Chapitre 11: Alliance
Le lendemain à l'aube, Violette convoqua Angéla dans son bureau avec Lucio. Elle avait visionné les images des caméras de surveillance de la cellule, et espérait que la nuit eut porté conseil à son prisonnier. En effet, elle avait décelé chez lui un changement subtil de comportement. Alors qu'à son arrivée il semblait sur ses gardes, comme un animal enragé, il paraissait désormais plus détendu. Presque trop. La présidente doutait fort qu'une simple conversation avec une de ses agentes et quelques vieux articles jaunis eussent été suffisants pour le convaincre qu'il avait été manipulé. Mais peut-être avait-il eu le temps de réfléchir à ses actions et était-il plus enclin à écouter ses arguments.
Lorsque le soldat pénétra dans la pièce, Violette n'eut pas l'occasion de prononcer un mot qu'il prit les devants et déclara d'une voix pleine d'assurance :
— J'ai une proposition à vous faire.
Son interlocutrice fronça les sourcils. Elle ignorait ce que le jeune homme avait derrière la tête, mais décida d'entendre ce qu'il avait à dire. Après tout, elle avait toujours prôné le dialogue, même avec ses opposants les plus véhéments. Tout comme en science, elle détestait plus que tout au monde les idées reçues et a priori, existant uniquement pour préserver une vision figée, et la plupart du temps fausse, de la réalité. Seul un débat argumenté permettait de se remettre en question et d'avancer.
— Que vous soyez une dictature ou non m'importe peu. Je ne sais pas ce que vous comptez faire de moi, mais je vous propose de m'engager dans vos rangs.
— N'affirmiez-vous pas hier que nous étions vos ennemis ? le reprit la présidente, de plus en plus perplexe face à ce changement d'attitude. Si j'étais effectivement une dictatrice sanguinaire, comme vous le clamiez, cela ne vous dérangerait-il pas d'attaquer vos anciens alliés ?
— Je n'ai qu'une alliée. Son nom est Anna Foucault. Si vous promettez de ne lui faire aucun mal, alors j'exécuterai vos ordres, quels qu'ils soient.
— Eh, attends ! s'étrangla Angéla, les yeux ronds. T'as rien écouté de ce que je t'ai dit ? On est des héros, nous ! Et là, qu'est-ce que tu me sors ? Que tu es prêt à trahir tes amis ? C'est absolument pas héroïque du tout, ça ! On ne peut pas...
Violette lui fit signe de s'arrêter. Même si elle était de l'avis que son agente, le comportement de Lucio avait éveillé un certain intérêt chez elle. Certes, cette attitude se rapprochait davantage de celui d'un mercenaire que d'un héros, mais elle avait également l'impression de voir un reflet de celle qu'elle était, trente-et-un ans plus tôt. Lorsqu'elle avait créé la fédération, elle n'avait qu'un seul but, tout aussi égoïste : non pas sauver le monde, non pas réparer ses erreurs, mais simplement pour laver le nom de son mari, jugé responsable du Purple Requiem par les autorités, manipulées par les mensonges des frères Inagawa. Si la présidente n'avait pas eu les moyens de bâtir son empire, très certainement se serait-elle tournée vers des organismes bien plus obscurs, tels que les Yakuzas ou la mafia pour arriver à ses fins. Alors, pouvait-elle réellement blâmer ce jeune homme ?
— Que pouvez-vous nous apporter ? reprit-elle froidement dans le but de tester les convictions de son interlocuteur. Nous possédons déjà nombre d'agents d'élite capables de maîtriser des créatures autrefois vénérées comme des dieux.
— La connaissance d'une autre dimension, et ses faiblesses, lança Lucio sans hésiter. Les terroristes qui nous ont envahis sont dans une impasse, actuellement. Si vous le désirez, je peux vous révéler toutes nos failles pour que vous puissiez remporter cette guerre en un éclair !
— Non, mais sérieux ! On n'a pas besoin d'un traître dans nos rangs ! Madame Leblanc, je crois qu'on a...
Violette coupa à nouveau la parole à Angéla. Décidément, elle trouvait le soldat de plus en plus intéressant. Elle décida de tester ses limites.
— Malheureusement, j'ai bien peur que ces informations nous soient inutiles. Comme je l'ai dit, notre organisme est dédié à la protection du monde et à la préservation de la paix.
— Dans ce cas, je préserverai la paix à vos côtés ! Je veux qu'Anna puisse vivre en sécurité. C'est la seule et unique raison qui me pousse à me battre. Alors, si ce monde que vous protégez est un endroit sûr, je ramènerai mon amie ici et je le protégerai avec vous.
Angéla grimaça. Son message de la veille n'était visiblement vraiment pas passé. Elle s'était époumonée dans le vide avec ses histoires de confiance et d'héroïsme. Quelle plaie ! En plus, ce gars avait l'air aussi buté et obsessionnel avec cette Anna qu'elle l'était elle-même avec Violette. Mais, au moins, il n'était pas aussi égoïste et égocentrique qu'il le laissait paraître... Même si la jeune femme se demandait ce que cette fille pouvait avoir de si spécial. Le regard vide de Lucio s'illuminait à chaque fois qu'il prononçait son nom et un sourire béat s'inscrivait sur sa figure. Peut-être sa copine ? Ou un membre de sa famille ? Peut-être était-il même marié et avait un enfant ? Non, impossible... Ou pas ?
— À nouveau, je vous le demande, comment comptez-vous faire face à des dieux ? poursuivit Violette, interrompant son agente dans ses réflexions.
— Moi aussi, je possède une amulette, et donc un... comment ça s'appelle ? Un Daitherial ? Bref. Je m'entraînerai jusqu'à pouvoir éliminer vos ennemis par mes propres moyens. Par contre, si trahissez votre serment, je serai en première ligne pour m'occuper de vous.
Face au regard de défi du voyageur dimensionnel, un sourire franc fendit les lèvres de la présidente. Plus aucun doute possible, ce jeune homme avait tout pour intégrer les rangs de la fédération. Peu de gens avaient le courage de montrer autant d'honnêteté. La plupart des candidats qui se présentaient aux épreuves tentaient de faire bonne figure, quitte à frôler l'hypocrisie. Mais Lucio, lui, possédait l'innocence de l'héroïsme dans son franc-parler.
— Heureusement il ne sera pas nécessaire d'en arriver là, déclara Violette après quelques instants de silence pesant. J'apprécie votre sincérité, Lucio Hénault, et je pense que vous feriez une excellente recrue. De plus, je suis intriguée par cette autre dimension et des envahisseurs qui l'ont attaquée. Je crains qu'il ne s'agisse d'un ennemi commun qui essaierait de nous monter les uns contre les autres...
— Hein ? Sérieux ? hoqueta Angéla. Mais c'est hyper grave, ça ! On devrait s'en inquiéter, non ? Enfin, je dis ça, je dis rien, c'est vous la cheffe, vous savez sûrement mieux que moi...
— Je m'en occuperai en temps voulu. Pour le moment, Lucio Hénault, je vous souhaite la bienvenue parmi les rangs de la fédération et je vous promets de veiller sur votre amie, lorsqu'elle se présentera à nous également. Étant donné les circonstances exceptionnelles de votre recrutement, vous ne passerez aucun test d'aptitude, et vous serez directement sous ma supervision.
Le jeune homme hocha la tête machinalement. Lorsque sa nouvelle supérieure sortit du tiroir de son bureau un badge en forme de spirale, il ne put s'empêcher de ressentir une pointe d'excitation. Son plan avait marché ! Il avait réussi à infiltrer la fédération Ether ! Cependant, contrairement à ce que prévoyait Amon, il ne comptait pas la trahir. Si Violette Leblanc pouvait effectivement donner une vie meilleure à Anna, alors il se battrait pour elle de toutes ses forces et deviendrait un agent pour protéger le bonheur de son amie.
À présent, il ne lui restait qu'une dernière chose à faire : démêler le vrai du faux. Car, si son ennemi n'était pas Violette Leblanc, Anna courait toujours un grave danger.
**
Une fois que Lucio se fut retiré, Violette lâcha un soupir et fit pivoter sa chaise pour contempler Paris à travers son immense baie vitrée. Tout était calme dans la capitale. Cela faisait bien longtemps qu'aucun incident majeur lié au Kvantiki n'avait été déclaré, hormis quelques vols à l'étalage. Malheureusement, la présidente pressentait que ce calme annonçait l'une des tempêtes les plus dévastatrices du millénaire. En effet, l'existence des envahisseurs de l'autre monde la préoccupait tout particulièrement. S'il s'agissait, comme elle le craignait, de membres de Purple Revolution, elle était directement concernée par leurs actions. Et surtout, Amon. Si cet homme était bien celui qui avait poussé Rikki Inagawa à provoquer le Purple Requiem, elle ne pouvait pas l'ignorer et aurait besoin de Lucio pour l'approcher.
Angéla, mal à l'aise devant le silence qui s'était abattu depuis le départ du soldat, commença à se dandiner d'une jambe sur l'autre.
— Euh... Si... Sinon pour ma sanction, est-ce que j'ai le droit de...
— Dis-moi, Angéla, que penses-tu de l'histoire de Lucio, après tout ça ? la coupa Violette.
Cette question prit la jeune femme au dépourvu, qui tenta de bégayer une réponse :
— Hein ? Et bah... Je... Pas grand-chose. Peut-être que c'est vrai, je sais pas. Mais... juste... Vous êtes sûre de vous ? Vous... Vous n'avez pas peur qu'il nous trahisse ?
Violette lança un regard surpris à l'agente, dont le cœur s'emballa à l'idée d'avoir froissé sa supérieure et détruit toutes ses chances de réintégrer Neo Rikoukei.
— Enfin ! Vous avez sûrement fait le bon choix ! Je remets pas en cause votre décision ! s'affola-t-elle, livide.
— Tu devrais. Car, effectivement, nous n'avons aucune assurance qu'il ne se retourne pas contre nous.
— Vr... Vraiment ?
La présidente fixa la bague d'argent ornant son annulaire, dernière relique d'un passé totalement révolu. À cette époque-là, elle avait accordé sa confiance à de mauvaises personnes et l'avait payé plus cher que n'importe qui. En revanche, il existait un faussé infranchissable entre les ambitions des frères Inagawa et l'objectif de Lucio.
— Les véritables traîtres ne sont pas ceux qui désirent réaliser leur rêve à tout prix, mais ceux dont le rêve est de détruire celui des autres, murmura-t-elle d'une voix chargée de remords. Certes, le comportement de Lucio est loin d'être héroïque au sens propre du terme, mais son but reste aussi noble que celui de n'importe quel autre agent.
— Ah... OK, si vous le dites...
— Cela ne signifie pas que je vais le laisser sans surveillance pour autant. Nous devons gagner sa confiance, comme il doit gagner la nôtre.
— Ça à l'air mal parti vu comment il est sur ses gardes, grimaça l'étudiante. Il faudrait que quelqu'un se rapproche suffisamment de lui pour que...
Angéla s'arrêta net dans sa phrase en constatant que la présidente la fixait intensément en lui souriant.
— Je comptais garder un œil sur lui en lui proposant le gite dans ma résidence. Il s'agit de l'endroit le plus sécurisé en France, en dehors de la prison de Fleury-Merogis. Que dirais-tu de venir habiter avec nous.
La jeune femme recula d'un pas, abasourdie. Avait-elle bien entendu ? Ou était-elle en train de délirer ? Elle eut beau se pincer, la vision de Violette Leblanc lui tendant un badge flambant neuf ne vacillait pas.
— Angéla Hopper, voici ta première mission en tant qu'apprentie agente de la fédération Ether : devenir ma nouvelle garde du corps personnelle et la tutrice de l'agent novice Lucio Hénault.
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