62× Ordre Insensé
Raphaël
Je dévisageais la vice-générale de Xeltos avec horreur. Elle allait me tuer et pourtant je n'avais plus même la force de me débattre. Mon ennemie dégaina son sabre sous mes yeux ébahis. Sa lame ! Non, c'était inconcevable. L'obscure bleue qui la constituait sonnait pour moi comme un terrible présage. Comment cela était-il possible ? Comment cette femme pouvait-elle manier une arme en Arkaïte ? Cette pierre qui avait anéanti mes pouvoirs, réduit à néant mon énergie vitale, qui m'avait simplement terrassé ; la Xillienne, elle, la portait avec aisance depuis le début, cachée dans son fourreau ! Je n'en avais jamais vu une telle utilisation.
Elle se positionna de sorte à m'exécuter d'un coup d'estoc. Derrière elle, du trouble se créait.
- Meurs !
Impuissant, je fermai les yeux, prêt à recevoir sa sentence de plein fouet. Comment mon heure avait-elle pu venir si vite ? Sans même pouvoir répliquer !
- Attention ! s'écria un soldat.
Un homme se jeta dernière la vice-générale pour parer des flammes qui étaient presque parvenues à nous atteindre. La chef abandonna toute idée de meurtre pour se tourner vers l'horizon des événements. Elle s'écarta même de moi pour faire quelques pas.
- Que se passe-t-il ?
Des colonnes de terre jaillirent soudain en dessous des deux gardes qui me tenaient pour les engloutir jusqu'au cou. Paniqués, ils lâchèrent aisément leur prise sur moi et furent, l'instant d'après, éjectés de chaque côté. Mes paumes s'agrippèrent au sol pour empêcher mon corps de chuter en avant. J'étais libre. Un petit groupe de Lames d'Argent était passé à l'attaque par voie magique. Leur assaut en avaient surpris plus d'un mais bien vite les boucliers bleus avaient été levés et avaient rendus leurs sorts inefficaces. Néanmoins l'action s'était déjà jouée, ils étaient parvenus à percer leurs défenses pour arriver jusqu'à moi.
Désorienté, j'écarquillai les yeux pour les dévisager. Je ne m'attendais pas à voir quiconque me secourir. Mes libérateurs inattendus se postèrent tout autour de moi, toutes épées levées en direction des Xilliens pour les empêcher d'approcher. À y regarder de plus près, il s'agissait du peloton qui avait été chargé d'ouvrir la porte, tout comme Peter et moi. Je ne remarquai d'ailleurs pas ce dernier parmi eux.
Pourquoi ces chevaliers risquaient-ils leurs vies pour sauver la mienne ? Je les connaissais à peine, mais si ce n'était que cela ! Mon incompréhension allait au delà de la simple méconnaissance de ces guerriers. Depuis que je m'en étais pris au chef de l'Eau devant toute la cour, la plupart des Lames d'Argent me détestait. Alors pourquoi étaient-ils tous ici, attroupés autour de moi ?
L'un d'eux me tendit la main. Il s'agissait d'un chevalier à la peau mate et à la longue chevelure sapin coiffée en une queue de cheval basse. Après une courte hésitation, je saisis sa poigne puis l'homme m'aida à me relever et même à tenir debout en m'offrant son épaule comme soutien. Étonné par tant d'attention à mon égard, je le questionnai d'une voix affaiblie :
- Pourquoi... Pourquoi faites-vous cela ?
Il me dévisagea, surpris, et me répondit comme s'il s'agissait d'une évidence :
- Tu es des nôtres et nous n'allons pas abandonner un camarade ! Peut-être que tu n'es pas très apprécié après ce que tu as fait à Peter mais personne ne souhaite t'offrir en pâture aux Xilliens pour autant. S'ils veulent te tuer, ils devront d'abord nous passer sur le corps !
Je baissai la tête pour masquer le sourire qui était parvenu à franchir les barrières de mes lèvres. Que serais-je devenu s'ils n'avaient pas agi ? Je serais sans doute déjà mort et mon sang nourrirait les entrailles de la terre.
Les deux camps avaient pris une position défensive dans l'attente d'une action adverse. Mes alliés s'élevaient à une petite vingtaine face à une soixantaine de soldats Xilliens, sans compter ceux qui guettaient leur heure au dessus des remparts et aux alentours. D'autant plus que parmi eux se trouvait l'une des sept généraux de l'Empire. Sans pouvoirs, nous perdions notre avantage. Nous n'avions aucune chance de les battre. Mes alliés s'étaient jetés dans la gueule du loup. À cause de moi. Pourquoi ? Ils auraient simplement dû me laisser crever !
- N'utilisez surtout pas la magie... Ou leurs boucliers en Arkaïte vous terrasseront ! les prévins-je d'une voix plus faible que je ne l'aurais voulu.
- Ça risque d'être problématique, commenta celui qui me soutenait.
Je l'observai un instant et me rendis compte que je ne connaissais même pas son nom. Je pouvais reconnaître chaque Lame d'Argent de visage mais j'avais beaucoup plus de mal à retenir les prénoms, ce qui me portait parfois préjudices puisque nous étions tous censés nous connaître depuis l'enfance.
- Je suppose que maintenant que nous sommes ici autant tenter d'ouvrir cette foutue porte, affirma l'une des combattantes de nos rangs.
Les autres approuvèrent dans un râle guerrier.
- Vous êtes fous... murmurai-je.
- Et c'est toi qui dis ça ? Rappelle-moi qui nous avons dû secourir des griffes de ces vilains fanatiques ? rétorqua le guerrier aux cheveux longs d'un ton amusé. Maintenant, fais-nous seulement confiance.
Ce jeune homme suscitait en moi un élan d'espoir et un étrange sentiment de sécurité, comment avais-je pu ne pas retenir son nom ?
- Comment t'appelles-tu ? le questionnai-je sans préambule.
Il me regarda avec surprise. Je me crispai de gène. J'avais laissé sortir ce qui m'était passé par la tête, sans prendre de pincettes. Pourvu que je ne l'aie pas vexé ! Comme pour me rassurer, un sourire eut tôt fait de franchir ses lèvres pour me répondre simplement :
- Aslan.
Les deux camps maintenaient toujours leur position défensive, mais les miens paraissaient désormais prêts à mener le coup d'envoi. La vice-générale esquissa alors un sourire en fixant un point derrière nous.
- Je crois que quelqu'un aimerait se joindre à la partie.
Certains d'entre nous prirent le risque de jeter un œil en arrière. Peter, c'était Peter ! Il arrivait vers nous à la surprise générale. À sa vue, des exclamations d'espoir fusèrent des bouches des chevaliers de nos rangs.
- Je vous ai manqués à ce point ? déclara le nouvel arrivant comme si de rien était.
Je le réalisais à présent, le jeune homme châtain avait un charisme fou. Il était fait pour être chef et accomplissait ce rôle avec justesse. Lorsqu'il m'aperçut, le mage effaça toutes traces de sourire et s'approcha promptement de moi.
- Je vois que tu as su te débrouiller... prononçai-je à son attention.
- Ce qui n'a pas l'air d'être ton cas...
Il m'auscultait du regard, ses traits s'étaient creusés d'inquiétude et de regrets. Les autres, quant à eux, nous fixaient, interloqués. Le grand séducteur des Lames d'Argent réagit aussitôt, mécontent de l'attitude de ses subordonnés :
- Qu'y a-t-il ? Pourquoi nous regardez-vous de cette manière-là ? Êtes-vous si étonnés de nous voir réconciliés ?
La plupart des guerriers détournèrent les yeux, gênés. La dirigeante ennemie s'impatientait si bien qu'elle commenta :
- Touchant, il est vrai. Mais revenons-en où nous en sommes, vous voulez bien ?
Les Lames d'Argent reprirent leur aplomb, galvanisés par cette apparition. Le retour de notre commandant avait suscité un nouvel élan d'espoir parmi nos troupes. La jeune femme ennemie ne lâchait pas Peter du regard. Une lueur de défi brillait dans ses yeux verts.
- Qui est-ce ? nous demanda alors le chef de l'Eau sans prendre la peine de formuler sa question avec quelconque forme de politesse à l'égard de celle-ci.
- Je suis la vice-générale Náriel Eléftheros, septième générale de l'Empire de Xeltos et unique titulaire au poste ! répliqua-t-elle avec fierté. Ah, et j'allais oublier : je suis la chef de l'unité d'Arkaïte. Les mages comme vous, j'en fais mon affaire.
Un murmure de surprise traversa notre petit groupe. "L'unité d'Arkaïte" aucun d'entre nous n'en avions déjà entendu parler. Les Xilliens avaient créé une escouade anti-mages, sans même que nous en soyons au courant.
- Je vois que vous semblez être leur meneur, enchaîna la concernée. J'ai un marché à proposer. Voyez-vous, l'on m'a demandé de veiller sur mes hommes et je serais bien embêtée s'ils leur arrivaient quelque chose.
Une lueur sanguinaire s'alluma dans son regard, et un sourire confiant s'y étira.
- Alors que diriez-vous d'un combat, juste entre vous et moi ? Bien sûr, si vous gagnez, je vous laisserai passer. Cependant, si c'est moi qui l'emporte, vous vous rendrez sans résister et deviendrez les prisonniers de l'Empire.
Je fronçai les sourcils. Avais-je bien entendu ? Elle et ses troupes étaient pourtant assurées de gagner grâce à leur nombre. Cette Náriel ne manquait pas d'assurance, elle avait foi en ses capacités pour lancer une telle offre. Mais sa proposition me semblait un peu trop alléchante, j'avais bien peur que ce ne soit qu'un piège qui se referme sur nous. Peut-être ne tiendrait-elle même pas sa promesse ? Malheureusement, Peter n'avait pas d'autre choix que d'accepter ; autrement c'était la défaite assurée.
- Comment puis-je rester sourd face à la revendication d'une si jolie demoiselle ? J'accepte votre défi, répondit Peter d'un sourire hardi.
Nous nous écartâmes sous les ordres de nos dirigeants respectifs, à contrecœur pour certains. Alors que la tension montait parmi nous, les futurs adversaires se firent face, en garde. Ils n'attendaient que l'approbation de l'autre pour démarrer. Seule l'angoisse qui grimpait en moi m'avait permis et me permettait toujours de lutter pour rester éveiller. J'étais vidé.
Lorsque je crus que le combat allait démarrer pour de bon, plusieurs guerriers Xilliens survinrent de la ville à toute allure pour l'interrompre.
- Vice-générale ! l'interpella l'un d'eux.
Les deux belligérants suspendirent tout affrontement pour écouter ce qu'avait à dire le messager.
- Sur ordre de la générale en chef Nyx, vous devez ouvrir la porte de la ville et laisser partir les intrus !
J'écarquillai les yeux, interdit. Des murmures d'incompréhension agitèrent les troupes, d'un camp comme dans l'autre. Mais tous s'accordait sur la même opinion : il était impossible qu'une décision pareille eût été prise.
- Elle nous demande de battre en retraite, vous dites ? s'insurgea Náriel. Non ! C'est tout bonnement inconcevable ! Jamais elle n'aurait ordonné cela. C'était son plan ! Pourquoi laisserait-elle des mages s'échapper ?
- Ce sont pourtant bien ses ordres.
La vice-générale arracha des mains la missive que lui tendait son interlocuteur. Elle la décrypta un bon moment, lisant et relisant les mêmes lignes sans y croire. Or, le sceau de sa supérieure le confirmait : elle en était bien l'expéditrice. Une multitude de questions s'épelait dans son regard déboussolé, davantage même que nous. Ses doigts tremblaient sur le papier. Elle perdait le contrôle sur la situation qu'elle dominait jusqu'alors, et elle détestait cela. Mais il y avait aussi autre chose : elle semblait encore vouloir se battre, comme un loup affamé qui n'avait pas pu étancher sa soif de sang.
Elle releva enfin la tête de sa feuille pour examiner ceux qui se trouvaient autour d'elle. Un soupir rageur destiné à ne pas laisser éclater sa colère s'expira de sa bouche. Vaincue, Náriel se tourna vers ses hommes et trancha d'une voix nouée :
- Ouvrez cette porte.
*
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