Chapitre 28 : Le secret de Séléné
Une chanson rock des années 2000 tira Lucio de son sommeil. L'esprit embrumé et son corps engourdi par son combat de la veille, le soldat mit un certain temps avant de pouvoir émerger. La vision encore brouillée par la luminosité aveuglante de la chambre, il s'apprêtait à passer un savon à Angéla pour ce vacarme matinal. Cependant, lorsqu'il se tourna vers le lit de sa camarade, celui-ci était vide, et le petit déjeuner déjà entamé, ce qui ne laissait qu'une seule possibilité sur l'origine de ce raffut.
Lucio se frotta les yeux et reporta son attention vers le troisième lit de l'infirmerie. Là, il aperçut Sarah qui pianotait sur son téléphone, des écouteurs débranchés dans les oreilles. L'agente d'élite semblait avoir complètement récupéré. Son teint était coloré, ses blessures presque cicatrisées et sa mine rayonnante. Son moniteur affichait le nombre de « 100 000 KpC », et tous les indicateurs étaient en vert.
En entendant le froissement des draps, la jeune fille lui lança un large sourire amical.
— Salut ! Bien dormi ?
— Oui... Ça peut aller... Même si je me serais bien reposé un peu plus longtemps sans ta musique..., bailla Lucio.
Sarah pencha la tête sur le côté, puis réalisa enfin qu'elle faisait profiter toute l'infirmerie de sa chanson. Elle s'empourpra, coupant immédiatement le son. Honteuse, elle se cacha sous sa couverture.
— Je... Je suis désolé... J'avais pas remarqué et Angéla ne m'a rien dit... bégaya-t-elle d'une petite voix.
Le disciple de Violette se contenta de lâcher un soupir. Il n'y avait aucune raison de s'énerver pour si peu, et encore moins après la journée qu'ils avaient vécue. Au moins, il n'avait pas fait la grasse matinée et perdu un temps précieux d'entraînement. Après cette nuit de sommeil, il se sentait déjà d'attaque pour recommencer les cours et surtout, il voulait retenter d'invoquer son Daitherial. S'il y parvenait, il était persuadé de pouvoir rivaliser sans problème avec Aeonis !
Mais, avant de passer aux choses sérieuses, il avait de nombreuses questions à poser à Sarah. Ou plutôt, à Séléné. Si elle était réellement la sœur du roi d'Egypte, Hélios, elle devait détenir des informations précieuses sur la famille de Lucio, et savait peut-être même comment voyager entre les dimensions !
— Dis, Sarah, est-ce que je peux te demander quelque chose?
— Ah ! Si tu veux savoir où est ta copine, elle a dit qu'elle devait récupérer quelques affaires dans sa chambre, le coupa Sarah tout en engloutissant un pain au chocolat. Elle va revenir bientôt. Par contre, qu'est-ce qu'elle est bavarde... Elle m'a bombardée de questions à peine réveillée, j'ai rien compris...
Lucio ne put s'empêcher de rire, tout en plaignant intérieurement l'agente. Si elle lui avait fait subir le même interrogatoire qu'à lui, ce n'était pas étonnant que Sarah ait été déstabilisée au point d'oublier de brancher ses écouteurs.
— Désolé, c'est sûr qu'elle peut être intrusive parfois... Mais je voulais plutôt te demander si je pouvais parler avec ton Daitherial ?
L'invocatrice d'Apophis avala sa bouchée en cours, et s'exclama :
— Mais c'est vrai, ça ! Séléné m'a dit qu'elle avait cru te reconnaître quand on s'est rencontrés, au Louvre. T'es le descendant d'un pharaon ou un truc du genre, c'est ça ? C'est la classe ! Attends, bouge pas, je l'invoque.
Lucio fronça les sourcils. Il avait visé juste. Séléné était bel et bien liée à sa famille et connaissait donc ses secrets. Le bracelet de Sarah émit une vive lueur. Ses cheveux sombres virèrent au doré, de même que son œil droit. Son expression enfantine et détendue devint méfiante et sévère. C'était comme si elle avait vieilli de dix ans en une fraction de seconde.
— Je n'aurais jamais imaginé que le plan de Solaris fonctionne réellement, déclara alors le Daitherial non sans une certaine ironie dans sa voix. Je suis honoré de te rencontrer, Lucio. Comme on a dû te le dire, je suis Séléné, Seigneuresse d'Izrath et gardienne d'Égypte.
Le soldat déglutit, soudain écrasé par la présence de l'izrathienne. Contrairement à Violette, elle n'émanait pas de charisme ou de prestance particulière, mais son regard était perçant, et sa simple apparition rendait l'atmosphère lourde et solennelle. Chacune de ses paroles était emplie d'une sagesse d'un autre temps. C'était comme se retrouver face à une vraie divinité, inspirant autant de crainte que de respect. Cependant, il était hors de question de se défiler.
— Vous avez connu Solaris, n'est-ce pas ? Qui était-il pour vous ? Et pourquoi a-t-il fui ?
Cette question déstabilisa Séléné, qui resta immobile pendant de longues secondes. Lucio paniqua, pensant l'avoir froissée et s'apprêtait à se rétracter, lorsqu'elle reprit :
— Ceux qui tentent de changer la course du temps doivent être supprimés de l'Histoire.
Le sang de Lucio se glaça dans ses veines. Ces mots, il les avait déjà entendus de la bouche de cette femme, lors du combat entre les deux Daitherials divins.
— Ton ancêtre a abandonné son trône pour sauver Héliopolis. Et il en a payé le prix cher.
Le Daitherial baissa les yeux et serra le poing.
— Je lui avais pourtant dit que mon frère n'était pas capable d'occuper son rôle sans son aide.
— Que voulez-vous dire ? Qu'avez-vous fait à l'époque ? Si vous étiez humaine, que vous est-il arrivé ?
— Tu connais très certainement la légende du démon et de l'exilé qui concerne mon frère, Hélios. Il y avait une guerre. Des hommes venus de l'Est ont envahi l'Empire méditerranéen. Ils cherchaient quelque chose en particulier que le roi Solaris possédait. Alors, plutôt que de se suicider, il a décidé de fuir dans les méandres du temps et laisser Hélios à la tête du royaume. Malheureusement, il a succombé à la folie et j'ai été forcée de le tuer.
Le regard de Séléné, pour la première fois, eut l'air entièrement humain, rongé par la tristesse et les remords. Sa respiration s'accéléra alors qu'il repensait à ces événements tragiques.
— Pour repousser l'armée de l'Est, il a établi un contrat avec un Daitherial particulier. Grâce à lui, nous avons remporté la guerre au prix de sa propre raison.
— Sa... raison ?
— Ce Daitherial a pris le dessus sur lui lorsque sa femme est tombée au combat. Il a transformé sa rage et sa colère en folie pure pour s'emparer de son corps afin d'accomplir ses objectifs personnels. En tant que grande prêtresse et disciple d'Amon, j'ai réussi à sceller et à renvoyer cette créature dans le cœur d'Izrath. Cependant, après le Purple Requiem, elle s'est libérée et Aeonis cherche à utiliser son pouvoir pour parvenir à ses fins.
— Et moi ? Et ma dimension ? Qu'est-ce que nous venons faire là-dedans ? Pourquoi Aeonis nous a-t-il pris en chasse ?
L'agente plongea son regard doré dans celui de l'étudiant. Il n'y avait aucune haine dans ses iris ni animosité. Rien que des remords et de la tristesse.
— Mes connaissances sont limitées sur ce qu'il y a de l'autre côté du portail que Solaris a franchi. Toutefois, si Aeonis et Purple Revolution s'y sont intéressés, c'est qu'il doit certainement s'y trouver quelque chose, ou quelqu'un qui mérite le déplacement.
— Vous... Vous pensez vous aussi que je suis la cause de tout ça ? s'étrangla Lucio avec un mouvement de recul.
— Non. Jamais Aeonis n'aurait pu faire le rapprochement. Près de cinq mille ans te séparent de lui. Est-ce que tu as déjà entendu les terroristes ordonner une chasse à l'homme contre toi ?
— Pas à ma connaissance...
— Cela prouve donc qu'ils sont à la recherche d'autre chose. Peut-être qu'après que les choses se seront calmées, j'irai jeter un œil moi-même... Même si j'ai ma petite idée...
Lucio releva la tête, les oreilles grandes ouvertes. L'ancienne prêtresse se redressa sur le lit, et croisa les bras, le visage soudain bien plus sombre.
— As-tu réellement confiance en Amon ?
— Amon ? Eh bien, il nous a sauvés, Anna et moi, et nous a donné un moyen d'accéder à ce monde pour demander de l'aide à Violette. Mais il nous a menti sur Violette et la fédération en nous disant qu'ils étaient à l'origine des attaques et...
— Mon maître est loin d'être tout blanc dans cette affaire, le coupa sèchement Séléné. C'est lui qui a conseillé à Hélios d'utiliser le pouvoir de ce Daitherial maudit. J'ignore pourquoi il a tenté de rejoindre ton ancêtre et comment il a fini à ton époque, mais, à ta place, je me méfierais de lui.
— Je... Je le sais bien. Mais il ne peut pas être simplement manipulé par ce Rikki Inagawa ?
— S'il y a bien une expression que j'ai apprise, c'est bien qu'il faut garder ses ennemis encore plus proches que ses amis.
Un frisson parcourut l'échine de Lucio. Jamais il n'avait considéré Amon comme un ennemi potentiel. Après tout, le scientifique avait risqué de nombreuses fois sa vie pour lui et Anna. Il les avait entraînés, formés au combat, nourris, protégés. Quel intérêt aurait-il eu à faire tout cela s'il n'avait pas été leur allié ?
Au bout de quelques secondes, le visage de Séléné se détendit.
— Enfin, ce n'est qu'une impression purement subjective. De toute façon, je n'ai jamais pu le prouver. Malgré tout, je lui suis redevable, donc j'espère autant que toi me tromper.
Sans ajouter un mot, Séléné rendit son corps à Sarah, qui reprit son petit déjeuner comme si de rien n'était. Angéla revint peu de temps après, les bras chargés de vêtements et de divers effets personnels qu'elle comptait ramener au château. Lucio décida de ne rien lui dire au sujet de ce qu'il avait appris. Il n'avait pas envie de partir pour des heures de théories abracadabrantesques sur les motivations d'Amon, le voyage de son ancêtre ou même de son lien avec Aeonis. Tout ce qui lui importait pour l'instant était de devenir plus fort par tous les moyens. Alors, quand il proposa à l'agente de s'entraîner, celle-ci oublia totalement son objectif de remplir les placards de sa chambre chez Violette et tira Lucio à sa suite sur les terrains de sport de Neo Rikoukei.
**
De retour au château après ce qui lui avait paru une éternité, Lucio déambulait dans les couloirs, pensif. Son entraînement avec Angéla avait rouvert ses plaies fraîches et il avait été incapable de rematérialiser son Daitherial. Cependant, il avait bien senti qu'il était plus vif qu'avant et que ses coups avaient gagné en puissance. Certes, il restait loin derrière l'agente, mais, petit à petit, il se rapprochait de son niveau. Par ailleurs, les mots de Séléné au sujet d'Amon le tracassaient et l'empêchaient de trouver le sommeil. Sa conversation avec l'ancienne prêtresse avait soulevé davantage de questions qu'elle n'avait apporté de réponses.
Alors qu'il était en plein débat intérieur, l'attention du jeune homme fut attirée par une lumière dans la bibliothèque. Lucio fronça les sourcils. L'horloge affichait presque une heure du matin. Les autres dormaient déjà depuis un bon moment.
Timidement, il passa la tête à l'intérieur de la pièce. Là, il y vit le professeur Ryoko, assis à son bureau, les yeux rivés sur un vieil album photo tandis qu'il tenait dans sa main un livre de poche.
L'arrivée de Lucio le tira de ses pensées.
— Oh, ce n'est que toi. Tu ne dors pas à cette heure-ci ?
— Non, et vous non plus, on dirait.
— Oui. Je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Ce qu'il s'est passé hier... Tout cela me fait remonter de mauvais souvenirs.
— C'est en rapport avec la catastrophe d'il y a trente-et-un ans ?
D'un geste amical, Ryoko fit signe au soldat d'approcher. Ce dernier réprima un hoquet de surprise. Sur toutes les photos, on pouvait y voir Violette dans sa jeunesse, entourée de personnes souriantes et joyeuses, tantôt à l'école, tantôt dans un laboratoire, tantôt à l'université. Le professeur, bien plus jeune, était également présent sur plusieurs d'entre elles.
— Violette a bien changé depuis l'époque où elle faisait partie du club de sciences de Rikoukei. La vie n'a pas été tendre avec elle. Dire que, sans les frères Inagawa, elle serait actuellement reconnue comme la plus grande physicienne de l'Histoire...
— Comment avez-vous rencontré Violette, si ce n'est pas indiscret ?
Ryoko esquissa un sourire.
— C'est moi qui l'ai invitée. Je travaillais pour un groupe d'hommes peu recommandables, car j'avais besoin de fonds pour financer mon projet de réacteur Kvantiki. Son père, le comte de Paris, a passé un accord avec eux, et c'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Violette Pendragon d'Orléans, que tu connais sous le nom de Violette Leblanc.
Tout en parlant, Ryoko tournait les pages de l'album. Sur les nombreux clichés, la présidente apparaissait, sur une grande scène dans un amphithéâtre rempli, le jour de sa remise de diplôme, au pied d'un gigantesque bâtiment, et toujours en compagnie d'un japonais aux airs peu avenants que Lucio devina être le fameux Soichiro Namatame.
— Mon élève était de très loin la meilleure étudiante de l'académie, et c'est pour cette raison que je l'ai invitée à me rejoindre dans ce projet fou qu'était la construction du réacteur Kvantiki. Malheureusement, j'ai commis une énorme erreur en recrutant les frères Inagawa.
La voix du scientifique se brisa. Ses doigts tremblèrent et il fut obligé de resserrer sa prise sur l'album photo pour se contrôler, allant jusqu'à plier la couverture.
— Nous n'avons appris la vérité sur leurs objectifs que des années plus tard... Lorsque Violette a assassiné Ryu Inagawa.
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