Après un court instant de calme, suspendu au milieu du chaos, la furie reprit.

Les coups de feu rugirent leur haine, de plus en plus proches. Le son retournait les entrailles de Quentin, qui ne pouvait s'empêcher d'imaginer son corps troué de multiples projectiles une fois que Lucien les auraient trouvés. Pourquoi s'acharnait-il ainsi sur le bâtiment ?

Il jeta un coup d'œil en biais à Chloé, totalement terrorisée. Il lui sembla qu'elle était incapable de se lever, de quitter le cocon de confort illusoire que lui donnait sa position.

"Je vais la chercher !" héla Quentin.

Il commençait à paniquer. Et si Lucien débarquait dans la seconde en défonçant la porte ?...

Il était temps d'arrêter d'imaginer le pire et de se laisser dominer par la peur. Il était temps d'agir.

Alors qu'accroupis, toujours sous le feu nourri des revolvers, Anna et Julien se déplaçaient prudemment vers la sortie, Quentin rejoignit Chloé et lui saisit les épaules fermement :

"Chloé ! Chloé écoute-moi, il faut partir, maintenant ! On ne peut pas rester là !"

"J'ai p-peur !"

"Moi aussi ! Moi aussi, j'ai peur, on a tous peur ! Mais il faut avancer, maintenant, c'est le seul moyen de s'en sortir !"

Son encouragement fuit suivi d'un calme plat de quelques secondes, qui flotta en l'air avec un malaise palpable.

Soit Lucien rechargeait, soit...

"Allez ! Maintenant ! On y va !"

Il ne laissa plus le choix à l'adolescente : il l'embarqua par les épaules et la força à le suivre, à rejoindre la sortie.

Un horrible doute serra le cœur de Quentin sur le chemin de la sortie. Et s'il se lançait à leur poursuite ? S'ils étaient rattrapés ?...Il risquaient d'être abattus un à un comme des lapins.

Il laissa Chloé rejoindre les deux autres, et à mi-chemin, fit volte-face.

"Qu'est-ce que tu fous ?"

Quentin avait reconnu la voix paniquée de Julien, mais avait décidé de l'ignorer. Il se leva et engagea un sprint qui réveilla sa blessure. Immédiatement, d'autres balles fusèrent dans sa direction et le ratèrent de peu.

Elles avaient changé d'angle. Lucien faisait le tour du bâtiment. Il s'était approché assez pour le contourner.

Quentin avisa une barre de fer, qu'il utilisa comme barricade improvisée pour bloquer le système d'ouverture de la porte. Immédiatement après qu'il l'eut placée, la porte tressaillit brutalement sous les assauts de Lucien. Il n'eut que le temps de se jeter sur le côté avant de constater que le bois de la porte se trouait d'impacts de balles.

"Allez ! Reviens !" lui hurla Anna à l'autre bout de la salle, prête à sortir.

Leur agresseur tambourinait toujours sur l'entrée, et la barre de métal qui la bloquait couina d'un son inquiétant. Elle ne tiendrait pas longtemps.

Sans réfléchir, Quentin fuit vers le groupe qui l'attendait, aussi vite qu'il put. Ils partirent sans même prendre la peine de fermer la porte derrière eux. Il n'y avait qu'une seule issue.

"C'est par là !" indiqua Anna, à la tête du groupe, en pointant droit vers le bout du couloir qui s'ouvrait face à eux. "A gauche, il y aura la machine. On l'a activée, le portail devrait être ouvert."

Au moment même où ils avaient atteint le virage et qu'ils purent apercevoir la machine, des coups de feu retentirent dans leur dos.

Quentin ne put s'empêcher de jeter un œil derrière lui. Lucien semblait déterminé à les arrêter. Ses yeux flamboyaient d'une volonté à toute épreuve. Il était concentré, et visait pour tuer.

Le portail était leur unique chance.

A quelques mètres devant eux, une forme ovale faite de particules bleutées en suspension, dessinait un passage flou vers l'inconnu. Au centre de la forme, on croirait que la réalité était sous forme liquide, changeante, comme à travers un mirage. C'était là qu'ils devaient aller.

Quand la vie d'un être humain est en jeu, il a du mal à faire passer en priorité son empathie et son humanisme par rapport à sa propre survie. C'est ce que Quentin constata, quand il vit Anna et Julien accélérer pour se jeter dans le portail d'un geste désespéré, sans l'attendre, mais ce qui le choqua plus, sans attendre Chloé.

L'adolescente avait du mal à tenir le rythme. La panique coupait son souffle, diminuait ses capacités physiques.

"On va y arriver, Chloé ! On va y arriver !"

Un nouveau coup d'œil en arrière. Lucien dérapait au sol, emporté par sa vitesse, et tournait son arme vers eux.

"Allez ! On y est presque !"

Quentin attrapa la main de Chloé et traversa le portail. Il se sentit lâcher juste avant son passage.

Les balles fusèrent, déchirant l'air.

La machine fut touchée, réagit avec des crachotements d'étincelles, des grésillements de déplaisir. Une balle frôla la cuisse de la jeune fille. Avec un petit cri, elle lâcha sa prise sur le bras de Quentin, et s'étala de tout son long devant le passage temporel. Celui-ci tressaillit, l'ovale se déformait par à-coups.

Chloé rampa vers le passage mourant les larmes aux yeux, il ne lui manquait que quelques centimètres...

Un dernier coup de feu retentit.

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Quentin était arrivé à bon port. Il avait rejoint Anna et Julien, tous deux les mains posées sur les genoux, en train de récupérer leur respiration.

La première chose qu'il fit était de se retourner pour accueillir Chloé. Mais elle n'était pas derrière lui. Elle était introuvable.

"Chloé..." commença t-il.

Les deux autres eurent un simple signe négatif de la tête.

La rage et la tristesse s'empara de lui. Serait-il capable de sauver ne serait-ce qu'une personne de cet enfer ? Pourquoi elle ? Elle n'était qu'une gamine ! Elle n'avait rien fait !

"C'est pas possible !" contesta Quentin. "Si elle était...Morte...La voix nous l'aurait annoncé."

"Pas si elle l'est dans le futur." répondit sombrement Anna. "On est dans le passé, maintenant, tu te souviens ?"

Le passé... C'était vrai !

Ils avaient passé le portail ! Alors, ça voulait dire qu'ils étaient...Quand, exactement ? Et où ? Rien ne ressemblait à un endroit du labyrinthe plus qu'à un autre endroit du labyrinthe.

Maintenant, en plus d'être perdu dans le dédale, ils s'étaient perdus dans le temps !

Si la situation n'était pas si dramatique et si la disparation de Chloé n'était pas toujours si présente dans la tête de Quentin, il en aurait bien ri.

Le passé...Cela voulait dire qu'ils pouvaient changer les choses ! Ils pouvaient tout changer ! Ce n'était pas encore terminé. Avec cet espoir renouvelé, Quentin se mit à explorer les alentours pendant qu'Anna et Julien discutaient leur plan. Curieux, il jeta un coup d'œil au détour du premier couloir qu'il trouva.

Ce qu'il vit au fond dérangea son esprit au plus haut point. Il s'était reconnu, lui-même...

"Hé !" lança t-il, choqué, incapable de produire une autre réaction.

Julien le saisit par l'épaule et le tira brutalement à lui, excédé :

"Tu es taré ou quoi ? Tu veux provoquer un paradoxe ?"

L'idée frappa son cerveau comme un coup brutal. Il s'en souvenait maintenant, quand il avait entendu cette curieuse voix l'appeler !... C'était lui-même ! Il s'était appelé lui-même !

Il resta un instant sonné par les implications de cette anomalie temporelle.