5× Chemins Croisés
Levé depuis déjà quelques heures, j'arpentai les longs couloirs du château de Shardaa en quête de la salle de soin. Je devais y faire remplacer mes bandages. Chacun de mes pas, auréolés d'une sourde douleur qui tiraillait la chair meurtrie de mon torse, me rappelait constamment la nécessité de me rendre à l'infirmerie. À ce compte-là, je n'avais pas même le loisir d'en douter.
Plongé dans mes pensées, je me contentais toutefois d'avancer mécaniquement sans prendre la peine de détailler davantage mon environnement, que je connaissais déjà par cœur.
Une forme sombre au fond du couloir vint subitement rompre mon détachement. Ses mouvements vifs et pressés attirèrent de suite mon attention. Je fronçai les sourcils en le détaillant de plus près. L'inconnu avait le visage masqué et surtout, chose assez étrange pour être soulignée, du sang marquetait les drapés de la cape sombre dans laquelle il était emmitouflé. Malgré tout, la silhouette se déplaçait avec agilité et sans la moindre peine. Ces zébrures rouges ne lui appartenaient peut-être pas tout compte fait.
Celui que je supposai être un homme ne changea pas de trajectoire en me voyant. Au contraire, il fondit sur moi. Je m'apprêtai à lui réclamer son identité quand je l'aperçus soudain plonger une main furtive dans ses longues étoffes. À cette brève vision, mon cœur se mit à battre au rythme d'un danger qui devenait croissant à chaque instant. Mon instinct de survie me dictait qu'il ne pouvait s'agir que d'un mauvais présage. Quand il fut presque à ma portée, mes prévisions se confirmèrent et l'ombre dégaina une épée qu'il voulut instantanément abattre sur moi. Presque aussitôt, je tirai la fine dague que je cachais toujours dans ma manche dans l'intention d'entraver le chemin que venait de se frayer sa lame. Les métaux s'entrechoquèrent. L'homme en noir recula immédiatement par sécurité, surpris par mon répondant.
- Qui êtes-vous et que faites-vous ici ? le questionnai-je en le fixant précautionneusement, trop méfiant pour le quitter du regard ne serait-ce qu'une fraction de seconde.
Mon agresseur était désormais plus proche de moi, je pus donc m'attarder un instant pour mieux le détailler. Tout de sombre vêtu, seule une ouverture au niveau des yeux aurait pu trahir son identité. J'avais d'ailleurs beau chercher, il ne portait aucun signe distinctif qui aurait pu le lier à quelconque faction. Comment avait-il bien pu pénétrer dans le château ?
L'homme repartit à la charge sans m'offrir le luxe de m'apporter la moindre réponse. Il commença par tenter de m'infliger une puissante frappe de taille qui annonçait la couleur : m'épargner ne semblait pas dans ses projets. Je parai tous ses coups, non sans quelques difficultés. Le petit gabarit de ma dague ne me permettait que peu de manœuvres face à la longue épée de mon opposant. De plus, les mouvements de l'intrus étaient vifs et fluides, trahissant une certaine virtuosité dans l'art du combat. Mon adversaire improvisé m'obligeait à effectuer de grands mouvements brusques si je voulais espérer parer ses coups aussi justement que lui remédiait aux miens.
Sous le coup de l'adrénaline, je ne sentais qu'à peine les tiraillements de ma blessure. Pourtant mon torse luttait lui aussi comme pour ne pas se déchirer.
Mais les coups qu'il me portait étaient trop vigoureux pour ne pas être freinés avec tant de brusquerie. Mes esquives et mes gestes trop amples finirent par attirer l'inévitable. Une dernière parade trop brutale eut pour mission d'achever mes ultimes résistances et de parfaire la réouverture de la plaie qui séjournait sur mon torse. Le sang qui commençait à affluer jusqu'à ma chemise me le confirma bien.
Violente et brusque à la manière d'un choc électrique, une vive souffrance m'envahit et paralysa mon corps quelques secondes. L'homme masqué voulut ainsi en profiter pour m'asséner le coup fatal. Mué par une certaine absence, je contemplai avec impuissance la lame de mon adversaire parcourir mon champ de vision à toute vitesse.
Subitement, je me délivrai de l'état de léthargie dans lequel je m'étais plongé et repoussai mon assaillant par une féroce bourrasque. Celle-ci le poussa à faire quelques pas en arrière pour ne pas choir. Le vent siffla à mes oreilles comme un bourdonnement furieux. Soudain un autre bruit, bien plus claquant et aigu, attira mon attention. Un vase, dont je devinais la valeur, venait de perdre l'équilibre et de s'écraser au sol pour se briser en mille morceaux. Le vent à mes côtés s'apaisa tandis que j'examinai l'étendu des dégâts. La magie de l'Air était loin d'être faite pour être libérée dans un endroit clôt. Je me rassurai néanmoins en me disant que j'aurais pu faire bien plus de dégâts si j'avais réellement fait éclater ma puissance dans le couloir.
L'homme en noir profita de mon inattention pour filer. Je réagis au quart de tour. Non, je ne pouvais pas le laisser s'en aller de la sorte ! Je tendis une paume dans sa direction avant de me bloquer dans mon mouvement : je ne pouvais pas à nouveau me permettre de tout détruire sur mon passage.
Je me jetai ainsi à sa poursuite, tout en gardant une main appuyée sur mon flan dans une tentative vaine d'empêcher mon sang de s'échapper. Mon visage grimaçait de gêne sous le prix de l'effort. Cependant, je ne parvins pas pour autant à le rattraper. Au moment où celui-ci s'apprêtait à tourner dans un couloir, je lançai par dépit la dague que je tenais encore dans la main, refusant de le laisser s'enfuir. Celle-ci vint se planter dans l'une des interstices du mur de pierres d'en face alors que l'intrus avait disparu dans le tournant.
Arrivé au prochain couloir, je me plantai sur place, sidéré. Je pouvais dès lors constater avec stupéfaction que j'avais à faire à un long couloir vide et tout à fait banal. J'avais perdu toutes traces de l'homme, il s'était tout bonnement volatilisé. Effaré, je demeurai immobile, les yeux écarquillés. Comment était-ce possible ? Il n'avait pas pu simplement s'évaporer !
J'avançai à nouveau de quelques pas en titubant. Chaque mouvement devint peu à peu un supplice, les nuages de l'adrénaline commencèrent à se dégager pour laisser place aux véritables sensations que me procurait ma chair ouverte à vif. Je ne tardai pas à sentir mon sens de l'équilibre me faire défaut. Mes mains et mes avants-bras prirent d'eux-mêmes appui contre le premier mur qui se présentait à moi.
Ma vision se floutait alors que je luttai dans un vain espoir de poursuite. Je finis par m'effondrer lentement contre la paroi qui me retenait. Je jetai un œil à ma plaie et pus alors constater, en soulevant la main que j'avais utilisée pour freiner l'afflux de sang, que celle-ci en était recouverte, tout comme ma chemise désormais trempée de ce même liquide carmin. Je retins un juron. Comment avais-je pu laisser ce vil inconnu me pousser jusque dans mes derniers retranchements ?
Je fermai les yeux un instant pour me remettre des violentes sensations qui m'assaillaient de toutes parts. Que faisait un tel intrus ici ? Comment était-il parvenu à passer toutes les sécurités du château, les gardes auraient déjà dû le repérer ! Le souvenir du sang qui tâchait sa tenue me revint en mémoire dans un éclat de lucidité. Je frissonnai avec horreur. Peut-être que pour parvenir jusqu'ici, l'homme en noir avait massacré tous ceux qu'il avait rencontrés ?
Malgré mon mal être, je rouvris les yeux dans la direction où l'homme s'était échappé. Comment avait-il bien pu disparaître ?
À ce moment précis, une lumière blanche et éclatante illumina le fond du couloir, dans la direction supposée de l'assassin. Une sorte de silhouette s'en découpa, la lumière semblait comme en provenir. Celle-ci s'avançait dans la direction opposée à la mienne. Sans cesser de parcourir son chemin, la petite chose tourna vers moi ce qui s'apparentait à un visage. D'une vision floue, je la fixai dans les vapes, qu'était-ce donc ? L'apparition ne s'était pas éternisée, elle avait déjà franchi le tournant.
Malgré l'improbabilité de ces quelques dernières secondes, je ne relevai pas plus de questions, bien trop focalisé sur mes tentatives de faire taire la douleur. La bulle dans laquelle j'étais immergé provoqua chez moi comme une sorte d'amnésie partielle de cet événement, qui fut par ailleurs bien vite relégué au second rang dans l'ordre de mes priorités.
Des bruits de pas et des bribes de paroles se firent alors entendre dans les couloirs. Les marcheurs se turent brusquement pour retenir un hoquet de surprise. Les pas reprirent, désormais marqués par la course. Peter et Saya venait de se jeter à mon chevet.
- Raphaël, m'appela le mage de l'Eau, horrifié. Tiens bon !
La rousse m'examina préliminairement l'espace de quelques secondes avant de se relever et d'affirmer gravement :
- Je vais chercher de l'aide !
Sur ces mots, la chef de la Terre s'en alla à toute vitesse. Peter, sans pour autant lui non plus céder à la panique, m'interrogea :
- Que s'est-il passé ? Qui t'a infligé une telle blessure ?
- Un intrus a réussi à pénétrer le château... mais il est parvenu à s'enfuir...! expliquai-je en serrant les dents pour me maintenir alerte.
Celui-ci parut étonné. Un tas de questions semblaient lui brûler les lèvres mais il n'ajouta rien dans ce sens et se contenta de m'intimer de préserver mes forces. Des questions, il avait des raisons de s'en poser. J'étais moi-même encore chamboulé par les récents événements.
Que signifiait donc tout ce cirque ?
*
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