59× Discrétion
Raphaël
Que venait-il de se passer au juste ? Pourquoi la porte de la ville s'était-elle refermée sur nous ? Pourquoi n'y avait-il aucun habitant ? Et pourquoi diable les soldats Xilliens nous encerclaient-ils tout à coup ?
- Où sont les amis que nous étions venus chercher ? les questionna Saya, bien qu'elle se doutait déjà de la réponse.
- Nous ne le savons pas mieux que vous.
S'agissait-il d'une blague ? Dans ce cas, celle-ci aurait été de bien mauvais goût. À l'entente de cette réponse impromptue, je sentis les miens se crisper. Nous étions désormais enfermés entre les remparts de cette ville, à la merci des guerriers les plus hostiles du continent. Je déchantai peu à peu en réalisant : tout était de ma faute. Les soldats de Xeltos nous avaient attirés ici grâce aux informations que j'avais révélé à l'espion que nous avions fait prisonnier. Si seulement j'avais su plus tôt que les choses tourneraient au vinaigre... Quel imbécile j'avais été ! J'aurais mieux fait de me taire et simplement laisser Meredin accomplir son travail. Elle aurait su lui extraire des informations sans que nous ne subissions de suite les conséquences d'une bataille contre l'Empire de Xeltos.
La générale ennemie dégaina son épée, aussitôt imitée par ses troupes, et de nous par la même occasion. Alexandre avait eu raison, nous aurions dû nous méfier davantage d'une si brusque coopération venant des Xilliens. Nous étions tombés dans leur piège, comme de misérables insectes pris dans les fils d'une toile.
- Vous qui avez osé profaner nos terres, soyez punis par notre courroux ! proclama la chef aux cheveux noirs.
Les soldats ne se firent pas prier et foncèrent immédiatement sur nous. Je me positionnai en garde, le corps tendu par l'appréhension et les mains crispées sur le pommeau de mon arme. Ils n'eurent cependant pas le temps de nous atteindre. Un cercle de flammes était soudain apparu au sol, tout autour de nous, pour nous protéger en empêchant nos adversaires de s'approcher davantage. Malgré la surprise, les mages de Feu avait eu le bon réflexe en dépit de l'absence de leur chef pour se coordonner. Ces braises ne retiendraient néanmoins pas éternellement ces guerriers déchaînés.
- Trouvons un moyen d'ouvrir la porte ! ordonna Peter qui s'engagea vers l'entrée de la ville sans perdre un instant.
Quelques chevaliers, dont moi-même, nous lançâmes à sa suite. Les murs de flammes reculèrent pour laisser passer notre petit groupe. Des gardes nous barraient le chemin ; le combat s'engagea alors. Je jetai un dernier coup d'œil en arrière, les autres tentaient de mettre hors d'état de nuire un maximum de soldats grâce à la magie avant de se lancer dans une bataille armée.
- Séparons-nous ! exigea le bel Alanyien.
Lorsque que la situation était grave, il était méconnaissable. Lui qui affichait pourtant toujours une certaine frivolité se montrait désormais ferme et réfléchi. Il fallait bien admettre qu'en ces situations il avait un certain sang-froid admirable qui contredirait aisément tous ceux qui pourraient douter de sa capacité à diriger.
Le mage de l'Eau semblait déjà avoir une idée derrière la tête. Il pointa une direction à chacun des guerriers de sorte à nous diviser. Nos rangs se vidèrent fugacement jusqu'à ce qu'il ne restât plus que nous deux. Je le fixai avec un certain trac. Pourquoi avait-il fallu que je me retrouve seul à seul avec lui ? Nous avions, pour peu dire, eu quelques différents lui et moi. Peter me dévisagea à son tour avec insistance avant de constater que j'étais le seul à être rester parmi ses troupes. Il se rendit bien vite compte de son erreur. Néanmoins, après qu'une légère lueur d'appréhension eût traversé l'éclat de son regard, il refréna tous sentiments pour préférer se concentrer sur l'état actuel des choses. Le commandant châtain ne me laissa pas placer une seule parole et m'intima :
- Suis-moi. Nous allons tenter d'atteindre discrètement la porte de la ville pendant que les autres occupent nos adversaires !
J'approuvai d'un mouvement de tête et me mis à courir à sa suite. Nous traversâmes de nombreuses rues adjacentes, nous cachant derrière ce que nous trouvions lorsque des soldats ennemis apparaissaient. Notre progression se faisait lente mais continue jusqu'au moment d'atteindre une grande place lourdement gardée où nous nous retrouvâmes bloqués. Nous nous positionnâmes à plat ventre derrière un muret de pierres de sorte à pouvoir jeter des regards furtifs à nos opposants.
- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? chuchotai-je. On fait demi-tour et on cherche un autre passage vers la porte ?
- Non, c'est inutile, rétorqua le chef de l'Eau. Excepté la grande rue par laquelle nous sommes arrivés, il n'y a aucun autre passage qui mène vers le pont-levis. Mais bien sûr, cette allée est d'autant plus gardée que cette place, alors oublie tout de suite l'idée d'y retourner.
- Comment sais-tu qu'il n'y a aucune autre issue ? le questionnai-je, perplexe, doutant de la véracité de ses propos.
- Crois-moi, j'ai un bon sens de l'orientation. Quand nous sommes arrivés à Chains, je n'ai pas pu m'empêcher d'analyser les lieux et de les repeindre en détail dans mon esprit. Je peux t'assurer qu'il n'y a aucune autre sortie, argumenta-t-il.
Un silence de réflexion s'installa. Impressionnant, je ne l'avais même pas remarqué alors que j'avais passé bien plus de temps dans cette ville.
- Alors il ne nous reste plus qu'à foncer dans le tas ! affirmai-je en amorçant un mouvement pour me relever.
Peter plaqua précipitamment l'une de ses mains dans mon dos pour me maintenir fermement au sol.
- Tu n'iras nulle part !
- Mais c'est la seule solution qu'il nous reste ! protestai-je.
Le guerrier soupira longuement.
- Tu ne penses donc jamais aux conséquences de tes actes... Il n'est pas étonnant que tu es acquis ce surnom de «tête brûlée».
Je baissai la tête, pensif face à ce reproche qui faisait écho à mes actes. Il avait raison et il le savait très bien ; il en avait lui-même subi les conséquences. Une vague de culpabilité s'empara de moi. Peter faisait comme si de rien n'était, comme si notre situation ne l'affectait pas, tout comme moi d'ailleurs. Pourtant la vérité était tout autre. J'avais blessé son ego en l'agressant ce jour-là au beau milieu de la cour et nous ne nous étions jamais expliqués depuis. Ce froid entre nous me pesait, nous qui étions amis il n'y a encore pas si longtemps.
- Peter... commençai-je à voix basse, hésitant.
Il reporta toute son attention sur moi. Je tentai d'enchaîner mais les mots se bloquèrent dans ma gorge. Je détestais prononcer des excuses, même si j'étais parfaitement en faute et que je m'en voulais plus que tout. Je me mordis les lèvres face à l'appréhension avant d'enfin parvenir à me lancer :
- Je suis désolé pour l'autre fois... Je... J'ai failli te frapper alors que tu n'avais rien fait de mal. J'ai laissé ma colère m'aveugler et contrôler mes actes. Je m'en veux terriblement... Je comprendrais que tu ne veuilles pas de mes excuses.
J'avais instinctivement baissé le regard en prononçant ces mots. Je n'avais pas eu le courage de voir sa réaction, je la craignais trop pour cela. Lorsque j'osai finalement lancer un œil dans sa direction, je pus constater qu'il demeurait interdit face à cette brusque confession. Un silence pesant fit de nouveau le signe de sa venue avant que le Lame d'Argent ne déclare simplement :
- Je te pardonne.
Je ne pus m'empêcher de cacher un rictus de soulagement à l'entente de ces paroles. À cette vue, un léger sourire s'élargit sur le beau visage du chevalier châtain. Ce dernier poursuivit avec plus de légèreté :
- Je suis content que tout s'arrange entre nous. À vrai dire, cette tension me pesait sur le cœur !
- Alors, tu ne m'en veux pas ?
- Non, je viens de te le dire ! ricana le charmant jeune homme.
Peter reprit soudainement son sérieux et entreprit de jeter son regard vert aux alentours, probablement pour s'assurer que nos chuchotements n'eussent pas alerté l'ennemi. Apparemment, ce ne fut pas le cas au vu de l'expression qu'affichait son visage. Je m'enquis donc :
- Qu'est-ce qu'on fait alors ?
* * *
Au cours de ces derniers jours, Hadrian et Blake avaient traversé de nombreuses plaines et forêts à la seule force de leurs jambes. Toute cette marche leur avait laissé plus de temps que nécessaire pour réfléchir. Toutefois, la jeune femme demeurait encore stupéfaite par ce que son compagnon de route avait osé lui avouer. Il avait sacrifié son bonheur personnel au profit de la justice du roi.
Quand elle lui avait fait part de son admiration, celui-ci avait répliqué qu'il ne se sentait en rien altruiste et prétendait qu'au contraire un égoïsme des plus primaires l'avait animé tout ce temps : il n'avait fait que se protéger lui-même pour survivre à la folie de voir à nouveau ses proches mourir. Décidément, il semblait ne pas bien se rendre compte qu'il fallait beaucoup de courage pour emprunter une voie aussi périlleuse que la sienne.
Mais ce n'était pas la seule chose qui avait chamboulée Blake. Elle était encore sidérée par les origines du souverain et de sa fille : ni plus ni moins descendants de l'un des Dieux de la Création. Elle qui croyait pourtant que ce n'était qu'une légende, que les Divinités n'étaient jamais descendu sur le continent pour enfanter. En fin de compte, à une certaine époque, ce n'en était pas encore une.
Désormais, tout lui paraissait plus clair. Voici pourquoi Hadrian en savaient autant sur les Enfants Maudits de Sven ; il avait tout simplement fait partie de leur troupe. Mais surtout, voilà la raison pour laquelle la princesse Ariane avait semblé être la seule à être parvenue à dompter le cœur de "Monsieur-Sans-Expression". Même infime, lorsque le sang d'un Dieu coulait dans les veines d'un être humain, celui-ci était parfaitement immunisé contre toute malédiction. Elle avait donc jusque là été la seule en possibilité de se lier d'amitié avec lui. Même le caractère froid et antipathique du chef du Feu s'expliquait finalement par son désir de ne plus aimer et de ne plus jamais tuer. La nature d'Hadrian éclairait la plupart des mystères qui l'entouraient.
Mais désormais, la malédiction avait enfin été levée. Il n'était plus un Enfant Maudit et pourrait vivre l'esprit apaisé d'un certain poids.
Le duo avait marché jusqu'à atteindre la prochaine ville. Rassurés à l'idée d'avoir enfin trouvé un refuge où panser leurs besoins, ils déchantèrent lorsqu'ils comprirent que les portes de la cité étaient fermées.
- Non... Ce n'est pas possible ! Nous ne pourrons plus tenir longtemps à ce rythme, sans la moindre nourriture ! se lamenta Blake alors qu'elle sentait déjà le désespoir et la détresse s'emparer d'elle.
Son estomac criait famine. Depuis qu'ils avaient fui Chains, ils n'étaient pas parvenus à trouver grand chose à se mettre sous la dent. Seuls quelques maigres fruits avaient constitué leurs derniers repas. Sans arme, il leur était tout bonnement impossible de chasser pour renforcer leurs menus.
- Les gardes nous ouvriront les portes ; ils n'ont pas de raisons de ne pas nous laisser passer. Ils ne savent pas qui nous sommes, raisonna le brun, un peu plus bavard qu'auparavant.
Sa coéquipière espérait qu'il aurait raison comme bien souvent. Ils se dirigèrent avec appréhension vers l'entrée étrangement bien gardée de la ville. Lorsqu'ils furent à portée des soldats, ceux-ci leur barrèrent la route et l'un d'eux prit la parole :
- Vous ne pouvez pas pénétrer dans cette ville.
- Pourquoi donc ? Que se passe-t-il ? s'enquit Hadrian.
- Des chevaliers d'Alanya ont été aperçus près de Chains. Toutes les villes et villages alentours ont été mis en quarantaine.
Sur ces mots, les deux mages du Feu se dévisagèrent avec un étonnement non feint, puis, leurs regards prirent une lueur à la fois déterminée et entendue. Ils devaient coûte que coûte retourner dans l'ancienne capitale Ambrasienne !
- Compris, nous passerons notre chemin en direction de la ville suivante, répondit poliment le chef du Feu.
Tout à coup, un rapide cavalier arriva à son tour devant les gardes. Le soldat descendit habilement de sa monture et adressa la parole à ses collègues. Hadrian se mit à fixer étrangement la monture, puis la Lame d'Argent. Qu'avait-il en tête ? Elle allait bientôt le savoir.
L'Alanyien donna soudain une charge brusque qui poussa violemment le chevalier sur les bas-côtés. Pris au dépourvu, celui-ci lâcha facilement prise sur les brides de sa monture et tomba à la renverse. L'intrépide chef ne se fit pas prier pour monter instantanément sur le dos du cheval. Il tendit une main que la fille saisit aussitôt pour grimper à son tour sur le destrier. Lorsqu'ils furent tous deux stables, le jeune homme aux yeux sombres se dépêcha de le faire galoper sous l'effarement et les protestations des Xilliens.
- Tu es fou ! s'exclama la fille cramponnée à lui.
Son cœur battait d'excitation au même rythme où le vent malmenait sa chevelure rouge.
- Tu n'aimes pas ce genre de plan ambitieux ?
- Oh si, j'adore !
Blake posa son crâne contre le dos d'Hadrian, elle sentait que le voyage risquait d'être encore long et préférait s'enfoncer dans les douces vapes qui la frappaient. Plongée dans ses pensées, elle se mit à esquisser un sourire toute seule. Elle appréciait de tout cœur ce moment, heureuse à la simple idée de pouvoir désormais parler à l'autre sans aucune barrière.
Merci Déesse Lévanah.
Le brun annonça :
- Maintenant direction Chains !
*
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