Raphaël

Traska, Alexandre, les jumeaux et moi nous rendîmes dès lors dans la cour du château. Tout comme le jour où je m'en étais pris à Peter, beaucoup de monde s'y entraînait.
Cette vision commençait déjà à me donner la boule au ventre. Je déglutis difficilement. Non, rien ne freinerait ma détermination à aller secourir Aerin. Nous nous postâmes dans un coin vide qui réservait néanmoins une vision panoramique de l'extérieur. Je pris une grande inspiration et entamai mon annonce. Le volume de ma voix s'était amplifié grâce à la magie de l'Air de sorte à ce que chaque oreille de la cour entende mes paroles portées par le vent.

- Votre attention s'il vous plaît.

Cessant toutes batailles, les Lames d'Argent levèrent la tête vers moi, curieux ou même suspicieux de ce que j'avais à leur dire. Je ne me laissai pas décourager pour autant et continuai mon discours improvisé :

- Comme vous le savez peut-être, Aerin, l'une de nos camarades, s'est faite enlevée. Cependant, nos espions, ici présents, ont trouvé le lieu approximatif de sa cachette. Que tous ceux qui veulent m'accompagner à sa recherche nous rejoignent.

Le silence régna un instant dans la cour puis les chevaliers reprirent finalement leurs activités. Je demeurai bouche bée. J'arrivai à peine à y croire, ils avaient parfaitement ignoré mon monologue ! L'incident avec Peter avait bel et bien marqué les esprits, j'étais désormais assez détesté pour que l'on ne veuille plus avoir à faire à moi. Quelle honte je venais de me prendre...
Néanmoins, une silhouette fluette me fit sortir de mes rêveries quand Yuna apparut devant moi.

- Je veux t'accompagner !

- Merci... murmurai-je en souriant, vaguement rassuré.

- Les autres devraient prendre exemple sur elle ! réprouva Traska, les bras croisés. Au fait, je ne t'ai jamais vu parmi les Lames d'Argent, comment t'appelles-tu ?

- Je suis Yuna, j'étais l'apprentie d'Aerin, l'informa la jeune fille aux joues roses.

- Ton absence ne se voit que trop bien, blagua Alexandre à l'attention de la grande femme aux cheveux courts.

- En effet, je vois que j'ai raté pas mal de choses durant ces dernières semaines !

J'écoutais leur joyeuse discussion d'une oreille distraite, ne pouvant pas m'empêcher de me dire que nous n'étions toujours pas assez. Mais au même moment, comme pour répondre à mes prières, une nouvelle voix attira mon attention :

- Hé ! Nous aussi nous sommes venus !

Je jetai un œil en direction de l'émetteur de ces paroles et fus stupéfait par l'identité des récents arrivants.

- Vous deux ?

- Quoi "nous deux" ? répliqua Blake en croisant les bras d'un air renfrogné.

- Nous ne sommes pas comme toutes ces poules mouillées ! précisa Kagami en pointant du menton les chevaliers présents dans la cour. Quand le devoir nous appelle, nous rappliquons aussitôt !

- Et la véritable raison ? demanda Traska en ricanant, connaissant tout aussi bien leur réputation de tires-au-flanc.

- Ne vous faites pas d'illusions, je fais ça pour Aerin, pas pour vous ! se justifia Blake sèchement.

Pourquoi tant de violence aujourd'hui ? Je soupirai avant d'émettre un sourire qui signalait un certain regain d'énergie de ma part. Si même Blake et Kagami, les grands paresseux du château, étaient à nos côtés désormais, je voyais difficilement ce qui pouvait nous empêcher de mener à bien notre mission. Nous allions réussir, j'en étais certain.

- Nous sommes huit, cela devrait suffire. Moins nous serons nombreux, plus nos ennemis auront du mal à nous repérer, annonçai-je aux autres pour les rassurer à propos de notre faible nombre.

- As-tu élaboré un plan ? s'enquit mon meilleur ami.

- Oui, j'ai déjà eu le temps d'y réfléchir. Je propose que nous fassions des groupes de deux personnes et que nous cherchions chacun de notre côté. Habillez-vous dans des tenues discrètes et rejoignons-nous ici-même dans trente minutes.

Après un acquiescement général, excepté de Blake, je voulus partir mais celle-ci me retint pour me questionner, dubitative :

- Depuis quand les autres te laissent nous commander ?

- Le roi en a décidé ainsi à titre exceptionnel pour cette mission.

- Quoi ? s'exclama-t-elle les yeux écarquillés. Attends mais je n'ai pas signé pour une telle chose !

- Décidément, cette décision en aura choqué plus d'un, murmurai-je désabusé. Après tout, rien ne te retient, tu n'as qu'à partir si tu le souhaites.

- ... C'est bon, je reste, finit-elle par lâcher comme en abandonnant sa fierté pourtant si chère à ses yeux.

Heureux d'être enfin parvenu à réunir ma propre escouade, que je pensais malgré tout plus conséquente, je partis sans plus tarder dans ma chambre pour me préparer. Une fois que tout le monde fut fin prêt, nous nous rejoignîmes dans la cour. Guidés par les jumeaux, nous fîmes le chemin à pied vers les fameux quartiers Shardiens où avait été aperçue la disparue. Une fois arrivés, nous nous arrêtâmes à l'abri des regards pour former nos groupes de recherche.

- Il serait préférable que le maximum de personnes puisse bénéficier de l'un des espions. De cette manière, nous pourrons avoir accès à leurs connaissances et à leurs expériences pour mener à bien notre mission. Cela vous semble-t-il correct, Sachi, Fay ?

- Il est hors de question que nous nous séparions, déclara fermement la plus aigre du duo, les bras croisés.

- Moi au contraire, je trouve que c'est une bonne idée, me soutint son homologue masculin d'une voix moins assuré.

La fille, tout de sombre vêtue, tourna aussitôt la tête en direction de son frère et le dévisagea comme s'il venait de la trahir. Il venait d'écraser son ego et sa fierté surdimensionnés par son simple désaccord.
Le jumeau à la demi-face brûlée choisit ainsi d'accompagner Yuna sous le regard furibond de sa jumelle. Traska intervint avec légèreté pour proposer à celle-ci :

- Allez fais pas cette tête, viens avec moi !

- Tu vas me ralentir, grommela l'espionne.

- Je savais que tu dirais oui, ricana la femme à la peau foncée en ébouriffant ses cheveux roses.

La concernée la fixa les sourcils froncés pour de suite s'écarter de son emprise. Étonnamment, Sachi ne rajouta rien pour la contre-dire et se contenta de me fixer avec rancune tout en se recoiffant. Traska devait bien être l'une des seules que la mage de l'Air supportait et, surtout, à être parvenue à apprivoiser son sacré caractère.

Liés par l'amitié, Blake et Kagami formèrent le prochain groupe tout comme Alexandre et moi. Nous nous séparâmes ensuite pour de bon de sorte à occuper les différentes parcelles de la zone. Nous commençâmes à avancer et le mage de la Terre ne tarda pas à commenter dans un grand sourire :

- Tu prends ton rôle de meneur très à cœur !

- Oui, je ne dois pas trahir la confiance du roi et faillir à ma tâche, je veux retrouver Aerin.

Nous longeâmes les rues qui se présentaient à nous tout en discutant tranquillement pour ne pas risquer d'attirer l'attention. Nous nous trouvions au sein d'un petit quartier sans prétention, lieu où les habitations dominaient pour ne laisser la place qu'à de rares commerces. Il s'agissait d'un endroit où les personnes âgées aimaient se reposer à la fin de leur vie. Un endroit calme où il ne se passait jamais rien, un endroit que personne n'aurait jamais pu soupçonner comme le théâtre de sombres affaires.

Après des heures de marche peu fructueuses à tourner en rond, je soupirai. Il n'y avait rien de rien ici ! Cependant il s'agissait de notre seul et unique indice. Nous finîmes par croiser Yuna et Fay, ces deux-là avaient tout l'air de s'être beaucoup rapprochés.

- Je suis désolé, nous n'avons rien trouvé de notre côté... s'excusa Fay.

- Peut-être qu'Aerin n'était finalement que de passage dans ces quartiers ? ajouta Yuna

- Je ne pense pas, elle ne se serait pas aventurée aussi loin pour n'être que de passage. Je ne crois pas qu'elle ait une liberté totale, exposai-je. Ce qui veut dire qu'elle est quelque part dans l'une de ces bâtisses... Mais laquelle ?

* * *

Seule au sein de ses appartements, Aerin demeurait allongée sur son lit à fixer le plafond, pensive. Gabriel avait quitté la base pour aller régler quelques affaires. En son absence, le temps était long à s'en morfondre. Elle l'occupait souvent en jouant de la flûte, qui avait heureusement été emportée parmi ses affaires. Malheureusement pour elle, l'instrument n'avait pas suffi à balayer son inconfort. Elle s'était lassée d'en jouer toute la journée et ne pouvais désormais plus que prendre son mal en patience. Ici, elle se trouvait totalement isolée du monde, de quoi s'ennuyer convenablement.

Le son d'un impact la fit tout à coup tressaillir. Un objet avait frappé sa fenêtre et avait eu le don de la ramener immédiatement à la réalité. Intriguée, elle jeta un œil à travers la vitre mais rien ne lui sembla anormal lorsqu'elle observa l'horizon de bâtisses beiges qui étendaient ses toits à tout son champ de vision. Poussée par la curiosité, elle se leva pour s'approcher de l'ouverture transparente qui l'avait protégée de l'agression extérieure. Elle posa prudemment sa main sur la poignée et ne réfléchit pas plus longtemps avant de déverrouiller son mécanisme.
À ce moment là, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle découvrit une silhouette accroupie sur le rebord du toit. Aussitôt avait-elle remarqué la présence d'Aerin que celle-ci avait sauté agilement sur la plateforme qui dépassait de sa fenêtre. Le bas de son visage était masqué d'une longue écharpe, mais malgré l'accessoire, la sœur de Gabriel reconnut de suite celle qui se tenait face à elle. Ses longs cheveux rose pâle qui volaient au vent l'y avaient bien aidé tout autant que ses yeux bleu marine qui l'avaient transpercée sitôt plantés dans son propre regard.

- Sachi ? s'exclama la mage de l'Eau sans tenter de contenir sa surprise.

Qu'est-ce que l'espionne faisait-elle accrochée au toit de la planque mafieuse ? Et surtout, comment l'avait-elle retrouvée ? Décidément, son titre autoproclamé de meilleure espionne du pays n'avait pas été choisi au hasard.
La jumelle posa l'un de ses doigts devant sa bouche en signe de silence, elle ne voulait pas se faire repérer. Soudain un léger tremblement sembla jaillir du sol et le visage foncé de Traska apparut sous les regards ahuris des deux autres femmes.

- Je t'avais dis de m'attendre en bas ! l'incendia aussitôt l'espionne en chuchotant.

- Roh ça va, moi aussi je voulais la voir ! répliqua la mage de la Terre en quittant la plante géante qu'elle venait de faire pousser pour la porter jusqu'au toit et qu'elle fit aussitôt décroître derrière elle.

Aerin les coupa de suite pour les questionner, espérant résoudre son incompréhension :

- Que faites-vous ici ? Comment m'avez-vous trouvée ?

- Peu importe, nous n'avons pas beaucoup de temps, alors raconte-nous plutôt ce qu'il s'est passé, trancha Sachi, dont le sérieux de sa profession passait avant tout. Qui sont tes ravisseurs ?

La concernée eut un moment d'hésitation avant de répondre :

- À vrai dire, je n'ai pas vraiment de ravisseurs...

- Que veux-tu dire par là ? l'interrogea à son tour la brune aux bouclettes courtes avec étonnement.

- Tant pis, tu nous expliqueras la situation plus tard, nous n'avons plus le temps. Les autres s'inquiètent, alors viens avec nous ! la pressa l'espionne en lui tendant une main gantée pour la pousser à la saisir.

- Mais... Je... voulut protester la fameuse portée disparue avant que quelqu'un ne vînt brusquement frapper à sa porte.

- Nous viendrons te chercher plus tard, termina Traska dans un sourire plein d'espoir avant d'être aussitôt interrompue par sa collègue qui lui avait plaqué une main sur la bouche pour la tirer avec elle.

Elles s'éclipsèrent et disparurent par la partie du toit qui recouvrait l'ouverture de sa fenêtre avant que la guerrière de l'Eau n'eût le temps de rajouter quoi que ce fût. Perdue dans l'abîme hurlant de son esprit, la porte derrière elle finit par s'ouvrir.

- Aerin ? Que se passe-t-il ? Pourquoi ne répondais-tu pas ? l'interrogea son frère, soucieux de son bien-être.

- Rien... J'étais seulement plongée dans mes pensées.

Gabriel vint s'asseoir à proximité et soupira bruyamment.

- Cette réunion était assommante, les régisseurs de l'ouest de Shardaa me demandent toujours plus de fonds pour leurs projets. J'ai bien sûr refusé, la Griffe Bleue ne tirerait que des avantages trop maigres de leurs ambitions.

Une petite pierre dégringola soudain de la fenêtre pour atterrir sur l'un des tapis de la chambre. Le bruit avait aussitôt retenu l'attention des deux personnages. Le chef mafieux fronça d'épais sourcils, qui soulignaient que plus encore son caractère affirmé, avant de se diriger lentement jusqu'à l'ouverture, méfiant. Il passa prudemment la tête à l'extérieur, sans pour autant parvenir à trouver l'origine de ce bruit. Aerin en revanche comprit de suite qui en avait été la cause et en garda le silence. Les deux Lames d'Argent avaient continué d'espionner leur discussion pour en apprendre davantage sur son ravisseur, et apparemment, elles avaient réussi.

*