23× Nous Perdons
Blake
Comment était-ce possible ? Le chef ennemi était parvenu à toucher le guerrier des flammes ! J'avais beau ne pas apprécier ce dernier, je reconnaissais sa valeur. Qui était donc vraiment leur dirigeant pour parvenir à prendre l'ascendant sur l'un des meilleurs chevaliers d'Alanya ?
Ma propre assaillante profita de ce court moment d'inattention pour me flanquer un grand coup de genou dans le ventre qui m'envoya valser quelques mètres plus loin. Chancelante, je tentai de me relever, ne serait-ce qu'à quatre pattes. Je toussotai et crachai le sang qui m'était montée à la bouche avant de reporter mon attention sur la guerrière qui s'avançait vers moi. D'un geste vif du bras, je traçai une barrière de feu entre nous malgré le danger croissant que représentait mon énergie vitale qui allait en s'amenuisant.
Loin d'impressionner la blonde, les flammes jouasses disparurent sur son passage dans un écran de fumée blanche qui me déstabilisa. Elle profita tout de suite après de l'effet de surprise pour me donner un puissant coup de pied à l'estomac qui me fit rouler deux mètres plus loin. Je me recroquevillai dans une grimace de douleur tout en retournant ce qu'il venait de se passer dans mon esprit pour enfin réaliser qu'il s'agissait d'une mage de l'Eau et que mes offensives magiques seraient inutiles.
Je plaquai mon poing face contre terre pour tenter de me redresser. Mes perceptions s'effritaient. Je jetai alors un coup d'œil de détresse en direction d'Hadrian. Le combat faisait toujours rage entre les deux adversaires tandis que mon chef se trouvait désormais en grande difficulté lui aussi. Qu'allait-il advenir des Lames d'Argent si nous perdions tous deux nos combats ? Je n'osais à peine l'imaginer...
La vue floue et l'ouïe bourdonnante, je sentais ma tête tourner dans une parade entraînante, au rythme du sang qui coulait le long de mon visage. Dans une hargne nouvelle, je pivotai mon visage, non sans difficulté, en direction de mon adversaire. La guerrière approchait d'un pas qui me sembla lent tant celle-ci languissait l'allégresse de me faire souffrir. La combattante me fixait d'un regard habité par la lueur d'un prédateur. Je serrai les dents pour contenir ma rage. Cette garce jouait avec moi et cela faisait partie des choses que je ne pouvais accepter !
L'énergie me manquait inévitablement mais l'envie de m'essayer à une nouvelle tentative m'envahit. La magie prenait beaucoup de forces à son utilisateur. Dans une bataille comme celle-ci, il valait mieux savoir les conserver plutôt que de les disperser inutilement.
Je fixai le pommeau de ma cible et me concentrai, m'imaginai le voir fondre de chaleur, lui brûler les doigts. Cependant la femme ne réagit pas de la manière escomptée. Dès les premières sensations, elle garda son sang froid et ne lâcha pas d'un pouce son épée. Bien au contraire, elle revêtit sa garde d'une couche d'eau gelée qu'elle solidifia sans hésiter en enfermant sa main avec. Son sourire s'élargit d'autant plus à la vision de cet échec de ma part.
- Ma pauvre chérie, qu'essayais-tu d'accomplir ?
En guise de réponse, je plantai mon regard chargé d'animosité dans ses prunelles dorées. Cette peste avait le don d'être parfaitement haïssable en plus d'être horriblement efficace. L'Enfant Maudit me refrappa sans une once de pitié pour un adversaire à terre. Tandis que je sentais mes muscles m'abandonner, son geste me contraignit à lâcher mon épée que mes yeux impuissants suivirent rouler plus loin.
Ma tortionnaire enchaîna les coups sans répit, coups auxquels je ne pus que consentir tant la force de me relever et de répondre sauvagement à ses frappes me manquait. Le combat s'était transformé en une véritable séance de torture. Finalement arrivée à un certain point, je ne parvenais même plus à ressentir la douleur tant cette même sensation était omniprésente. À cet instant, seule la haine résidait encore en moi. La haine ainsi que la rage d'être humiliée de la sorte.
- Salope...! soufflai-je à bout de force.
- Moi aussi je t'aime, ironisa-t-elle en écartant les lèvres dans un sourire sadique.
Plus j'essuyais ses coups, plus je me sentais partir ; j'étais à présent à deux doigts de perdre connaissance. Dans un dernier souffle d'espoir, je tournai une ultime fois la tête vers Hadrian. Mais j'eus tôt fait de ravaler mes espérances dans un frisson qui me parcourut l'échine lorsque je vis l'homme à genoux, maintenu sans ménagement par son adversaire qui l'avait empoigné par les cheveux. La capuche de sa cape était retombée sur ses épaules et me permettait d'entrevoir son visage meurtri et ensanglanté. Venait-il réellement de se faire anéantir ? Non, ce n'était pas possible... Pourtant, malgré sa paralysie, le mage tentait toujours de lutter comme le témoignait si bien les minces flammes qui s'allumaient et qui s'évanouissaient inlassablement dans le creux de ses paumes immobiles. Elles semblaient tout bonnement manquer d'oxygène, mourir avant même de naître. Leur maître aussi avait l'air de suffoquer, réprimé de toute sa combativité.
Hadrian était vaincu.
Je ne pouvais le croire. Je me trouvais dans un cauchemar. J'allais me réveiller. Les Lames d'Argent ne pouvaient pas perdre aussi aisément ! C'était tout simplement impossible !
Le dirigeant des Enfants Maudits parut alors lui murmurer quelques mots que je ne pus évidemment pas entendre. L'homme au regard bleu-gris prononçait probablement une formule telle que "Fais tes prières" ou quelque chose de la sorte.
Tout à coup, la voix de l'horrible garce interrompit le cours de mes pensées pour se lamenter :
- Tu n'es même plus drôle... Tu n'as plus aucune réaction !
La blonde mimait une moue peinée avant de finalement se décider à dégainer une dague. Son expression changea et un sourire s'écarta sur ses lèvres.
- Je vais devoir passer au niveau supérieur !
Celle-ci s'accroupit sur moi pour prendre mes poignets. Je tentai de me débattre en vain, mes membres affaiblis ne m'obéissaient plus. Elle les écarta l'un de l'autre et les entrava dans une glace qui me fit prisonnière de ma position. Rattrapée par le désespoir de la défaite, je commençai à en venir à maudire la venue même des siens.
- Pourquoi faites-vous cela ? prononçai-je du bout des lèvres.
La guerrière me dévisagea, interloquée par une telle question. Elle ricana ensuite pour répliquer sur le ton de la plaisanterie, à tel point que je ne sus si elle était sérieuse ou non :
- C'est pourtant simple, notre mission est de répandre le malheur en ce monde ! Les Dieux nous ont maudits dans ce seul but !
Je la regardai perplexe.
- Tu es juste fêlée et les tiens...
Mon opposante planta brusquement son couteau dans la partie de mon bras qui n'était pas protégée par mon gantelet pour me faire taire. J'hurlai sur le coup, prise au dépourvue face à cette douleur imprévue. Mon ennemie laissa ensuite sa lame rouler le long de ma peau de sorte à m'entailler lentement. Tout mon corps se crispa tandis que mes doigts se resserrèrent à la recherche d'un quelconque objet à capturer sous ma paume pour faire passer cette souffrance.
Ma tête tournait toujours, laissant aux images le loisir de tanguer autour de moi. La douleur avait déjà consumé mes dernières forces, me tenter à la magie dans ces conditions serait trop périlleux. Je ne pouvais plus rien faire, j'avais perdu.
Mon bourreau freina brusquement ses manœuvres. Je la dévisageai et pus alors constater qu'elle avait détourné son regard de moi pour fixer autre chose. Son visage était crispé dans une expression horrifiée. Déroutée par ce revirement de situation, je tournai à mon tour la tête vers l'horizon des événements. Ce fut ainsi que l'effarement s'empara aussitôt de moi. Une dague venait de se planter dans le haut du dos du chef des Enfants Maudits. Celui-ci tomba à genoux, face à Hadrian. La mage de l'Eau se releva sans attendre et se jeta précipitamment sur lui, plus aucunement préoccupée par ma petite personne.
- Maître Sven ! s'écria-t-elle.
La blonde aux yeux dorés n'eut pas même le temps de le toucher qu'elle fut stoppée net et emportée par la poussée d'une fulgurante bourrasque qui la fit s'écraser violemment contre le mur d'une maison. Celle qui m'avait jusque là donnée tant de fil à retordre venait d'être balayée comme un vulgaire insecte. Qui pouvait bien être l'auteur de tout ceci ? J'en eus dès lors une petite idée.
Malgré le vacarme alentour, je n'entendais désormais plus que le bruit de ses pas, qui à eux seuls ne pouvaient qu'imposer le respect. Sa silhouette plantureuse commença à se décalquer sous mes yeux dont la lueur s'était ravivée d'un éclat d'espoir.
- Tu rouilles mon pauvre Hadrian ! le nargua la nouvelle arrivante.
Que les Dieux soient loués, Meredin était enfin arrivée ! La grandiose lanceuse de couteaux avait su se faire attendre. Il n'y avait rien de telle qu'une démonstration de sa puissante magie pour me remonter un peu le moral. La brune se mit à analyser les alentours de ses prunelles pourpres où l'on confondait l'iris et la pupille. Hadrian, qui avait su préserver son sens du devoir malgré la situation, ne perdit pas de temps pour lui sommer d'une voix peu stable, que je devinai être l'œuvre d'un coup à la mâchoire :
- Meredin... Montre-le... aux Maudits... Ils partiront...
La Lame d'Argent hocha la tête sans plus tergiverser. Elle s'accroupit et retira habilement le poignard du corps de sa cible dans un filet de sang.
- J'ai raté le cœur. J'ai encore des progrès à faire, fit-elle remarquer en essuyant sa lame dans les pans de sa cape.
"Rater le cœur" ? Était-ce de l'humour ? Elle n'avait failli que de peu ! Sur une cible mouvante et aussi éloignée, il relevait déjà du miracle de le toucher de façon aussi bien placée qu'elle l'avait fait !
La chef de l'Air empoigna le corps du puissant guerrier à l'agonie et l'installa sur le dos de la monture qui l'accompagnait. L'homme aux cheveux blancs se trouvait dans un état de semi-inconscience qui lui donnait tout de suite l'air bien plus inoffensif. Meredin monta en selle à son tour.
- Ne bouge plus et sois sage surtout.
Sur ces paroles, elle repartit. Je soupirai de soulagement, tout était enfin terminé. Du moins, ce fut ce que je crus sur le moment car, brusquement, une ombre se mit à déambuler vers moi en titubant. Était-ce encore cette fille ?
- Toi...! Je n'ai pas le temps de m'occuper de ta misérable personne, mais sache qu'un jour, je finirai ce que j'ai commencé ! Je me nomme Freya Strauss, bras droit de maître Sven, tâche de retenir mon nom !
À ces mots, je forçai un sourire sarcastique pour lui répliquer en bonne et due forme :
- Compte sur moi pour te mettre ta raclée... Moi, Blake d'Ambrasia, j'en fais le serment.
La fameuse Freya partit dans un léger éclat de rire, comme si jamais rien de tout ceci ne s'était passé. Cette femme était complètement cinglée...
Sans m'en rendre compte, je finis par m'évanouir quelques instants après, certainement de fatigue et de douleur.
*
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