Lorsque Magnus et Gaïus sortirent de la bibliothèque centrale, ils ne se trouvaient plus au même endroit qu'à leur arrivée. A quelques dizaines de mètres devant eux se trouvaient une plage et une mer déchaînée, il n'y avait plus trace de l'orage qui les avait suivis en début de journée. Les deux voyageurs saluèrent Elssias puis reprirent leur route. Gaïus tenta de ne rien dire quand il vit le mage examiner une carte routière à l'envers, mais c'était trop difficile de ne pas réagir face à toutes les absurdités de ce monde.
- Vous savez où se trouve Lévidence, n'est-ce pas ? s'enquit-il.
- Oh bien sûr, c'est à l'ouest.
- Mais le soleil est dans notre dos, on va plutôt vers le nord là non ?
- Oui mais le chemin est plus rapide en passant par le nord, c'est l'évidence même mon petit.
Gaïus serra les dents pour se retenir de répondre car il sentait bien que cette conversation allait le rendre fou. Ils marchèrent jusqu'à la tombée de la nuit puis décidèrent de s'arrêter au bord d'un petit lac. Là, Magnus tira une pièce de sa poche et la plaça en équilibre sur son pouce.
- Qu'est-ce que vous faites ? demanda Gaïus.
- C'est une tente pile ou face, si c'est pile elle se transforme en tente tout confort, et si c'est face... c'est la surprise du chef.
Le mage expédia la pièce en l'air, elle fit plusieurs rotations sur elle-même avant de retomber par terre. Ils se penchèrent pour voir le résultat.
- Face, recule vite ! s'écria Magnus.
Ils s'éloignèrent précipitamment de la pièce qui se transforma tout d'un coup en un énorme château gonflable multicolore. Gaïus se mit à rire, c'était improbable mais après tout il y avait un toit, ça ferait bien l'affaire pour la nuit. L'enfant se précipita à l'intérieur du château et s'amusa à faire des cabrioles et des acrobaties dans tous les sens, rebondissant contre les parois gonflées d'air et riant à gorge déployée. Totalement épuisé, il finit par s'endormir sur le plastique glissant jusqu'au petit matin.
🦉🦉🦉
Un léger « plic ploc » réveilla les deux voyageurs. C'était le bruit d'une petite pluie sur le toit du château gonflable. Le ciel était légèrement couvert et grisonnant, un faible grondement se faisait déjà entendre au loin. Mais Gaïus n'eut pas le temps de se demander pourquoi cet orage semblait le poursuivre car, en ouvrant les yeux, il se rendit compte qu'un cirque s'était installé juste en face d'eux au courant de la nuit. Il se glissa hors du château, émerveillé par les animaux exotiques, les costumes bariolés, l'odeur des churros, la musique entraînante, les nombreux stands de jeux, et l'énorme chapiteau qui trônait tout au bout de l'allée. Gaïus commença à déambuler au milieu de toute cette activité, oubliant derrière lui le mage et Zetta qui dormaient toujours sereinement malgré le bruit. Un homme dressé sur un monocycle salua l'enfant en soulevant légèrement son haut-de-forme, une demoiselle en tenue d'arlequin fit la roue en passant devant lui, un vieux pirate avec une jambe de bois lui offrit un gros morceau de guimauve planté sur un bâtonnet de bois avec un sourire édenté.
L'enfant se laissait entièrement gagner par la magie du lieu lorsqu'une main le saisit brusquement par l'épaule et le tira à l'intérieur d'une tente sombre. Au début, il ne vit rien de l'endroit où il se trouvait. Puis, lorsque ses yeux s'habituèrent à l'obscurité, il distingua la silhouette d'une femme installée derrière une petite table. Elle avait un foulard sur les cheveux, de nombreux bijoux clinquants autour du cou et à chacun de ses doigts, et beaucoup trop de maquillage autour des yeux.
- Bonjour Gaïus, dit-elle d'une voix sifflante en caressant ce qui ressemblait à une boule de cristal.
- Vous êtes qui ? interrogea l'enfant, sur ses gardes.
- Je suis Métha, la voyante extra-glucide.
- Extralucide ?
- Non, extra-glucide. Si tu me donnes du sucre je pourrai lire ton avenir, proposa-t-elle en regardant le morceau de guimauve dans les mains du garçon.
Gaïus hésita un instant en observant la friandise puis consentit à l'offrir à la voyante, peut-être qu'elle pourrait lui apprendre quelque chose d'utile sur son aventure dans ce monde étrange. Métha attrapa la guimauve et l'engloutit avec gourmandise. Elle s'essuya délicatement la bouche sur un bout de tissu avant de déployer un jeu de carte sur la table devant elle.
- Choisis un chiffre entre quatre et six, demanda-t-elle.
- Bein euh... cinq.
- J'étais sûre que tu répondrais ça, se vanta la voyante avec un sourire en coin.
Elle retourna la cinquième carte de son paquet et découvrit une gravure de style grec antique représentant un bateau dans la tempête.
- Qu'est-ce que ça veut dire ? s'enquit Gaïus.
- Aucune idée, je ne parle pas chinois.
- Chinois ? s'interrogea l'enfant, perdu.
- Tu ne vois pas le type en kimono rouge qui marmonne des trucs incompréhensibles à côté de toi ?
Gaïus regarda tout autour de lui mais ne vit rien.
- Le fantôme chinois m'a suivi jusqu'ici ? s'étonna-t-il. Mais qu'est-ce qu'il me veut ?
- Je n'en sais rien, avoua Métha. Je le vois mais je ne comprends pas ce qu'il dit.
- Bon ne nous dispersons pas, se concentra Gaïus. Expliquez-moi plutôt la signification de cette carte avec un bateau.
- C'est l'Odyssée d'Ulysse, le héros grec, précisa la voyante. Et ce que je vois dans ton avenir, c'est que comme Ulysse tu vas devoir te bander les yeux pour échapper au chant des sirènes. J'entends également une voix qui crie « longe la côte à tribord ! ».
- C'est un peu embêtant parce que j'ai le mal de mer, réfléchit l'enfant. Vous pensez vraiment que je dois prendre un bateau pour rentrer chez moi ?
- Ce dont je suis sûre, c'est que tu trouveras ce dont tu as besoin par ici...
La voyante se leva pour aller tirer le rideau qui dissimulait un passage au fond de la tente. Gaïus tendit le cou pour mieux voir mais c'était trop sombre pour distinguer quoique ce soit. Métha lui adressa un grand sourire d'encouragement et il s'avança doucement dans le passage obscur. Un point de lumière scintillait faiblement au bout du chemin. Le jeune garçon se retourna mais l'entrée du passage avait disparu, dorénavant bloquée par un miroir. Gaïus regarda ses cheveux en bataille, son air fatigué et ses vêtements sales, il était vraiment temps qu'il rentre à la maison.
Tout d'un coup, de multiples reflets de lui-même envahirent le miroir. Il regarda autour de lui et réalisa que tous les murs étaient à présent recouverts de miroirs. Il comprit assez vite qu'il était prisonnier d'un labyrinthe de miroirs. Pressé de retrouver la sortie, il courut droit devant lui mais s'écrasa rapidement le nez contre une paroi. Avec tous ces satanés reflets, il ne parvenait plus à distinguer son chemin. Rapidement, il s'énerva et se fit plusieurs bosses. Après de nombreux échecs, il commençait à se sentir découragé. C'est alors qu'il repensa aux paroles de Métha : « se bander les yeux comme Ulysse » et « longer la côte à tribord ». Gaïus ferma les yeux, comme ça il ne serait plus trahi par sa vue et les reflets des miroirs. Il se sentait déjà plus calme. Tribord signifiait la droite sur un navire, il tendit alors sa main droite pour la poser à plat sur la paroi à côté de lui. Il fallait longer la côte maintenant. Gaïus prit une grande inspiration et mit doucement un pied devant l'autre. Il prit rapidement confiance et avança de plus en plus vite sans jamais décoller sa main de la paroi qu'il longeait, la technique était prometteuse.
Après une dizaine de minutes à errer à l'aveugle, il entendit la musique et les bruits de l'extérieur se rapprocher. Lorsqu'il ouvrit les yeux, il n'était plus qu'à quelques pas de la sortie du labyrinthe. Enfin revenu à l'extérieur, il rit de soulagement. Il avait hâte de raconter son aventure à Magnus et Zetta.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro