6× Retour à la Case Départ
J'ouvris lentement les yeux pour m'éveiller peu à peu d'un profond sommeil. Troublé par les lumières qui m'éblouissaient de part et d'autre, je papillonnai des paupières pour rétablir ma vision des alentours. Je compris de suite que je me trouvais à l'infirmerie. Quelques personnes y circulaient, étonnamment plus que d'accoutumée. Les derniers événements me revinrent en mémoire, je m'empressai de toucher mon ventre. Je fus néanmoins rassuré en y rencontrant de nouveaux bandages, chauds et propres. Mais à mon plus grand désarroi, j'avais retrouvé l'un des lits de la salle de soin bien plus vite que je ne l'aurais espéré.
Je croisai le regard de Meredin dans un coin de la pièce alors qu'elle était en train de discuter avec Saya d'un sujet qui semblait ne pas se prêter à la rigolade. Les deux chefs féminins me dévisagèrent puis signalèrent mon réveil à un infirmier avant de s'approcher de moi.
- Te sens-tu un peu mieux ? me questionna la mage de la Terre avec douceur.
J'acquiesçai avec lenteur, encore un peu drogué par les plantes qui avaient servi à m'endormir pour permettre aux médecins de me recoudre. En me voyant éveillé, l'un des membres du personnel soignant vint de suite m'ausculter pour s'assurer que mon état avait été stabilisé. Sans lui prêter grande attention, j'en profitai pour interroger les deux femmes :
- Avez-vous retrouvé l'intrus ?
- Non, personne au château ne semble l'avoir aperçu. Mais nous espérions pouvoir t'interroger pour en apprendre plus, exposa celle dont les cheveux noirs formaient une frange qui encadrait deux yeux violets. Raconte-nous en détail tout ce qu'il s'est passé.
J'hochai la tête et commença à leur conter tout ce dont je me souvenais en tentant de ne rien omettre. Je précisai même qu'au moment où je l'avais rencontré l'homme responsable de tout ceci ne portait aucun signe distinctif qui pourrait le lier à quelconque faction.
- C'est pour le moins étrange... commenta Saya.
- Peut-être était-ce un mercenaire engagé par l'Empire de Xeltos ? émit Meredin comme hypothèse.
Je la dévisageai, perplexe.
- Pourquoi nous attaqueraient-ils après que leurs émissaires aient eu le courage de braver nos terres ? Ils ne seraient jamais assez stupides pour ruiner leurs efforts diplomatiques.
- C'est vrai que tu n'es pas encore au courant. La réunion s'est mal passée. Les gardes Xilliens ont attaqué les nôtres. Il ne reste qu'un survivant du côté Alanyien mais il ne s'est toujours pas réveillé, ses blessures sont plus graves que les tiennes.
Stupéfait, je demeurai silencieux. Cet incident changeait la donne.
- Vous pensez donc que ces deux événements seraient liés ?
- Ça ne fait presque aucun doute, confirma Saya.
Je me rappelai alors que l'homme que j'avais combattu portait des tâches de sang au moment où je l'avais rencontré. Il devait être tout juste sorti du massacre qu'il venait de causer.
- Cependant il y a une incohérence quelque part, intervint la brune aux formes généreuses.
Nous la regardâmes, intrigués. Elle enchaîna en posant une main sur son menton :
- L'hypothèse de l'assassin ne tient pas face au témoignage du soldat survivant : il affirme que ce sont les gardes Xilliens qui les ont attaqués. Hors l'intrus dont il est question ne portait justement aucun uniforme pouvant le rapprocher à l'Empire de Xeltos.
Vu sous cet angle, je ne pus que lui accorder raison, tout ceci ne tenait pas la route. Si seulement j'étais parvenu à stopper l'homme en noir, nous aurions pu l'interroger et mettre au clair cette affaire ! Mais il s'était révélé étonnement fort, du moins assez pour rivaliser avec moi.
- Nous avons déjà interrogé les ambassadeurs de Xeltos, ils prétendent tous ne rien savoir à propos de cette attaque. Et chose étrange, ils paraissent sincères, continua à exposer la mage de l'Air.
Je fixai ma chef pour admirer à l'oeuvre ses grandes capacités de déduction. Parmi les commandants des Lames d'Argent, elle était toujours celle qui interrogeait les témoins et qui enquêtait quand nécessaire.
- Restons-en là pour aujourd'hui, la freina Saya. Raphaël a besoin de prendre un peu de repos.
Sa comparse hocha distraitement la tête, toujours préoccupée par cette situation dont elle détestait voir la solution lui échapper. Les chefs me quittèrent ainsi et partirent de l'infirmerie.
* * *
Quelques jours plus tard, je me trouvais encore cloué au lit, à ma plus grande lassitude. Je pourrais faire une tirade entière pour décrire à quel point je détestais cette situation, qui c'était d'ailleurs répéter bien assez de fois dans ma vie à mon goût. J'exécrais l'ennui et par extension rester immobile à ne rien faire, je considérais cela comme une véritable perte de temps.
Les derniers événements avaient eu assez de temps pour faire plusieurs fois le tour du château. Tous savaient ce qui était arrivé à la réunion ainsi qu'à moi. L'infirmerie, auparavant en quarantaine à cause de tout ceci, venait par ailleurs tout juste de rouvrir ses portes.
- C'est un véritable scandale que l'on ne nous ait même pas laissés nous assurer de ton état ! bougonnait une Aerin ronchonne, accoudée à mon matelas.
- Ne t'emballe pas pour si peu, l'important c'est que Raphaël aille bien ! s'exclama Alexandre dans un grand sourire tout en ébouriffant la tignasse bleue de son amie.
Celle-ci le lorgna avec mécontentement avant de se recoiffer sommairement. Mes amis semblaient s'être beaucoup inquiétés pour moi. Heureusement, j'avais pu les rassurer : j'étais sur la voie de la guérison. La douleur que je ressentais se faisait bien moins intense.
Tandis que nous enchaînâmes sur un autre sujet, des voix attirèrent notre attention. Une troupe de médecins était massée autour du soldat qui avait survécu à l'attaque.
- Que se passe-t-il ? Vous pensez qu'il se réveille ? nous demanda Aerin en se redressant sur son siège, piquée par la curiosité.
Les rideaux autour du lit du patient n'étaient pas tirés, nous observâmes ainsi toute l'agitation avec assiduité. À l'écoute, nous pûmes percevoir quelques bribes de leur conversation :
- Non... impossible !
- Comment... ?
- ... était sauvé...
- Son état... stabilisé !
À ma plus grande stupéfaction, certains s'opéraient à lui procurer un massage cardiaque. Pourquoi faisaient-ils cela ? La plupart semblaient affolés. L'homme n'était pourtant pas... L'un des médecins finit par s'interposer en leur intimant :
- Ce n'est plus nécessaire, il est mort.
Confirmant notre hypothèse silencieuse, mes amis et moi nous dévisageâmes avec étonnement.
- J'avais pourtant entendu dire qu'il allait bientôt se réveiller, s'étonna Alexandre.
- Moi aussi, surenchéris-je. Et dire que Meredin se faisait une hâte de l'interroger... Son enquête ne risque pas beaucoup d'avancer.
Des gardes furent rapidement dépêchés pour prévenir les chefs des Lames d'Argent ainsi que le roi. Une infirmière s'approcha de notre petit groupe pour indiquer poliment à mes amis de quitter la salle.
- Décidément c'est plus difficile d'accéder à l'infirmerie que d'avoir une entrevue avec le roi, ironisa Aerin en soupirant de mécontentement.
Alexandre ria avec décontraction et lâcha à mon égard :
- Sois sage en nous attendant !
- Je vais essayer, répondis-je, le sourire aux lèvres.
Je les observai se retirer en me saluant de la main. Pourtant, même sans leurs présences, la salle de soin ne retrouva pas son calme habituel. Celle-ci était prisonnière d'un tourbillon d'agitation générale.
Quelques dizaines de minutes plus tard, Meredin, Saya et Peter arrivèrent tour à tour pour s'assurer de la récente nouvelle. En m'apercevant, le guerrier de l'Eau prit le temps de s'enquérir au passage de mon état pendant que la plus douce des chefs questionnait le personnel soignant.
- De quoi est-il mort ?
- Je ne peux pas encore l'affirmer, mais on dirait bien qu'il est décédé de cause naturelle, répondit le médecin légiste qui s'était occupé de l'autopsie préliminaire. Mais cette possibilité me parait tout de même étrange, il n'avait aucune raison de succomber. Ses blessures étaient prêtes à guérir et il n'avait pas non plus perdu trop de sang.
- Moi, je pencherai plutôt pour la piste de l'assassinat, lança Meredin, les bras croisés.
Tous se tournèrent vers elle, intrigués par une telle remarque.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? lui demanda Peter, perplexe, qui s'était depuis rapproché de l'horizon des événements.
- C'est une coïncidence beaucoup trop flagrante : cet homme était la seule personne à pouvoir nous éclairer sur l'affaire qui secoue le château en ce moment même. Pourtant du jour au lendemain, sans raison apparente, il décide de mourir en emportant tous ses secrets dans sa tombe. Ce dénouement est bien trop étrange pour être crédible.
- Le médecin légiste l'aurait tout de même remarqué, commenta le chef châtain à la coiffure asymétrique.
- Certains poisons sont impossibles à déceler dans un organisme. Le meurtrier a parfaitement réussi son coup, il n'a laissé aucune trace de lui.
Son hypothèse était intéressante, mais laissait entrevoir encore une foule de mystères face à cette affaire.
- Peut-être, mais alors, quand et comment l'assassin a-t-il réussi à entrer ici pour commettre son méfait ? la questionna le médecin. L'infirmerie était sur surveillance constante.
- Il y a plusieurs possibilités : soit il s'est infiltré la nuit, soit il s'est débrouillé pour piéger la nourriture, soit l'un des infirmiers qui s'occupait du soldat est dans le coup.
- N'accusez pas l'un des nôtres à la légère ! s'indigna l'homme du personnel médical.
- Je crois en la bonne foi des Xilliens, enchaîna la brune à la frange. Personne ne peut me tromper et je suis convaincue qu'ils disent la vérité : ils ne savent rien concernant l'attaque qui a eu lieu pendant la réunion.
- Donc depuis le début les ambassadeurs de Xeltos seraient innocents ? répéta Peter en d'autres termes.
- Oui, c'est ce que la présence de l'homme qu'a aperçu Raphaël laissait présager depuis le début et cet assassinat confirme ma pensée.
À la mention de mon nom, ils m'observèrent brièvement avant de reprendre leur discussion.
- Ainsi le garde qui a survécu à l'attaque aurait menti et quelqu'un a voulu le faire taire à jamais pour éviter tout risque de trahison, en déduisit Saya pour appuyer la théorie de sa camarade.
- Nos amis Xilliens vont nous en vouloir de les avoir accusés à tort, fit remarquer le jeune homme aux yeux verts en grimaçant. Ce ne sera pas facile de rattraper le coup.
Les deux femmes hochèrent la tête puis la mage de la Terre reprit :
- Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Pourquoi des gens voudraient-ils ruiner les liens amicaux que nous tentons d'établir entre l'Empire de Xeltos et le Royaume d'Alanya ?
Les deux autres se regardèrent en quête de réponses mais n'en trouvèrent aucune de satisfaisantes.
- Je ne sais pas mais désormais, tout porte à croire que quelque chose ou quelqu'un d'encore inconnu nous veut du mal. En cherchant les hostilités, il est dès lors devenu un ennemi du pays tout entier.
*
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