent reproché d'être une tête brûlée alors cette fois, je n'allais pas foncer dans le tas et ainsi prouver aux Lames d'Argent et aux chefs que j'étais parfaitement capable d'arrêter moi-même ces hors-la-loi. Même si, je devais bien me l'avouer, je me serais fait un plaisir de me battre comme un fou furieux contre chaque personne que je croisais. Dommage, quand bien même cette solution était plaisante, il serait stupide de l'envisager. Je ne connaissais pas leurs forces réelles.
Curieusement, j'étais pris d'une certaine adrénaline, je sentais que cette fois serait la bonne. Je retrouverais enfin ce cher Monsieur Revloz pour lui faire la peau comme j'en rêvais depuis des années. J'accomplirais ma vengeance et rien ne m'en empêcherait.
Ma visite des lieux me mena finalement face à un minuscule bâtiment de la taille d'une roulotte. L'entrée gardée éveilla aussitôt ma curiosité. Que pouvaient-ils bien chercher à cacher ? Je n'eus pas le temps de me poser plus de questions que la porte s'ouvrit pour laisser passer deux hommes richement vêtus. Stupéfait, j'aperçus l'intérieur de la petite bâtisse, ou plutôt, l'absence d'intérieur. L'obscurité ne me permit pas d'observer grand chose mais je pus tout de même affirmer que de larges escaliers descendaient jusque dans des sous-sols insoupçonnés.
Quand ces hommes d'affaires furent définitivement hors de ma vue, je contournai l'endroit pour prendre les gardes par surprise. Une fois à revers, je les étranglai à l'aide de ma magie. L'air se pressa contre leurs gorges et ils étouffèrent péniblement, incapables d'appeler à l'aide. Ils ne tardèrent pas à s'évanouir tous deux. Je m'avançai vers la voie désormais libre en jetant un œil aux corps inconscients de mes victimes. Le sort que je leur avais fait subir n'avait pas dû être des plus plaisants ; mais cette méthode me permettait d'éviter d'avoir à les tuer, après tout ils n'étaient que des pions.
Je m'introduisis prudemment dans la pièce. La porte n'avait même pas de verrou, ces scélérats n'avaient pas prévu que quelqu'un passerait aussi aisément les gardiens des lieux. Sans bruit, je descendis les escaliers, inquiet à l'idée de ce que j'allais y trouver. Éclairé à la lueur des torches qui étaient accrochées aux murs, je parvins en bas sans encombre mais demeurais sans voix face à ce qui m'y attendait. Je m'appuyai à une rambarde et me penchai vers le gouffre qui s'offrait désormais à moi. Sous mes pieds s'étendaient un gigantesque complexe souterrain ! D'ici, je pouvais même y deviner la dizaine d'étages descendre sous terre. Jamais je ne me serais douté qu'une base de cette envergure pouvait exister à une si courte distance de la capitale.
- Eh, vous ! Que faites-vous ici ? m'interpella brusquement un garde. Vous êtes un client ? Pourquoi n'êtes-vous pas accompagnés comme le demande le protocole ?
Je me tournai vers lui et lui intimai à voix basse :
- Dégage de ma route.
Sans attendre, je tendis ma paume dans sa direction et lui fis subir le même sort qu'aux deux autres. Il étouffa et finit par s'évanouir à son tour. En mon for intérieur, j'espérais de tout cœur que ses exclamations n'eussent retenu l'attention de personne. Si je continuais à me faire repérer de la sorte, je n'allais plus avoir assez d'énergie pour combattre les principaux meneurs de cette organisation.
Je scrutai les alentours ; cette base était si immense que je me demandais bien par où j'allais passer pour atteindre ceux que je cherchais. Je finis par choisir aléatoirement d'emprunter les escaliers qui descendaient à ma gauche. Je devais m'enfoncer le plus profondément possible dans les bas fonds, peut-être y trouverais-je quelque chose ? Au bout de quelques minutes, je me fis repérer par trois gardes que je tentai de rendre à leur tour inaptes au combat. Les étouffer chacun en même temps me demandait une certaine concentration qui se vit brusquement rompre par l'arrivée imprévue de deux autres hommes. Sans réfléchir, je cédai à la facilité en invoquant une violente bourrasque qui plaqua mes cinq adversaires contre l'une des parois de la cavité. Le couloir se mit à trembler sous le poids des corps ennemis. Du sable s'échappa même du plafond, signe que si je continuais, toute la structure allait s'effondrer sur moi.
Je jetai un œil aux esclavagistes au sol. Je m'étais laissé emporter, le vacarme que j'avais causé n'allait pas tarder à alerter leurs compagnons. Je soupirai, tant pis pour la discrétion. De toute manière, j'étais déjà parvenu assez profondément dans la base. Depuis le temps, les corps de ceux que j'avais attaqués précédemment avaient dû être retrouvés. L'alerte intrusion allait être définitivement donnée. Je me dirigeai vers mes nouvelles victimes et me penchai sur l'un d'entre eux. Sans plus tarder, je l'empoignai par le col pour le questionner :
- Où se trouvent vos supérieurs ?
Le concerné garda le silence mais eut tout de même l'audace de me défier du regard. S'il voulait jouer, il ne tarderait pas à le regretter. J'exerçai une petite pression sur son cou à l'aide de mes pouvoirs pour lui faire comprendre de vite changer d'attitude.
- Parle !
J'augmentai la pression de seconde en seconde. L'homme me fixait alors que son visage changeait petit à petit de couleur. Celui-ci finit par ne plus tenir et murmura difficilement :
- En bas... Dans... le quartier... 9-3...
À ces mots, je le lâchai et courus dans la direction indiquée en me jurant de poser la question à d'autres de ces compagnons qui me confirmeraient ou non ses dires.
Je progressais à toute vitesse dans le dédale de couloirs depuis déjà quelques minutes. Au moment où je trouvai louche de ne plus croiser personne, j'entendis de nombreux bruits de pas se manifester derrière moi. Je fis volte-face et pus alors constater qu'une dizaine d'esclavagistes arrivaient à grandes enjambées. L'une d'eux s'exclama :
- Arrêtez-vous, vous n'êtes pas autorisés à être ici !
Sans blague, comme si je ne le savais pas déjà.
Tout à coup, d'autres bruits attirèrent mon attention à l'opposé de leur position. Ce fut cette fois une quinzaine de gardes qui déboulèrent. J'étais encerclé. Je fronçai les sourcils, s'ils pensaient pouvoir me vaincre, c'était raté. Les esclavagistes n'étaient jamais de grands combattants, seulement d'abjects tortionnaires.
Je brandis un bras de chaque côté et invoquai les forces aériennes, leur ordonnant de balayer mes opposants. Des ouragans dévastateurs sifflèrent autour de moi. Ils ne m'arrêteraient pas aussi facilement ! Les parois du couloir se mirent à nouveau à trembler sous les exclamations paniquées des hommes et des femmes qui m'entouraient. Du sable tomba par filet dans mes cheveux.
- Tout va s'effondrer, arrêtez !
Durant une seconde, j'eus un soupçon d'hésitation. Les vents à mes côtés s'apaisèrent et il ne fallut que l'espace de ce même instant pour que mon incertitude me coûtât la victoire.
Je sentis subitement un objet fin et pointu se planter dans ma nuque. Je le retirai sans douleur et l'analysai. Cependant il fut déjà trop tard quand je constatai qu'il s'agissait d'une fléchette tranquillisante, car dans les secondes qui suivirent...
Plus rien.
*
Décidément, on ne change pas les bonnes vieilles habitudes chez Raphaël. Mais que va-t-il donc bien pouvoir advenir de notre héros ?
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