Chapitre 10 : He-Who-Knows
Je pris une forte inspiration avant de pousser la porte de la boucherie, ce matin-là. Le stress m'avait progressivement rongée sur le chemin, et atteignait son paroxysme à ce moment précis. Une seule erreur dans ce que je m'apprêtais à faire, et j'étais morte.
Comme d'habitude, ce fut Julien qui m'accueillit dans le commerce qui servait de couverture, et nous étions seuls. Mais aujourd'hui, il afficha une expression de surprise sur son visage vieillissant en m'apercevant :
"Marie, c'est toi ? Tu n'es pas censée travailler, ce matin, si ?" demanda t-il, curieux.
Il était donc au courant. La question était à présent de savoir jusqu'où irait sa loyauté envers les deux frères. Je m'approchai du comptoir, et ne perdis pas mon temps en mensonges. Je plaquai vivement une impressionnante liasse de billets devant lui, et déclarai d'un ton clair :
"Ça, c'est pour me laisser entrer. Le double, s'ils n'apprennent rien, dans deux jours."
Il se passa un instant de flottement gênant. Julien s'exprima alors d'une voix hésitante :
"Ils m'ont...Tu sais, ils m'ont demandé de les prévenir si tu..."
"C'est assez, ou pas ?", le coupai-je alors directement, les dents serrées et en espérant de toute mon âme que c'était le cas. Le plan était risqué, mais il représentait le seul moyen d'action que j'avais, et il fallait en passer par là.
"Je...oui, bien sûr. Ils n'en sauront rien." finit-il par accepter.
Essayant de cacher mes tremblements nerveux, je le suivis alors qu'il ouvrait l'accès au laboratoire. J'ajoutai d'un ton menaçant :
"J'ai la carotte et le bâton. Sois sûr que tu le regretteras si tu me trahis."
Ce que j'avais, c'était surtout un aplomb hors norme et une porte de sortie si ça tournait mal, pensai-je alors pour moi même. Mais mieux valait se montrer convaincante.
Dès que le passage fut refermé derrière moi, Marie ne perdit pas de temps : je plaçai discrètement des capteurs de mouvement à l'entrée du tunnel. Je n'aurais que peu de temps s'il avait effectivement décidé de les prévenir. Et je ne voulais pas être surprise la main dans le sac à faire ce que je m'apprêtais à faire. Je reliai les capteurs aux dispositifs vibrants que je fourrai dans ma poche, puis m'empressai de descendre le sombre couloir vers le labo.
J'enfilai en vitesse ma blouse, et mis en route tous les ordinateurs sans donner trop d'attention à la liane glissant seule sur le fond de sa cuve tel un reptile prêt à fondre sur sa proie. Puis je repérai un ordinateur portable, mon objectif, et m'y précipitai.
Après avoir espionné les deux frères, je savais que je pourrais le trouver ici aujourd'hui. Et ils ne s'attendaient pas à ce que je puisse y avoir accès.
Je fut vite bloquée par une demande de mot de passe, mais j'avais préparé ma parade : une clé USB qui m'accompagnait depuis longtemps dans mes opérations clandestines. L'écran tressaillit un moment, puis la demande de mot de passe fut rapidement court-circuitée. Au démarrage, l'intégralité des fichiers cachés furent affichés et déverrouillés.
"Merci, ma beauté.", soufflai-je en retirant la clé du port, avant de m'attaquer à l'examen des fichiers qui m'intéressaient.
Je trouvai vite ce que je cherchais : les archives d'échanges de mails entre les deux frères. A côté de plusieurs correspondances sans intérêt, je trouvai, le souffle coupé, la confirmation de ce que je soupçonnais : les titres des messages étaient plus qu'équivoques.
"He-Who-Sees", "He-Who-Walks", "He-Who-Conceals" ...
J'en frémis. Ils savaient. Ils savaient tout. L'intégralité du projet Dreamwalkers était mis à nu devant mes yeux. Et les deux frères en discutaient par mail, insouciants. Je parcourus en diagonale quelques échanges :
Celui-Qui-Voit...
"Il semble que le docteur Darn a ramené de la Californie un présent bien vicieux. Ce devrait être soit notre objectif principal, soit quelque chose à éviter à tout prix.
Jeremy."
"Je confirme, Darn n'est à approcher sous aucun prétexte. Ne faisons pas la même erreur que lui : les yeux plus gros que le ventre, ce n'est pas notre genre. Nous maîtrisons ce projet, pas l'inverse.
Luc."
Celui-Qui-Marche...
"Celui-ci est bien mentionné dans plusieurs chapitres des recherches, mais je ne trouve pas trace de l'hôte. Une idée de piste ?
Jeremy."
"Il semble qu'il ne se soit pas encore associé avec un hôte pour le moment, d'après ce que j'en ai lu. Peut-être existe t-il et cela leur a échappé, en tout cas il a l'air très intéressant. Je le place en haut de notre liste de priorités.
Luc."
Celui-Qui-Dissimule...
"On dirait qu'il s'agit d'une rumeur concernant celui-ci. Aucune mention n'en est faite autre part que dans la liste de départ. Ton avis ?
Jeremy."
"Je confirme, c'est un fantôme. Son intérêt est limité pour le moment. Concentrons-nous sur les autres.
Luc."
Ils faisaient leur marché...
Sous le choc, Je constatai les dégâts : ces deux-là avait pleine connaissance de l'existence de l'ensemble des Anciens, et semblaient bien partis pour les exploiter. La situation se révélait pire que je n'aurais pu l'imaginer. Peut être étaient-ils même déjà en possession de l'un d'eux. Je devais absolument parcourir la suite pour le découvrir. Mais je jurai quand je découvris le sujet de conversation suivant :
"He-Who-Knows".
"Celui-Qui-Sait"... Murmurai-je, le souffle court.
"Les Californiens précisent bien que Celui-Qui-Voit n'est pas le seul à avoir échappé à leur emprise. Celui-ci aussi fait partie des pertes, et je pense que Darn n'est pas responsable, autrement ils l'auraient su. Un autre membre de l'équipe a dû réussir à leur dérober sans qu'ils sachent qui c'est.
Jeremy."
"Je pense savoir qui c'est. Marie Delerme, impliquée dans pas mal d'histoires d'espionnage industriel et autres activités clandestines. Elle avait le poste de neurobiologiste sur le projet, et je pense qu'elle était parfaitement capable de s'emparer du butin, si tu vois ce que je veux dire. En plus, elle a même servi volontairement de cobaye et je ne vois pas d'autres raisons à ça. Je pense qu'on tient un hôte, et étant donné les caractéristiques de celui-là, il nous le faut. Tu rentres quand ?
Luc."
"Je termine mes recherches lundi en Autriche. La piste n'a rien donné, et je suis d'accord avec toi, cette Marie, c'est le plus solide qu'on ait. Tu as terminé de quoi extraire ce qu'on veut de sa tête ?
Jeremy."
"Tout dépend, si tu veux la garder en vie ou non.
Luc."
"Je n'en n'ai rien à faire. Il faudra juste être prudents pour l'approcher, c'est tout. Vu ses antécèdents, elle pourrait voir venir le coup. On ira doucement.
Jeremy."
Mon cœur battait la chamade. Et Lili qui me disait que j'étais parano...
Je m'étais vraiment fourrée dans une merde pas possible. Et je n'avais aucune idée de la manière de m'en sortir.
"On pourrait s'en servir pour maîtriser le notre, déjà. On fera d'une pierre deux coups, comme ça. Je te rappelle qu'on ne peut toujours pas se servir de celui qu'on a trouvé.
Luc."
Les pièces du puzzle s'imbriquaient toutes d'un coup. Voilà pourquoi j'étais encore en vie, et voilà pourquoi une telle coïncidence a voulu que je déniche un Ancien en fouillant dans les recherches des Lauzan. En fait, ce n'était pas une coïncidence.
Je jetai un œil à la plante qui se tortillait dans la cuve avec un respect et une crainte renouvelée. Les deux frères ne s'en doutaient pas, mais un simple contact de cette plante avec la peau, et la mort n'était pas loin. Ou pire, peut-être.
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