Angéla ne pouvait pas en croire ses oreilles. Elle ? Renvoyée de Neo Rikoukei Academia pour s'être battue avec ces abrutis de Purple Revolution ? Ça n'avait aucun sens ! Elle n'était peut-être pas le meilleur élément de la promotion et encore moins la plus assidue. Cependant, elle n'avait jamais imaginé qu'un simple règlement de compte — qu'elle n'avait même pas provoqué, au passage — entraînerait une sanction aussi sévère. Et pourtant, Elwood, le directeur de l'université, l'avait convoquée dans le hall de la tour Ether pour qu'elle lui rende son badge. Ce qui était hors de question ! Pas après tous les sacrifices qu'elle avait faits pour intégrer l'académie de ses rêves.

— Vous êtes sûr ? Genre, vraiment ? gémit-elle comme une petite fille. OK, j'ai fait une erreur, je le reconnais. Mais, promis, je ne recommencerai plus !

— Je suis désolé, mademoiselle Hopper, mais les ordres sont clairs. Vous avez manqué à vos devoirs d'agente de la fédération en faisant usage du Kvantiki pour des raisons personnelles. Je vous prierais de bien vouloir me remettre votre badge.

— Attendez ! Je... je peux me rattraper ! insista-t-elle dans un espoir aussi vain que futile. Ah, oui ! Je peux intégrer la garde de Violette Leblanc ! Vous savez, mon style de combat est ultra défensif. Je serais parfaite pour ce rôle, non ? S'il vous plait, si je perds ce job, mon père va me jeter à la rue...

Un bruit de pas dans le hall attira l'attention de la jeune femme. Elle se retourna et croisa le regard d'une personne qu'elle prit pour un étudiant un peu paumé. Ses habits froissés, ses nombreuses plaies au visage, ses cheveux cuivrés en bataille et sa mine de déterrée lui donnaient l'impression qu'il venait de se faire tabasser dans une ruelle. Ce qui n'aurait pas été si étonnant. Après tout, la fédération était une sorte de super police qui s'occupait de tous les cas liés au Kvantiki. C'est pourquoi Angéla n'y prêta pas un grand intérêt.

Elle s'apprêtait à continuer le plaidoyer de sa cause, lorsque les portes s'ouvrirent à nouveau pour laisser entrer un individu autrement plus préoccupant : Aeonis, le chef du mouvement contestataire Purple Revolution.

Même si Angéla ne s'était jamais directement frottée à lui, elle savait que les idées qu'il propageait — anti Kvantiki, anti Ether et anti Violette Leblanc — avaient déjà causé des émeutes partout dans le monde. Elle se demandait même comment ce type pouvait être encore en liberté avec tous les appels à la haine qu'il diffusait sur les réseaux sociaux. Bon, il y avait d'autres personnalités politiques, comme le président des États-Unis Bigwall, qui partageaient des théories complotistes tout aussi néfastes pour la santé mentale de l'humanité. Cependant, Aeonis était le seul dont les paroles avaient de l'écho en France. Rien que pour ces raisons, l'étudiante ne pouvait pas le voir en peinture ni en vidéo. Alors, en face à face, ce n'était pas la peine !

Son ancien directeur, qui devinait son envie d'en découdre, lui fit signe de ne pas intervenir sans en avoir reçu l'ordre.

La suite se passa si rapidement qu'Angéla eut l'impression d'avoir effectué un bond de plusieurs minutes dans le futur. Un coup de feu. Un flash lumineux. Et une explosion de poussière.

Lorsque son cerveau se reconnecta finalement à ses autres sens, elle se trouvait évidemment toujours dans le hall de la tour Ether. À l'extérieur, l'étudiant-SDF était sur le point de se faire carboniser par un gigantesque dragon de pierre invoqué par Aeonis. Tandis qu'Elwood était parti chercher du renfort pour arrêter ce combat avant de déplorer des blessés, la jeune femme décida de prendre les choses en main, malgré son renvoi. Elle ne pouvait pas juste rester passive alors qu'un pauvre gars risquait de finir en rôti pour lézard.

Angéla effleura du bout de ses doigts son bracelet en forme de chouette aux yeux d'émeraude.

— Prête-moi tes pouvoirs pour défendre ce monde contre les menaces, déesse de la sagesse, Athéna, récita-t-elle dans un murmure semblable à une prière.

Son bijou d'une intense lumière dorée. Elle ressentit soudain dans tous ses membres un afflux massif d'énergie. Son rythme cardiaque s'accéléra. Sa vision s'aiguisa jusqu'à percevoir la moindre écaille du reptile, son ouïe s'affina au point de pouvoir entendre les battements de cœur incontrôlés de la victime d'Aeonis. Une puissante odeur de soufre mêlée à la peur envahit ses narines. Entre ses doigts, des filaments d'or couraient comme des ficelles qu'elle pouvait contrôler à volonté.

Elle concentra toute sa force dans ses jambes pour franchir en un seul bond les vingt mètres qui la séparaient du combat. Et, alors qu'une déferlante de Kvantiki fondait sur elle, l'étudiante maîtrisa sa respiration tout en s'imaginant un bouclier pour la protéger.

— Foteinó frágma !

Un écran de lumière se matérialisa devant elle, arrêtant l'attaque net sous le regard abasourdi d'Aeonis. Fière d'elle, Angéla esquissa un sourire narquois.

— Alors, on fait moins le malin, hein ? Et encore, ce n'est qu'un aperçu des pouvoirs de la future agente numéro un de la fédération ! fanfaronna-t-elle.

Tout en prononçant ces mots, les filaments d'énergie se tissèrent ensemble pour donner naissance à un long sceptre orné d'un rubis à son extrémité scindée en trois pointes à la manière d'un trident. Un rayon lumineux s'en échappa et percuta le reptile ailé en plein torse, l'obligeant à reculer.

Si elle parvenait à repousser un ennemi aussi puissant qu'Aeonis, il ne faisait aucun doute que Violette annulerait son licenciement et la promouvrait directement au rang d'agente d'élite !

Le dragon se ressaisit et poussa un nouveau rugissement qui brisa les vitres du hall d'entrée. Angéla était déjà prête à en découdre, mais, à sa grande déception, son adversaire disparut dans une traînée d'étoiles mauves, rappelé par son invocateur.

— Nous n'avons aucune raison de nous affronter aujourd'hui, jeune fille, déclara Aeonis en tournant les talons. Je ne faisais que me défendre face à l'agression que j'ai subie. J'espère que votre justice saura tout de même le reconnaître.

— Eh ! Non, attendez ! Fuyez pas comme ça et revenez vous battre, espèce de lâche ! Je vous jure que...

L'agente s'apprêtait à poursuivre le chef de l'opposition, mais Elwood, qui avait finalement sécurisé le périmètre, la retint par l'épaule en lui demandant de le laisser partir.

— Mais quoi ? s'étrangla Angéla, interdite. Vous avez pas vu ? Il était littéralement prêt à tuer ce mec, là ! Il faut le foutre derrière les barreaux, illico, sinon...

— Mademoiselle Violette souhaiterait s'entretenir avec vous. Nous nous occupons du reste.

La jeune femme déglutit. Aussitôt, elle se désintéressa du sort du pauvre étudiant attaqué par Aeonis, car elle avait un problème autrement plus urgent à régler : elle n'avait plus le droit d'utiliser ses pouvoirs et risquait donc très gros. Mais, elle n'allait quand même pas aller en prison alors qu'Aeonis avait fait la même chose qu'elle et était libre... Si ?

Tout en s'empêchant d'imaginer des châtiments tous plus horribles les uns que les autres, elle se rendit au dernier étage de la tour Ether, accompagnée par deux agents qui la conduisirent devant le bureau de la présidente. Elle toqua deux fois à la porte qui s'ouvrit automatiquement. De l'autre côté, baignant dans la lumière du jour qui s'infiltrait à travers la baie vitrée apparut la silhouette de la femme la plus influente du monde, Violette Leblanc.

Tout en contrôlant tant bien que mal les tremblements de ses membres, Angéla pénétra dans la pièce. Et, avant qu'elle n'ait eu le temps de placer un mot, sa supérieure l'interpela :

— Angéla Hopper, jusqu'où serais-tu prête à aller pour regagner ta place parmi nous ?

Au garde-à-vous, l'étudiante répondit aussitôt sans la moindre hésitation :

— Je pourrai aller jusque sur Izrath pour tuer Rikki Inagawa de mes mains, madame !

Un sourire de satisfaction s'inscrivit sur le visage de Violette.

— Bien. Dans ce cas, j'ai une mission pour toi.