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Chapitre treize


Dalil débarqua à la boulangerie cinq minutes après la fermeture avec un sac de courses rempli à ras bord.

« J'ai pris de la salade, des tomates, de la mozza, du pâté végétal. J'espère que tu as du pain pour aller avec... »

Il s'arrêta en riant et leva le nez sur les rayons. Ils étaient presque vides, mais il restait un énorme pain de campagne à la croûte sombre recouverte d'une file pellicule de farine.

« J'ai rien dit, rigola Dalil. »

Thibault passa devant le comptoir et l'attira vers lui. Dalil s'inclina et déposa un baiser sur les lèvres tendues et la scène lui donna l'impression ténue d'un geste quotidien et habituel empli de douceur. Et c'est vrai qu'en quelques jours, ils s'étaient tous les deux accordés avec facilité sans réfléchir.

Il aimait aller chercher les lèvres de Thibault des siennes, il aimait la réponse hâtive qu'il en obtenait, le plus jeune rendant son baiser avec une envie de plus en plus affirmée. Dalil entoura sa taille de son bras et le plaqua contre lui, plongeant sa tête dans son cou et humant le parfum de farine et de levure qui émanait du boulanger.

« Si on continue, on ne va jamais faire cette balade à vélo. Pas que je m'en plaigne, je fais du sport toute la semaine, mais je connais un boulanger gringalet qui a bien besoin de voir la lumière du jour et de faire de l'exercice.

– Je connais un cordiste qui n'a jamais façonné une centaine de baguettes ni transporté des sacs de farine de près de vingt kilos.

– Non, mais j'ai soulevé un boulanger de près de soixante-quinze kilos contre le carrelage d'une douche. Ça compte ? »

Les joues de Thibault s'enflammèrent au rappel. Il avait été désespéré au point de supplier pour en obtenir plus et en même temps, il n'avait pu résister à cette jouissance à portée de doigts.

C'est le cas de le dire.

Alors non, stop ! Il était hors de question que cette licorne continue de s'incruster dans sa tête pour commenter ce genre de choses.

« Je t'ai perdu quelque part ? demanda Dalil.

– Contre le carrelage apparemment.

– Oh, je savais parfaitement où tu étais à ce moment-là. »

Thibault répondit d'un rire léger, s'éloigna et agita la main vers sa maison.

« Je te laisse commencer à préparer le repas. Je range et j'arrive. La porte d'entrée est fermée, mais tu peux passer par la terrasse, j'ai laissé ouvert.

– Tu ne fermes jamais ?

– Rarement quand je travaille à côté. »

Il n'aimait pas les portes closes, les pièces refermées sur elles-mêmes dont on ne peut s'échapper. Il se disait toujours des choses horribles derrière ces portes.

« On est en pleine cambrousse, se justifia-t-il. Je sais, on dit ça et puis un jour, on se fait cambrioler.

– Je plains les voleurs qui viendraient cambrioler chez toi. Leur butin : des serviettes délavées et des pots de confiture. »

Thibault sourit.

« Je n'aime pas m'encombrer.

– J'ai plus de choses dans mon van que toi dans toute ta maison.

– C'est bien possible. »

Dalil se pencha et saisit le sourire pensif de Thibault entre ses lèvres. Pas ordinaire, c'était encore le qualificatif qui lui venait en tête. Mais il ne savait pas si c'était dans le bon sens du terme. Pas ordinaire dans ce sens décalé, en inadéquation totale avec le monde, ou pas ordinaire dans le sens d'extraordinaire, libéré de toutes contraintes, tel un papillon dans un champ de fleurs. Cette particularité de la personnalité de Thibault ne cessait de l'intriguer et en même temps, de l'effrayer quelque peu.

Quelques minutes plus tard, Dalil finissait des dresser ses assiettes sous l'œil scrutateur de Oz et Flèche. Le premier se tenait perché sur la vieille armoire qui contenait toute la vaisselle et le second sur le tapis de l'entrée. Pensant qu'il ne l'avait vu, Thibault s'appuya sur le cadre de la porte-fenêtre pour le regarder cuisiner. Dalil gonfla les muscles et passa la main dans ses cheveux. Puis, il glissa la langue entre ses lèvres pour mimer une concentration extrême.

« Tout ça pour touiller une vinaigrette ? se marra Thibault, entre gêne et plaisir.

– Oh non, tout ça pour toi. »

Il releva les yeux et eut le plaisir de voir le jeune homme rougir, mais il resta à le contempler, un sourire léger dessiné sur ses lèvres. Thibault ne fixa pas uniquement son torse ou ses biceps, mais il planta les yeux dans les siens, puis détailla son visage et son expression.

« Oh, alors merci pour le show. »

Dalil rit à son tour, et pendant un instant, il se demanda ce qu'il serait prêt à faire pour garder ce regard sur lui.

« Je t'en prie. J'ai donné une poignée de croquettes à ton chat. Il était affamé et il miaulait non-stop en me tournant dans les jambes.

– Il n'était pas affamé, je l'ai nourri ce matin, tu t'es seulement fait avoir.

– L'enfoiré ! »

Dalil fixa le matou qui lui renvoya un regard surpris, et un poil dédaigneux.

« Est-ce qu'il me regarde en mode « j'ai rien fait » ? demanda-t-il.

– Non, il te regarde en mode « misérable et faible humain, tu es sous mon contrôles et tu l'ignores ».

– Au moins, ton chien, il prend un air honteux.

– Ouais, mais il a quand même fait la bêtise, ce qui revient au même. »

Dalil se marra.

« Je n'ai jamais eu d'animaux. C'est sympa. C'est prêt, on peut manger. »

Ils s'installèrent sur la terrasse et pendant quelques instants, il n'y eut que les tintements de leurs couverts entrecoupés par les ronflements des voitures venus du bas du village et par le souffle d'une brise légère entre les arbres.

« Pourquoi le pâté végétal ? demanda soudain Thibault.

– J'ai remarqué que tu ne cuisinais pas du tout de viande Et je savais pas trop quoi prendre. »

Thibault se recula. C'était la première fois que l'on faisait autant attention à lui, et il ne sut pas comment réagir.

« Ou c'est pour moi ? demanda Dalil. Il fallait pas t'embêter. Je vais pas mordre dans une côte de porc, mais le poulet ou la dinde, ça me va.

– Non, non, je ne mange pas de viande. C'est... »

Il ne savait pas comment l'expliquer. Mais il avait trouvé une échappatoire dans la montagne lors de son adolescence. Il s'était perdu dans les bois, dans les champs, le long des cours d'eau, et plus il se sentait appartenir à cette nature, moins il avait envie d'aller contre elle. Il n'était pas du genre à attraper les papillons, mais à attendre qu'ils se posent d'eux-mêmes.

« Hé, tu n'as pas à te justifier là-dessus ou à m'expliquer, coupa Dalil. Je suis pas comme l'autre abruti, je respecte tes choix et tes convictions. Et c'est pas mauvais, ça a un goût de pois chiche.

– Parce que ça en est, sans doute. »

Dalil attrapa la boite, lut les ingrédients et hocha la tête. Puis, il tartina deux autres tranches de pain pour leur repas improvisé.

« Merci, dit Thibault en attrapant la tartine. »

Il tourna la tête vers le paysage à flanc de montagne. Tout au fond de son jardin miniature, là où les fleurs des champs poussaient librement, quelques papillons venaient les butiner avec une légèreté qu'il était loin de ressentir. Dalil était en train de devenir plus proche de lui que la majorité des gens qu'il connaissait, ses grands-parents exceptés. Et le besoin de s'échapper lui revint brutalement, obsédant.

* * *

Thibault maudit son vélo, au début, ça allait, mais au bout de dix minutes, il avait ressenti un peu d'inconfort, au bout de trente, il se soulevait légèrement pour amoindrir le désagrément et bout d'une heure et demie, il devait bien l'admettre, il avait mal au cul.

On demande une évacuation d'urgence et un massage à un point stratégique ! Avec les deux mains, trouffion !

Et on oublie le côté torride au passage, merci bien, soupira Thibault. Il appuya les pieds sur les pédales et déporta son poids. Trop tard, une pierre sur le chemin, un cahot brutal et il retomba sur la selle en grimaçant. Cette dernière possédait un coussin plus fin que la culpabilité d'Oz après une arnaque à la croquette. Heureusement, ils étaient sur le chemin du retour.

Il observa Dalil en train de prendre de l'avance dans la ligne droite. Ce dernier se redressa, lâcha le guidon et tendit les bras à l'horizontal avec un équilibre parfait. Puis, il se tourna, le vit en train de traîner et mit pied à terre. Dalil reprit à moins vive allure quand Thibault fut à sa hauteur et lui jeta un regard inquiet.

« Ça va ? Pourquoi tu as ralenti ?

– J'observe la topographie du terrain pour éviter les plus grosses pierres. Ah, et j'ai mal au cul ! avoua Thibault avec une moue blessée. »

Dalil baissa les yeux sur le vieux vélo.

« C'est ta selle.

– Étant donné qu'elle semble être incrustée dans mon cul, je m'en doute ! »

Dalil se marra, ralentit et s'arrêta.

« Tu veux récupérer ton vélo ?

– Et on sera deux à avoir mal au cul ? Merveilleuse idée !

– Oh, j'ai souvent des merveilleuses idées à propos de cul, mais celle-là n'en fait pas partie. Allez, descends, on peut marcher un peu. »

Thibault descendit avec la grâce et l'élégance d'un bébé pingouin pour sa première virée sur la banquise, en basculant sur ses appuis laborieusement pour éviter de réveiller ses muscles fessiers. Dalil imbriqua les deux vélos l'un dans l'autre, et les poussa lentement.

« Tu sais, à propos de cul, commença Thibault, on peut... enfin... tu peux... tu vois, quoi !

– Je serais un enfoiré, je te ferais préciser, s'amusa Dalil en jetant un regard à ses joues bouillantes.

– Tu peux me sodomiser si tu en as envie, je ne suis pas contre. »

Dalil trébucha, manqua de tomber avec les vélos et se récupéra en quelques pas disgracieux dans un grincement de métal.

Mais ça va pas de traumatiser mes trouffions ! Ils sont parés à toute mission, mais faut pas pousser tatie dans les chardons !

« Ok, j'étais pas prêt, marmonna Dalil.

– À me le faire ?

– À te l'entendre dire. »

Ils avancèrent encore de quelques pas, puis Dalil s'arrêta et se tourna vers la berge en bas. Ici, le cours d'eau, régulé par les hommes, s'écoulait passivement. Thibault le rejoignit, soudain mal à l'aise. C'était une discussion à avoir sur l'oreiller, ou même, ce n'était pas une discussion à avoir du tout. Juste quelque chose à vivre et à ressentir. Mais en même temps, le sujet l'enquiquinait trop ces derniers temps, et il se trouva soulagé de l'aborder. Dalil sembla hésiter puis dit lentement :

« J'en ai eu envie dès le premier jour, et encore plus depuis on s'est embrassés. J'en ai envie à chaque fois.

– Alors pourquoi ?

– Je peux pas tout te prendre, avoua Dalil. »

Thibault lui attrapa les épaules et le tourna vers lui.

« Tu ne me prends rien ! On se donne des souvenirs, rappelle-toi ! Et les tiens doivent être suffisamment chauds pour me tenir tout l'hiver. Là, j'ai à peine de quoi me chauffer pour un demi-hiver, un quart d'hiver, un tout petit huitième d'hiver.

– Outch ! Moi qui y avais mis tant d'ardeur ! ricana Dalil. »

Il fixa Thibault et reprit lentement :

« Dis-moi seulement que tu as des bonnes raisons ? En plus de fantasmer là-dessus depuis des années ?

– Hé, je fantasme pas dessus ! »

Dalil éleva les sourcils et sourit, n'en croyant pas un mot. Thibault se sentit bouillir. Il avait envie de ce souvenir, il voulait vivre et garder ce souvenir comme tous les autres. Et ce n'était pas de la honte qu'il ressentait, tout au plus, un peu de embarras bien compréhensible.

« Ok, oui, avoua-t-il, je fantasme dessus, j'en ai envie, et j'en ai envie avec toi.

– Alors, ça me va, répondit Dalil avec une assurance tranquille. Mais déstresse, je vais pas te pousser tout de suite dans les fourrés, j'ai une certaine retenue tout de même ! »

Ils marchèrent dans un rythme lent, Dalil guidant les vélos à côté de lui jusqu'à quitter le chemin aménagé puis à regagner la route menant au village. Les premières maisons se firent voir et ils remontèrent en direction de la boulangerie. Thibault se sentait étourdi et comme enivré. Il allait faire l'amour avec Dalil. Oui, ils l'avaient déjà fait, et plusieurs fois, mais il n'y pouvait rien, il trouvait à cet acte, à l'idée qu'un autre homme pénètre son corps, une excitation particulière. Et à l'idée que ce soit Dalil, il se sentit brusquement en nage. Non, mais vraiment, ce fourré sur la gauche sur chemin avait l'air tout à fait honnête et confortable !

* * *

Dalil s'amusa toute la soirée à faire monter des rougeurs sur les joues de Thibault en frôlant ses fesses de son corps, du dos de la main ou en lui jetant des regards appuyés. Un peu plus, et il pourrait planter Thibault en bas de la route pour faire office de panneau de signalisation. Il avait la même couleur pétante qu'un panneau Stop. Dalil ne savait pas pourquoi il attendait la nuit, ils auraient pu faire l'amour dès la fin de l'après-midi, mais il y avait comme un accord tacite que ce moment-là ne pouvait se jouer qu'une fois la nuit tombée et quand Thibault se serait mis à l'aise complètement. Quand Thibault prit la place à sa suite dans la salle de bains, Dalil crut voir les rouages tourner dans la tête du jeune homme et il se sentit tout à coup une responsabilité écrasante. Il désirait que ce soit bien fait, mais il avait l'habitude de relationner avec des partenaires expérimentés.

L'image de Ryan vint brutalement dans son esprit. Et il tenta de l'éloigner. Pas maintenant, pas ce soir, pensa-t-il. Vêtu de la serviette délavée, il se posta près de la fenêtre et observa le paysage plongeant lentement dans l'obscurité. Il ne voulait pas penser à Ryan. Il ne voulait pas des souvenirs vifs et douloureux du plaisir qu'il avait pris avec Ryan. Leurs rencontres avaient été brutes, directes et Ryan savait exactement ce qu'il voulait, mais pas à la manière douce et innocente de Thibault, mais avec l'égoïsme d'un homme uniquement intéressé par sa propre jouissance. Et les indices étaient là depuis des semaines, sous ses yeux, sans que Dalil réussisse à les voir, au milieu des mensonges de Ryan, de ces « c'est rien » ou ces « ça ne compte pas » lâchés après l'acte comme pour le dédouaner de toute culpabilité.

Peut-être que c'était « rien » pour Ryan, et peut-être vivait-il tous ces riens qui ne comptaient pas depuis des années avec d'autres hommes sans jamais vouloir le nommer et encore moins l'assumer. Soudain, sans prévenir, la colère laissa place à une tristesse dévastatrice, tel un raz de marée. Dalil se sentit désolé pour Ryan, pour ces mensonges et ces peurs qui avaient empoisonné leurs sentiments, quels qu'ils soient.

Le frôlement d'une main sur ses épaules nues le sortit de sa contemplation et de sa mélancolie. Et il sourit en sentant les lèvres de Thibault se poser sur sa peau et parcourir ses omoplates.

« Toujours prêt à me donner des souvenirs pour l'hiver ? murmura le plus jeune en décollant à peine sa bouche. »

Avec un sourire attendri, Dalil se retourna vers Thibault. Il n'eut même pas besoin de le faire rougir, son teint était déjà écarlate, orné de tâches de rousseurs vives, et la rougeur se prolongeait jusque dans son cou aux reflets humides. L'envie prit place au creux du ventre de Dalil, mais aussi dans toute sa tête, il voulait ses souvenirs, lui aussi. Il voulait pouvoir se rappeler de chaque moment, les retenir, les sentir disparaître dans un petit flou, mais laissant derrière eux ce sentiment que quelque chose de bien avait existé.

Dalil se baissa et souleva Thibault promptement, l'obligeant à ceindre ses hanches de ses cuisses et à enrouler ses bras autour son cou. Il le réhaussa contre lui, le plaquant contre son corps, grisé par cette sensation de puissance. Une de ses mains monta le long du dos nu de Thibault jusqu'à sa nuque pour incliner sa tête et il l'embrassa, prêtant de l'attention à ce baiser, aux petits gémissements de Thibault, à la façon dont ses cuisses se resserrèrent sur ses hanches quand leurs langues entrèrent en jeu. Il l'embrassa une fois, puis une autre, jusqu'à être empli de désir, du haut de son crâne jusqu'au bout des orteils, empli de tant de bonnes raisons qu'il était incapable de les compter.

Il fit quelques pas en direction du lit, mais bifurqua en chemin pour plaquer Thibault contre le mur le plus proche. Il sentit sa serviette descendre sur ses reins et baissa les yeux pour voir qu'une main peu farouche venait de défaire le nœud qui la retenait. Il s'écarta un instant et la laissa tomber jusqu'au sol. Il ne restait plus que le tissu léger de celle de Thibault entre eux. Et ce dernier recommença le même geste, envoyant sa propre serviette fouler le sol et ouvrant les cuisses. Ses yeux verts étaient plongés dans ceux de Dalil, et il paraissait vouloir se laisser envoûter et submerger par l'instant. Dalil aligna son corps pour laisser leurs sexes entrer délicatement en contact.

« Seulement un huitième d'hiver ? bougonna-t-il.

– À peine, rétorqua Thibault, joueur. »

Dalil ondula légèrement et un murmure lui répondit.

« Je vais te donner un hiver entier, et même plusieurs. »

Ses mains glissèrent jusqu'aux fesses de Thibault et il les empoigna franchement, comme quelques jours auparavant sous la douche. Un léger cri de douleur lui parvint et Dalil remonta ses mains en quatrième vitesse.

« C'est rien ! dit rapidement Thibault.

– Je crois que vélo et sodo, ça fait pas bon ménage. On devrait attendre un peu, par égard pour ton petit cul meurtri.

– C'est hors de question ! Tu vas me baiser ce soir et maintenant !

– Encore un ordre ?

– Oui ! Exécution, troufion ! clama Thibault. »

Dalil éclata de rire, puis ses mains regagnèrent avec plus de douceur les fesses de Thibault et les englobèrent.

« À vos ordres, chef ! Et niveau stratégique, tu vois la vois comment cette incursion en terrain inconnu ? Une tactique précise à adopter ? »

Thibault resserra ses bras autour du cou de Dalil avec un sentiment de confiance totale.

« Fais comme tu le sens, murmura-t-il. »

Un baiser vint se poser sur ses lèvres. Puis lentement, Dalil le porta jusqu'au lit et le déposa dessus. La lampe de chevet était restée allumée, mais son abat-jour était orienté vers le plafond, les laissant dans un dégradé de lumière à ombre.

« Je sais que t'as des attentes plein la tête, Thib, j'en avais aussi, alors je préfère te prévenir, ça peut être un peu déconcertant ou décevant les premières fois.

– Je sais. Je te fais confiance.

– Ne me dis pas ça, tu me fous une pression monstre ! s'amusa Dalil. Et si ça foire ? Si tu aimes pas ?

– Oh, ben, je te mettrai tout sur le dos et j'irai vite chercher un autre touriste avec qui ça foirera pas, rétorqua Thibault en se redressant pour sortir du lit. »

Dalil le retint d'une main sur la poitrine et le plaqua sur le matelas, le surplombant de toute sa taille.

« Aucun touriste n'arrivera jusqu'à toi quand j'aurais fait tomber la moitié de la falaise sur la route ! rugit-il, un peu rieur, et sentant s'éveiller en lui un côté possessif dont il ignorait l'existence. »

Il observa les boucles rousses étalées sur le drap, le sourire de Thibault qui l'avait amené exactement là il voulait. Non, là où ils voulaient tous les deux. Dalil articula doucement, bougeant ses hanches pour récréer cette tension entre eux :

« C'est moi qui te donnerai ce souvenir ! Et si le premier est moyen, je t'en donnerai un deuxième bien mieux, et un troisième encore meilleur, et un quatrième extraordinaire !

– On peut aller directement au quatrième ou on est vraiment obligés de passer par les trois premiers ?

– On est obligés, petit impatient ! »

Parce que je veux te voir rougir et t'enflammer, songea Dalil, je veux te caresser, te sentir gêné, te voir surpris par ce plaisir si différent, te voir le rechercher et entendre ta voix prendre une note inattendue.

« Tu as le droit de m'arrêter à n'importe quel moment, dit-il. N'importe lequel, ok ? »

Thibault acquiesça avec sérieux, puis leva les mains vers le visage de Dalil.

« Ça vaut pour toi aussi, murmura-t-il.

– Hé, c'est pas ma première fois.

– Et alors ? Première ou millième fois, le but, c'est d'être deux à apprécier, non ? »

Dalil se redressa. Encore une fois, Thibault venait de viser ses sentiments et il les sentait tomber comme des boites dans un jeu de chamboule-tout. Il ne lui donnait pas seulement des souvenirs, il réparait sa confiance égratignée.

« Oui, tu as raison, répondit-il. Mais j'aimerais quand même être à la hauteur de tous tes fantasmes, j'aimerais tous les réaliser.

– Hum... Tu as un don d'ubiquité ? Ou un petit sort de dédoublement parce que mes fantasmes prennent parfois des tournures fantaisistes, rougit Thibault. »

Dalil ricana et abaissa lentement son corps sur celui de Thibault.

« T'en fais pas, tu vas me sentir tellement partout, sur toi, en toi, que tu auras l'impression qu'on est plusieurs. »

Bravo, soldat ! Ça, c'est du travail d'équipe ! On se met en escouade serrée et on lâche pas jusqu'à ce que l'objectif soit atteint !

La peau de Dalil se plaqua contre la sienne, envahit son espace et bien plus encore. Et quand Thibault voulut basculer la tête pour un peu d'air, ses lèvres furent capturées par celles de Dalil sans aucune concession.

Et pendant les quelques minutes suivantes, Dalil lui sembla en effet partout, tout son corps en contact avec le sien, ses lèvres quittaient à peine sa bouche qu'un doigt venait jouer au creux de sa langue. Le corps de Dalil s'éloignait de quelques centimètres que ses mains se dépliaient sur son torse pour récréer le contact dans une caresse exquise, frôlant ses mamelons du bout des doigts. Chaque éloignement était compensé par un nouveau rapprochement, chaque contact perdu remplacé par un autre, tout aussi intense. Jusqu'à cette caresse éphémère sur son anus, puis plus longue, et enfin, tellement tangible qu'il se mit à gémir. Les doigts de Dalil passaient lentement de ses testicules à son anus, traçant le chemin plusieurs fois. De l'autre main, il caressait le visage de Thibault, repoussant ses boucles de son front en sueur. Il l'embrassa longuement, se redressa et attrapa un tube de lubrifiant, puis il reprit la position à l'identique, refaisant les mêmes gestes.

« N'importe quand, répéta Dalil. »

Thibault voulut acquiescer, mais il se perdit plutôt dans le cou de Dalil un instant pour calmer son excitation. Son sexe était tendu dans l'attente, et il sentait l'érection de Dalil, large et dure, reposant sur son bas ventre. Il essaya d'avaler une goulée d'air, mais ce fut seulement une inspiration courte et rapide qui s'infiltra dans ses poumons. Les doigts continuèrent leurs caresses, glissant avec plus d'aisance.

Thibault écarta son visage du cou de Dalil, agrippa ses cheveux courts et l'attira vers lui, son regard dans le sien. C'était leur souvenir et il voulait s'en rappeler avec le plus d'exactitude possible. Il contempla le visage à la peau mat, les yeux sombres aux cils longs, le sourire qui n'était plus dévastateur, mais attentif. Il redressa la tête, posa un baiser sur la pommette gauche de Dalil, puis sur sa tempe, sur sa joue, le long de sa mâchoire. Et quand il arriva sur ses lèvres, Dalil le pénétra lentement du bout du doigt, et Thibault gémit son approbation de sentir enfin son attente comblée. Il y avait tout un plaisir étrange qui se mêlait, dans son corps, mais également dans sa tête.

Il attaqua la partie droite du visage de Dalil, répétant le même chemin, et alors qu'il déposait des baisers sur la peau de Dalil, ce dernier parcourait un itinéraire balisé entre ses cuisses, entre ses fesses, s'occupant alternativement de son sexe et de son anus, l'ouvrant avec lenteur. Leurs yeux se trouvèrent et Thibault ressentit un peu l'incongruité de la situation, fixer quelqu'un alors qu'on avait ses doigts dans l'arrière-train, et ce, sans raison médicale, c'était un peu spécial.

Mais Dalil sourit et bougea ses doigts, et là, Thibault trouva la raison pour laquelle il avait envie de ça, c'était électrique, à défaut d'autre mot pour le qualifier. Et la sensation semblait toute nouvelle avec Dalil, comportant cette part d'inconnue qu'il ne pouvait pas obtenir seul. Il haleta, dans l'attente de chaque mouvement, à l'écoute des effleurements, puis une fois que Thibault sembla en confiance, Dalil sembla prendre plaisir à le surprendre en changeant le rythme de ses doigts, en le pénétrant très légèrement, le faisant couiner d'envie, puis soudain, très profondément jusqu'à lui arracher un gémissement qu'il attrapait entre ses lèvres. Il s'arrêta lentement, ses doigts frôlant son anus, le taquinant avec sadisme.

« Tu te sens bien ?

– Si je me sens bien ? Si tu bouges pas dans une seconde, c'est moi qui bouge !

– Tu aurais fait un adjudant du tonnerre ! se moqua Dalil en basculant sur le dos et en l'attirant sur ses hanches.

– Qu'est-ce que tu... »

Dalil lui lança un préservatif et Thibault l'attrapa. Puis, alors que le plus jeune essayait de se concentrer pour dérouler la capote sur le sexe de Dalil, celui-ci écarta ses fesses et alla à nouveau le titiller de ses doigts. Il leur fallut de longues secondes pour être parés, et pourtant, Thibault ne ressentait plus le moindre embarras. Il faisait l'amour avec Dalil et il n'était pas loin de penser qu'il existait réellement une licorne adjudant-chef qui envoyait des Dalils aux gars méritants de par le monde.

Et mince, quand ce n'était pas sa licorne qui se manifestait, c'était lui qui ne pouvait s'empêcher d'y penser.

Dalil glissa ses mains sous ses cuisses et le souleva.

« C'est toi qui vas faire comme tu le sens, dit-il en rappelant la formulation de Thibault. Descends à ton rythme, ok ? »

Les joues en feu, Thibault baissa les yeux sur le sexe de Dalil et lécha ses lèvres. Il remonta sur le ventre aux abdominaux tracés, sur les pectoraux visibles, sur les biceps forçant pour retenir son poids jusqu'au visage.

« Prends ton temps. Je ne bougerai pas. »

Thibault prit appui sur la tête de lit, et il devint posément tout ce dont il avait besoin, tout ce qu'il voulait. Il était acteur de cette première fois, maître et esclave de son plaisir, complété par le sexe de Dalil avec une plénitude surprenante et envahissante. Et il voyait toutes ses émotions se répercuter sur le visage de son amant de l'été, la retenue en plus et les gémissements en moins. Ce n'était pas un souvenir extraordinaire, mais c'était le sien, le leur, et il était unique.

La jouissance ne fut pas au rendez-vous pour Thibault, pas de cette manière, mais il prit un plaisir intense à s'approprier le corps de Dalil, à le sentir en lui, à s'ajuster, à rechercher cet endroit qui envoyait des décharges délicieuses dans les reins, il adora voir Dalil jouir dans des coups de hanches saccadés, les mains agrippées à ses hanches. Et il ne lui fallut que quelques allers-retours de la bouche de Dalil sur son sexe et de ses doigts au plus profond de lui pour venir à son tour. Cette fois-ci, ils mirent un temps fou à reparler, se contentant de baisers, de caresses, de chatouilles et de rires étouffés contre le drap. Puis Thibault lâcha avec une concupiscence qui contrastait totalement avec son visage adorable :

« J'ai hâte d'arriver à la quatrième fois, mais on va quand même faire les deux et troisièmes fois, histoire de respecter les règles.

– Évidemment, on est des joueurs honnêtes.

– Absolument ! »

Ils éclatèrent de rire et leurs lèvres se trouvèrent. Dalil plongea dans ce baiser d'après et l'attrapa pour ce qu'il était : un souvenir qui crée et qui ne détruit pas, un souvenir qui le magnifiait et qui, il le comprit soudain, le hanterait l'hiver venu.






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