Ce fut un bruit inquiétant qui tira Quentin de son inspection méthodique de la Salle des commandes. La porte s'ouvrait.

Plusieurs membres du groupe étaient entrés et se montraient surpris de le trouver. Le rythme de son cœur s'accéléra. Qu'allait-il leur dire ? Ils étaient sûrement là pour enquêter sur le meurtre de Frank !

Quentin reconnut immédiatement Chloé, Julien et Anna. Tous trois avaient ouvert des yeux ronds comme des soucoupes en constatant qu'il était déjà à l'intérieur.

"Quentin ? Qu'est-ce que...Tu fais là ? Pourquoi tu ne répondais pas au talkie ?" interrogea Anna, décontenancée.

"Je...J'ai dû l'éteindre" s'expliqua t-il en bafouillant. "C'est une longue histoire."

"Explique-la nous donc, on a tout le temps qu'il faut." engagea Julien, tout en croisant les bras sur son torse.

"J'ai découvert...Dans la Salle des Révélations, j'ai découvert le nom d'un Gardien. Et je ne voulais pas en parler, pour...Eviter de semer la panique dans le groupe..." exposa Quentin avec des gestes tremblants de ses mains, l'envie de plus en plus ardente de fixer ses chaussures.

"Me dis pas..." commença Anna.

"Qui c'était ? Qui c'était, le Gardien ?" pressa Julien.

"Frank." lâcha t-il simplement en réponse.

"C'est pas vrai..."

Le vieil homme se passa la main sur son visage, dépité.

"Ecoutez, je comprends que Frank soit proche de vous, mais il a agressé Sophie quand il est tombé sur elle, alors pour moi c'était la confirmation dont j'avais..."

"Frank n'était pas Gardien." coupa net Chloé, d'une petite voix.

Son intervention avait fait flotter un malaise palpable dans la salle, Quentin s'étant stoppé d'un coup.

"De...Comment tu le sais ?" interrogea t-il.

"C'est impossible, c'est tout, on le sait. On le sait tous !" s'énerva Julien, excédé.

"Ça va, ça va ! Je ne le savais pas, moi ! Vous auriez peut-être pu me le dire, si vous en étiez si sûrs, non ?" protesta Quentin.

"Vu que tu commences à tuer des gens, on ne sait pas trop si tu es digne de porter nos informations, vois-tu..." insinua Anna, acide.

"C'est pas moi !" se défendit instinctivement Quentin, ce qui fit lever plusieurs sourcils, en face de lui.

"...En fait c'est Sophie...Je l'ai aidée...Mais...C'était de la légitime défense !" se justifia t-il.

"C'est pas vrai..." se lamenta encore Julien.

"Il...Il est mort ?" demanda Chloé de sa voix innocente.

Le fait que ce soit une gamine si jeune qui lui demande cela rendit ses mots très difficiles à assumer :

"Je...Oui...Oui, il est mort." confirma t-il d'une voix mal assurée.

Choquée, Chloé porta ses mains à sa bouche et se recula de plusieurs pas, derrière Julien et Anna. Le regard accusateur qu'ils lui lancèrent en dit long.

Le moment de tension qui suivit dura trop longtemps au goût de Quentin. Il ne fut brisé que quand Anna se décida à demander :

"C'est quoi, ici ?"

"La Salle des commandes...C'est d'ici que le Maître contrôle les murs qui pivotent...Et autres trucs. C'est rempli de bazar, je n'y comprends rien." avança Quentin.

"Qu'est-ce que c'est...Que ça ?"

Anna venait de s'intéresser à la supposée machine temporelle. Elle retournait les dossiers la concernant dans tous les sens et tomba sur un schéma qui attira son regard.

"Elle est à côté...C'est fou...Ça peut marcher ?" questionna t-elle d'une voix fébrile.

"De quoi tu parles ?"

"La machine ! La machine temporelle ! On en a les plans ici, ça explique comment ça marche. Regarde, on tire le levier "Alternative" ici si on veut un voyage qui nous envoie dans la même réalité, sans qu'on soit sûrs de pouvoir la changer. On tire le levier "Parallel" si on veut créer une dimension supplémentaire dans laquelle on peut tout modifier sans risquer de paradoxe..."

"Qu'est-ce que tu veux faire ?" souffla Quentin.

"Revenir en arrière ! On sauve Frank ! Il ne mérite pas une telle fin !"

L'idée percuta Quentin avec la force d'un ouragan. S'ils pouvaient revenir en arrière de cette manière...Les possibilités étaient infinies !

"Mais alors...Sophie..." protesta-t-il faiblement.

"On s'arrangera pour qu'elle survive aussi, ne t'inquiète pas. Je suis persuadé qu'elle est innocente aussi." expliqua Julien.

"Mais...Je..." 

Quentin ne trouvait pas d'arguments valables à opposer. Il lui semblait juste bizarre de jouer de telle manière avec le temps...Qui sait quelles abominations ils pourraient déclencher ?

"De toute façon, un scénario où personne ne meure, c'est mieux qu'un scénario avec un meurtre, non ?" finit de le convaincre Julien.

Sur ces mots, il s'approcha du bureau rempli de documents, et se mit à fouiller dans les informations.

"Alors, on va tout régler pour bien préparer notre retour."

Anna s'affairait déjà à manipuler les différents interrupteurs et leviers qui lui faisaient face, un doigt sur le dossier de la machine qu'elle consultait.

Heureusement pour eux qu'elle maîtrisait l'anglais, pensa Quentin, sinon ils n'étaient pas sortis de leurs galères !

Alors qu'assistée par Julien, Anna réglait les paramètres de la machine, le jeune homme se prit à réfléchir aux implications de leur voyage.

Certes, faire en sorte que ni Sophie ni Frank ne perde la vie dans cette histoire était sans doute la meilleure des choses à faire...Mais si Frank était vraiment un Gardien ? Et si le groupe était manipulé de l'intérieur par l'un des Gardiens pour tenter le sauvetage in-extremis de son collègue ?

Et, plus troublant, si ils avaient bien effectué un voyage dans le temps...N'en auraient-ils pas déjà constaté les conséquences ?

Un début de migraine se profilait pour Quentin, quand ses réflexions furent interrompues par un son qu'il reconnaîtrait entre mille : une arme à feu crachait ses balles.

Les vitres de la salle éclatèrent toutes, les unes après les autres. Des étincelles explosaient en pagaille sur les tableaux de commande.

Chloé poussa un cri de terreur aigu, et s'agenouilla à terre, la tête rentrée dans ses bras. Les trois autres se couchèrent instantanément.

Quentin rampa pour s'approcher d'Anna et Julien, terrifiés.

"Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" interrogea Julien dans un souffle.

"Lucien..." évoqua Quentin en réponse. "C'est le seul à avoir une arme de ce genre à ma connaissance... Mais je vois pas pourquoi il nous attaquerait !"

"On s'en fout pas mal du pourquoi !" répliqua Anna. "On a presque tout réglé pour la machine. Elle est dans le couloir à droite, en sortant par là."

Elle avait désigné la porte de métal qui leur faisait face.

"C'est notre seule chance, on sort et on passe le portail. On mise tout sur notre retour dans le temps."