Les pensées parasites qui hantaient le crâne de Quentin lui étaient insupportables. Il aurait donné n'importe quoi pour s'en débarrasser, ne plus ressentir cette tension assassine qui pesait à l'intérieur du refuge.

"Qu'est-ce que c'est que ces papiers ?" demanda-t-il, pointant la table sur laquelle Frank et Anna étudiaient leurs documents.

"On a déniché une carte du labyrinthe." lui apprit la rousse, reprenant le sourire. "Ça n'indique pas directement la sortie, mais ça nous donne de bons indices."

La bouche de Quentin s'ouvrit grand, et il dut se forcer consciemment à la fermer.

Ils avaient enfin une information concrète sur la sortie de cet endroit.

"C'est génial !" exulta Quentin. "Qu'est-ce que ça dit ?"

"C'est une autre fichue énigme..." bougonna Frank, désignant de son index un coin de la carte, dans lequel étaient inscrits quelques mots, qu'il répéta :

"Quatre phrases. Quatre phrases, un mensonge.

La sortie du Labyrinthe se trouve dans l'une des zones grisées.

La Salle des Révélations ment.

La trappe B43 mène au Maître.

Le passage T12 donne une information utile à qui veut sortir."

"Donc, trois vérités et un mensonge..." supposa Quentin dans un souffle.

"T'as compris ça tout seul ?" ricana Frank.

"Laisse-le tranquille !" protesta Florence, quittant l'appui du mur sur lequel elle se reposait. "Ça sert à rien de se sauter mutuellement à la gorge comme ça, c'est ce que veut le Maître."

"C'est pas moi qui accuse indirectement les autres d'être des meurtriers psychopathes, tu vois..." se défendit Frank en levant ses paumes, l'air innocent.

"Je t'ai accusé de rien ! C'est fou, ça..." hallucina Quentin.

"Bref !" intervint Julien, évitant que le conflit ne dégénère. "Je propose qu'on assigne des gens à l'exploration des zones concernées par l'énigme. Plus vite on s'y attaquera, plus vite on sortira d'ici."

"D'accord, mais... Et les traîtres ?" objecta Chloé d'une voix timide.

"On n'a qu'à se séparer, partir chacun de notre côté." proposa Anna. Comme ça si les Gardiens veulent tenter quelque chose contre nous, il faudra qu'ils se rapprochent de nous... Et donc il se démasqueront."

"Ouais, enfin, si on se sépare, on risque surtout de se faire tuer les uns après les autres par les traîtres, non ? C'est pas un peu l'erreur basique des victimes des films d'horreur, ce qu'on est en train de faire ?" remarqua Quentin.

"Pas exactement." fit Anna, "On a trouvé ça, avec la carte."

Ouvrant le tiroir coulissant situé sous la table qui lui faisait face, elle sortit six talkie-walkie et les aligna face à elle.

"Un pour chaque innocent dans le jeu. On en prend un chacun, on se sépare, et si quelqu'un du groupe nous approche, on fuit le plus vite possible en prévenant les autres de l'identité du traître." expliqua t-elle.

"On a plus qu'à espérer que les Gardiens sont bien Sophie et Lucien, parce que sinon ils pourront saboter l'exploration en racontant n'importe quoi sur ce qu'ils ont trouvé." intervint alors Florence.

"Oui, et s'ils nous cherchent des noises, on prévient les autres aussi, cela va de soi. Je sais qu'avec ce plan les Gardiens pourront nous berner sur les infos mais au moins, on ne sera fera pas tuer. Et avec un peu de logique et de recoupement, on pourra toujours confondre les menteurs ensuite." exposa Anna, fière de son plan.

Quentin n'arrivait pas à lui trouver de faille. Il avait l'air bien pensé... Mais il ne pouvait s'empêcher de penser que quelque chose irait forcément de travers.

"Pas d'objection ?" lança t-elle en conclusion.

Tout le monde adopta le plan d'un hochement de tête, et se rapprocha de la tablée pour récupérer son talkie personnel. Julien se proposa pour répartir les tâches d'exploration à chacun, ils se débrouillèrent pour chacun recopier le morceau de carte qui leur serait utile pour leur parcours personnel et se donnèrent ensuite rendez-vous à la cabane quand leur expédition serait terminée.

Quentin avait été assigné à la Salle des Révélations, qui se trouvait être relativement proche de la cabane. Il avait profité de l'examen de la carte pour observer le passage dans lequel il avait été interpellé, cherchant s'il n'y avait pas là-bas un moyen rapide de se cacher. Il était toujours intrigué par cette voix qui l'avait appelé et qu'il avait cru reconnaître. C'était sans doute un moyen pour lui de s'accrocher à ce qui ressemblait à un souvenir. Il aimerait tant recouvrer la mémoire, redécouvrir qui il était.

Mais il avait pensé que reproduire un morceau de chemin qu'il n'était pas censé parcourir aurait paru suspect, alors il n'avait pas voulu envenimer les choses et il avait laissé tomber cette idée.

Il s'était donc lancé avec hâte sur la route de cette fameuse salle, soulagé de ne pas avoir à supporter plus longtemps cette ambiance toxique, mais en même temps vite oppressé à nouveau par la solitude totale. Et aussi un peu peiné d'être obligé d'abandonner Chloé à cette même solitude.

Quel genre de tordu pourrait oser faire subir cette torture mentale à une gosse comme elle ?

Quentin ne soupçonnait pas un instant Chloé d'être Gardien : il voyait dans ses yeux apeurés et son attitude que l'innocence la plus pure l'habitait. Alors, qui ?

Il prit quelques secondes pour établir sa liste de suspects.

Frank bien sûr, lui vint en premier lieu. Et ensuite ? Anna, peut-être ? Avait-elle séparé le groupe pour mieux l'attaquer ?

Florence ? Cherchait-elle son soutien pour mieux endormir ses soupçons ?

Julien ? Quentin ne pouvait rien dire de certain sur le vieil homme.

Perdu dans ses pensées, il sursauta quand une paroi se referma brusquement dans son dos, faisant retentir un claquement métallique sonore.

D'instinct, il se retourna, et palpa le mur lisse et impénétrable qui venait de lui barrer le chemin du retour. Il était bloqué dans un couloir, forcé d'avancer !

Son cœur tomba dans sa poitrine quand il aperçut ce qui venait d'apparaître dans son champ de vision, au bout du passage.

Une patte de fauve.

Les griffes grattèrent le béton, les coussinets s'écrasèrent au sol, une patte musclée couverte d'une fourrure sauvage s'avançait d'un pas de prédateur.

Un buste de lion s'offrit à sa vue, la crinière touffue encadrait d'une couleur de sable une gueule grande ouverte, présentant des crocs aussi effilés que des poignards.

L'information cogna à la tempe de Quentin :

Il avait perdu son couteau.

Il serait sans défense.

L'animal continuait à avancer, se dévoilant peu à peu à sa vue. Le corps puissant du félin se pavanait, dominant le couloir de sa présence.

Quentin crut que son cerveau déraillait sous la panique quand il aperçut la queue de l'animal.

Couverte d'écailles vertes, elle se tortillait en l'air et se terminait par une tête de reptile, une langue fourchue tâtant l'air en sifflant.

Un serpent en guise de queue.

Une chimère, un monstre !