13× Nouvelle Quête
Raphaël
Je me réveillai en sueur, interrompu par d'énièmes cauchemars. En discernant ma chambre à travers la pénombre, je tentai de me rendormir. Apercevoir un lieu familier me rassurait toujours et se présentait à moi comme la confirmation d'avoir rêvé, malgré en avoir déjà bien souvent la certitude. Cependant les premiers rayons de l'aube, filtrés par d'épais rideaux, ne tardèrent pas à me chatouiller les paupières, me tirant définitivement de l'hypothétique sommeil que j'avais espéré retrouver. Je luttai désespérément encore quelques minutes avant de me laisser vaincre complètement par la lumière. Je m'assis au bord de mon lit en me frottant les yeux dans un soupir de fatigue.
Deux semaines étaient passées depuis le retour à Shardaa des Lames d'Argents qui avaient accompagné le convoi des ambassadeurs de l'Empire de Xeltos. Elles avaient par ailleurs été plutôt calmes après l'effervescence qu'avait subie le château un mois plus tôt.
Je me levai finalement, bien décidé à me changer, me confortant dans l'idée que quitte à perdre des heures de sommeil, autant les réinvestir dans l'entraînement. J'avais besoin de reprendre mes réflexes perdus après ces dernières semaines de rétablissement.
Ma silhouette dénudée traversa le reflet d'un long miroir dont j'évitai précipitamment le regard en me postant dos à lui. Je frissonnai de dégoût et de honte à cette vision de mon torse et surtout de ses nombreuses cicatrices dont j'avais fait un complexe. Ces marques ne signifiaient pour moi que faiblesse, douleur et humiliation passé. J'avais toujours tant souhaité les voir disparaître.
Après avoir enfilé mes habits en vitesse, je me retournai pour cette fois analyser mon visage à travers la glace. Mes yeux pers me fixèrent en retour et je pus de la sorte constater que mes quelques cernes donnaient à mon visage triangulaire un teint blafard relatif au levé. Je passai mes doigts dans ma tignasse ébouriffée en guise de brossage, espérant ainsi les démêler un tant soit peu. En voyant que mes mèches blanches paraissaient un peu moins en bataille qu'habituellement, je me détournai de mon reflet.
Je sortis de ma chambre en refermant précautionneusement la porte derrière moi. Je longeai silencieusement le couloir située au troisième étage pour ne réveiller personne. Le château possédait en effet deux grandes ailes de cinq étages réservés aux chambres de chaque Lame d'Argent, séparant les femmes à l'ouest et les hommes à l'est.
À vrai dire, pas grand monde devait être debout au château à cette heure-ci en dehors des domestiques. Les gens en général avaient souvent besoin de bien plus de sommeil que moi. Pour ma part, je dormais peu. Je ne parvenais de toute manière que très difficilement à trouver la torpeur nécessaire à mon assoupissement. De plus, quand le pays des rêves s'offrait enfin à moi, j'en étais aussitôt tiré par d'affreux cauchemars.
Plongé dans mes pensées, je ne fis pas vraiment attention à mon environnement, ce qui ne tarda pas à en résulter d'un événement malencontreux. Je me cognai ainsi contre une autre personne dans un tournant. Nous gémîmes tous deux de douleur et de surprise, je relevai la tête et aperçus les traits de Peter.
- Excuse-moi je ne faisais pas attention ! me précipitai d'affirmer.
- Ce n'est rien, moi non plus. J'étais pressé, marmonna-t-il d'une mauvaise humeur apparente et assez rare pour être soulignée.
- Je ne te pensais pas si matinal, fis-je remarquer, intrigué.
- On m'a réveillé, grommela le jeune homme à la coupe châtain asymétrique qui apparemment n'aimait pas manquer ses heures de sommeil.
- Je vais te laisser émerger alors, dis-je en amorçant un mouvement de départ.
- Ne t'éloigne pas trop du château, tous les Lames d'Argent sont convoqués pour neuf heures dans la cour.
- Vraiment ? Pourquoi ? l'interrogeai-je, d'un tout nouvel intérêt suscité.
- Une mission de groupe, Meredin a trouvé quelque chose de louche dans le nord. Tu en sauras plus le moment venu, affirma-t-il pour clore le dialogue.
Il repartit sans traîner en direction des étages, me laissant seul avec mes questions. Le chef de l'Eau avait été vague, il ne me laissait pas d'autres choix que de prendre mon mal en patience. Je me rendis ainsi au réfectoire quasi-désert. Je déjeunai en observant les alentours pour passer le temps affreusement long qui se présentait à moi. Alors que je bouillais d'impatience depuis déjà trop longtemps, les cloches sonnèrent finalement les fameuses neuf heures. Je me levai de table et partis rejoindre la cour. Les chevaliers commençaient à affluer alors que seuls une poignée d'entre nous étaient présents dehors.
Quelques minutes passèrent dans l'attente et les murmures nerveux de l'assemblée. Ils paraissaient apparemment tout autant dans le flou que moi à propos de la situation. Tandis que les chevaliers arrivaient de tout côté, Alexandre finit par me rejoindre. Lui qui adorait prendre soin de sa coupe, ses cheveux blonds étaient désormais dans le même désordre que les miens. Il me salua en baillant. Nous décochâmes quelques mots avant que je ne finisse par apercevoir dans la foule, avec étonnement, le mélange improbable d'Aerin et Blake. Cette dernière s'était par ailleurs faite discrète depuis son retour. En général, cela ne présageait rien de bon, elle devait probablement préparer un prochain coup à faire subir aux habitants du château.
La voix de Meredin, désormais amplifiée par la magie de l'Air, rompit subitement le cours de mes pensées. Elle avait décidé de commencer sans le chef du Feu qui, apparemment, avait été convoqué par le roi au même moment.
- Vous semblez presque tous présents. Nous pouvons commencer.
Saya reprit à la suite du silence attentif que venait d'acquérir sa collègue :
- Nous vous avons convoqués aujourd'hui pour une mission commune. Ces dernières années, un important groupe d'Enfants Maudits s'est développé.
- Cependant, je les ai surpris en action lors d'une mission dans le nord-ouest il y a quelques jours. Ils pillent et brûlent des villages sur des lieues entières.
Un murmure bruyant traversa l'assemblée. Les Enfants Maudits étaient le nom porté par ceux qui naissaient avec la malédiction de ne pouvoir aimer personne. Ils étaient sans le vouloir destinés à propager l'hécatombe autour d'eux.
Lorsqu'ils se mettaient à apprécier quelqu'un, celui-ici mourrait peu de temps après, peu importe la manière. Ces enfants devenaient ainsi rapidement orphelins puis abandonnés et rejetés de tous.
Malgré tout, ils étaient en quelque sorte des "cadeaux" des Dieux. Ils permettaient de rééquilibrer le monde, dans le but d'une égalité parfaite entre ce qui s'apparentait au bien et au mal, au plaisir et au déplaisir. De par cette raison, les Divinités maudissaient certains humains dès leur naissance. "Le malheur des uns fait le bonheur des autres", comme le disait souvent ceux qui débattaient à propos de ces êtres nés martyres.
Toutefois, une exception existait face à leur inévitable solitude : les Maudits pouvaient s'aimer entre eux sans succomber à la mort. Ce fut ainsi que naquit le groupe reclus des Enfants Maudits. Jusque là, ils n'avaient jamais vraiment fait parler d'eux ; j'avais même toujours cru qu'un tel regroupement ne pût être qu'une légende. Mais ils avaient apparemment décidé de sortir de l'ombre maintenant pour mettre à sac des villages entiers. Ils étaient probablement motivés par le besoin de se subvenir, même si je supposai qu'ils trouvaient sûrement un certain réconfort à s'en prendre aux pauvres gens qui faisaient partie de la population qui les avait exilés.
- C'est pour cela que nous devons intervenir au plus vite, les vies de nombreux innocents sont en jeu ! renchérit la chef de la Terre.
- Vous formerez des groupes de quatre, un par type de magie, continua Peter quand le silence revint. Vingt d'entre vous resteront ici pour garder le château et la ville en notre absence tout en continuant d'effectuer les missions de routine.
- Rendez-vous ici dans une heure, avec vos chevaux et vos uniformes, termina la chef aux cheveux noirs.
Le brouhaha collectif reprit alors que je préférais demeurer silencieux un instant pour songer aux Enfants Maudits. Je ne pouvais pas m'empêcher de trouver leur situation triste. Ils devaient se sentir trahis par le monde entier. Malgré tout, l'humanité ne pouvait pas vraiment être à blâmer non plus, elle n'avait fait que se protéger de l'une de ses peurs.
Loin de ces préoccupations, Alex se tourna vers moi tout sourire et m'interrogea, malgré connaître déjà ma réponse :
- On fait équipe ?
- Évidemment !
Nos poings s'entrechoquèrent d'un air entendu comme pour sceller notre pacte.
- Maintenant, il ne nous manque plus que l'Eau et le Feu.
- Vous parlez de nous ? intervint une voix malicieuse.
Je dirigeai mon regard vers celle-ci et m'aperçus alors qu'Aerin et Blake s'étaient dirigées vers nous en un éclair, sans que nous n'ayons eu le temps de le remarquer. Le blond haussa un sourcil d'incompréhension en les voyant et leur demanda :
- Depuis quand êtes-vous amies toutes les deux ?
La mage d'Eau s'esclaffa en regardant sa sœur d'arme d'un air complice. Elle semblait apparemment se moquer du manque d'observation de son ami. Les deux guerrières s'étaient probablement rapprochées durant leur dernière mission et celui-ci n'avait rien remarqué.
- On va dire qu'on a appris à se connaître. Alors, vous voulez bien faire équipe avec nous ?
- C'est d'accord si la démone ne nous attire pas d'ennuis, concédai-je en fixant la concernée aux couettes rouges, étonnée qu'Aerin la choisisse en priorité à nous : ses deux meilleurs amis.
- Non mais je ne te permets pas ! répliqua-t-elle de suite, piquée au vif. Soyez déjà flattés par l'honneur de ma présence à vos côtés !
À l'entente de ces mots, nous éclatâmes tous les trois de rire. Blake avait le don d'elle-même se tourner en ridicule sans le vouloir tant elle n'était en rien crédible.
- Et en plus vous vous foutez de moi ! s'énerva-t-elle.
Nous nous chamaillâmes encore quelques instants avant de finalement nous séparer pour nous préparer chacun de notre côté. Je montai à mes quartiers en même temps que de nombreux autres chevaliers. J'enfilai mon uniforme tout en songeant à cette nouvelle mission qui s'avérerait très probablement périlleuse. Peut-être que les Enfants Maudits avaient un lien avec l'attaque du château qui avait eu lieu un mois plus tôt ? Sur ces réflexions, je descendis de ma chambre pour aller seller mon fidèle destrier et quittai par la suite les écuries pour rejoindre la cour déjà bien occupée par les Lames d'Argent. D'abord désorienté, je finis par y trouver Aerin déjà prête.
- J'espère que tu te montreras moins sans cervelle que la dernière fois, commenta-t-elle en ricanant avec sarcasme, faisant référence à la mission où j'avais été blessé car j'avais foncé tête baissé.
- Les Enfants Maudits ne sont pas ceux qui m'intéressent.
Nos deux compagnons nous rejoignirent finalement. L'heure du grand départ ne tarda ensuite pas à sonner son glas.
*
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