Un bip régulier résonnait dans l'infirmerie de Neo Rikoukei. Sur un lit médical au milieu d'une pièce si blanche qu'elle donnait mal aux yeux à Lucio, Sarah respirait faiblement dans un masque à oxygène. Une perfusion lui apportait un liquide violacé légèrement fluorescent tandis qu'un moniteur affichait une série de chiffres qui remontaient lentement.

Après le tournoi, la jeune fille avait été transportée d'urgence jusqu'à l'académie pour y recevoir des soins appropriés. Angéla, qui occupait le lit d'à côté, gémissait comme une enfant à chaque fois que l'infirmière appliquait de l'antiseptique sur ses plaies. Heureusement, ni elle ni Lucio n'avaient été sévèrement blessés lors de l'affrontement, mais Violette avait insisté pour qu'ils passent tout de même des examens approfondis afin de mesurer leur niveau de Kvantiki. Selon Angéla, cet indicateur permettait de quantifier la puissance d'un invocateur, mais donnait surtout des informations sur sa santé générale. Ce nombre, défini en Kvantion par cellule, était représentatif de l'énergie d'un individu. Angéla se vantait de posséder près de mille Kvantions par cellule, là où les civils dépassaient rarement la barre des cents. Sans surprise, l'infirmière avait diagnostiqué un taux à trois cents pour Lucio, qui se rassurait comme il le pouvait en se disant que c'était trois fois plus qu'une personne « normale »...

En revanche, les résultats pour Sarah avaient affolé tous les compteurs, montant à plus de cent mille, soit l'équivalent des victimes directes du Purple Requiem qui avaient baigné dans les rayons mortels du cœur d'Izrath. Si Aeonis lui avait tenu tête, comment Lucio pouvait-il prétendre sauver les siens en étant si faible ? Il devait absolument trouver une solution pour s'améliorer rapidement, sans quoi, il ne comblerait jamais leur différence de puissance avant la destruction totale de son monde...

Lorsque l'infirmière sortit enfin de la salle d'opération, Violette rentra d'un pas décidé, le regard focalisé sur Sarah, toujours inconsciente. Malgré tout ce qu'il s'était passé, la présidente avait conservé son calme et sa prestance. Son expression trahissait son inquiétude pour son agente d'élite.

— Vous avez besoin de nous ? demanda immédiatement Angéla en se levant d'un bond, avant de se rasseoir en grimaçant sous l'effet de la douleur causée par une entorse à la cheville.

— Angéla, Lucio, puis-je vous confier un secret ? déclara Violette d'une voix grave. Cela concerne Sarah Micault.

Le disciple d'Amon comprit aussitôt que quelque chose ne tournait pas rond. Il ne connaissait pas Volette depuis longtemps, mais son attitude anormale laissait présager le pire. Elle paraissait vraiment tendue, entortillant frénétiquement une de ses mèches de cheveux autour de son index tout en fixant le moniteur relié au bras de l'invocatrice.

— Pourquoi nous ? s'étonna alors Lucio, sentant les ennuis arriver. J'ai essayé de vous tuer, il y a à même pas deux mois, et Angéla est juste une agente comme les autres.

— Eh ! Je t'ai rien dem...

La jeune femme s'arrêta net lorsqu'elle croisa le regard de sa supérieure, lui faisant comprendre que l'heure n'était pas à la plaisanterie.

— Pour la simple et bonne raison que je souhaiterais vous confier une nouvelle mission. Voyez-vous, Sarah Micault est une agente très particulière. Elle héberge son Daitherial du nom de Séléné, l'ancienne impératrice de l'alliance méditerranéenne après la chute du roi Hélios. Bien que cette alliance lui procure une puissance formidable, comme vous avez pu le constater par vous-mêmes aujourd'hui, cela risque également de la détruire.

Violette se rapprocha du moniteur, et pointa la série de chiffres représentant, entre autres, son nombre de Kvantion par cellule.

— Le corps humain n'est pas fait pour absorber une telle quantité de Kvantiki, et cela n'est pas sans conséquence. Sarah Micault est dépendante d'un apport constant en Kvantiki et ses forces s'épuisent très rapidement lorsqu'elle fait appel aux pouvoirs de Séléné.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas juste lui retirer son amulette ? hasarda Angéla.

— Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples, soupira la présidente. Nous avons besoin des connaissances de Séléné sur Izrath et les Daitherials pour anticiper les actions d'Aeonis. C'est grâce à elle, et aux informations de l'une de nos agentes infiltrées, que nous avons pu mettre la main sur Apophis avant Purple Revolution.

— Que voulez-vous que nous fassions, exactement ? insista Lucio, de plus en plus sceptique quant à l'utilité de lui révéler autant de détails.

— Sarah ne peut être laissée seule pour les raisons que j'ai évoquées. L'agent Darksky, le partenaire habituel de Sarah, est actuellement en mission et ne peut pas veiller sur elle. J'ai donc décidé de l'accueillir également au château lorsqu'elle sera rétablie et je vous demanderai, par conséquent, de me signaler toute dégradation de son état ou perte de contrôle qui surviendrait en mon absence. Puis-je compter sur vous ?

Angéla acquiesça sans hésiter. Cependant, Lucio se montra plus réticent. Une part de lui se méfiait de « Séléné ». Il ne pouvait expliquer d'où lui provenait cette sensation, mais il ne parvenait pas à accorder sa confiance à ce Daitherial. Mais, d'un autre côté, si elle était réellement la sœur du souverain de la légende, le soldat pourrait certainement en apprendre beaucoup sur ses origines grâce à elle. Et il était conscient que Sarah pourrait s'avérer être une alliée de choix. Elle avait tenu tête à Aeonis et possédait une puissance qui dépassait de loin celle d'Angéla. En s'entraînant à ses côtés, il avait espoir qu'il serait en mesure de s'améliorer de manière considérable. C'est pourquoi, après quelques instants de réflexion, il accepta également la demande de Violette, qui esquissa un sourire discret.

— Je vous remercie. Si vous voulez bien m'excuser à présent, je dois me préparer à répondre à ces vautours de journalistes. Je reviendrai vous prendre demain la matinée, une fois que vous serez à nouveau sur pieds.

Puis elle quitta à son tour l'infirmerie, laissant ses trois jeunes agents seuls entre quatre murs blancs. Lucio aurait souhaité retourner en ville pour constater les dégâts causés par Purple Revolution, mais son corps l'en dissuada rapidement. Même s'il n'était pas sévèrement blessé, c'était à peine s'il parvenait à rester assis tant ses membres étaient endoloris par les courbatures et les bleus.

Résigné, alluma la télévision, évitant soigneusement les chaînes d'information, espérant ainsi se vider l'esprit. S'il continuait à ressasser les événements de la journée, jamais il ne trouverait le sommeil malgré la fatigue qui l'accablait et il avait besoin de vite récupérer. Chaque jour d'entraînement comptait. En deux mois, il n'avait atteint que trois cents Kvantions par cellules, là où Aeonis dépassait les cent mille. À ce rythme, il ne pourrait pas sauver son monde avant ses quarante ans. Sa seule chance était de repousser ses limites jusqu'à avoir rattrapé son retard.

Étrangement, Angéla resta silencieuse pendant le reste de la soirée. Même à l'heure du repas — constitué de lentilles et carotte, deux aliments qu'elle ne pouvait supporter — la jeune femme se contenta de ne pas toucher à son assiette sans émettre la moindre plainte. Lucio la pensait simplement trop épuisée pour cela, et éteignit donc la lumière assez tôt. Cependant, alors qu'il se laissait lentement happer le sommeil, bercé par le bruit régulier du moniteur de Sarah, la voix de l'invocatrice d'Athéna brisa le silence de la chambre.

— Dis, Lucio... tu n'as pas eu peur, aujourd'hui ? demanda-t-elle timidement.

Le soldat ne répondit pas, faisant semblant de dormir. Il n'avait plus la force de débattre et espérait que sa camarade abandonne. Toutefois, cette dernière n'attendit pas de réponse et poursuivit dans un murmure tremblant :

— Moi, j'étais vraiment pétrifiée. Il y avait tant de personnes dans les gradins... et je ne pouvais rien faire pour leur venir en aide. J'avais l'impression d'être complètement inutile à botter le cul de ces abrutis sur le terrain.

Le cœur de Lucio se serra. Il comprenait parfaitement ce que ressentait son amie, car il avait vécu exactement la même chose, lorsqu'il avait vu son monde se faire envahir. Il avait tué un nombre incalculable de terroristes, mais il n'avait pu protéger personne.

— Mais tu sais quoi ? Je crois que j'ai réalisé un truc, aussi. Si je veux vraiment devenir la nouvelle héroïne de la fédération, je ne dois pas juste être la plus forte. Il faut que je sois celle sur qui on peut compter, une agente indispensable sans qui le plan ne peut pas fonctionner.

Cette phrase arracha un sourire au disciple d'Amon malgré lui. Si seulement il avait été en mesure de raisonner ainsi au lieu de se renfermer sur lui-même, peut-être aurait-il pu sauver bon nombre de vies innocentes. Il admirait l'altruisme dont Angéla faisait preuve, même dans les situations les plus désespérées. En ce sens, la jeune femme lui rappelait Anna. Si elles s'étaient rencontrées, il était certain qu'elles se seraient bien entendues.

— Je dois continuer à m'entraîner. C'est le seul moyen pour que July me pardonne un jour et qu'Aymeric admette que je n'ai pas fait tout ça pour rien.

Angéla renifla bruyamment

— Enfin, tu dois déjà dormir... Désolée de t'embêter avec mes histoires. Bonne nuit. Et merci d'avoir défendu le stade avec nous. T'as été vraiment super. Promis, ensemble, on sauvera ton monde de ces guignols.

Lucio attendit encore quelques minutes avant d'entendre les ronflements de sa camarade couvrir les bips des machines.

Il se tourna légèrement sur le côté, observant le visage endormi d'Angéla dans le lit d'à côté. Puis, après s'être assuré qu'elle dormait bien, il se décida finalement à lui répondre :

— Merci à toi d'avoir accepté d'entraîner un abruti égoïste comme moi.

Il ferma les yeux, un sourire discret aux lèvres, et laissa le sommeil l'emporter à son tour, apaisé par les mots de la jeune femme. Il avait enfin l'impression d'avoir retrouvé, non pas une simple partenaire de combat ni une alliée de fortune, mais une véritable amie sur qui il pouvait compter.