7× Départ de Shardaa
Aerin
- Nous vous prions une énième fois de nous excuser pour ce mal entendu, si toute fois il s'avère être exact, déclara Saya en courbant légèrement la tête avec politesse.
La lanière de ma monture en main, j'observai la scène d'un œil distrait aux côtés d'Alexandre. Nous patientions ainsi depuis déjà quelques minutes, temps qui s'était rapidement écoulé grâce à la bonne humeur de mon ami.
Les ambassadeurs Xilliens étaient sur le point de rentrer chez eux et nous avions justement été choisis avec d'autres Lames d'Argent pour les escorter. Malgré leur réticence à voir des mages les accompagner, ils s'étaient pliés à l'évidence qu'ils avaient déjà perdu la plupart de leurs gardes du corps. Nous attendions justement que leurs cercueils fussent tous déposés dans le paquetage avant que le départ ne fût lancé. Leurs cadavres étaient destinés à être rendus à leurs familles afin qu'ils puissent avoir le droit à une sépulture digne de ce nom.
Les guerriers de l'Empire rouge avaient été libérés depuis déjà quelques jours. Nos représentants s'étaient confondus en excuses pour éviter le moindre accroc entre nos deux nations. Bien que difficilement, les émissaires avaient fini par les accepter, notamment grâce à leur général qui avait été suffisamment sage pour comprendre la gravité de la situation dans laquelle nos pays seraient si lui et les siens s'étaient laissés emporter par l'orgueil d'avoir été gardés prisonniers. Les débats avaient ainsi continué pour les concernés jusqu'à se solder sur un accord de neutralité et de non-ingérence aux affaires d'autrui ainsi qu'un traité de paix temporaire. Parvenir à un terrain d'entente s'avérait finalement être plutôt exceptionnel après tout ce qu'il était arrivé.
- Ouf, pile à l'heure ! s'exclama une voix qui ne m'était pas inconnue.
Je jetai un œil à la nouvelle venue qui m'avait faite sortir de mes pensées, Blake s'était arrêtée près de moi en compagnie de son cheval. Elle paraissait reprendre son souffle. La mage de Feu s'était probablement dépêchée pour parvenir jusqu'ici, si bien que les bouts visibles de la tunique de son uniforme qui dépassaient de sa cotte de maille s'avéraient être froissés. Décidément, elle avait fière allure... Le reste de sa tenue, identique à la mienne, semblait déjà plus réglementaire : un pantalon marron clair, des bottes, des gantelets de fer, une épée accrochée à la ceinture et surtout une longue cape noire dont le blason du royaume d'Alanya surmontait toujours fièrement le dos des Lames d'Argent qui la portaient en mission.
Alors qu'Alexandre la salua amicalement dans un grand sourire, je préférai pour ma part lui glisser d'un ton sarcastique :
- C'est bien, tu ne t'es pas perdue.
Celle-ci me dévisagea en fronçant des sourcils.
- Qu'est-ce que tu insinues ?
- Rien, je ne vois pas de quoi tu parles, affirmai-je en haussant les épaules dans un demi-sourire nargueur.
Elle s'apprêtait à répliquer quelque chose de cinglant quand Peter s'approcha de nous pour nous saluer. Bien que le chef de l'Eau fût très sociable, ce n'était pas exactement la raison pour laquelle nous étions proches, lui et moi. En effet, j'avais été son apprentie lors de mon adoubement alors que lui n'avait pas encore été nommé à la tête de la garde de l'Eau. J'avouerais d'ailleurs volontiers qu'avoir le privilège d'être amie avec mon chef était plutôt jouissif. C'était toujours amusant de voir les visages jaloux de ceux, et surtout celles, qui rêvaient de l'approcher en dehors de la barrière du travail.
- Tu pars en mission avec nous, Peter ? lui demanda mon ami à la taille colossale, étonné de le voir aussi en uniforme.
- Perdu, je suis seulement là pour des histoires de formalités, ou entre autre pour souhaiter un bon retour à nos chers Xilliens en guise d'hospitalité.
Celui-ci passa une main décontractée dans sa soyeuse chevelure asymétrique avant de croiser le regard de Blake qu'il n'avait pas remarqué jusqu'à présent. Il eut un mouvement de recul involontaire, pris de cours face à ce qui pourrait presque constituer sa plus grande peur.
- Finalement c'est à vous que j'aurais dû souhaiter bon voyage en priorité, vous en aurez grandement besoin si vous devez vous coltiner la démone tout le long !
- La démone t'emmerde Peter, se renfrogna la concernée.
Le jeune homme châtain se pencha vers moi pour chuchoter, du moins assez fort pour que la mage aux cheveux rouges l'entende :
- Tu feras bien attention à la tenir en laisse si vous ne voulez pas qu'elle fasse trop de bêtises !
- Quoi ? s'étouffa-t-elle. Je vais te...!
Une main qui avait atterri sur son épaule la coupa brusquement dans son élan en la faisant sursauter. La mage aux yeux marron-gris se tourna avec vivacité vers l'acteur de cette intervention, d'ores et déjà prête à l'incendier. Cependant la jeune femme se détendit instantanément en voyant qu'il s'agissait tout compte fait de son meilleur ami.
- Kagami ! s'écria-t-elle dans un grand sourire.
- Tu m'oublies vite on dirait ! lâcha le nouvel arrivant aux cheveux d'un rouge plus profond que ceux de sa partenaire.
- Je dois voir flou, les démons se dédoublent, s'exclama Peter. Je vous laisse les gérer, salut !
- C'est ça, fuit... Qu'il ne s'attende pas à ce que je l'épargne dans mes prochains coups, grommela Blake en référence à la discussion qui avait eu lieu entre eux quelques instants plus tôt.
Le second mage de Feu ricana en lui indiquant :
- N'hésite pas à requérir mon aide quand on rentrera au château !
Kagami était en effet le grand compagnon de farce de Blake. Ensemble, ils étaient tout simplement démoniaques.
- Je sais, je comptais sur toi, confirma-t-elle dans un sourire malicieux. Mais dis-moi, qu'est-ce que tu fais là ? Non ne dis rien, laisse-moi deviner ! Hadrian a voulu que "tu te rendes utile" toi aussi ?
- En plein dans le mille ! Mais voyons le bon côté des choses, notre duo de choc va pouvoir continuer à semer le chaos !
- Génial ! s'enthousiasma Blake en frappant dans les mains de son ami avec complicité.
- Pitié, pourquoi faut-il que les deux insupportables fauteurs de trouble fassent eux aussi partie du convoi ? me lamentai-je dépitée, sans que les deux concernés n'y fasse attention, désormais trop absorbés par leur dialogue.
- Ils vont mettre un peu d'animation ! ricana avec décontraction l'imposant blond affublé d'un bandeau.
Au même moment le signal fut donné pour indiquer le départ imminent des diligences de la cour du château. Je grimpai sans attendre sur ma monture, vite imitée par les autres cavaliers. Je ne savais pas tellement à quoi m'attendre d'une telle mission. J'espérais seulement qu'elle se passerait sans encombre.
Le convoi démarra enfin sous le bruit des sabots qui foulaient le sol gravillonné avec fracas. Le château d'Alanya fut vite derrière nous quand nous pénétrâmes dans l'allée centrale de Shardaa. La capitale était aménagée de sorte à ce qu'une immense route la sillonne, partant des hauteurs où se trouvait le château et se terminant à l'entrée de la ville. Cette interminable ligne droite avait été créée pour faciliter les passages de la cavalerie venant et sortant de la demeure royale. La cité avait ainsi été agencée autour pour devenir l'un des plus hauts forts de puissance du continent.
Durant notre traversée, nous pûmes savourer les douces odeurs qui emplissaient nos narines en provenance des divers étales qui bordaient le chemin riche en commerces. La foule nous fixait sur notre passage avec curiosité pour certains quand d'autres arboraient une sorte d'exaltation. On pouvait même lire des expressions touchées d'une naïve admiration chez les enfants à la vue de nos uniformes. Chaque sortie officielle des Lames d'Argent étaient accompagnés de cet accueil. Les citadins nous appréciaient, notre ordre représentait à leurs yeux l'idéal de justice que le Royaume d'Alanya tentait d'atteindre.
Une fois avoir quitté Shardaa et traversé son pont-levis, nous suivîmes au pas un large chemin de terre entouré de champs agricoles qui menait droit vers l'est. Je relevai la tête vers le ciel, bercée par les ballottements de ma monture. Le temps était agréable aujourd'hui. Malgré l'hiver, un doux soleil réchauffait paisiblement l'atmosphère et atténuait les dernières traces de froid. Cela n'échappa pas non plus à Alexandre, tout sémillant, qui commenta :
- Les jours se font déjà plus beaux !
J'approuvai d'un mouvement de tête quand au même moment un papillon se mit à voleter autour de mon ami blond. Le lépidoptère se décida finalement à se poser sur le nez du chevalier qui le contemplait avec un émerveillement enfantin. Je m'esclaffai ; il avait toujours aimé ces insectes, je le soupçonnais même d'avoir déjà voulu en faire ses animaux de compagnie. La petite bête ne tarda pas à s'en aller comme elle était venue.
Les papillons se manifestaient étrangement tôt cette année, il ne pouvait s'agir que d'un bon présage, de la naissance d'un nouveau cycle.
Les heures défilèrent au même rythme que la petite variété de paysages ruraux. Le trajet s'annonçait long et éprouvant. Les diligences des ambassadeurs ralentissaient grandement une progression qui aurait presque pu être faite en moitié moins de temps sur le dos de nos montures. En effet, les chevaux des Lames d'Argent étaient choisis parmi les meilleures lignées pour leur rapidité et leur endurance que peu de leurs semblables n'égalaient dans le royaume.
Le soleil finit par prendre une teinte cramoisie dont les traînées orangées marquées le passage dans le ciel. Nous avions eu beau surveiller les alentours, aucune ombre suspecte n'avait attiré notre attention durant la journée. Nous nous décidâmes ainsi à établir un campement à l'abri des arbres pour y passer une nuit coupée par les tours de garde.
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