Quentin n'arrivait pas à trouver la force de hurler. Cette aberration ne devrait pas être réelle... Mais ça n'empêchait aucunement le lion à l'appendice reptilien de s'approcher de lui d'un pas feutré.

Son instinct de survie le fit reculer, et son dos heurta le mur : il en avait même oublié qu'il était bloqué face au monstre !

Il déglutit, peinant à accepter l'évidence : il allait mourir. Son existence allait s'achever ici. Le monstre était trop près, beaucoup trop près... Quelques mètres encore et ce serait terminé.

Le lion ouvrit grand la gueule, et laissa échapper un rugissement terrifiant, se cabrant sur ses pattes musclées pour chercher un appui. Il allait passer à l'attaque ! Toujours adossé à la paroi de métal froid, Quentin guetta son mouvement : il voulait l'anticiper, s'accrocher à la seule chance qu'il aurait de rester en vie, même si elle était minuscule.

Les membres du fauve se détendirent d'un seul coup, le projetant dans les airs, griffes en avant. Il était trop rapide.

Quentin roula au sol pour chercher à l'esquiver, mais les griffes acérées suivirent son mouvement. Une série de quatre entailles ensanglantées s'ouvrit sur son épaule droite.

La douleur, perçante, se fraya un chemin jusqu'à son cerveau. C'est à ce moment qu'il lâcha un cri étranglé : la souffrance était à peine imaginable ! Perdrait-il tout son sang, vidé sur place ? Ou le monstre allait-il le dévorer avant ? Non ; il fallait s'enfuir.

Quentin tenta d'ignorer la douleur, et se remit sur ses jambes après sa roulade, il courut comme jamais il n'avait couru dans sa vie. Le vent siffla à ses oreilles, tandis qu'il comprimait sa blessure de ses doigts, les noyant sous le sang qui s'écoulait. La douleur pulsait dans son épaule, elle accaparait toute son attention.

Une peur primale serrait son estomac de son emprise glacée tandis qu'il fuyait pour sa vie, la chimère sur ses talons. Il sentait son souffle dans son dos. Il savait qu'il n'arriverait jamais à la distancer. Il ferma les yeux... C'était bientôt la fin.

Sa folle course fut interrompue brutalement : après un nouveau rugissement bestial, le lion l'avait percuté d'un autre coup de patte à la hanche. Quentin fut projeté sur le côté : il impacta le mur à sa gauche dans un choc douloureux, perdit l'équilibre et s'écroula au sol, roulant pitoyablement sur quelques mètres.

La chimère le suivit et le domina de sa hauteur, la bave tombait de la gueule grande ouverte du lion, laissant apercevoir une rangée de crocs effilés. Le serpent qui lui servait de queue siffla curieusement, et orienta sa tête vers sa proie. Quentin put lire une joie sauvage dans ses yeux animaux.

Puis, un coup de feu retentit.

Une giclée de sang explosa sur la nuque du lion, qui recula en poussant un grondement indigné. Les détonations sonores s'enchaînèrent, sans pitié. Les balles pleuvaient, et à chaque impact, la chimère était forcée de perdre du terrain.

Éberlué, Quentin se força à détacher son regard de la bête pour découvrir ce qui la combattait ainsi. Un jeune homme à la la silhouette élancée fixait le monstre d'un regard dur, et vidait consciencieusement les chargeurs des deux revolvers qu'il portait, tout en avançant vers lui d'un pas décidé.

Lucien !

Il ne pouvait s'agir que de lui, celui dont Chloé avait parlé, celui qui lui avait sauvé la vie !

Une série de clics sonores se fit entendre, signalant la fin du déluge de projectiles. Lucien jura, et se mit à recharger, tandis que le monstre s'ébrouait, jetant sur le sol le sang qui couvrait son pelage d'or.

La tête de lion grogna hargneusement, et reprit sa marche vers sa proie, levant un regard prédateur vers le nouveau venu... La pluie de balles n'avait eu aucun effet !

Le serpent siffla et se dressa, raide, au-dessus du corps du lion. Son regard était fixé vers Quentin... Quand sa tête éclata d'un coup sec.

Lucien avait visé le reptile d'une dernière balle.

La chimère fit encore deux pas, d'une démarche molle, puis le corps entier s'écroula au sol, sans vie.

Quentin avait du mal à calmer sa respiration. Il venait de frôler la mort, et la blessure ouverte par les griffures laissait encore échapper son sang avec abondance. Il mit un certain temps avant d'accepter la main tendue de Lucien, qui l'aida à se relever.

"Vous êtes blessé ?" demanda t-il, inquiet.

Quentin acquiesça :

"Ça fait un mal de chien. Il faut que je trouve de quoi refermer ça."

"J'ai des bandages sur moi, justement." offrit alors Lucien, qui les sortait effectivement de ses affaires et commençait à panser les plaies du jeune homme.

"Qu'est-ce que c'était que ce truc ?" coassa Quentin, toujours incrédule devant le corps inanimé de la chimère.

"J'en sais rien, mais en tout cas c'est pas naturel." répondit Lucien en haussant les épaule. "Je suis là pour que ce genre de trucs s'arrête."

"Vous... Quoi ?" éructa Quentin, sans comprendre. "C'est vous qui...?"

Il repensait à la deuxième annonce du Maître. Serait-il possible que...?

"C'est moi qui suis censé détruire le Labyrinthe, si vous vous posez cette question, oui." affirma Lucien d'un ton tranquille.

L'élu ?... Se pourrait-il qu'il mente ? Pourtant, il venait de lui sauver la vie comme si de rien n'était, sans se poser de question. Le fait que Lucien soit si clair sur son but déroutait Quentin :

"Vous n'êtes pas... amnésique ?"

"Amnésique, non, pourquoi ?"

"On l'était tous... Dans le groupe..." balbutia Quentin.

Il perdait tous ses repères mentaux. Lucien laissa éclater un rire sans joie :

"Alors vous vous êtes fait berner. Il y en a au moins deux qui feignent l'amnésie, et ce sont les Gardiens, je peux t'assurer que ceux-là savent pourquoi ils sont là."

Quentin ouvrit la bouche, puis la referma, sans savoir quoi dire. C'était l'évidence même, et il n'y avait pas pensé ! Sans doute fallait-il essayer de confondre les Gardiens en les prenant par surprise sur le sujet de leur amnésie supposée...

"Vous pouvez marcher ?" voulut alors savoir Lucien, son regard toujours tourné vers sa blessure.

"Oui, merci, ça ira. Je dois continuer par là." répondit Quentin, désignant le fond du couloir. "J'ai l'occasion d'apprendre des informations capitales pour sortir d'ici."

"Je peux en être ?"

"Bien sûr !" accepta rapidement Quentin.

Après ce qui venait de se passer, ses soupçons à propos de Lucien étaient dissipés. Il était maintenant clair qu'au moins un traître s'était tenu dans cette cabane...