10× La Princesse Déchue
Blake
Le restant de la nuit fut agité pour les membres du campement. Plusieurs feux avaient été allumés tout autour de nous pour nous permettre d'y voir plus clair. L'attaque que le convoi venait de subir était désormais au centre de toutes les préoccupations, ajoutant à cela, le meurtre des trois Xilliens qui n'avait fait qu'envenimer davantage nos relations avec les représentants de l'Empire. Alors que la plupart des voyageurs prenaient part aux débats enflammés, je demeurai à l'écart, silencieuse. Mon esprit était bien trop gonflé par les réflexions pour m'amuser à me quereller avec les autres.
Les images de ce qui s'étaient passées, des silhouettes qui nous encerclaient et du visage découvert d'Alceste, tournoyaient inlassablement dans ma tête. Déstabilisée était un bien faible mot pour décrire ce que j'avais ressenti, à quel point mon cœur s'était serré, à quel point mon corps tout entier avait tremblé. "Ambrasia", je n'avais plus entendu ce nom depuis longtemps... J'avais eu tort de penser que ce passé était loin derrière moi. Il venait de se présenter sous mes yeux, revenant d'un Enfer oublié. En vérité, il m'avait toujours attendue pour refaire un jour surface.
Je me mis à fixer distraitement le cœur du groupe en plein déchirement. Aerin était parmi eux, exempt de l'un de ses gantelets, le poignet bandé. Elle avait pris la responsabilité d'expliquer les événements qui avaient eu lieu durant le sommeil des autres voyageurs et dont nous avions été les seules témoins. Les Lames d'Argent se défendaient des accusations virulentes que leurs portaient les Xilliens en colère de voir encore les leurs disparaître. Certains nous incriminaient même d'avoir orchestré leurs assassinats. Le général Leif, lui, ne prenait pas part aux débats et se contentait d'autopsier les cadavres en silence, espérant pouvoir en tirer quelque chose. Il finit par retirer une flèche de l'un des cous des victimes pour mieux l'analyser et tenter de déterminer sa provenance. L'homme ne tarda pas à se relever et annonça en brandissant le projectile :
- Les flèches qui ont été tirées appartiennent à l'armée Xillienne.
L'assemblée se tut, perplexe, et le chauve au cache-œil enchaîna :
- Une seule organisation a pu orchestrer un tel massacre : celle d'un groupe de terroristes établi à l'ouest de notre Empire. Ils n'en sont pas à leur coup d'essai, ils s'en sont déjà pris à nos armées pour voler nos équipements.
En faisant l'inventaire des biens, ceux qui s'étaient occupés du décompte avait pu en effet remarquer que des armes et des vivres avaient été dérobés, confirmant l'affirmation du chef de troupe. Heureusement, le nécessaire de soins n'avait pas été chapardé ; a contrario Aerin aurait été bien mal barrée.
- Ce sont encore eux ? Leurs actes sont intolérables ! s'exclama l'un des soldats étrangers qui avait trouvé un coupable sur qui rediriger son ressentiment.
Ces compères le suivirent dans une attitude révoltée alors que Leif murmura pour lui-même :
- Seulement, je ne les pensais pas enracinés si proche de la frontière, j'en ferais part à l'Impératrice.
Les Lames d'Argent semblaient apaisés que le général ait calmé le jeu. Les dialogues prirent ainsi fin et les membres du convoi s'activèrent plutôt à ranger toutes leurs affaires et à seller les chevaux. Le soleil montra ses premiers rayons tout juste quelques minutes après. Nous partîmes de suite après, tous désiraient fuir au plus vite ce lieu qu'ils jugeaient maudit.
Durant le trajet, je demeurais silencieuse comme la plupart des cavaliers. Seulement moi j'étais d'autant plus songeuse, mes pensées agitées cogitèrent tout du long mais en même temps je ressentais comme un vide. Mes émotions ne parvenaient étrangement pas à m'emporter avec elles.
Après plusieurs heures de chevauchée sur des pentes escarpées, nous parvînmes finalement à atteindre le lieu tant espéré : la frontière entre nos deux nations. Nous nous stoppâmes aux abords du fleuve qui marquait une séparation naturelle entre nos territoires. Les chevaliers aux capes cramoisies traversèrent le pan le moins profond de la rivière qui arrivait tout de même à mi patte de leurs destriers. Après avoir traversé le flux sans encombre, les Xilliens nous firent face. Nous nous trouvions désormais chacun dans nos pays respectifs, plus aucun lien ne nous unissait. Leur meneur, le général Leif, fit avancer sa monture d'un pas afin de prononcer les derniers mots qui scelleraient ce voyage.
- Il est grand temps que chacun retrouve sa patrie, en espérant que nous mettrons la main sur les assassins de nos compagnons. Quoi qu'il en soit, nous ne laisserons pas leurs crimes impunis ! prononça-t-il sévèrement en dégainant et en pointant solennellement son épée dans notre direction.
Malgré son apparente politesse, l'homme au cache-œil nous faisait clairement comprendre que s'il s'agissait en réalité d'un coup monté de la part du Royaume d'Alanya, l'Empire de Xeltos serait aussitôt prêt à chercher réparation dans le sang pour lui faire amèrement regretter son affront.
- Ce fut malgré tout un honneur d'avoir pu signer un pacte de non-agression avec les vôtres et d'apporter la paix entre nos nations, ne serait-ce que temporairement.
Adieux Alanyiens ! termina-t-il en inclinant respectueusement son crâne lisse en guise de dernière salutation.
Le général mena son cheval de sorte à faire sans tarder volte-face vers les territoires qui abritaient leurs foyers. Les deux diligences et leurs quelques accompagnateurs l'imitèrent et nous les observâmes s'éloigner vers la forêt dense qui s'étendait à perte de vue. La plupart d'entre-nous semblaient soulagés par notre séparation avec les représentants étrangers. En effet il était peu rassurant de se dire que si notre pays avait été moins fort et influent, les Xilliens nous auraient probablement déjà envahis pour faire de nos terres les leurs. Entre leur politique expansionniste et leur haine de la magie, leurs raisons étaient doubles pour un jour attaquer le Royaume d'Alanya.
Nous ne tardâmes pas à les imiter, et fîmes volte-face à notre tour. Nous accélérâmes notre cadence par à rapport à ces derniers jours pour pouvoir enfin utiliser pleinement les capacités de nos montures. Nous sillonnâmes forêts et plateaux plus vites qu'auparavant jusqu'à finalement faire une pause près de l'une des dernières rivières qui marquaient la zone de la frontière entre les deux nations rivales.
Nous mîmes pied à terre pour nous dégourdir les jambes et abreuver nos chevaux. Je remplissais ma gourde d'eau fraîche alors que des gouttes parvinrent jusqu'à moi. Je fronçai des sourcils et dévisageai les concernés. Kagami et Alexandre bataillaient tous deux à se jeter le liquide transparent à la figure avec un amusement enfantin. Je me levai et m'en allai un peu plus loin pour m'éloigner de l'agitation. Habituellement, je les aurais volontiers rejoins mais aujourd'hui je me sentais comme vidée de toutes envies et de toutes émotions.
Une fois arrivée à l'orée de la forêt, je m'assis sur un rocher en joignant mes mains entre elle et y posai ma tête. Songeuse, je laissai couler le flot de mes pensées avec une sorte d'absence, la boule au ventre. Ainsi, Alceste et le restant de ses troupes étaient devenus de dangereux terroristes dans le seul but d'accomplir leur vengeance ?
Une ombre se dessina subitement face à moi, me poussant à relever la tête vers son visage. Aerin se tenait debout dans une expression compatissante tout en semblant à la fois mourir d'envie d'en savoir plus. Elle me demanda brièvement si elle pouvait s'asseoir à mes côtés ce que je répondis par un hochement de tête.
- Tu n'as pas l'air bien. Qui était-ce cette nuit ?
Je demeurai silencieuse quelques instants avant de finalement me décider à lui répondre. Après tout elle avait le droit de savoir, elle s'était retrouvée au premier plan de la scène qui s'était jouée sur le campement.
- Ils s'agissaient d'Alceste Aerandir de Montbrasé, de son nom complet, le général d'Ambrasia lorsque le royaume était encore sur pied, et ce que je suppose être ses dernières troupes.
La mage dont les cheveux bleu marine étaient surplombés de son éternel bijou de tête ne répliqua rien. Elle me poussait à en révéler plus, attentive. En me replongeant dans mes souvenirs, un léger et irrépressible rictus se dessina sur mes lèvres.
- C'est drôle de voir qu'après tout ce temps Alceste a enfin appris le respect, lui qui ne me vouvoyait jamais auparavant, murmurai-je pour moi-même dans un petit rire.
Une larme inattendue dévala alors de ma joue en une seule et unique perle.
En l'apercevant, je me retournai dans un sursaut pour essuyer à la vas-vite le liquide salé qui continuait de couler sur ma joue.
- Blake... murmura Aerin attristée en posant une main sur mon dos qui lui faisait désormais face.
Mes larmes ré-embuèrent instantanément mes yeux alors que je tentai désespérément de les faire taire. J'étais parvenue à me retenir jusque là mais formuler à voix haute l'apparition de cette nuit avait suffi à me faire craquer. J'étais pourtant loin d'être une pleurnicheuse, mais ces retrouvailles m'avaient fait plus d'effets que je ne voulais bien le croire.
- Tu peux te confier à moi si tu veux, m'indiqua la mage de l'Eau, peinée de ne rien pouvoir faire pour apaiser mon chagrin.
Je demeurai silencieuse, le visage tourné à l'opposé d'elle, honteuse à l'idée de lui faire part de mes faiblesses. Mes sanglots saccadés étaient désormais tout autant audibles que le courant de la rivière qui filait près de nous et les voix éloignées des autres Lames d'Argent.
Je me laissai aller au chagrin et à la nostalgie durant encore quelques instants avant d'être finalement prise d'un élan de détermination qui me poussa à déclarer, d'une voix encore un peu tremblante :
- D'accord, je vais te dire la vérité.
*
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