46× Terres Hostiles
Blake
Je repris subitement mes esprits et ouvris les yeux. Une bruyante quinte de toux me prit aussitôt dans une tentative d'évacuer l'eau de mes poumons devenus ardents. Avec peine et douleur, je parvins à reprendre mon souffle après ce déchaînement de la part de mes organes. Je scrutai les alentours, je me trouvais agenouillée au bord d'une rive, entourée par un début de forêt. La nature printanière était apaisante, seuls les chants des oiseaux accompagnaient le bruissement des feuilles et les remous de l'eau. La douce chaleur du soleil réchauffait même paisiblement ma peau humide. Je me retournai en direction du fleuve et levai les yeux. Face à moi, une falaise escarpée et infranchissable s'étendait à perte de vue et dominait le paysage de par sa hauteur.
Perdue, je tournai à nouveau la tête pour soudain apercevoir Hadrian. Assis sur un rocher, ce dernier me fixait de l'expression impassible qu'il arborait toujours. Des gouttes d'un liquide transparent se formaient et coulaient continuellement du bout de ses cheveux. Le chef était tout aussi trempé que moi à en croire les tissus de ses habits plaqués contre sa peau. Je me relevai et me dirigeai instantanément vers lui pour en apprendre davantage.
- Où sommes-nous ?
Il ne répondit rien, ce qui ne m'empêcha pas d'enchaîner :
- Où sont les autres ?
Sans ciller, il ne se manifesta toujours pas.
- Si nous avons été emportés par le courant, comment allons-nous les retrouver ? continuai-je en plein monologue.
Je me remémorai alors notre chute libre ce qui créa davantage de questions en moi :
- Pourquoi as-tu tenté de me sauver ? Et puis pourquoi...
- Tais-toi, me coupa-t-il d'une voix des plus glaciales.
Ne vois-tu pas que je regrette ?
Je le fixai abasourdie, totalement ébranlée par une telle réponse. Sa franchise était désarmante et me ferait presque regretter le chef apathique qui ne manifestait jamais sa colère ou la moindre de ses émotions. Tentant de dissimuler mon trouble, je ne parvins qu'à m'indigner d'un ton qui ne fut en rien crédible :
- C-Comment oses-tu me dire ça ?
Il se leva et reprit en ignorant ma remarque :
- Partons d'ici.
Je le suivis du regard, ne sachant plus trop comment réagir. Il commençait d'ores et déjà à s'éloigner. Je fus alors contrainte de le suivre car, dans le cas contraire, j'étais persuadée qu'il n'aurait absolument pas hésité à m'abandonner là. Après quelques minutes d'un silence déplaisant, je finis tout de même par questionner le brun. Après tout si je ne le faisais pas j'étais convaincue qu'il ne m'apprendrait rien de lui-même.
- Où sommes-nous ?
- Je ne suis sûr de rien.
Je lui jetai un regard interrogatif pour l'inciter à continuer, persuadée qu'il avait tout de même une réponse en tête.
- Néanmoins, tout porte à croire que nous sommes sur les territoires de l'Empire de Xeltos.
J'écarquillai les yeux et mon souffle se coupa. Nous nous trouvions désormais dans l'Empire Xillien ? Alors nous étions tout bonnement fichus. Comment des mages comme nous pourraient survivre dans une nation qui s'efforçait à éliminer toute trace de magie ? De plus, un traité avait été signé : les Alanyiens n'avaient pas le droit de poser le pied sur les terres du pays aux emblèmes rouges. Je frissonnai à l'idée du châtiment que les soldats nous infligeraient s'ils se rendaient compte de notre existence. Alors que je demeurais muette, Hadrian ajouta :
- Nous devons trouver des habits. Il serait dangereux de croiser un habitant qui reconnaisse le blason que nous avons dans le dos.
- J'en ai dans mon sac ! m'exclamai-je avant de me rendre compte du problème. Cependant...
- Ils sont restés sur les chevaux, en haut, compléta calmement le chef du Feu.
- Comment allons-nous faire alors ? paniquai-je.
- Nous improviserons, trancha-t-il dans le vague, comme toujours.
Nous nous mîmes ainsi à traverser la forêt. Plus aucun d'entre nous ne décocha le moindre mot tout du long. De toute manière, je ne m'attendais pas à mieux de sa part, il était loin d'être le plus bavard des chevaliers. Nous marchâmes entre les arbres et la végétation sauvage durant plusieurs heures avant d'en voir enfin le bout. Nos habits avaient fini par sécher en majeure partie et le contact de l'humidité sur nos peaux avait pris fin avec eux.
- Regarde, la sortie ! m'exclamai-je.
Je voulus m'y précipiter avant de me faire aussitôt stopper par Hadrian qui argumenta :
- Nous ne pouvons pas encore nous montrer.
- Alors qu'attendons-nous pour voler des habits ?
Il sembla réfléchir à ma proposition malhonnête et en conclut :
- Le vol est contraire aux principes des chevaliers mais je suppose que nous n'avons pas vraiment le choix.
Son approbation m'étonna malgré la situation désespérée dans laquelle nous nous trouvions. Lui qui était habituellement si à cheval sur les règles ! Il venait de remonter un tout petit peu dans mon estime.
Lorsque nous arrivâmes à l'orée de la forêt, nous nous accroupîmes derrière les derniers arbres pour observer les alentours. Un village résidait à quelques centaines de mètres ainsi qu'une chaumière qui, elle, se trouvait à proximité de nous, isolée du reste des habitants.
- Nous avons de la chance, les maîtres des lieux font sécher leurs linges au soleil, constata Hadrian d'un ton indiffèrent.
Je ne pus m'empêcher de remarquer encore une fois que le brun évitait de me regarder dans les yeux et ce depuis que nous avions atterri ici. Il avait dressé une barrière entre nous comme s'il préférait, semble-t-il, garder ses distances avec moi.
- Alors nous n'avons plus qu'à nous servir ! m'exclamai-je en me levant.
Néanmoins, le Lame d'Argent me retint à nouveau :
- J'y vais. Tu ne seras pas discrète.
- Quoi ? N'importe...
En voyant qu'il partait sans m'écouter, je m'interrompis. Je serrai les dents tout en le suivant du regard. J'allais l'étriper ! Comment pouvait-il être aussi insupportable ? Était-ce trop compliqué de tenir compte des revendications de ses subordonnés ; c'est-à-dire moi ? Cet égoïste ne demandait jamais l'avis de personne ! S'il l'avait fait, il saurait que j'avais été une voleuse hors pair dans mon passé. Je soupirai bruyamment, et dire que j'étais bloquée à Xeltos avec lui, la personne qui m'insupportait le plus au monde ! C'était vraiment la pire chose qui puisse m'arriver.
En patientant, je repensai à la mission que je venais de nous faire échouer. Comment avais-je pu me faire avoir par ce mage de pacotille ? Au fond, je m'en voulais terriblement. Plus que de sous-estimer ces voleurs, je m'étais surestimée moi-même.
Hadrian revint furtivement avec des habits sous le bras, il avait fait vite finalement. L'homme me tendit une longue robe de paysanne. Je le dévisageai et crus d'abord à une blague. Mais lorsque je compris qu'il était très sérieux, je ne me gênai pas pour de suite protester :
- Tu ne souhaites pas sérieusement que je porte ça j'espère ?
- Si, affirma-t-il sur un ton indifférent.
- Mais ce n'est absolument pas pratique !
- Je n'ai rien trouvé d'autres.
- Alors échangeons de vêtements !
- Ne sois pas ridicule, je ne vais pas me mettre en robe, s'impatienta-t-il, exaspéré.
Miracle, je l'avais assez énervé pour qu'il laisse enfin transparaître une émotion sur son visage forgé dans un masque de pierre.
Je le fixai durant quelques secondes dans un silence qui ne le fit aucunement ciller ; puis je me retournai finalement en grommelant, résignée :
- D'accord, tu as gagné pour cette fois !
Sur ce, je partis me changer dans un coin de la forêt à l'abri des regards. Une fois portée, j'analysai cette robe bustier. En fin de compte, elle s'avérait ravissante bien qu'un peu trop longue : ses pans traînaient désagréablement dans mes pieds. J'accrochai mes portes-dagues à mes cuisses. Je notai au moins un avantage à cet accoutrement : mes armes étaient parfaitement dissimulées.
Une fois parfaitement prête, je retournai sur mes pas. Hadrian m'attendait, assis sur un rocher. Je pus alors constater avec amusement que les habits de paysan lui allaient comme un gant. Nous nous fixâmes. Je ne l'avais jamais vraiment remarqué avant mais, tout compte fait, il n'était pas aussi repoussant que je me l'étais imaginé. Cependant il n'en demeurait pas moins détestable à mes yeux et je voyais difficilement comment je pourrais un jour changer d'avis à son sujet. Le brun se leva, s'avança vers moi et s'arrêta à ma hauteur. Il toucha alors l'une de mes couettes en commentant :
- Tu devrais les défaire, tu passerais un peu plus inaperçue.
Je ne répliquai rien, étonnée de le voir soudain si tactile, lui qui pourtant détestait le contact. L'Alanyien amorça un mouvement pour accomplir ce qu'il venait de dire mais se retira brusquement. Le mage se retourna aussitôt, probablement pour ne rien laisser paraître de ce que je pris comme un supposé trouble.
- Si ça peut te faire plaisir... répondis-je finalement, intriguée par une telle réaction de sa part.
Une fois lâchés, mes cheveux étaient particulièrement longs et dévalaient jusqu'en bas de mon dos. Comme si de rien était, Hadrian reprit et m'ordonna avec l'autorité habituelle qui lui était attitré :
- Allons au village.
- Qu'allons-nous faire de nos affaires ? lui demandai-je en pointant du menton le tas d'habits que je serrais dans mes bras.
- Laissons-les ici pour le moment et profitons-en pour acheter un sac de voyage.
- Tu as de l'argent ? le questionnai-je, surprise.
- J'avais oublié ce détail.
Je ricanai à l'entente d'une erreur de sa part, lui qui semblait pourtant ne jamais en faire. J'enchaînai alors dans un sourire malicieux, telle une démone tentatrice :
- Je suppose que tu ne seras pas contre un petit vol de rien du tout, non ?
Il garda le silence pendant un instant pour en fin de compte soupirer :
- Et dire que nous devions initialement arrêter des voleurs...
- Je prends ça pour un oui !
Nous cachâmes nos uniformes de chevaliers dans des buissons à l'orée de la forêt puis nous dirigeâmes vers le petit village.
- J'espère que nous ne rencontrerons pas les propriétaires de ces vêtements, déclarai-je.
- Tâchons de nous faire discrets, conseilla le jeune homme.
Lorsque nous fûmes arrivés, nous cherchâmes quelconques marchands et finîmes par trouver une petite boutique qui vendait de tout et de n'importe quoi.
Hadrian m'annonça donc son plan :
- Je vais demander au vendeur où passer pour arriver à la prochaine ville. Pendant que j'occuperai son attention, toi, tu iras voler des choses utiles à notre survie.
- C'est d'accord, approuvai-je pour la première fois l'un de ses ordres avec engouement.
Nous entrâmes dans la boutique déserte et je me faufilai instantanément entre les étals pour ne pas prendre le risque d'être vue. Au comptoir, j'entendis déjà Hadrian entamer poliment la discussion avec le marchand. Je parvins à dénicher deux gourdes, de la viande séchée, du pain et quelques fruits. Avec cette nourriture et cette eau, nous allions aisément pouvoir tenir quelques jours, plus si nous rationnions. Je scrutai ensuite les alentours à la recherche d'un gros sac. Malheureusement, je n'en trouvai guère qui ferait l'affaire et pris la décision de retourner sur mes pas.
Seulement, je me rendis vite compte m'être trompée lorsque je tombai brusquement nez-à-nez avec l'objet de ma convoitise. Néanmoins je déchantai bien vite quand je compris l'envergure du problème : il se trouvait à la vue du vendeur. Je réfléchis un instant mais la décision fut vite prise. J'avais décidé de suivre la solution la plus périlleuse : aller le récupérer coûte que coûte. Je rampai jusqu'au sac tout en espérant être plus discrète ainsi, puis, jetai un œil au marchand pour trouver le moment opportun. Heureusement, aucun client ne se trouvait dans la boutique au même moment. De quoi aurais-je eu l'air étalée par terre ?
Concentré dans ses propos, le commerçant désignait des lieux sur une carte à Hadrian. C'était le moment parfait ! J'allongeai le bras vers le sac, l'empoignai et le ramenai vers moi en un éclair. Je poussai un long soupir de soulagement mais ne tardai pas à me reprendre afin de ne pas me reposer sur mes lauriers plus longtemps. Je déposai la nourriture volée dans la grande besace pour ensuite la jeter sur mon dos.
Désormais, je n'avais plus qu'à sortir. Cependant, il s'agissait là de l'étape la plus difficile. Deux choix s'offraient à moi : courir pour ma vie ou y aller discrètement en espérant que cela passerait. Je réfléchis un instant et me rappelai la présence de clochettes qui signalaient chaque allée et venue lorsque la porte s'ouvrait. Ma décision fut alors vite prise et j'optai pour la première option.
Je me faufilai d'abord discrètement entre les étagères pour ensuite me précipiter vers la porte que j'ouvris en trombe. Une fois dehors, je ne perdis pas de temps. Je courus dans les rues pour sortir du village au plus vite. J'atteignis rapidement l'entrée du bourg malgré les ralentissements que me provoquaient ma robe et mon sac à dos.
Je rejoignis sans peine l'endroit où l'on avait laissé nos uniformes tout en prenant grand soin de vérifier que je n'avais pas été suivie. Désormais, je n'avais plus qu'à attendre le retour d'Hadrian.
*
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